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AFFAIRE PRUD’HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 20/01885 – N° Portalis DBVX-V-B7E-M5FI
[D]
C/
SOCIÉTÉ AXE FROID
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOURG EN BRESSE
du 07 Février 2020
RG : 19/00087
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 05 JUILLET 2023
APPELANT :
[M] [D]
né le 04 février 1964 à [Localité 4] (MAROC)
[Adresse 3]
[Localité 2]
représenté par Me Séverine LAVIE, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
Société AXE FROID
[Adresse 6]
[Localité 1]
représentée par Me Eric ANDRES de la SELARL ANDRES & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 09 Mai 2023
Présidée par Nathalie ROCCI, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
– Joëlle DOAT, présidente
– Nathalie ROCCI, conseiller
– Anne BRUNNER, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 05 Juillet 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 14 juin 2007, M. [D] a été embauché en qualité de conducteur routier, groupe 7, coefficient 150, par la société Axe Froid.
La convention collective nationale des transports routiers est applicable à la relation contractuelle.
En dernier lieu, M. [D] percevait une rémunération brute de 2 739 euros.
M. [D] a été victime d’un premier accident du travail, le 29 décembre 2012.
Par courrier en date du 5 octobre 2015, M. [D] a été convoqué par son employeur à un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement, fixé le 13 octobre 2015.
M. [D] a été victime d’un second accident du travail le 12 octobre 2015, soit la veille de son entretien préalable.
Par courrier en date du 6 novembre 2015, M. [D] s’est vu notifier son licenciement pour faute grave en ces termes :
” Nous faisons suite à l’entretien du mardi 13 octobre 2015 avec [Z] [X], votre directeur d’exploitation. Cet entretien, auquel nous vous avions convoqué et lors duquel vous avez choisi de ne pas être assisté avait pour but de recueillir vos explications et vous laisser la possibilité de vous exprimer sur les faits reprochés.
Nous avons eu à regretter de votre part les manquements suivants :
” Excès de vitesse supérieure à 90 km/h, nombreux et répétés au volant d’un véhicule l’entreprise dans le cadre de votre travail au cours des derniers mois :
– le 18 août 2015 à 21h27, 94 KM/H,
– le 19 août 2015 à 15h31, 94KM/H,
– le 25 août 2015 à 20h07, 98KM/H,
– le 3 septembre 2015 à 21h45, 94 KM/H,
– le 28 septembre 2015 à 20h49, 94 KM/H,
– le 2 octobre 2015 à 20h42, 92 KM/H,
Ces manquements répétés portent atteinte à la sécurité des personnes (à commencer par la vôtre) et des biens (matériels et marchandises confiées à l’entreprise).
” Non-respect, répétés, de vos ordres de mission en prenant votre service avant l’heure notifiée :
– le 30 septembre 2015, vous avez pris votre service chez STG 67 Hutten Heim à 17 h05 alors que votre ordre de mission précisait une prise de poste à 18h45,
– le 6 octobre 2015, vous avez également pris votre service chez STG 67 Hutten Heim à 17 h 02 alors que votre ordre de mission stipulait une prise de poste à 18 h 45,
– le 8 octobre 2015, vous avez encore pris votre service chez STG 67 Hutten Heim à 17 h 15 alors que votre ordre de mission stipulait une prise de poste à 18 h 45,
Ces manquements portent délibérément atteinte à l’autorité de vos responsables. Par ailleurs, ils occasionnent le paiement de temps de travail indu.
Fait aggravant, ces deux dernières prises de poste anticipées ont engendré des dépassements de temps de service journalier, engageant la responsabilité pénale de l’entreprise.
” Commission de nombreuses infractions à la législation sociale sur les mois de septembre et octobre 2015, notamment en termes de non-respect des pauses de 30 minutes : par exemple, les 2,3, 7,8, 9,10, 14,16, 17,18, 21,27, 28,29 et 30 septembre, ainsi que les 1,2, 5, 6,7 et 8 octobre 2015.
Ces manquements à la législation engagent la responsabilité pénale de l’entreprise, et augmentent les risques d’accident par la poursuite délibérée de votre travail au-delà des seuils définis par la législation.
” Non reprise le 8 octobre dernier de 66 palettes alors qu’un bon d’échange a pourtant été établi à System U Saint-Just.
Lors de notre entretien, vous avez reconnu l’intégralité de ces faits et les explications que vous avez avancées n’ont pas permis d’atténuer votre responsabilité.
Comme indiqué précédemment, l’ensemble de ces manquements sont inacceptables.
Pour rappel, nous avons déjà eu à vous reprocher de nombreux manquements tenant au non-respect des consignes de vos responsables et à l’atteinte à leur autorité ou de dispositions légales.
Ainsi :
” Par courrier du 7 août 2015, nous vous avons notifié une mise à pied disciplinaire d’une journée en raison de trois excès de vitesse et de votre choix délibéré de remonter du Sud en faisant un important détour.
” Par courrier du 10 juillet 2015, nous vous avons notifié un rappel à l’ordre car en période de canicule, vous ne respectiez pas l’obligation de procéder systématiquement aux pleins de GNR/Fiul à chaque retour de tournée.
” Par courrier du 19 décembre 2014, nous vous avons notifié une mise à pied disciplinaire d’une journée en raison de votre comportement et de l’altercation que vous avez eue avec votre responsable d’exploitation.
Force est de constater que ces rappels à l’ordre disciplinaires n’ont pas été suivis d’effet.
Les faits survenus sur ces deux derniers mois, et surtout leur répétition et leur gravité rendent ainsi impossible votre maintien au sein de l’entreprise. En notre qualité d’employeur, nous ne pouvons conserver un salarié qui ne respecte pas la législation et le code de la route. Les conséquences relatives à la sécurité des usagers de la route sont bien trop importantes.
En conséquence, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave.
Cette décision prendra effet à compter de la date d’envoi de la présente, ce licenciement est Privatif de préavis et d’indemnités “.
Par requête en date du 10 juin 2016, M. [D] a saisi le conseil de prud’hommes de Lyon, lequel s’est déclaré incompétent au profit du conseil de prud’hommes de Bourg-en-Bresse, par jugement en date du 21 janvier 2019.
Par requête en date du 5 avril 2019, M. [D] a saisi le conseil de prud’hommes de Bourg-en-Bresse en lui demandant de dire son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et de condamner la société Axe Froid à lui verser diverses sommes à titre d’indemnité de préavis, d’indemnité de licenciement, de dommages et intérêts pour licenciement abusif et de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.
Par jugement en date du 7 février 2020, le conseil de prud’hommes a :
– dit que le licenciement de M. [D] pour faute est justifié et bien fondé,
– débouté M. [D] de l’ensemble de ses demandes,
– débouté la société Axe Froid de sa demande reconventionnelle,
– laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens.
M. [D] a interjeté appel de ce jugement, le 6 mars 2020.
Par conclusions notifiées le 20 août 2020, il demande à la cour de :
– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Bourg-en-Bresse en date du 7 février 2020,
En conséquence,
– condamner la société Axe Froid à lui payer les sommes suivantes :
” Indemnité de préavis (2 mois) : 5 478 euros,
” Outre congés payés afférents : 547,80 euros,
” Indemnité de licenciement : 4 601,52 euros,
” Dommages et intérêts pour licenciement abusif : 49 300 euros,
” Dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail : 10 000 euros,
– dire et juger que toutes ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir,
– condamner la société Axe Froid à lui payer une indemnité de 3000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, dont distraction faite auprès de Me Lavie, avocat, sur son affirmation de droit.
Par conclusions notifiées le 28 juillet 2020, la société Axe Froid demande à la cour de :
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Bourg-en-Bresse en date du 7 février 2020,
En conséquence,
– débouter M. [D] de ses demandes visant à la condamner à lui payer les sommes suivantes :
” 49 300 euros à titre de dommages et intérêts,
” 5 478 euros d’indemnité compensatrice de préavis et 547,80 euros de congés payés afférents,
” 4 601,52 euros d’indemnité de licenciement,
” 10 000 euros de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
– à dire et juger que toutes ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter de la décision à intervenir,
– à la condamner à payer à M. [D] une indemnité de 3 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, dont distraction faite auprès de Me Lavie, avocat, sur son affirmation de droit.
– dire le licenciement pour faute grave justifié et bien fondé,
– débouter M. [D] de l’intégralité de ses fins, demandes et conclusions,
– condamner M. [D] à lui payer la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 23 mars 2023.
SUR CE :
Sur le licenciement
M. [D] fait valoir que :
– sa lettre de licenciement mentionne des faits prescrits ou déjà sanctionnés en opérant un renvoi à d’autres courriers en date des 19 décembre 2014, 10 juillet et 7 aout 2017 faisant référence à des actes de décembre 2014, juillet et août 2015 et septembre 2015,
– les six excès de vitesse qui lui sont reprochés n’ont fait l’objet d’aucune contravention, ne sont pas des excès de grande vitesse (pour être d’une moyenne de 94kms/heures pour une limitation à 90kms/heures), n’ont pas excédé une minute, et n’ont eu aucun impact sur la sécurité des personnes,
– il anticipait parfois sa prise de service afin de respecter la législation (la prise de service devait se faire 11 heures après la coupure pendant la découche du chauffeur, et non au-delà de 15 heures comme le prévoyaient parfois ses ordres de missions),
– l’ employeur faisait signer des régularisations de temps de service après la tournée des chauffeurs en cas de dépassement du temps de travail, requalifiant ainsi les temps de mise à disposition chez le client en temps de repos,
– il ne s’ajoutait pas des heures de travail en débutant sa mission plus tôt que prévu, et n’a été aucunement réglé de ses heures supplémentaires puisque la société les requalifiait en temps de repos,
– son employeur ne justifie pas qu’il n’aurait pas respecté ses temps de pause ; en outre ce dernier lui demandait de ne pas faire de pause pendant les trajets, mais de les faire pendant le temps de chargement ou de déchargement pour gagner du temps et éviter des retards, et il était parfois obligé de prendre sur ses temps de pause pour terminer sa tournée,
– s’agissant des 66 palettes, il n’a pas pu les récupérer car il ne pouvait attendre l’agent d’emballage, cela afin de respecter son temps de travail, ce dont était informé son employeur,
– l’ employeur a choisi de le licencier pour faute grave, alors qu’il était en arrêt de travail, afin d’écarter la protection particulière qui empêche par principe l’employeur de licencier un salarié pendant la durée de son arrêt de travail, alors que les griefs qui lui sont reprochés ne rendaient pas son maintien dans son emploi impossible et qu’aucune mise à pied n’a été prononcée à son égard,
– son employeur a refusé le report de son entretien préalable alors qu’il était en arrêt de travail.
La société Axe Froid fait valoir que :
– aucune prescription n’est acquise, soit parce que le comportement fautif du salarié a persisté jusqu’à l’engagement de la procédure disciplinaire, soit parce qu’elle a engagé des poursuites dans le délai de deux mois,
– M. [D] a commis plusieurs excès de vitesse, constituant des contraventions, ayant porté atteinte à la sécurité des personnes et des biens, lesquels sont d’autant plus graves compte tenu de la classification du salarié (groupe 7, coefficient 150) et du fait qu’il avait déjà fait l’objet de rappels à l’ordre à ce titre et d’une mise à pied,
– M. [D] ne respectait pas les ordres de missions qui lui étaient donnés alors qu’ils étaient fixés afin qu’il ne dépasse pas la durée journalière du travail et le temps de repos entre deux journées de travail,
– le salarié a anticipé deux prises de poste et a activé son sélecteur chronotachygraphique, ce qui a engendré des dépassements de temps de service journalier, occasionnant le paiement de temps de travail indu et a engagé la responsabilité pénale de l’entreprise,
– M. [D] ne rapporte pas la preuve de ce qu’elle aurait requalifié le temps de mise à disposition chez le client en temps de repos,
– M. [D] a commis ces infractions en violation de la réglementation sociale européenne (RSE), comme l’établit sa carte numérique, alors qu’il était formé à l’utilisation du chronotachygraphe et que son contrat de travail lui rappelait expressément l’obligation de respecter la réglementation en vigueur relative au temps de service et de travail, à la conduite maximum autorisé ainsi qu’aux temps minima de pause et de repos,
– il est reproché à M. [D] une violation de la règle imposant un temps de pause après 6h00 de conduite ainsi qu’une insuffisance de temps de repos journalier ou un temps de service excessif, alors que les ordres de missions démontrent que les missions confiées permettaient pleinement le respect des dispositions légales,
– le salarié a signé un bon de livraison, faisant comme s’il avait récupéré 66 palettes alors que tel n’était pas le cas, ce qui démontre son dilettantisme et sa mauvaise foi,
– l’ensemble de ces faits rendait impossible le maintien du contrat de travail du salarié, ceci dans un contexte disciplinaire relatif à des faits identiques (rappel à l’ordre et sanction antérieurs),
– elle a convoqué le salarié à un entretien préalable le 5 octobre 2015, soit avant la constatation médicale de son accident du 12 octobre 2015 et de son arrêt de travail en date du 30 octobre 2015 ; aucune raison médicale n’empêchait le salarié de se rendre à l’entretien,
– M. [D] est mal fondé à évoquer une visite médicale de reprise dans la mesure où la reprise de travail à temps complet étant fixée au 2 novembre 2015, il a été arrêté moins de 30 jours.
****
L’article L. 1332-4 du code du travail énonce que : “Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.”
Mais l’employeur peut sanctionner un fait fautif qu’il connaît depuis plus de deux mois dans la mesure où le comportement du salarié s’est poursuivi ou s’est réitéré dans ce délai et s’il s’agit de faits de même nature.
L’employeur peut aussi sanctionner, lorsqu’il n’a pas eu, au moment où il a pris connaissance des faits, une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés.
L’existence de nouveaux griefs autorise l’employeur à tenir compte de griefs antérieurs, qu’ils aient ou non déjà été sanctionnés.
En l’espèce, si la lettre de licenciement se réfère à des courriers qui ont été adressés à M. [D] antérieurement au délai de deux mois précédant la notification du licenciement, force est de constater que l’employeur expose la réitération de faits de même nature dans ce délai de deux mois, de sorte que M. [D] n’est pas fondé à opposer une irrecevabilité tirée de la prescription à la société Axe Froid.
1°) sur le premier grief : les excès de vitesse :
L’employeur retient à l’appui du licenciement, 6 excès de vitesse commis entre le 18 août et le 2 octobre 2015, de 2 à 4 km/h au-dessus de la limite de 90 km/h, attestés par le ticket du chronotachygraphe.
Ces excès de vitesse ne sont pas contestés par M. [D] qui souligne que le chronotachygraphe enregistre tous les excès de vitesse, tandis que la carte du chauffeur, non produite par l’employeur, n’enregistre que les dépassements supérieurs à une minute.
La société Axe Froid soutient que ces excès de vitesse récurrents sont naturellement constitutifs d’une contravention, mais force est de constater qu’ils n’ont pas donné lieu à des avis de contraventions et que les seuls avis contraventionnels qu’elle verse aux débats correspondent à quatre dépassements commis le 11 septembre 2012, les 16 et 27 mai 2015, ainsi que le 8 juin 2015, étant précisé que ces trois dernières contraventions ont été sanctionnées par une mise à pied de un jour.
Il en résulte qu’en l’absence d’avis de contraventions pour toutes les autres dates, la société Axe Froid ne démontre pas que les excès de vitesse retenus entre le 18 août et le 2 octobre 2015, ne se situent pas, compte tenu de leur faible ampleur, dans la marge de tolérance appliquée à la vitesse mesurée par un radar pour obtenir la vitesse constitutive d’une infraction.
Et la justification de quatre verbalisations sur une période de trois années ne constitue pas une récurrence d’excès de vitesse de nature à faire obstacle au maintien du salarié dans l’entreprise, y compris pendant la durée du préavis.
2°) les non-respects répétés des ordres de mission par anticipation des prises de service :
La société Axe Froid soutient que l’anticipation des prises de service avec activation du disque chronotachygraphe engendre des dépassements de temps de service journalier engageant la responsabilité pénale de l’entreprise.
M. [D] expose que la prise de service se fait au maximum11 heures après la coupure pendant la découche du chauffeur et qu’à trois reprises, les ordres de mission prévoyaient une prise de service au-delà de 15 heures, ce qui ne permettait pas de réaliser la tournée dans le temps réglementaire.
Dans son courrier de contestation de son licenciement M. [D] expose : ” (‘) soit on dépasse 12 heures de service, soit on ne peut pas arriver à livrer le reste des clients, qui est en cause de mauvaise organisation de votre part et des départs tardifs (‘) ”
Au terme des débats, le paiement de temps de travail indu n’est pas établi par l’employeur. En outre, si deux des dernières prises de poste anticipées par M. [D] ont engendré des dépassements du temps de service journalier, il n’est pas établi que le salarié était en mesure de remplir les missions qui lui étaient confiées dans le temps imparti, de sorte que l’anticipation de sa prise de service par M. [D] à trois reprises ne saurait lui être reprochée.
3°) le non-respect de la réglementation sociale européenne et plus particulièrement des temps de pause :
L’article L. 3312-2 du code des transports énonce que : ” (‘) Le temps de travail quotidien est interrompu par une pause d’au moins trente minutes lorsque le total des heures de travail est compris entre 6 et 9 heures, et d’au moins quarante-cinq minutes lorsque le total des heures de travail est supérieur à 9 heures. (‘) ”
La société Axe Froid produit un rapport des infractions relevées pour la période du 1er septembre 2015 au 31 octobre 2015, pour un total de 24 infractions.
M. [D] qui soutient que l’employeur demandait à ses chauffeurs de ne pas faire de pauses pendant les trajets, mais de les faire pendant le temps de chargement/déchargement pour gagner du temps et éviter des retards, ne produit cependant aucun élément en ce sens.
Le non-respect des temps de pause est avéré.
4°) le refus de reprise de 66 palettes auprès du client System U Saint Just :
Il est fait grief à M. [D] d’avoir signé une lettre de mission aux termes de laquelle il devait charger un lot de produits frais sur palettes, puis récupérer les supports (palettes), ce qu’il n’a pas fait au motif que l’agent d’emballage n’était pas à son poste, et qu’il ne disposait pas de suffisamment de temps pour attendre son retour.
Les circonstances dans lesquelles M. [D] n’a pas respecté sa lettre de mission en s’abstenant de récupérer les supports, et la situation délicate vis-à-vis du client, invoquée par l’employeur, ne sont étayées par aucun élément, de sorte qu’en l’absence de plus amples précisions, le manquement du salarié n’est pas établi.
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L’article L. 1226-9 du code du travail énonce qu’au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l’employeur ne peut rompre ce dernier que s’il justifie, soit d’une faute grave de l’intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’accident ou à la maladie.
En l’espèce, M. [D] était en arrêt de travail depuis le 13 octobre 2015 jusqu’au 26 octobre 2015 pour un accident du travail survenu le 12 octobre 2015, de sorte qu’à l’exception de la faute grave, il ne pouvait faire l’objet d’un licenciement.
Le seul grief de non-respect des temps de pause dans les circonstances reprises ci-dessus ne constitue pas une faute suffisamment grave pour empêcher toute poursuite de la relation de travail même pendant la période du préavis.
La faute grave n’étant pas caractérisée au terme des développements ci-avant, le licenciement de M. [D] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Sur l’exécution déloyale :
M. [D] fait valoir que la société Axe Froid a commis plusieurs manquements dans l’exécution de son contrat de travail :
1°) le non- respect de la règlementation relative aux temps de travail :
– son employeur ne respectait pas la réglementation des temps de travail et demandait à ses chauffeurs de se placer ” en repos ” pendant les temps de chargement et déchargement effectif, et à défaut, les informations du chronotachygraphe étaient retraitées,
– aucune compensation ne lui a été attribuée quand il a dépassé l’amplitude journalière de 13 heures,
– l’employeur ne respectait pas non plus la réglementation en matière de sécurité puisqu’il lui confiait des tournées entraînant à chaque fois des dépassements de temps de conduite en raison de la multitude des tournées et de leur longueur,
2°) le défaut d’organisation des tournées :
– la mauvaise organisation de son employeur a porté atteinte à sa vie privée puisqu’il devait rester à sa disposition et qu’il lui était indiqué la veille, s’il devait travailler ou non le lendemain,
3°) une dégradation des conditions de travail résultant de brimades, de menaces, et des manquements de son employeur (tournées surchargées, non-respect des règles de sécurité, horaires irréguliers, insultes, menaces), a eu des conséquences sur son état de santé,
4°) les conséquences sur son état de santé :
– il a été victime de trois accidents de travail au sein de la société Axe Froid, et son employeur n’a pas suivi les préconisations de la médecine du travail,
– les différents manquements de son employeur ont eu des conséquences graves sur sa situation financière puisqu’il n’a pu régler les mensualités de son prêt immobilier et a fait l’objet d’un plan de surendettement.
M. [D] invoque par ailleurs des manquements postérieurs à son licenciement en indiquant qu’un mois après son licenciement et malgré plusieurs relances, il n’avait toujours reçu ni son solde de tout compte, ni son dernier salaire, ni la deuxième moitié de son 13ème mois avec ses primes de fin d’année, ni son attestation pôle emploi. Il ajoute que l’employeur n’avait pas procédé à la mise en place du complément pour les indemnités de l’accident du travail et n’avait pas adressé les justificatifs à la CPAM pour la régularisation de ses indemnités du mois de novembre et il soutient que l’employeur ne lui avait pas permis de récupérer ses affaires personnelles laissées dans son camion.
Enfin, M. [D] invoque le défaut de visite médicale au visa des dispositions de l’article L. 3122-42 du code du travail relatif au travail de nuit et à l’obligation d’une surveillance médicale particulière à intervalles réguliers de six mois.
La société Axe Froid fait valoir que :
– elle conteste les affirmations de M. [D] selon lesquelles elle l’aurait contraint à se mettre en temps de pause pendant les temps de chargement et déchargement ou temps d’attente et qu’il ne les démontre pas,
– il est faux d’affirmer que M. [D] dépassait des amplitudes de 13 heures alors que ses rapports d’activité démontrent l’existence d’un travail mensuel ne dépassant quasiment jamais 195 heures, certains mois étant bien inférieurs ; ces rapports démontrent aussi que les tournées n’étaient jamais impossibles à réaliser dans une amplitude de temps de service régulière et en respectant la durée journalière de travail,
– ce n’est que très exceptionnellement que les temps de service de M. [D] ont dépassé 12 heures, et cela résulte du non-respect de ses ordres de mission comme il a été démontré ci-dessus,
– M. [D] connaissait parfaitement ses tournées à l’avance, souvent chez les mêmes clients, à tout le moins la veille, et prenait toujours ses fonctions à [Adresse 5], n’étant pas conducteur longue distance et n’effectuant aucun découcher,
– c’est à tort que M. [D] soutient que ses conditions de travail se seraient dégradées puisque les déclarations médicales ne font que reprendre ses seules affirmations et que l’accident de 2012 n’a aucun lien avec les griefs ; elle n’a jamais été informée de son syndrome anxio-dépressif qui constitue une pathologie préalable neuromusculaire
– la médecine du travail lui a simplement demandé d’analyser la situation puis de prendre des mesures adaptées,
– subsidiairement, en l’état d’un préjudice qui n’est ni expliqué, ni justifié, il conviendrait de ramener la demande à de plus justes proportions.
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Les manquements à la réglementation sur les temps de travail ainsi que ceux relatifs à l’organisation des tournées lesquels auraient eu pour effet de tenir le salarié à disposition de l’employeur 24h sur 24 et 7 jours sur 7, de même que l’existence de brimades, insultes ou menaces participant d’une dégradation des conditions de travail ne sont pas établis par les éléments du débat.
S’agissant des manquements en matière de santé et de sécurité, M. [D] verse aux débats un courrier adressé le 3 juin 2013 par le docteur [S], médecin du travail, à la société Axe froid et évoquant l’accident du travail dont il a été victime le 29 décembre 2012, causé par une chute alors qu’il tentait d’ouvrir les portes de sa remorque.
Le médecin indique :
‘Ce n’est pas le premier AT de ce type, de nombreuses remorques présentent des difficultés à l’ouverture. Je vous avais déjà adressé un courrier à ce sujet.
J’insiste sur la nécessité d’acheter du matériel de qualité et de l’entretenir régulièrement. Il n’est pas admissible que les accidents se reproduisent, alors que les causes sont connues.
Cette question avait été évoquée en CHSCT, je demande à ce que vous apportiez une réponse.
M. [D] devrait reprendre le travail courant juin.
Il garde des séquelles de son accident et je demande à ce qu’il reprenne avec du matériel en bon état, de façon à ce qu’il n’ait pas à forcer sur les portes pour les ouvrir. (‘) “.
Or, la société Axe Froid ne justifie, en dépit de cette mise en demeure univoque du médecin du travail, d’aucune mesure particulière consécutive à l’accident du 29 décembre 2012.
M. [D] produit en outre deux fiches d’aptitude médicale (16 juin 2014 et 2 novembre 2015) comportant des préconisations d’aménagement de poste telles que la limitation des opérations de déchargement, l’utilisation de transpalette électrique, le respect d’horaires réguliers ou encore la manipulation de remorques à ouverture facile.
Indépendamment de l’état anxio dépressif chronique constaté par le médecin du travail et pour lequel la société Axe Froid réfute tout lien avec l’exécution du contrat de travail, il résulte des pièces médicales, d’une part que l’accident survenu le 29 décembre 2012 est imputé par le médecin du travail à une défectuosité connue de l’employeur, du véhicule confié au salarié, d’autre part que les séquelles de cet accident ont donné lieu jusqu’en 2015 à des préconisations adaptées à la prévention d’une aggravation d’un trouble musculo-squelettique.
Si la société Axe Froid reproche au médecin du travail de reprendre les affirmations de M. [D] sans s’être déplacé au sein de l’entreprise pour procéder à une étude de poste et de la situation, force est de constater qu’elle ne justifie cependant d’aucune directive donnée ou mesure prise conformément aux recommandations du médecin du travail, ce qui constitue un manquement avéré à son obligation de santé et de sécurité.
M. [D] fait valoir en outre qu’il n’a jamais été soumis à la visite médicale dont bénéficie tout travailleur de nuit, tous les six mois, et ce en violation des dispositions de l’article L. 3122-42 du code du travail, mais sa demande d’indemnisation à ce titre ne figure pas dans le dispositif de ses écritures, de sorte que la cour n’est pas saisie de cette demande.
En définitive, les manquements de la société Axe Froid à son obligation de santé et de sécurité sont avérés et justifient l’allocation de la somme de 4 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi à ce titre.
Le jugement déféré qui a débouté M. [D] de cette demande est infirmé et M. [D] est débouté de sa demande pour le surplus.
Sur les indemnités de rupture :
Le licenciement étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, le salarié peut prétendre au paiement d’une indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, ainsi qu’à une indemnité conventionnelle légale de licenciement. La société Axe Froid ne remet pas en cause, même à titre subsidiaire, les bases sur lesquelles M. [D] a formé ses demandes. Il convient par conséquent de valider les demandes du salarié sur la base d’une rémunération mensuelle brute de 2 739 euros.
La société Axe Froid sera en conséquence condamnée à payer à M. [D] les sommes suivantes :
* 5 478 euros à titre d’indemnité de préavis, outre la somme de 547,80 euros de congés payés afférents
* 4 601,52 euros à titre d’indemnité de licenciement
Sur les dommages- intérêts :
En application des articles L.1235-3 et L.1235-5 anciens du code du travail, M. [D] ayant eu une ancienneté supérieure à deux ans dans une entreprise occupant habituellement 11 salariés au moins, peut prétendre, en l’absence de réintégration dans l’entreprise, à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Compte tenu de l’effectif de l’entreprise, dont il n’est pas contesté qu’il est habituellement de plus de onze salariés, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [D] âgé de 51 ans lors de la rupture, de son ancienneté de huit années, quatre mois et trois semaines, de ce qu’il justifie avoir saisi la commission de surendettement de l’Ain qui a examiné sa situation au 29 mars 2016, et être bénéficiaire d’une pension d’invalidité d’un montant brut annuel de 9 316, 54 euros qui lui a été notifiée le 28 février 2019, de ce que M. [D] ne justifie cependant d’aucune recherche d’emploi depuis son licenciement, alors que placé en invalidité de catégorie 2, il ne soutient pas être dans l’impossibilité de travailler, la cour estime que le préjudice résultant pour ce dernier de la rupture doit être indemnisé par la somme de 20 000 euros.
En conséquence, le jugement qui a débouté M. [D] de sa demande de dommages-intérêts, est infirmé en ce sens. La société Axe Froid est condamnée à payer à M. [D] la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice consécutif à la perte d’emploi et M. [D] est débouté de sa demande pour le surplus.
Sur le remboursement des indemnités de chômage :
En application de l’article L.1235-4 du code du travail, il convient d’ordonner d’office le remboursement par l’employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d’indemnisation.
Sur les demandes accessoires :
Les dépens de première instance et d’appel, suivant le principal, seront supportés par la société Axe Froid et le jugement déféré infirmé sur les dépens.
L’équité et la situation économique respective des parties justifient qu’il soit fait application de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d’appel dans la mesure énoncée au dispositif.
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement
INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
DIT que le licenciement notifié le 6 novembre 2015 par la société Axe Froid à M. [D] est dépourvu de cause réelle et sérieuse
CONDAMNE la société Axe Froid à payer à M. [D] les sommes suivantes :
* 5 478 euros à titre d’indemnité de préavis, outre la somme de 547,80 euros de congés payés afférents
* 4 601,52 euros à titre d’indemnité de licenciement
* 20 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant du licenciement injustifié
* 4 000 euros de dommages-intérêts au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail
ORDONNE d’office à la société Axe Froid le remboursement à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à M. [D] dans la limite de trois mois d’indemnisation,
CONDAMNE la société Axe Froid à payer à M. [D] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en cause d’appel,
CONDAMNE la société Axe Froid aux dépens de première instance et d’appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE