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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
21e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 15 JUIN 2023
N° RG 21/01918 – N° Portalis DBV3-V-B7F-USQC
AFFAIRE :
[Z] [O]
C/
S.A. ORPEA…..
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 07 Avril 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE
N° Chambre :
N° Section : AD
N° RG : 18/01593
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Marie-Véronique LE FEVRE
Me Stéphanie ZAKS de
la SELEURL Cabinet ZAKS
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUINZE JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur [Z] [O]
né le 04 Novembre 1983 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par : Me Marie-Véronique LE FEVRE, avocat constitué au barreau de PARIS, vestiaire : D0353 – et représenté par : Me Anne GUINNEPAIN, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 150
APPELANT
****************
S.A. ORPEA
N° SIRET : 401 251 566
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par : Me Stéphanie ZAKS de la SELEURL Cabinet ZAKS, avocat constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0277 substitué par Me Alexis ALIE-SANDEVOIR avocat au barreau de PARIS.
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 18 Avril 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Véronique PITE, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,,
Madame Véronique PITE, Conseiller,
Mme Florence SCHARRE, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE,
FAITS ET PROCEDURE
M. [Z] [O] a été engagé par contrat à durée indéterminée, à compter du 6 décembre 2010, en qualité d’infirmier diplômé d’Etat au sein de la Résidence [Adresse 7], par la société anonyme Orpea, qui a pour activité l’exploitation de résidences de retraite médicalisées ou d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective nationale de l’hospitalisation privée du 18 avril 2002.
A compter du 1er février 2014, M. [O] a fait l’objet d’une mutation et a exercé ses fonctions au sein de la Résidence des [Adresse 6].
Par courrier, en date du 30 janvier 2018, M. [O] a adressé une lettre de démission à la société, dont le préavis fut fixé au 31 mars suivant.
Convoqué le 24 février 2018 à un entretien préalable à la rupture anticipée de son préavis, fixé au 6 mars suivant, et mis à pied à titre conservatoire, M. [O] s’est vu notifier la rupture de son préavis par lettre datée du 28 mars 2018.
Il a saisi, le 25 juin 2018, le conseil de prud’hommes de Nanterre aux fins de solliciter la condamnation de la société au paiement de rappel de salaires pour la période de mise à pied à titre conservatoire du 24 février au 31 mars 2018 (et les congés payés afférents), de rappel de salaire pour la période du 1er mars 2015 au 31 mars 2018 (et les congés payés afférents), de rappel sur prime d’intéressement, de rappel sur prime d’ancienneté, de rappel de congés payés et de rappel d’heures supplémentaires. Il réclamait des dommages-intérêts pour rupture vexatoire.
La société s’est opposée aux demandes du requérant, a soulevé la fin de non-recevoir tirée de la prescription sur les rappels de salaire et de prime d’ancienneté pour la période antérieure au 31 mars 2015, lui a objecté le caractère nouveau de ses prétentions relatives à la prime d’intéressement. Elle a demandé, à titre subsidiaire de ramener le montant de dommages et intérêts à de plus justes proportions, et que soit pris en compte son remboursement de la somme de 37,60 euros au titre des frais de transport. Elle a sollicité la condamnation de son adversaire au paiement d’une somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Par jugement rendu le 7 avril 2021, notifié le 27 mai 2021, le conseil a statué comme suit :
Condamne la société Orpea à payer à M. [O] les sommes suivantes :
3157,10 euros bruts à titre de rappel de salaires sur mise à pied conservatoire du 24 février 2018 au 31 mars 2018, avec adjonction des intérêts au taux légal, à compter du 21 mars 2019 ;
315,71 euros bruts à titre de congés payés afférent à la mise à pied conservatoire du 24 février 2018 au 31 mars 2018, avec adjonction des intérêts au taux légal, à compter du 21 mars 2019 ;
950 euros, à titre d’indemnité pour frais irrépétibles de procédure, avec adjonction des intérêts au taux légal, à compter du 7 avril 2021;
Rappelle l’exécution de droit à titre provisoire des condamnations ordonnant le paiement des sommes accordées au titre du complément de salaire et des congés payés y afférents, dans la limite de 23 400 euros;
Déboute M. [O] de ses demandes plus amples ou contraires ;
Déboute la société Orpea de sa demande d’indemnité pour frais irrépétibles de procédure.
Condamne la société Orpea aux entiers dépens comprenant notamment les frais éventuels de signification et d’exécution forcée du présent jugement, par voie d’huissier.
Le 18 juin 2021, M. [O] a relevé appel de cette décision par voie électronique.
Selon ses dernières conclusions remises au greffe le 1er février 2022, M. [O] demande à la cour de le recevoir dans son appel partiel et dans ses écritures et le dire bien fondé, en conséquence :
Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
Dit et jugé la mise à pied disciplinaire prise à son encontre mal fondée et dépourvue de cause, et l’a annulée et,
Condamné la société Orpea à lui verser les sommes suivantes :
– « 3.1157,10 » euros, à titre de rappel de salaires sur mise à pied conservatoire du 24 février au 31 mars 2018, ainsi 311,57 euros à titre de congés payés sur mise à pied avec intérêts au taux légal
– 950 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Débouter la société Orpea de son appel incident formulé sur ce point.
En revanche, infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a débouté de ses demandes de :
-15.000 euros de dommages et intérêts pour les circonstances humiliantes et vexatoires dans lesquelles s’est déroulé son préavis
– 7.200 euros bruts à titre de rappel de salaires sur la période du 1er mars 2015 au 31 mars 2018, et, 720 euros à titre de congés payés afférents
– 280 euros à titre de rappel sur prime de licenciement
– 10.170,51 euros à titre de rappel sur prime d’ancienneté et 1.017,51 euros à titre de congés payés afférents à titre principal, à titre subsidiaire 3.024 euros à titre de rappel sur prime d’ancienneté et 302,40 euros à titre de congés payés afférents
– 2.478,17 euros à titre de rappel de congés payés à titre principal, ou 2.212,80 euros à titre subsidiaire
– 2.936,32 euros bruts (127 h15 x 23,07 euros) à titre de rappel d’heures supplémentaires et 293,63 euros à titre de congés payés afférents à ces heures supplémentaires
L’ensemble de ces sommes étant assorties d’une condamnation au taux d’intérêt légal à compter de la date de la saisine.
En outre, condamner la société Orpea à lui verser 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe le 9 décembre 2021, la société Orpea demande à la cour de:
Sur la demande de rappel de salaire au titre de la période de mise à pied conservatoire et congés payés afférents
Dire la société recevable et bien fondée en son appel incident
Dire que la rupture anticipée du préavis de M. [O] est fondée sur des fautes graves
Dire justifiée la mise à pied à titre conservatoire notifiée à M. [O] le 24 février 2018
En conséquence,
Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a annulé la prétendue sanction notifiée à M. [O].
Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a condamnée à verser à M. [O] la somme de 3.157,10 euros à titre de rappels de salaires sur mise à pied conservatoire du 24 février au 31 mars 2018, avec adjonction des intérêts au taux légal, à compter du 21 mars 2019
Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a condamnée à verser à M. [O] la somme de 315,71 euros à titre de congés payés afférents à la mise à pied conservatoire du 24 février au 31 mars 2018, avec adjonction des intérêts au taux légal, à compter du 21 mars 2019
Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a condamnée à verser à M. [O] la somme de 950 euros à titre d’indemnité pour frais irrépétibles de procédure, avec adjonction des intérêts au taux légal, à compter du 7 avril 2019.
Statuant à nouveau,
Débouter M. [O] de sa demande de rappels de salaire pour la période de mise à pied conservatoire et congés payés afférents
Débouter M. [O] de sa demande au titre des frais irrépétibles
Condamner M. [O] à lui verser la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
Condamner M. [O] aux entiers dépens.
Sur la demande de dommages et intérêts pour les circonstances humiliantes et vexatoires dans lesquelles le préavis se serait déroulé
A titre principal
Dire que la rupture anticipée du préavis de M. [O] est fondée sur des fautes graves
Dire justifiée la mise à pied à titre conservatoire notifiée à M. [O] le 24 février 2018
En tout état de cause
Dire que M. [O] ne rapporte pas la preuve d’un préjudice distinct de celui résultant de la perte de salaire correspondant à la période de mise à pied à titre conservatoire
En conséquence,
Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [O] de cette demande
A titre subsidiaire
Si par extraordinaire la cour estimait que le préavis s’est déroulé dans des conditions humiliantes et vexatoires pour M. [O] et infirmait le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [O] de cette demande
Dire que le montant des dommages et intérêt sollicité par M. [O] est excessif
Dire que M. [O] ne rapporte pas la preuve du préjudice allégué
En conséquence,
Ramener le montant des dommages et intérêts sollicité par M. [O] à de plus justes proportions
Sur les demandes de rappels de salaire pour la période antérieure au préavis
Sur la demande de rappels de salaire pour la période du 1er mars 2015 au 31 mars 2018
Dire qu’aucune discrimination salariale n’a été commise par la société ORPEA au préjudice de M. [O]
Dire que M. [O] ne justifie nullement sa demande de rappel de salaire
En conséquence,
Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [O] de sa demande de rappel de salaire pour discrimination salariale
Sur la demande de rappel de prime de licenciement
Dire qu’aucune prime de licenciement n’est due à M. [O]
En conséquence,
Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il débouté M. [O] de sa demande de rappel de prime de licenciement
Sur la demande de rappel d’heures supplémentaires
Dire que M. [O] ne démontre pas avoir accompli les heures supplémentaires dont il sollicite le règlement
Dire que les heures supplémentaires accomplies par M. [O] à la demande de l’employeur ont été rémunérées ou récupérées
En conséquence,
Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [O] de sa demande de rappels d’heures supplémentaires.
Sur la demande de rappel de prime d’ancienneté
Dire que M. [O] a perçu un salaire mensuel supérieur au minimum conventionnel
Dire qu’aucune majoration de salaire en fonction de l’ancienneté n’est due à M. [O]
Dire qu’aucune prime d’ancienneté n’est due à M. [O]
En conséquence,
Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [O] de sa demande de rappel de prime d’ancienneté
Sur la demande de rappel de congés payés
Dire qu’elle a réglé l’intégralité des congés payés dus à M. [O]
Dire que M. [O] fonde sa demande sur des éléments de salaire inexacts
Dire qu’aucun rappel de congés payés n’est dû à M. [O]
En conséquence,
Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [O] de sa demande de rappel de congés payés.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.
Par ordonnance rendue le 15 mars 2023, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 18 avril 2023.
MOTIFS
I ‘ Sur la rupture anticipée du préavis
La lettre de rupture anticipée du préavis est ainsi libellée :
« Nous faisons suite à notre entretien du 6 mars 2018, au cours duquel nous vous avons exposé les griefs retenus à votre encontre nous amenant à envisager la rupture de votre préavis, et avons recueilli vos explications.
En effet, nous avons été amenés à constater de nombreux dysfonctionnements dans l’exercice de vos fonctions d’Infirmier Diplômé d’Etat au sein de la Résidence « [Adresse 6] ».
Tout d’abord, nous déplorons votre manque de disponibilité vis-à-vis de l’équipe soignante avec laquelle vous êtes tenu de collaborer.
A titre d’exemple le 21 février 2018, alors que vos collègues ont tenté de vous joindre à plusieurs reprises, vous avez été retrouvé assis dans la chambre d’une résidente, dont la situation ne nécessitait pas qu’elle bénéficie de soins. Interrogé par l’Infirmière référente au sujet des raisons de votre indisponibilité, vous lui avez répond : « T’es de la police ».
Une telle attitude n’est pas tolérable au sein de notre établissement.
Outre la nécessité de répondre aux sollicitations de vos collègues afin d’assurer une bonne prise en charge des résidents, vous ne pouvez ignorer qu’en agissant de la sorte, vous contrevenez aux dispositions de l’article 12.1 du règlement intérieur applicable au sein de la Résidence qui prévoient que :
« Compte tenu du caractère particulier de l’établissement qui reçoit des personnes âgées et dispense des soins à celles-ci, le personnel est tenu à certaines règles strictes :
– Avoir des attitudes et un comportement corrects et conformes à l’image de l’entreprise,
– S’abstenir de tout geste ou parole déplacés devant les personnes précitées ».
Lors de notre entretien du 6 mars 2018, vous n’avez pas semblé prendre conscience de la gravité des faits qui vous ont été reprochés. Vous avez, à cette occasion, tenté de limiter votre responsabilité, en invoquant la défaillance du réseau de téléphone qui a pourtant été contrôlé lors d’un audit le 20 décembre 2017, et qui est à ce jour en état de parfait fonctionnement.
Les justifications ainsi fournies ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits.
Dans un autre registre, nous regrettons un manque de rigueur dans l’exécution des tâches qui vous incombent, et notamment dans l’application d’attribution des procédures de distribution des médicaments. Ainsi, le 20 février 2018, vous avez confié à votre collègue Aide Médico-psychologique, un sachet non identifié contenant des médicaments écrasés à destination d’une résidente hébergée en unité de soins adaptés. Ce sachet a été retrouvé dans l’espace de vie concerné, accessible à tous les résidents souffrants de troubles cognitifs avancés.
Nous ne pouvons tolérer une telle négligence dans la distribution de médicaments.
Nous vous rappelons que conformément à vos fonctions d’Infirmier Diplômé d’Etat et aux dispositions de votre fiche de poste signée en date du 7 décembre 2010, il vous incombe de :
« Gérer et suivre la prescription médicale (traitements soins, examens, régimes, rééducation’)
Préparer les piluliers, distribuer et contrôler la distribution et l’administration des médicaments ».
Par ailleurs, vous n’êtes pas sans savoir que de tels agissements sont en contradiction totale avec le protocole de circuit du médicament en vigueur au sein de notre établissement, au sujet duquel vous avez bénéficié d’une formation le 20 novembre 2017. Vous avez également bénéficié le même jour d’une seconde formation portant spécifiquement sur le circuit du médicament stupéfiant ou assimilé.
En votre qualité d’Infirmier Diplômé d’Etat vous ne pouvez ignorer que toute erreur dans la distribution des médicaments peut entraîner des complications, et plus particulièrement chez les personnes âgées, déjà fragilisées par leur état de santé.
Qui plus est ce même 20 février 2018, vous avez été informé par notre partenaire de l’Hospitalisation à Domicile que la perfusion prescrite à un résident n’avait pas pu être réalisée. Pour autant, vous avez indiqué sur le logiciel de traçabilité NETSOINS que ce soin avait été effectué par ce même partenaire. Vous n’avez par ailleurs pas sollicité de nouveau l’Hospitalisation à Domicile pour qu’une solution soit trouvée pour prendre en charge ce résident.
Ce résident, infecté et déshydraté, ne s’est donc pas vu administrer l’antibiotique et la solution d’hydratation qui lui étaient pourtant prescrits.
Par votre attitude, vous avez contrevenu à votre obligation de vous assurer de la bonne exécution des soins, qui figure dans votre fiche de poste signée en date du 7 décembre 2010.
Vous avez par ailleurs méconnu les dispositions de l’article 12.4 du règlement intérieur applicable au sein de notre établissement, lesquelles prévoient que : « le personnel soignant doit surveiller, avec le plus grand soin et la plus grande diligence, l’exécution des prescriptions et directives des praticiens ».
En conséquence, force est de constater que vous avez agi dans le mépris des procédures applicables et des règles élémentaires de votre profession, ce qui nuit indubitablement à la qualité de prise en charge que nous nous efforçons de garantir aux résidents au quotidien.
De même, vous avez considéré que la problématique liée à la perfusion non-effectuée aurait dû être traitée par l’Infirmière Coordinatrice, alors même que cette dernière n’était pas présente dans l’établissement au moment des faits. Nous vous avons rappelé que, conformément à votre fiche de poste, vous êtes tenu de représenter ponctuellement l’IDEC en cas d’absence.
Vous n’êtes par ailleurs pas sans savoir que vous avez, dans une telle hypothèse, la possibilité de solliciter l’équipe de Direction.
Vos justifications n’ont dès lors pas pu être considérées comme étant de nature à modifier notre appréciation des faits.
Nous ne pouvons tolérer de tels manquements de la part d’un membre de notre personnel soignant. Par vos négligences, non seulement vous contrevenez à vos obligations professionnelles mais plus grave encore, vous portez atteinte à la santé et à la sécurité des résidents dont nous avons la responsabilité, ce que nous ne pouvons accepter.
Compte tenu du risque trop important que cela fait courir sur la qualité de prise en charge des résidents de l’établissement, votre maintien dans la résidence jusqu’au terme de votre préavis s’avère impossible.
En conséquence, nous nous voyons dans l’obligation de vous notifier, par la présente, la rupture de votre préavis, actuellement en cours suite à la réception de votre courrier de démission en date du 30 janvier 2018.
[‘]
La période non travaillée au titre de la mise à pied conservatoire nécessaire à cette procédure disciplinaire, soit du 24 février 2018 à ce jour, ne vous sera pas rémunérée. »
Sur la cause
Le salarié conteste les faits reprochés. Il relève, outre les dysfonctionnements du téléphone interne en raison de zones blanches dans l’établissement, la carence probatoire de son contradicteur à justifier que quiconque l’ait appelé le 21 février 2018. Il dément le délaissement de médicaments, qui quoique, selon l’employeur, non identifiés, sont reliés, dans sa lettre, à un patient hospitalisé en soins adaptés, et dénie la démonstration de son imputabilité d’un tel acte. Il conteste avoir refusé de poser une perfusion à un patient, mais n’avoir pas voulu le faire en méconnaissance du protocole médical, au su de l’infirmier coordinateur.
La société soutient les griefs exposés dans sa lettre, dont elle prétend rapporter la preuve par attestations. Elle dénie la possibilité d’un dysfonctionnement de son matériel téléphonique, notamment par manque de couverture. Elle souligne l’irrégularité d’avoir confié la distribution de médicament à une personne insuffisamment formée et qui agissait sous la responsabilité de M. [O], puisque cette tâche lui incombait. Elle fait valoir l’aveu de son contradicteur pour ce qui concerne le dernier grief, en lui opposant le manque de temps de l’infirmière alors présente comme son inscription mensongère dans le logiciel de soins de leur continuité. Elle défend enfin que la rupture anticipée du préavis participe d’une sanction.
En l’occurrence, si Mme [H], infirmière, témoigne avoir cherché dans l’établissement le 21 février 2018 M. [O] qui ne répondait pas sur sa ligne professionnelle, et Mme [D], infirmière coordinatrice, de la difficulté régulière de le joindre, il n’en reste pas moins d’une part que l’intéressé fut retrouvé dans une chambre parlant à un malade avec son chariot de soins, et ainsi à son poste, d’autre part que les circonstances de ces appels perdus sont imprécises en terme de quantité, d’insistance, et n’attestent pas suffisamment d’un refus abusif de l’intéressé, qui les aurait perçus, d’y répondre, alors qu’au surplus d’autres salariés (M. [P], infirmier, Mme [K], assistante administrative) parlent de zones blanches dans l’établissement coupant le signal ou la communication, que ne contredisent pas le devis et le bon d’intervention de l’audit de téléphonie fait par l’opérateur.
Au demeurant, les dispositions du règlement intérieur visées dans la lettre de rupture sont sans rapport avec l’indisponibilité reprochée et ne donnent aucun fondement au grief énoncé.
Ensuite, s’il est fait grief au salarié d’être la cause de la mauvaise distribution de médicaments retrouvés délaissés, il n’en reste pas moins, comme le relève M. [O], que le sachet perdu n’était pas identifié en sorte que son origine ne puisse l’être mieux. Dès lors, cette perte ne peut pas raisonnablement lui être imputée, en dépit des témoignages ou correspondances affirmant le contraire.
Enfin, il est constant que M. [O] refusa de remettre la perfusion démise d’un patient, dont il fut informé de la nécessité par l’intermédiaire de la maîtresse de maison, Mme [B], qui en reçut la demande de l’infirmière de l’hospitalisation à domicile qui, témoin de l’incident, précisait n’avoir plus le temps d’y pourvoir. Dans sa lettre de contestation de la sanction du 17 avril 2018, il reconnaît avoir renseigné le logiciel disant le soin effectué par l’infirmière de l’hospitalisation à domicile, en connaissance de cause.
Or, à supposer qu’il ne puisse administrer des médicaments qu’il n’aurait pas préparés, il ne peut s’entendre qu’il donne l’information de la continuité de soins qu’il savait délaissés, puisqu’il avait refusé de les poursuivre à l’égal de l’infirmière chargée de les administrer en premier lieu, en connaissance de cause. Ce faisant, il n’est pas établi qu’il aurait prévenu quiconque de cette rupture de soins, et l’infirmière coordinatrice atteste ne l’avoir pas été.
Ayant gravement manqué à ses obligations de surveiller l’exécution des prescriptions des praticiens mettant en danger un patient, c’est sans se méprendre que l’employeur put mettre fin à son préavis pour faute grave, après l’avoir placé en mise à pied conservatoire.
Le jugement sera infirmé dans son expression contraire, et les demandes de M. [O] en paiement de ses salaires jusqu’au terme du préavis, comprenant la mise à pied, seront rejetées.
Sur les conditions
Le salarié fait valoir son humiliation d’une telle rupture, au regard des excellentes relations qu’il entretenait avec ses collègues et les résidents qu’il ne put saluer décemment lors de son départ, et de l’atteinte à sa réputation professionnelle.
L’employeur défend l’absence de démonstration d’un dommage distinct de la perte de salaire.
Cependant, la mise à pied conservatoire étant fondée et M. [O] ne faisant valoir aucun moyen hors la sanction et ses effets induits susceptible de caractériser une faute de l’employeur à ce titre, il ne saurait être suivi en cette demande et le jugement sera confirmé en ce qu’il l’a rejetée.
II ‘ sur l’exécution du contrat de travail
Sur le rappel de salaire pour la période allant du 1er mars 2015 au 31 mars 2018
Le salarié, relevant son défaut d’augmentation depuis son embauche, et le salaire supérieur au sien d’un collègue plus jeune et moins expérimenté placé dans les mêmes conditions que lui, étant son binôme, se prévaut de la méconnaissance du principe « à travail égal, salaire égal ».
En application du principe « à travail égal, salaire égal », l’employeur est tenu d’assurer l’égalité de rémunération entre tous les salariés pour autant que ceux-ci sont placés dans une situation identique.
Il appartient au salarié qui s’en prévaut de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser l’inégalité de rémunération et à l’employeur de rapporter la preuve d’éléments objectifs et matériellement vérifiables justifiant de cette différence.
Il est acquis aux débats que M. [O] percevait un salaire de base de 2.600 euros pour 151,667 heures par mois, inchangé de son avenant conclu le 1er février 2014 à son départ, en février 2018. Ses fiches de paie laissent voir qu’il était niveau FPS TS, coefficient 284.
Il justifie par production de sa fiche de paie de février 2018 que M. [P], également infirmier diplômé d’Etat, niveau FPS TS, coefficient 284, entré dans les effectifs en avril 2017 percevait dans le même temps 2.800 euros par mois, pour le même nombre d’heures, soit un différentiel de 200 euros.
Si la société Orpea plaide l’absence de démonstration de la similarité des conditions, elle n’administre pas la preuve, qui lui incombe, de l’inégalité des situations.
Ainsi c’est à tort que le conseil de prud’hommes a retenu que la demande, mal étayée, ne lui permettait pas de trancher pour la rejeter.
La société soulève la prescription de l’article L.3245-1 du code du travail pour la période antérieure au 31 mars 2015. Cependant, il résulte de la combinaison des articles L. 3245-1 et L. 3242-1 du code du travail que le délai de prescription des salaires court à compter de la date à laquelle la créance salariale est devenue exigible. Pour les salariés payés au mois, la date d’exigibilité du salaire correspond à la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l’entreprise et concerne l’intégralité du salaire afférent au mois considéré.
Dès lors qu’il apparait sur les quelques bulletins de paie versés aux débats que le salaire était réglé le dernier jour du mois, il sera tenu compte de cette date en mars 2015, en sorte que, la date de la rupture étant intervenue le 31 mars 2018, les demandes de M. [O] en rappel de son salaire sont entièrement recevables.
La société Orpea sera ainsi condamnée à payer à M. [O] la somme de 6.971 euros de rappel de salaire du 1er mars 2015 au 24 février 2018, augmentée des congés payés afférents du 10ème. Le jugement sera infirmé à cet égard.Sur le rappel de prime de licenciement
Le salarié fait valoir l’incidence de ce différentiel de salaire sur la « prime de licenciement » versée, de 3.640 euros, et l’employeur conteste le bien-fondé de cette demande, que rien n’étayerait.
Cela étant, M. [O] n’a pas été licencié. Ses prétentions manquent en fait, et le jugement sera confirmé en ce qu’il les a rejetées.
Sur le rappel de la prime d’ancienneté
Le salarié fait égard à l’avenant du 25 mars 2002 de la convention collective du 18 avril 2002, modifié par avenant du 4 mars 2013, que l’employeur interpréterait faussement.
La société soulève la fin de non-recevoir tirée de l’article L.3245-1 du code du travail, pour la période antérieure au 31 mars 2015. Pour le surplus, elle considère que l’article 1er de l’avenant n°189 du 4 mars 2013 ne donne aucun droit à une prime mais dispose de la majoration du salaire conventionnel de base à raison de l’ancienneté, que l’intéressé ne pourrait percevoir, sa rémunération dépassant le minimum conventionnel.
L’article 1er de l’avenant du 4 mars 2013, en vigueur au moment des faits, dit que « le pourcentage d’ancienneté qui vient majorer le salaire minimum conventionnel évolue de 1 % par an jusqu’à 30 ans ».
Ainsi que l’expose justement l’employeur, cette prime réhausse, à la mesure de l’ancienneté, le salaire minimal perçu selon la classification.
M. [O] prétendant seulement n’avoir pas perçu la prime due en raison de son ancienneté, sans se référer à la grille des salaires minimaux que le sien d’ailleurs dépasse, ne saurait pas être reçu en sa demande en rappel de la prime d’ancienneté et le jugement sera confirmé en qu’il l’a rejetée.
Sur le rappel d’heures supplémentaires du 1er janvier 2017 au 24 février 2018
Le salarié fait état des plannings, laissant voir l’accomplissement de 127 heures supplémentaires, en plus des heures forfaitisées dans le contrat de travail.
La société dispute l’imprécision de la preuve adverse. Elle défend avoir donné son accord pour l’accomplissement de ces heures, l’intéressé restant, selon elle, in situ pour vaquer à des occupations personnelles.
L’article L.3171-4 du code du travail exprime qu’« en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable. »
Il résulte de ces dispositions qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
M. [O] produit un tableau figurant de janvier 2017 à février 2018, chaque mois, le nombre d’heures supplémentaires accomplies en plus de celles forfaitisées à raison de 17,33 par mois, que l’employeur querelle inutilement aux motifs de leur base erronée : le planning de mars 2018, date à laquelle il ne travaillait plus, de l’impossible déduction, d’un document imprécis, des heures récupérées, ou d’une présence spontanée au-delà du temps imparti, au reste, pour deviser, sans communiquer aucun élément probant de nature à établir les horaires effectivement accomplis par l’intéressé quand il lui appartient d’assurer le contrôle des heures de travail effectuées en produisant ses propres éléments sur les horaires effectivement accomplis par le salarié.
Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences légales et réglementaires. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
Au vu des éléments soumis aux débats par l’une et l’autre partie, il convient d’allouer à M. [O] la somme de 2.000 euros en rappel d’heures supplémentaires, augmentés des congés payés afférents.
Sur le rappel de l’indemnité de congés payés
Le salarié se prévaut de 38 jours non pris sur les années 2016/2017 et 2017/2018.
Rappelant que l’intéressé ne critiqua pas son solde de tout compte, la société l’estime rempli de ses droits, au regard de l’article 57 de la convention collective, en relevant la fausseté de son calcul pratiqué sur une autre rémunération que la sienne, et le décompte erroné des congés payés restants dus en 2017/2018.
L’article 57 de la convention collective expose que « conformément à l’article L.3141-22 du code du travail, l’indemnité afférente au congé est égale au 1/10 de la rémunération totale perçue par le salarié au cours de la période de référence. Pour la détermination de cette rémunération totale, il est tenu compte des périodes assimilées à un temps de travail telles que prévues ci-dessus.
Toutefois, cette indemnité ne pourra jamais être inférieure au montant de la rémunération qui aurait été perçue pendant la période de congé si le salarié avait continué à travailler, cette rémunération étant, sous réserve des stipulations législatives et réglementaires en vigueur, calculée tout à la fois en raison du salaire perçu pendant la période précédant le congé et de la durée du travail effectif de l’établissement.
La solution la plus avantageuse sera appliquée au salarié. »
Il est constant que M. [O] avait le bénéfice de 13 jours de congés payés non pris sur l’année 2016/2017. Il résulte de son bulletin de paie de février 2018, qu’un jour de congé était décompté 114 euros. Si l’appelant fait référence à un taux journalier de 184,61 sinon 171,14 euros rapporté à une journée de 10 heures, son calcul est erroné car les heures supplémentaires ne peuvent pas augmenter la valeur d’une journée chômée.
M. [O] ayant été réglé par solde de tout compte 1.482 euros en mars 2018, l’employeur justifie de sa libération, au regard de sa rémunération conventionnelle.
Compte tenu du rappel alloué pour inégalité de traitement, il reste dû à l’intéressé 114 euros (1.482 (1 ‘ 2.800/2.600))
L’article 54 de la convention collective dit que les salariés bénéficient chaque année d’un congé payé dont la durée est déterminée à raison de 2,5 jours ouvrables par mois de travail effectif ou période d’absences assimilées à un temps de travail effectif.
Dès lors, c’est à tort que l’employeur estime que M. [O] n’aurait acquis que 21 jours de congés payés du 1er juin 2017 au 31 mars 2018, en résultant 2,5 x 10 = 25.
Si l’employeur fait égard à une journée décomptée à 100 euros, au lieu de 114, il n’en justifie pas, et il sera considéré que restent dus au salarié : 114 x 25 = 2.850 euros. Ayant, selon le solde de tout compte, été payé à raison de 2.200 euros, lui restent dus au regard de sa rémunération conventionnelle 650 euros.
Compte tenu du rappel alloué pour inégalité de traitement, il reste dû à l’intéressé la somme arrondie de 220 euros (2.850 (1 ‘ 2.800/2.600)).
La société Orpea sera ainsi condamnée à lui payer 114 euros sur la période allant du 1er juin 2016 au 31 mai 2017, et 870 euros sur la période allant du 1er juin 2017 au 31 mars 2018. Le jugement sera infirmé en ce qu’il a rejeté cette prétention.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a rejeté les demandes de M. [Z] [O] en rappel de la prime d’ancienneté et de dommages-intérêts pour rupture vexatoire ;
Statuant de nouveau sur les chefs infirmés ;
Dit justifiée la rupture anticipée du préavis sur démission ;
Déboute M. [Z] [O] de ses demandes subséquentes ;
Condamne la société anonyme Orpea à payer à M. [Z] [O] les sommes de :
6.971 euros bruts pour rappel de salaire de mars 2015 à février 2018 au titre de l’inégalité de traitement, et 697,10 euros bruts de congés payés afférents ;
2.000 euros bruts en rappel d’heures supplémentaires, augmentés de 200 euros bruts de congés payés afférents ;
114 euros bruts d’indemnité compensatrice de congés payés sur la période allant du 1er juin 2016 au 31 mai 2017 ;
870 euros bruts d’indemnité compensatrice de congés payés sur la période allant du 1er juin 2017 au 31 mars 2018 ;
Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription ;
Dit que les créances de nature contractuelle sont productives d’intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation pour les créances échues à cette date ;
Confirme le jugement pour le surplus ;
Y ajoutant ;
Déboute M. [Z] [O] de sa demande de complément de « prime de licenciement » ;
Condamne la société anonyme Orpea à payer à M. [Z] [O] 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
La condamne aux dépens.
– Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– Signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Madame Isabelle FIORE , greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,