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ARRÊT DU
15 Mai 2023
HL / NC
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N° RG 22/00736
N° Portalis DBVO-V-B7G -DBAZ
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[T] [L]
C/
[X] [D] épouse [I]
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GROSSES le
aux avocats
ARRÊT n° 212-23
COUR D’APPEL D’AGEN
Chambre Civile
LA COUR D’APPEL D’AGEN, 1ère chambre dans l’affaire,
ENTRE :
Monsieur [T] [N] [E] [L]
né le [Date naissance 3] 1938 à [Localité 9] (16)
de nationalité française
domicilié : [Adresse 4]
[Localité 6]
représenté par Me Stéphanie GOUZES, membre de la SELARL GOUZES, substituée à l’audience par Me Laura CHIAPPINI, avocate au barreau d’AGEN
APPELANT d’une ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire d’AGEN en date du 15 septembre 2021,
RG 20/01722
D’une part,
ET :
Madame [X] [D] épouse [I]
venant aux droits de Mme [Y] [K] veuve [D], décédée le [Date décès 2]/2020
née le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 8] (92)
de nationalité française
domiciliée : [Adresse 5]
[Localité 7]
représentée par Me Ludovic VALAY, SELARL VALAY – BELACEL – DELBREL – CERDAN, avocat au barreau d’AGEN
INTIMÉE
D’autre part,
COMPOSITION DE LA COUR :
l’affaire a été débattue et plaidée en audience publique le 16 janvier 2023 devant la cour composée de :
Présidente : Valérie SCHMIDT, Conseiller,
Assesseurs : Cyril VIDALIE, Conseiller
Hervé LECLAINCHE, Magistrat honoraire qui a fait un rapport oral à l’audience
Greffière : Nathalie CAILHETON
ARRÊT : prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile
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RÉSUME DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
De 2012 à 2019, Mme [Y] [K] veuve [D] a prêté ou remis diverses sommes à M. [T] [N] [E] [L].
Par lettre du 29 mai 2020, Me [R] [U] indiquait à Mme [D] que M. [L], dont il était le conseil, souhaitait la rembourser.
Par ordonnance du 9 juin 2020, le juge des tutelles du tribunal de proximité de Marmande a placé Mme [D] sous sauvegarde de justice pour la durée de l’instance en protection judiciaire des majeurs, et a désigné Mme [X] [I], fille unique de Mme [D] et qui sera appelée ci-dessous ” Mme [I] “, en qualité de mandataire spécial.
Par acte d’huissier du 5 octobre 2020, Mme [D] a assigné M. [L] devant le tribunal judiciaire d’Agen, pour voir condamner celui-ci à lui rembourser la somme de 107 435, 63 € outre intérêts au taux légal à compter de la date de l’assignation avec astreinte de 1 000 € par mois à compter de la signification de la décision à intervenir ; la somme de 20 000 € à titre de dommages-intérêts ; la somme de 2 500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 20 Octobre 2020, le juge des tutelles de Marmande a accordé à Mme [I] une habilitation familiale générale lui permettant de représenter sa mère pour l’ensemble des actes relatifs à ses biens.
Mme [Y] [D] née [K] est décédée le [Date décès 2] 2020.
Mme [X] [D] épouse [I] est intervenue à la procédure engagée par sa mère par conclusions du 17 décembre 2020.
Par conclusions d’incident du 26 mai 2021, M. [L] a saisi le juge de la mise en état, auquel il demandait, in limine litis, de déclarer nulle de plein droit l’assignation délivrée par Mme [K] veuve [D] le 5 octobre 2020 à l’encontre de M. [T] [L] ; de dire et juger que Mme [X] [D] épouse [I] ne pouvait poursuivre, par substitution de sa mère Mme [Y] [K] veuve [D], une action judiciaire nulle ; en conséquence de déclarer sans droit d’agir Mme [X] [D] par intervention en poursuite de l’assignation du 5 octobre 2020 qui sera déclarée tant nulle qu’irrecevable ;
Très subsidiairement,
– Déclarer prescrites les demandes en remboursement réclamées :
o Au titre de la reconnaissance à titre de prêt de la somme de 9 500 € du 31 décembre 2013 ;
o Au titre de prêt de sommes pour 2012 et 2013 de 12 015,75 € ;
– De renvoyer au fond pour statuer sur les autres demandes de Mme [I] née [D] portant tant sur des prêts reconnus que sur des donations rémunératoires ou des sommes réclamées sans preuve et sans fondement.
Mme [I] s’est opposée aux demandes en nullité de l’assignation et de son intervention comme à la demande portant sur la prescription.
Par ordonnance contradictoire du 15 septembre 2021, le juge de la mise en état a :
– rejeté la demande en nullité de l’assignation ;
– donné acte à Mme [I] de son intervention volontaire ;
– dit n’y avoir lieu à prescription de la demande formée par Mme [I] ;
– renvoyé l’affaire à la mise en état en donnant injonction de conclure à M. [L] ;
– réservé les frais irrépétibles et les dépens.
M. [L] a interjeté appel de cette ordonnance le 9 septembre 2022, en ce que le juge a rejeté sa demande en nullité de l’assignation, donné acte à Mme [I] de son intervention volontaire et dit n’y avoir lieu à prescription de la demande formée par Mme [I].
Cet appel n’a pas été contesté comme tardif car l’ordonnance n’avait pas été signifiée à M. [L], qui a conclu devant le tribunal dans le délai imparti.
Par conclusions déposées le 8 novembre 2022, M. [L] demande à la cour, sur le fondement des articles 32, 117, 119, 121, 122, 503 et 528 du code de procédure civile, et des articles 435, 437, 1240, 1355, 1359, 1376, 2224 et 2240 du code civil,
Au principal,
– de dire et juger qu’il a opposé une fin de non-recevoir à l’irrégularité de fond de l’assignation du 5 octobre 2020, insusceptible d’être couverte par les dispositions de l’article 121 du code de procédure civile ;
– d’infirmer en conséquence l’ordonnance du 15 septembre 2021, et de déclarer nulle et de nul effet l’assignation du 5 octobre 2020 ainsi que toute procédure subséquente ;
– de rejeter toutes les demandes de Mme [I] en les déclarant irrecevables,
Subsidiairement,
– de dire et juger que le jugement correctionnel de relaxe et de débouté de la partie civile prononcé le 11 mai 2022 s’impose au juge civil ;
– d’infirmer l’ordonnance du 15 septembre 2021,
– de débouter Mme [I] de toutes ses demandes comme irrecevables et mal fondées,
Très subsidiairement,
– de déclarer prescrites les demandes de remboursement réclamées au titre des sommes réclamées versées antérieurement au 5 octobre 2015, soit 21 574,15 euros ;
– de renvoyer au tribunal judiciaire pour qu’il statue sur les autres demandes,
En tout état de cause,
– de condamner Mme [I] à lui payer la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Pour voir déclarer son appel recevable, M. [L] expose que l’ordonnance déférée ne lui a jamais été signifiée et invoque les articles 503 et 528 du code de procédure civile.
Il fait état d’une période de vie commune avec Mme [D], qui a pu amener chacun à participer financièrement aux charges du couple, à faire des donations rémunératoires ou à payer des services autant qu’à consentir de véritables prêts.
Pour voir déclarer nulle l’assignation du 5 octobre 2020, il rappelle la sauvegarde de justice instaurée le 9 juin 2020 et rendant Mme [D] incapable d’ester seule en justice, invoque l’article 435 du code civil et soutient que l’assignation est nulle de plein droit ; que la nullité ne peut en l’espèce profiter à la personne protégée et ne peut être couverte.
Il en conclut que la nullité de l’acte introductif interdisait à Mme [I] d’intervenir à la procédure subséquente.
Pour voir déclarer prescrite la demande en remboursement, M. [L] soutient que le délai quinquennal édicté par l’article 2224 du code civil a commencé à courir dès la date de la convention, lorsqu’aucune date de remboursement n’a été fixée par les parties ; que cela concerne, parmi les versements allégués, ceux qui sont intervenus du 3 mai 2012 au 3 décembre 2013, soit neuf versements d’un montant total de 21 515,75 €.
Pour voir déclarer irrecevable toute action en remboursement, M. [L] invoque enfin le jugement correctionnel du 11 mai 2022 qui l’a renvoyé des fins de la poursuite engagée du chef d’abus de faiblesse entre le 16 novembre 2016 et le 29 novembre 2019, et a débouté Mme [I], partie civile, de sa demande de la somme de 66 550 €. Il invoque la règle electa una via et l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil en soutenant qu’il y a identité de parties, d’objet et de cause.
Par conclusions déposées le 17 novembre 2022, Mme [I] demande à la cour :
– de juger l’appel irrecevable ;
à titre subsidiaire,
– de confirmer la décision dont appel, de débouter M. [L] de toutes ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 3 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Mme [I] énumère les sommes remises par sa mère à M. [L], avec reconnaissance de dette ou par chèques pour un total de 107 435, 63 € de l’année 2012 à l’année 2019 comprises.
Pour voir déclarer irrecevable l’appel de M. [L], elle invoque l’article 409 du code de procédure civile et soutient qu’en concluant le 23 novembre 2021 comme demandé par l’ordonnance, M. [L] a acquiescé à cette dernière, puisqu’il s’est engagé à rembourser les sommes de 25 000 € et 30 850 € reconnues par actes notariés et de 9 500 € et 1 200 €, reconnues par actes sous seing privé.
Pour voir confirmer l’absence de nullité de l’assignation du 5 octobre 2020, elle invoque l’article 435 alinéa 3 du code civil qui réserve selon elle l’action en nullité à la personne protégée ou à ses héritiers.
Pour voir confirmer l’absence de prescription de la demande en remboursement, elle invoque l’article 2240 du code civil et la lettre du 29 mai 2020 qui aurait interrompu la prescription.
Pour voir déclarer irrecevables ou rejeter le moyen tiré de la procédure pénale elle fait valoir que le jugement correctionnel du 15 mai 2022 est postérieur à l’introduction de l’action civile et à la décision déférée ; que devant le tribunal correctionnel elle n’avait demandé qu’une provision, la demande principale ayant été formulée antérieurement devant le juge civil.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de l’appel :
La recevabilité de l’appel de M. [L] n’est pas contestée pour des raisons de délai, l’ordonnance du 15 septembre 2021 ne lui ayant jamais été signifiée.
Mme [I] soutient qu’un acquiescement de M. [L] à l’ordonnance du 15 septembre 2021, emportant renonciation aux voies de recours en vertu de l’article 409 alinéa 1er du code de procédure civile, rendrait cet appel irrecevable.
L’ordonnance du 15 septembre 2021 n’a statué que sur des exceptions de procédure. En concluant le 23 novembre 2021 M. [L] n’a obéi qu’à la disposition lui ordonnant de le faire avant le 24 novembre 2021. En outre, la demande, contenue dans ses conclusions, de se voir donner acte de son engagement de payer les sommes de 25 000 €, 30 850 €, 9 500 € et 1 200 € est sans portée juridique. Son appel n’est donc pas rendu irrecevable par un acquiescement.
L’appel de M. [L] sera déclaré recevable.
Sur la demande en nullité de l’assignation du 5 octobre 2020 :
L’article 433 al 1 et 2 du code civil permet au juge saisi d’une procédure de curatelle ou de tutelle de placer la personne concernée sous sauvegarde de justice pour la durée de l’instance.
Aux termes de l’article 435 alinéa 1er du même code, la personne placée sous sauvegarde justice conserve l’exercice de ses droits. Toutefois, elle ne peut, à peine de nullité, faire un acte pour lequel un mandataire spécial a été désigné en application de l’article 437.
L’ordonnance du 9 juin 2020 a notamment chargé Mme [I] de représenter Mme [D] en justice, notamment pour déposer plainte.
En vertu de l’article 435 alinéa 3, l’action en nullité n’appartient cependant qu’à la personne protégée et, après sa mort, à ses héritiers, ce qui rend M. [L] irrecevable à l’exercer.
L’ordonnance déférée sera donc confirmée en ce qu’elle a rejeté la demande en nullité de l’assignation.
Mme [I] étant régulièrement intervenue à une instance régulièrement engagée, l’ordonnance déférée sera également confirmée en ce qu’elle a donné acte à Mme [I] de son intervention.
Sur la prescription :
L’article 2250 du code civil permet de renoncer à une prescription acquise. Aux termes de l’article 2251 du même code, cette renonciation est expresse ou tacite. La renonciation tacite résulte de circonstances établissant sans équivoque la volonté de ne pas se prévaloir de la prescription.
Par lettre du 29 mai 2020, Me [R] [U] s’adressait à Mme [Y] [D] en ces termes : ” M. [L], dont je suis le conseil, souhaite vous rembourser les sommes d’argent que vous lui avez prêtées. M. [L] ne conteste donc pas le principe de sa dette. Vous serez aimable de m’indiquer précisément les sommes correspondantes accompagnées des justificatifs y afférents “.
La renonciation à se prévaloir de la prescription est expresse en ce qui concerne le prêt litigieux de 9 500 €, consenti et reconnu par l’acte sous seing privé en date du 31 décembre 2013, enregistré le 30 janvier 2014, par lequel M. [L] a reconnu avoir reçu de Mme [Y] [D] la somme de 9 500 €, à titre de prêt remboursable à la récolte de céréales 2013.
L’ordonnance déférée sera confirmée en ce qu’elle a écarté la prescription concernant ce prêt.
L’article 6 du code de procédure civile oblige M. [L], qui invoque la prescription, à alléguer le fait qui aurait fait courir le délai extinctif de l’article 2224 du code civil. En vertu de l’article 1900 du code civil, l’absence de terme fixé entre les parties a empêché le délai de courir. La prescription n’est donc pas établie en ce qui concerne la somme de 12 015, 75 € remise en huit chèques en 2012 et 2013.
L’ordonnance déférée sera donc confirmée en ce qu’elle a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription.
Sur l’irrecevabilité qui résulterait du jugement correctionnel du 11 mai 2022
Il ressort de ce jugement que la période de prévention, qui s’étend du 16 novembre 2016 au 29 novembre 2019, n’englobe pas les faits de 2012 et 2013 évoqués ci-dessus.
L’identité d’objet exigée par l’article 1355 du code civil n’existant pas, la fin de non-recevoir tirée de la chose jugée au pénal doit être rejetée.
Sur les dépens et les frais irrépétibles en cause d’appel
M. [L] qui succombe sera condamné aux dépens. Il y a lieu d’ajouter sa condamnation à payer la somme de 1 500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, et en dernier ressort,
DÉCLARE l’appel de M. [T] [L] recevable ;
CONFIRME l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;
REJETTE la fin de non-recevoir tirée du jugement pénal postérieur à cette ordonnance ;
Y ajoutant,
CONDAMNE M. [T] [L] aux dépens ; le condamne à payer à Mme [X] [I] née [D] la somme de 1 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
Le présent arrêt a été signé par Valérie SCHMIDT, présidente, et par Nathalie CAILHETON, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière, La Présidente,