Mise à pied disciplinaire : 14 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/01147

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Mise à pied disciplinaire : 14 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/01147
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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 3

ARRET DU 14 JUIN 2023

(n° , 2 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/01147 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBNMW

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Décembre 2019 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’EVRY – RG n° F18/00826

APPELANTE

SAS KILOUTOU

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représentée par Me Alexandra LORBER LANCE, avocat au barreau de PARIS, toque : K0020

INTIMEE

Madame [Z] [E] épouse [D]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Nathalie BECQUET, avocat au barreau d’ESSONNE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 16 Mai 2023, en audience publique, les avocats ne s’étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Anne MENARD, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Anne MENARD, présidente

Madame Fabienne ROUGE, présidente

Madame Véronique MARMORAT, présidente

Lors des débats : Madame Sarah SEBBAK, greffière

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– signé par Madame Anne MENARD, présidente et par Madame Sarah SEBBAK, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Madame [D] a été engagée par la société Kiloutou le 1er septembre 2003, avec reprise d’ancienneté au 16 septembre 2000, en qualité de conseiller commercial. Elle exerçait en dernier lieu des fonctions de chargée d’affaires, moyennant une rémunération mensuelle brute de 2.461 euros.

Le 10 janvier 2018, elle a fait l’objet d’un avertissement pour manque de professionnalisme dans la réalisation de ses missions professionnelles.

Elle a été licenciée le 11 avril 2018 pour faute grave, pour avoir utilisé sa carte de carburant pour des trajets privés, pendant les périodes de suspension du contrat de travail, de congés payés, de week end, etc…

Elle a saisi le conseil de prud’hommes d’Evry-Courcouronnes le 21 septembre 2018.

Par jugement du 17 décembre 2019, ce conseil a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse, et condamné la société Kiloutou au paiement des sommes suivantes :

4.690 euros à titre d’indemnité de préavis

469 euros au titre des congés payés afférents

12.647 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement

700 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

La société Kiloutou a interjeté appel de cette décision le 7 février 2020.

Par conclusions récapitulatives du 10 novembre 2020, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, elle demande à la cour d’infirmer le jugement, de débouter madame [D] de toutes ses demandes, d’ordonner le remboursement des sommes versées au titre de l’exécution provisoire, et de condamner la salariée au paiement d’une somme de 1.500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions récapitulatives du 11 mars 2021, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, madame [D] demande à la cour de confirmer le jugement sur le préavis et l’indemnité de licenciement, de l’infirmer en ce qu’il l’a déboutée de sa demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de condamner l’employeur à lui payer la somme de 32.830 euros de ce chef, ainsi que celle de 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

MOTIFS

– Sur la nature de la mise à pied

Madame [D] fait valoir qu’au regard de sa durée, la mise à pied doit être considérée comme une mise à pied disciplinaire, de sorte que l’employeur aurait épuisé son pouvoir de sanction.

La mise à pied est explicitement qualifiée de conservatoire. Elle a duré un mois, ce délai s’expliquant par le fait que la salariée ne s’étant pas présentée à l’entretien préalable, l’employeur a souhaité recueillir ses observations, lui a adressé un courrier exposant ses griefs, et a attendu sa réponse.

Il n’y a donc pas lieu de requalifier la mise à pied.

– Sur le licenciement

En vertu des dispositions de l’article L 1232-1 du Code du travail, tout licenciement motivé dans les conditions prévues par ce code doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié, qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, même pendant la durée du préavis ; l’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

En vertu des dispositions de l’article L 1232-6 du Code du travail, la lettre de licenciement, notifiée par lettre recommandée avec avis de réception, comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur;

La motivation de cette lettre fixe les limites du litige.

En l’espèce, la lettre de licenciement est motivée de la manière suivante :

« (…) Cependant nous avons eu à relever une violation de vos obligations contractuelles les plus élémentaires.

Eu égard aux fonctions qui sont les vôtres, nous avons mis à votre disposition un véhicule (…). Par ailleurs, afin de régler les dépenses de péage et de carburant en lien avec vos déplacements professionnels, vous disposez également d’une carte GR Total.

Vous avez signé une ‘décharge de confidentialité et utilisation des codes de carte GR’ le 4 février 2013 au sein de laquelle vous est rappelé le principe de fonctionnement d’une carte GR et de l’utilisation des codes. La carte est rattachée à un véhicule et le code est strictement confidentiel, rattaché à un individu. Il est notamment indiqué sur ce document que lorsque vous effectuez le plein du véhicule, vous devez saisir vos codes personnels mais également le kilométrage du véhicule. Il est également rappelé que la carte GR qui vous est confiée est une carte professionnelle et qu’elle doit donc être utilisée pendant les heures de travail, et en aucun cas le weekend si nous ne travaillez pas, ni le soir après 20 heures, ni les jours non travaillés.

Or nous avons eu le regret de constater que vous avez violé de manière caractérisée et régulière vos obligations contractuelles en décidant tout à fait sciemment de vous affranchir du respect de ces règles de procédure interne et ce dans le but de satisfaire votre intérêt personnel.

A titre d’exemple, nous avons découvert que vous aviez fait un plein de carburant d’un montant de 54,91 euros le mardi 9 janvier 2018 à 18h50 puis de nouveau un plein de carburant d’un montant de 51,88 euros le lundi 29 janvier 2018 à 15h00 (facture n° F8441020) alors que vous étiez en arrêt de travail pour la période du vendredi 12 janvier au dimanche 28 janvier 2018 inclus, que vous êtes restée sur l’agence de [Localité 6] les 10 et 11 janvier 2018 et que vous n’avez eu que deux déplacements d’ordre professionnel à effectuer, l’un entre [Localité 8] et [Localité 6] le 10 janvier 2018, et l’autre entre [Localité 6] et [Localité 7] le 11 janvier 2018. L’utilisation de cette carte GR à deux reprises sur une période si rapprochée alors que votre contrat de travail était suspendu n’a pas manqué de nous alerter puisque durant cette période, aucune prestation de travail ne vous a été demandée qui aurait justifié la nécessité de refaire un plein de gazole premier.

Fort de ce constat, nous avons mené des investigations qui ont mis en lumière que ce n’était pas la première fois que vous utilisiez la carte GR mise à votre disposition pour l’exercice de vos fonctions, en dehors du cadre de vos missions professionnelles chez Kiloutou. Il ressort des éléments de l’enquête qu’en plus de vous être servi de votre véhicule de service et de votre carte GR professionnelle pendant votre arrêt de travail, vous en avez tiré profit également pendant vos congés payés.

Ainsi, la facture n° F8054806 révèle que le vendredi 1 er décembre 2017 à 18h03, vous avez fait un plein de carburant avec votre carte GR professionnelle, d’un montant de 52,54 euros au Relais Moulin du Gué et de nouveau le mardi 5 décembre 2017 à 19h20 d’un montant de 50,14 euros au Relais [Localité 4] alors que vous étiez en congés payés du 2 au 5 décembre 2017 inclus. Cela revient à avoir réalisé, avec votre véhicule strictement destiné à un usage professionnel, 703 kilomètres d’après les relevés Total, dans votre Intérêt personnel et à l’insu de la Société, et à avoir, aux frais de l’entreprise, fait deux pleins de carburant.

En outre, vous ne vous contentez pas d’utiliser le véhicule de service et la carte GR professionnelle durant vos périodes de suspension du contrat de travail mais également sur des périodes non travaillées tels que les weekends.

Il apparaît notamment que le vendredi 16 février 2018 à 19h19, vous êtes allée au Relais Total Moulin du Gué faire un plein de carburant pour un montant équivalent à 52,07 euros puis à la station essence [H] et ses fils dès le mardi 20 février 2018 à 9h21 pour faire de nouveau un plein de gazole premier d’une valeur de 55,10 euros (facture n° F8690571). Ayant été présente à l’agence de [Localité 6] ou à proximité la quasi-totalité de la journée du lundi 19 février 2018, rien ne permet de justifier la réalisation de 675 kilomètres, comme il ressort des kilométrages saisis, pour des besoins exclusivement professionnels, durant une période si rapprochée, et alors qu’il ne vous a pas été demandé de travailler le weekend pour le compte de notre Société.

De plus, la facture n° F7V11044 révèle que vous avez réalisé un plein de carburant d’un montant de 63,61 euros le vendredi 13 octobre 2017 à 15h19 au Relais [Localité 4] et de nouveau le mardi 17 octobre 2017 à 18h28 au Relais Croix Verte pour un montant de 48,90 euros. Or, durant cette période, vous étiez majoritairement sédentaire et n’avez eu que quelques rendez-vous clients, comme l’atteste votre agenda CRM (Customer Relationship Management qui signifie Gestion de la Relation Client), réalisant au maximum 180 kilomètres dans le cadre de l’exercice de vos fonctions. Vous êtes principalement restée sur l’agence de [Localité 6] et au sein du service pôle fidélisation à [Localité 8]. Par conséquent, vous avez réalisé, une fois encore, plus de 400 kilomètres avec votre véhicule de service dans un contexte hors professionnel, et réalisé deux pleins de carburant avec votre carte GR professionnelle sur une période rapprochée afin d’alimenter le véhicule en conséquence (…).

Nous vous rappelons également, conformément à l’article 2.2.10.3 du règlement intérieur de notre société, que ‘la carte essence ne doit être utilisée qu’à des fins exclusivement professionnelles. Il est formellement interdit d’en faire usage à titre personnel, pour des dépenses d’ordre privé. Aucune tolérance n’est admise. En outre cette carte doit être utilisée pour les strictes nécessités de l’activité. Toute utilisation abusive sera passible de sanctions disciplinaires. Toute contravention à l’une quelconque des règles précitées sera considérée comme une faute susceptible de déclencher l’ouverture d’une procédure disciplinaire pouvant, le cas échéant, aller jusqu’au licenciement pour faute grave’.

Ces faits sont d’autant plus graves que nous vous avons spécifiquement alerté, par courrier remis en mai propre contre décharge en date du 9 mai 2017, lorsque nous avons appris que vous exerciez une activité indépendante dans le domaine de l’immobilier, sur l’interdiction stricte d’utiliser les outils mis à votre disposition pour l’exercice de vos fonctions au sein de notre société à d’autres fins, notamment pour exercer une activité qui ne serait pas réalisée pour le compte de notre entreprise (…)’.

Madame [D] ne conteste pas les éléments factuels contenus dans la lettre de licenciement, qui sont par ailleurs établis par les pièces et relevés produits par la société Kiloutou.

Elle fait valoir en premier lieu que le véhicule qui était mis à sa disposition est qualifié par l’employeur de véhicule de service, alors qu’il s’agit selon elle d’un véhicule de fonction, dès lors qu’elle n’est pas tenue de le rapporter à l’entreprise le soir et le week end.

Toutefois, le fait que le véhicule soit laissé au salarié pour les déplacements depuis et vers son domicile ne remet pas en cause la qualification de véhicule de service, étant souligné qu’il n’apparaît pas comme un avantage en nature sur ses bulletins de paie.

En tout état de cause, ce qui est reproché à madame [D] n’est pas d’avoir utilisé le véhicule, mais d’avoir payé l’essence correspondant à des déplacements personnels avec la carte d’essence mise à sa disposition.

Elle soutient par ailleurs que la charte qui lui a été remise lui interdit seulement d’utiliser la carte durant les périodes non travaillées, ce qu’elle n’a pas fait.

Le document remis et signé par la salariée lorsque ses codes de carte GR lui ont été remis est rédigé dans les termes suivants :

‘La carte GR qui vous est confiée en une carte professionnelle. Elle doit donc être utilisée pendant les heures de travail, et en aucun cas le week end si vous ne travaillez pas, ni le soir après 20 heures, ni les jours non travaillés (fériés, CP…)’.

Par ailleurs, le règlement intérieur de l’entreprise mentionne dans son article 2.2.10.3 :

‘La carte essence ne doit être utilisée qu’à des fins exclusivement professionnelles. Il est formellement interdit d’en faire usage à titre personnel, pour des dépenses d’ordre privé. Aucune tolérance n’est admise’.

Enfin, le 9 mai 2017, lorsqu’il a appris que madame [D] avait une autre activité dans le domaine de l’immobilier, l’employeur lui a écrit : ‘Ceci étant dit, nous vous rappelons qu’il est bien évidemment strictement interdit d’utiliser les outils mis à votre disposition pour l’exercice de vos fonctions au sein de notre société à d’autres fins, notamment pour exercer une activité qui ne serait pas réalisée pour le compte de notre entreprise’.

Ainsi, au regard de l’ensemble de ces éléments, il apparaît que madame [D] ne pouvait ignorer qu’elle contrevenait à ses obligations lorsqu’elle a utilisé sa carte d’essence professionnelle pour financer des trajets réalisés dans le domaine privé, étant précisé que ces dépenses ont pu être évaluées à environ 400 euros sur quatre mois.

Toutefois, les manquements relevés ne rendaient pas nécessaire la rupture immédiate du contrat de travail, et par conséquent un licenciement pour faute grave.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a dit que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse, et accordé à la salariée le paiement d’une indemnité de préavis et d’une indemnité de licenciement.

PAR CES MOTIFS

La cour,

CONFIRME le jugement.

Vu l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Kiloutou à payer à madame [D] en cause d’appel la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes.

CONDAMNE la société Kiloutou aux dépens de première instance et d’appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 


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