Avis de consommateurs : 17 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/09609

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Avis de consommateurs : 17 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/09609
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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 8

ARRET DU 17 FEVRIER 2023

(n° , 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/09609 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CF2T5

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 15 Avril 2022 -Président du TC de PARIS 04 – RG n°

APPELANTE

Société TRUSTPILOT A/S, société de droit danois, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège,

[Adresse 4]

[Adresse 1]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assistée par Me Djazia TIOURTITE, avocat au barreau de PARIS, toque : R255

INTIMEE

S.A.R.L. ROSE PASSION prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège,

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Guillaume DAUCHEL de la SELARL CABINET SEVELLEC DAUCHEL, avocat au barreau de PARIS, toque : W09

Assistée par Me Myriam JEAN de la SELARL JEAN LOUVEL SAOUDI, avocat au barreau de METZ

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 janvier 2023, en audience publique, les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Florence LAGEMI, Président chargé du rapport et Rachel LE COTTY, Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de:

Florence LAGEMI, Président,

Rachel LE COTTY, Conseiller,

Patrick BIROLLEAU, Magistrat honoraire,

Greffier, lors des débats : Marie GOIN

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Florence LAGEMI, Président et par Marie GOIN, Greffier présent lors de la mise à disposition.

La société de droit danois Trustpilot exploite une plateforme d’hébergement d’avis de consommateurs permettant à toute personne de consulter et de déposer un avis sur une expérience vécue avec une entreprise.

La société Rose Passion, spécialisée dans le commerce de détail d’équipements et de pièces détachées pour les véhicules automobiles de marque Porsche qu’elle exporte dans le monde entier, fait l’objet d’une page ouverte sur la plateforme Trustpilot, intitulée ‘Rosepassion’.

Ayant constaté sur la page litigieuse de nombreux avis négatifs à son égard sans pouvoir vérifier s’ils correspondent à une véritable expérience de consommation ou s’il s’agit de faux avis ni y répondre sans créer de compte Trustpilot et ayant relevé que les dispositions du code de la consommation ne sont pas respectées par l’hébergeur puisque les dates d’expérience et la durée de conservation des avis ne sont pas mentionnées, la société Rose Passion a adressé, en vain, à la société Trustpilot une lettre, le 15 septembre 2021, faisant état du non-respect des dispositions légales auxquelles sont soumises les entreprises dont l’activité consiste à collecter, modérer ou diffuser des avis en ligne provenant de consommateurs.

Soutenant que la publication de ces avis rédigés en plusieurs langues sur le site français ou accessibles sur le sol français, est soumise au droit français de la consommation non respecté par la société Trustpilot et que les conséquences dommageables de ces publications sont subies sur le territoire français, la société Rose Passion a, par acte du 29 décembre 2021, fait assigner la société Trustpilot devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris afin qu’il soit mis fin au trouble manifestement illicite relevé et ce, en application des articles 873 du code de procédure civile, 6 de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 sur la confiance dans l’économie numérique, dite LCEN, L. 111-1, L. 111-7-2, L. 111-8 ainsi que D. 111-16, D.111-17 et D.111-18 du code de la consommation.

Par ordonnance du 15 avril 2022, le premier juge a :

dit recevables mais mal fondées les exceptions d’incompétence territoriale et matérielle soulevées par la société Trustpilot ;

ordonné à la société Trustpilot de supprimer de sa plateforme, dans les 8 jours à compter de la signification de l’ordonnance, la page intitulée ‘Rosepassion accessible’ à l’adresse URL https://fr.trustpilot.com/review/rosepassion.com ;

assorti cette condamnation d’une astreinte de 500 euros par jour de retard ou de manquement, pendant une durée de 2 mois à l’issue de laquelle il pourra de nouveau être fait droit et dont il ne s’est pas réservé la liquidation ;

condamné la société Trustpilot à verser à la société Rose Passion la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

rejeté les autres demandes des parties ;

condamné en outre la société Trustpilot aux dépens de l’instance.

Par déclaration du 16 mai 2022, la société Trustpilot a relevé appel de cette décision en critiquant l’ensemble des chefs de dispositif.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 23 décembre 2022, la société Trustpilot demande à la cour de :

infirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a :

dit recevables mais mal fondées les exceptions d’incompétence territoriale et matérielle soulevées ;

lui a ordonné de supprimer de sa plateforme, dans les 8 jours à compter de la signification de l’ordonnance, la page intitulée ‘Rosepassion’ accessible à l’adresse URL : https://fr.trustpilot.com/review/rosepassion.com ;

assorti cette condamnation d’une astreinte de 500 euros par jour de retard ou de manquement, pendant une durée de 2 mois à l’issue de laquelle il pourra de nouveau être fait droit sans se réserver la liquidation de l’astreinte ;

prononcé une condamnation à son égard au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens ;

rejeté les autres demandes des parties ;

statuant à nouveau,

la juger recevable et bien fondée à soulever in limine litis l’incompétence internationale du juge des référés du tribunal de commerce de Paris ;

déclarer les juridictions françaises incompétentes ;

renvoyer la société Rose Passion à mieux se pourvoir au choix devant les juridictions du ou des lieux dans lesquels elle prétend subir un dommage à raison des avis dépourvus de date d’expérience ou devant les juridictions danoises, où elle est domiciliée ;

subsidiairement,

la juger recevable et bien fondée à soulever in limine litis l’incompétence matérielle et territoriale du juge des référés du tribunal de commerce de Paris ;

déclarer incompétent le tribunal de commerce de Paris pour apprécier les demandes de suppression de contenu et renvoyer la société Rose Passion à mieux se pourvoir devant le président du tribunal judiciaire de Val de Briey dans le cadre de la procédure accélérée au fond ;

à titre infiniment subsidiaire, et si par impossible la cour estimait le juge des référés du tribunal de commerce de Paris compétent pour apprécier les demandes de la société Rose Passion,

juger que celle-ci ne démontre pas l’existence d’un trouble manifestement illicite ;

juger que l’existence de l’obligation invoquée est sérieusement contestable ;

en conséquence,

juger n’y avoir lieu à référé ;

débouter la société Rose Passion de l’intégralité de ses demandes ;

en tout état de cause,

condamner la société Rose Passion à lui payer une somme de 15.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens avec faculté de recouvrement direct conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 20 décembre 2022, la société Rose Passion demande à la cour de :

confirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle :

a dit recevables mais mal fondées les exceptions d’incompétence territoriale et matérielle soulevées par la société Trustpilot ;

a ordonné à celle-ci de supprimer de sa plateforme, dans les 8 jours à compter de la signification de l’ordonnance, la page intitulée ‘Rosepassion’ accessible à l’adresse URL https://fr.trustpilot.com/review/rosepassion.com ;

a assorti cette condamnation d’une astreinte de 500 euros par jour de retard ou de manquement, pendant une durée de 2 mois à l’issue de laquelle il pourra de nouveau être fait droit ;

ne s’est pas réservé la liquidation de l’astreinte ;

a condamné la société Trustpilot à lui verser la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;

infirmer l’ordonnance en ce qu’elle a rejeté les autres demandes des parties ;

et statuant à nouveau,

condamner la société Trustpilot à lui verser la somme de 10.000 euros à titre de provision à valoir sur la réparation de son préjudice commercial et d’image ;

rejeter les demandes de la société Trustpilot ;

et en tout état de cause :

condamner la société Trustpilot à lui verser la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers frais et dépens.

La clôture de la procédure a été prononcée le 4 janvier 2023 et l’affaire a été fixée pour être plaidée à l’audience du 12 janvier suivant.

En cours de délibéré, la cour a invité les parties à présenter leurs observations sur l’applicabilité au litige de l’article 35 du règlement (UE)  n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, dit Bruxelles I Bis, relevé d’office, par une note préalablement communiquée entre elles, devant être remise par voie électronique avant le 3 février 2023.

Les parties ont fait parvenir et ont notifié leurs observations, les 27 janvier et 2 février 2023 pour la société Rose Passion et le 31 janvier 2023 pour la société Trustpilot.

Pour un exposé plus détaillé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie expressément à la décision déférée ainsi qu’aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

Pour déterminer la compétence internationale des juridictions françaises, il importe préalablement de rechercher si la mesure sollicitée est une mesure provisoire relevant de l’article 35 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, dit Bruxelles I Bis ou une mesure au fond relevant de l’article 7, § 2, de ce règlement.

La société Rose Passion sollicite, sur le fondement de l’article 873 du code de procédure civile, la suppression de la page ‘Rosepassion’ de la plateforme française Trustpilot, accessible à l’adresse URL https://fr.trustpilot.com/review/rosepassion.com, qu’elle considère être une mesure provisoire que le juge de référés peut ordonner concurremment avec le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond, afin de faire cesser le trouble manifestement illicite qu’elle indique subir en France.

La société Trustpilot considère en revanche que, selon la nouvelle procédure prévue par l’article 6, I, 8, de la LCEN, modifié par la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021, la demande de suppression de contenu en ligne ne peut être formée que devant le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond, lequel se voit attribuer une compétence exclusive pour statuer en cette matière.

L’article 6, I, 8 de la LCEN, dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021, dispose que le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, peut prescrire à toute personne susceptible d’y contribuer toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne, alors qu’antérieurement et dans la version initiale du texte, ces mesures pouvaient être ordonnées en référé ou sur requête et le champ des acteurs concernés était limité aux seuls fournisseurs d’accès à internet et aux hébergeurs.

Selon l’article L. 213-2 du code de l’organisation judiciaire, en toutes matières, le président du tribunal judiciaire statue en référé ou sur requête. Dans les cas prévus par la loi ou le règlement, il statue selon la procédure accélérée au fond.

Il résulte de ces dispositions, qu’il entre désormais dans les seuls pouvoirs du président du tribunal judiciaire saisi selon la procédure accélérée au fond de faire cesser tout dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne, et, ce quelle qu’en soit la nature et y compris lorsqu’il procède d’une violation des dispositions du code de la consommation comme il est soutenu en l’espèce par la société Rose Passion.

Ainsi, la modification de l’article 6, I, 8 ôtant toute compétence au juge des référés pour statuer sur la demande de la société Rose Passion, laquelle a précisément pour finalité la cessation d’un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne, la mesure qu’elle sollicite ne peut que relever de l’article 7, § 2, du règlement dit Bruxelles I bis.

Selon ce texte, ‘une personne domiciliée sur le territoire d’un Etat membre peut être attraite dans un autre Etat membre : (…) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu ou le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire’. Ce lieu s’entend comme celui dans lequel se trouve le centre des intérêts de la personne morale qui prétend subir un dommage.

Il est constant que la page litigieuse, accessible sur le  domaine français de la plateforme Trustpilot à l’adresse URL https://fr.trustpilot.com/review/rosepassion.com, comporte des avis rédigés en langue française et permet d’accéder aux avis rédigés en langues étrangères, ainsi qu’il résulte du procès-verbal de constat dressé par huissier de justice le 5 novembre 2021.

Ces avis, considérés comme négatifs pour la plupart et pour lesquels il est soutenu qu’ils ne comportent, dans leur ensemble, ni la date d’expérience de consommation de leurs auteurs ni leur durée de conservation et ce, en violation des articles L. 111-7-2 et D. 111-17 du code de la consommation, ne permettraient pas à la société Rose Passion ainsi qu’elle le soutient, de distinguer les vrais avis des faux destinés à lui nuire.

La société Rose Passion, société française dont le siège social est situé en France, invoque donc un dommage localisé et subi dans ce pays dès lors que la page qui lui est dédiée et qui comporte les avis précités est accessible sur l’ensemble du territoire français.

A cet égard, il est relevé que la société Trustpilot ne démontre pas que l’intimée n’aurait pas fixé le centre de ses intérêts en France, le faible nombre d’avis rédigés en langue française ou l’installation de la société Rose Passion à proximité des frontières avec la Belgique, l’Allemagne et le Luxembourg ou encore le fait que sa clientèle, composée d’amateurs de voiture de luxe, puisse comprendre l’anglais ou l’allemand ne suffisant pas à considérer qu’elle n’exercerait pas en France la majeure partie de son activité économique.

Ainsi, il apparaît des motifs qui précèdent que la compétence internationale du juge français doit être retenue mais que la demande ne relève pas du juge des référés.

Il convient donc de confirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a rejeté l’exception d’incompétence internationale du juge français, de l’infirmer pour le surplus et de dire n’y avoir lieu à référé y compris sur la demande accessoire en réparation du préjudice subi.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Succombant en ses prétentions, la société Rose Passion supportera les dépens de première instance et d’appel.

Il convient d’allouer à la société Trustpilot, contrainte d’exposer des frais irrépétibles dans la présente procédure, la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a rejeté l’exception d’incompétence internationale du juge français ;

L’infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Dit n’y avoir lieu à référé ;

Condamne la société Rose Passion aux dépens de première instance et d’appel avec faculté de recouvrement direct conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

Condamne la société Rose Passion à payer à la société Trustpilot la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier, Le Président,

 


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