Mise à pied disciplinaire : 29 juin 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 23/00072

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Mise à pied disciplinaire : 29 juin 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 23/00072
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N° RG 23/00072 – N° Portalis DBV2-V-B7H-JII6

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 29 JUIN 2023

RENVOI APRES CASSATION

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE ROUEN du 13 Septembre 2017

APPELANT :

Monsieur [R] [B]

[Adresse 3]

[Localité 2]

représenté par Me Gontrand CHERRIER de la SCP CHERRIER BODINEAU, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

S.A.R.L. PREDIA MAINTENANCE IMMOBILIERE

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Jean-Sébastien VAYSSE, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 23 Mai 2023 sans opposition des parties devant Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme WERNER, Greffière

DEBATS :

A l’audience publique du 23 Mai 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 29 Juin 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 29 Juin 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [R] [B] a été engagé par la société Predi-A, aux droits de laquelle se trouve la société Predia Maintenance Immobilière en qualité de peintre par contrat de travail à durée indéterminée du 17 mars 1986.

Le licenciement pour faute grave a été notifié au salarié le 2 septembre 2016.

Saisi en contestation du licenciement par requête du 17 octobre 2016, le conseil de prud’hommes de Rouen, par jugement du 13 septembre 2017, a débouté le salarié de l’intégralité de ses demandes et l’a condamné aux dépens.

Sur appel interjeté le 5 octobre 2017, la cour d’appel de Rouen a confirmé le jugement entrepris et condamné M. [R] [B] aux dépens par arrêt du 17 novembre 2020.

Sur pourvoi formé par M. [R] [B], la Cour de cassation, par arrêt du 7 décembre 2022, a annulé, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 17 novembre 2020, remis l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d’appel de Rouen autrement composée, a condamné la société Predia aux dépens, rejeté la demande formée par la société Predia en application de l’article 700 du code de procédure civile et l’a condamnée à verser à la SCP Gatineau, Frattaccini et Rebeyrol la somme de 3 000 euros sur ce fondement.

Par déclaration du 6 janvier 2023, M. [R] [B] a valablement saisi la cour d’appel de Rouen.

Par conclusions remises le 17 février 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, M. [R] [B] demande à la cour de :

– dire son appel recevable et bien fondé,

– infirmer le jugement dont appel en ce qu’il a dit le licenciement pour faute grave justifié, l’a débouté de ses demandes,

– en conséquence, condamner la société Predia au paiement des sommes suivantes :

indemnité compensatrice de préavis : 3 909,40 euros,

indemnité compensatrice de congés payés sur préavis : 390,94 euros,

indemnité de licenciement : 16 940,73 euros,

dommages et intérêts : 46 912,80 euros,

indemnité au titre de l’article 700 : 2 000 euros,

– condamner la société Predia à la modification de l’attestation destinée au Pôle emploi en conformité avec les termes de la décision sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter d’un délai de 15 jours suivant le prononcé de la décision et ce dans la limite de 90 jours,

– condamner la société Predia aux entiers dépens de l’instance.

Par conclusions remises le 26 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la société Predia demande à la cour de :

– débouter M. [R] [B] de l’ensemble de ses demandes fins et conclusions,

– confirmer le jugement rendu en toutes ses dispositions,

y ajoutant,

– condamner M. [R] [B] à lui verser la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l’instance.

L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 4 mai 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I – Sur le licenciement

La société Predia, alors que les incidents se sont multipliés avec le salarié depuis mars 2014, invoque une nouvelle difficulté survenue le 30 juin 2016 alors que le salarié a agressé physiquement M. [W]. Elle fait valoir que le courrier adressé le 18 août 2016 ne peut s’analyser comme étant la notification du licenciement, que dans l’hypothèse où il serait considéré comme tel, il comporte le motif en mentionnant l’altercation du 30 juin 2016, que l’évocation des faits du 17 février 2016 ne sont qu’un rappel et ne fondent pas le licenciement et que les faits du 30 juin 2016 commis sur le parking de l’entreprise sont établis.

M. [R] [B] soutient que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse aux motifs qu’il a été licencié depuis le 18 août 2016, après la tenue de l’entretien préalable du 8 août 2016, l’employeur ayant alors manifesté clairement sa volonté de rompre le contrat de travail sans motivation, de sorte que le second courrier du 2 septembre 2016 ne vaut pas, qu’en lui proposant une rupture conventionnelle, l’employeur considérait que la faute n’était pas de nature à le priver de son indemnité légale de licenciement et ne présentait donc pas de caractère de gravité, que les faits de février 2016 sont prescrits, que ceux du 30 juin 2016 sont survenus hors du lieu de travail alors que le contrat de travail était suspendu, qu’en tout état de cause, la sanction est disproportionnée compte tenu de son ancienneté de 30 ans au cours desquels il n’a fait l’objet que de deux sanctions, expliquant n’avoir fait que répondre à une provocation de son supérieur.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

En l’espèce, à la suite de faits survenus le 30 juin 2016, l’employeur a adressé au salarié une convocation à un entretien préalable par lettre du 28 juillet 2016 pour le 8 août 2016.

Le 18 août suivant, la société Predia adressait un courrier au salarié en ces termes :

‘Par courrier en date du 28 juillet 2016, je vous ai adressé une convocation à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement.

Au cours de cet entretien qui a eu lieu le lundi 8 août 2016 à 11h30 dans nos locaux, je vous ai exposé les motifs qui m’amenaient à envisager un éventuel licenciement suite à l’altercation du jeudi 30 juin 2016 entre vous et Monsieur [S] [W], votre chef d’équipe. De mon côté, j’ai pris note des observations que vous avez tenu à me fournir.

Au vu des éléments en ma possession, et compte tenu des nombreux griefs que l’entreprise PREDIA a envers vous, je ne peux envisager la poursuite de notre collaboration.

Par conséquent, et dans un souci d’apaisement social, nous souhaitons vous proposer une rupture conventionnelle qui serait pour vous comme pour l’entreprise une solution honorable.

Ainsi, vous recevrez, dans les jours prochains, une convocation à un entretien afin d’élaborer ensemble le principe et les modalités se cette éventuelle rupture conventionnelle que nous vous proposons………’.

Dès lors que dans cet écrit, l’employeur, sans ambiguïté aucune, informe le salarié qu’à la suite de l’entretien préalable, il entend mettre fin à leur collaboration, il s’analyse comme étant la notification de la rupture du contrat de travail, et dès lors que ‘rupture sur rupture ne vaut’, la lettre de notification adressée le 2 septembre 2016 est sans incidence dans le débat et il n’y a donc pas lieu de répondre aux moyens développés au titre du contenu de celle-ci.

Cette lettre du 18 août 2016 doit dès lors être considérée comme fixant les limites du litige s’agissant des motifs du licenciement et, en ce qu’elle vise de manière précise, l’événement du 30 juin 2016, il convient de l’analyser, sans que le fait que l’employeur propose une rupture conventionnelle dans une volonté d’apaisement ne soit à lui seul suffisant pour ôter tout caractère de gravité à l’incident du 30 juin 2016.

Pour justifier des circonstances de cet incident, la société Predia verse aux débats :

– le procès-verbal d’audition de M. [W] du 4 juillet 2016 devant les services de police qui explique qu’il est chef d’équipe au sein de la société, qu’il y a 5 mois, M. [R] [B] a eu un problème avec la direction et qu’à cette occasion, ce dernier lui avait demandé de rédiger une attestation sur l’honneur et qu’il a alors déclaré qu’il n’y avait pas eu de violences, de sorte que l’intervention de M. [R] [B] auprès de l’inspection du travail a avorté ; que depuis, M. [B] est en arrêt de travail et passe à la société pour remettre ses prolongations d’arrêt de travail, que consigne a été donnée de ne pas répondre à ses attaques quand il venait ; le jeudi 30 juin vers 17h20 alors qu’il arrivait à la société et était encore dans sa voiture, M. [B], qui retournait à son véhicule stationné à côté de l’endroit où lui-même se stationne, s’est mis, bras croisés, sur la portière passager avant de son véhicule et s’est adressé à lui, lui disant en gros qu’il l’avait dénigré, qu’il allait le payer, en baver et vivre un enfer ; expliquant que ce n’était pas la première fois qu’il s’attaque à des employés de la société et qu’il avait eu une journée difficile, il n’a pas eu la patience suffisante pour laisser tomber ; qu’il est alors descendu de voiture, s’est mis à côté de lui et lui a demandé quel était son problème, que M. [R] [B] qui était remonté dans sa voiture, est redescendu en furie, qu’ils étaient presque front à front et se sont empoignés les cols, qu’il voulait lui faire comprendre qu’il fallait qu’il arrête de s’attaquer à eux ; il ajoute avoir reçu un coup au niveau de l’épaule gauche, auquel il n’a pas répondu ; l’un des responsables de la société est alors sorti, a crié stop et les a séparés ; ensuite, M. [B] s’en est pris au responsable, M. [Y].

Il déclarait s’être rendu au service CASA du CHU de [Localité 5] qui a prescrit 2 jours d’ITT, comme présentant un hématome à l’épaule gauche et une éraflure au même endroit,

– l’attestation de M. [Z] [Y], conducteur de travaux, qui relate qu’il était assis à son bureau avec vue sur le parking de l’entreprise, que M. [R] [B] est rentré afin de remettre un certificat médical, une fois sorti, il l’a vu s’accouder à la porte de la voiture de M. [W], puis ce dernier s’est garé et est descendu, que M. [B] l’a empoigné violemment, que Mme [M] est alors sortie, choquée afin de les séparer, ce qu’il a également fait ; il ajoute que M. [B] les a insultés et menacés, de sorte qu’il a déposé une main courante,

– l’attestation de Mme [E] [M], peintre, qui explique que son chef s’est garé sur le parking de l’entreprise, qu’en sortant du bureau, M. [B] est venu à la hauteur du camion en croisant les bras sur la portière qui avait les vitres baissées, qu’il a pris verbalement à partie son responsable en le menaçant ; son responsable est sorti du camion pour avoir une explication avec M. [B], qu’elle l’a vu empoigner son responsable qui lui a attrapé les poignets pour se dégager, que M. [B] est retourné à sa voiture, puis en est ressorti et a commencé à donner des coups à son chef ; qu’elle est sortie de la voiture pour porter de l’aide avant l’arrivée de M. [Y] qui l’avait entendue crier ; M. [B] a insulté M. [Y] en le menaçant.

M. [R] [B] communique quant à lui son audition devant les services de police réalisée le 30 juin 2016 à 19h45 aux termes de laquelle il a déposé plainte pour violence à l’encontre de M. [W] ; il explique être allé le même jour déposer son avis de prolongation d’arrêt de travail, que lorsqu’il est ressorti pour aller à sa voiture qui était garée dans la rue, un camion de la société qui devait rentrer à l’entreprise s’est arrêté près de lui, que M. [W], son responsable qui était au volant est descendu, a fait le tour de la voiture et lui a dit : ‘on verra quand tu vas revenir’, qu’il y avait deux stagiaires, deux filles, qui se sont éloignées, qu’il y en a une qui a dû être surprise et a crié ; presqu’au même moment, M. [Y] est sorti, sans chercher à discuter ou à comprendre ce qui se passait, comme s’il cherchait à ce qu’il le frappe et voulait le pousser à la faute, mais il s’est abstenu et a gardé son calme ; quand M. [W] a posé la main sur lui, par réflexe il a essayé de s’agripper à lui pour ne pas basculer en arrière.

Il résulte de ces éléments qu’une altercation est survenue au moins pour partie sur le site de l’entreprise comme se déroulant sur son parking, qu’à l’origine, c’est M. [B] qui s’est posté près du véhicule de M. [W] et lui a tenu des propos menaçants, comme en atteste Mme [M], présente dans ce véhicule ; ensuite, alors que M. [R] [B] était retourné à son véhicule, M. [W] a pris l’initiative de retourner vers lui pour avoir des explications, comme il le reconnaît lui même et alors les deux hommes se sont empoignés.

Alors que M. [R] [B] conteste avoir porté des coups, il convient d’observer qu’il n’est pas produit les éléments médicaux corroborant les déclarations de M. [W] qui dit avoir reçu un coup à l’épaule gauche.

Enfin, alors que l’intervention de M. [Y] n’est pas remise en cause, de manière concordante, Mme [M] et M. [W] évoquent les insultes et menaces proférées par M. [R] [B] à son égard.

Aussi, quand bien même le contrat de travail était suspendu, dès lors que les faits ont été commis sur le parking de l’entreprise, à l’égard de salariés de celle-ci dans un contexte de contentieux en lien avec la sphère professionnelle, que c’est l’attitude de M. [R] [B] qui est à l’origine de l’incident, que les menaces ont été proférées à l’égard de deux salariés, même s’il n’est pas certain que M. [R] [B] ait porté des coups, l’empoignade étant elle-même constitutive de violence physique, un tel comportement est constitutif d’une faute grave empêchant la poursuite du contrat de travail, comme mettant en cause l’intégrité morale et physique des salariés.

La sanction est proportionnée compte tenu de la nature des faits et dès lors que M. [R] [B] a fait l’objet d’une mise à pied disciplinaire de trois jours notifiée le 10 juin 2014, non contestée et d’un rappel pour non respect des consignes et menaces à l’égard de collègues le 27 juin 2014 ou encore d’un avertissement le 25 septembre 2015.

Par conséquent, la cour confirme le jugement entrepris ayant dit le licenciement fondé et débouté M. [R] [B] de ses demandes au titre de la rupture du contrat de travail.

II – Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie principalement succombante, M. [R] [B] est condamné aux dépens exposés devant les juridictions du fond, y compris ceux afférents à la décision cassée conformément aux dispositions de l’article 639 du code de procédure civile, débouté de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile et condamné à payer à la société Predia la somme de 150 euros en cause d’appel pour les frais générés par l’instance et non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris ;

Y ajoutant,

Condamne M. [R] [B] aux entiers dépens exposés devant les juridictions du fond, y compris ceux afférents à la décision cassée conformément aux dispositions de l’article 639 du code de procédure civile ;

Condamne M. [R] [B] à payer à la société Predia la somme de 150 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en appel ;

Déboute M. [R] [B] de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile en appel.

La greffière La présidente

 


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