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ARRET
N°
[U]
C/
S.A.S. EJ PICARDIE
copie exécutoire
le 5/07/2023
à
Me HAMEL
Me PIAT
EG/IL/SF
COUR D’APPEL D’AMIENS
5EME CHAMBRE PRUD’HOMALE
ARRET DU 05 JUILLET 2023
*************************************************************
N° RG 22/03771 – N° Portalis DBV4-V-B7G-IQ2T
JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE BEAUVAIS DU 04 JUILLET 2022 (référence dossier N° RG 21/00230)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
Madame [O] [U]
née le 26 Octobre 2001 à [Localité 3]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée et concluant par Me Christine HAMEL de la SELARL CHRISTINE HAMEL, avocat au barreau D’AMIENS
ET :
INTIMEE
S.A.S. EJ PICARDIE Prise en la personne de son représentant légal en exercice.
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée et concluant par Me Geneviève PIAT de la SELARL VAUBAN AVOCATS BEAUVAIS, avocat au barreau de BEAUVAIS
DEBATS :
A l’audience publique du 10 mai 2023, devant Mme Eva GIUDICELLI, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l’affaire a été appelée.
Mme Eva GIUDICELLI indique que l’arrêt sera prononcé le 05 juillet 2023 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Eva GIUDICELLI en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :
Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,
Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,
Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,
qui en a délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :
Le 05 juillet 2023, l’arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.
*
* *
DECISION :
Mme [U], née le 26 octobre 2001, a été mise au service de la société EJ Picardie (la société ou l’employeur) par plusieurs contrats de mission temporaire à compter du 20 octobre 2020 en qualité d’opératrice remoulage.
.
Le contrat de travail est soumis à la convention collective de la métallurgie de l’Oise.
La société emploie plus de 10 salariés.
Mme [U] a déposé plainte le 18 juin 2021 à l’encontre d’un collègue pour tentative d’agression sexuelle.
Elle a été placée en arrêt-maladie à compter du 21 juin 2021.
Un accident du travail a été déclaré le 13 août 2021.
Estimant que les contrats de mission devaient être requalifiés en contrat de travail à durée indéterminée et qu’elle avait fait l’objet d’un licenciement pendant son arrêt de travail, Mme [U] a saisi le conseil de prud’hommes de Beauvais le 29 septembre 2021.
Par jugement du 4 juillet 2022, le conseil de prud’hommes a :
– débouté Mme [U] de l’ensemble de ses demandes,
– débouté la société EJ Picardie de sa demande au titre des frais irrépétibles,
– condamné Mme [U] aux dépens.
Par conclusions remises le 7 avril 2023, Mme [U], régulièrement appelante de ce jugement, demande à la cour de :
– la dire recevable et bien fondée en son appel et en l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
Y faisant droit, infirmant et ajoutant au jugement du 4 juillet 2022,
– requalifier en contrat de travail à durée indéterminée la relation de travail la liant à la société EJ Picardie,
Par conséquent,
– condamner la société EJ Picardie à lui payer à titre d’indemnité de requalification 1 769,18 euros,
– dire que la rupture du contrat de travail doit produire les effets d’un licenciement nul,
– condamner la société EJ Picardie à lui payer 21 230,16 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
Par conséquent,
– condamner la société EJ Picardie à lui payer
– 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi,
– 1 769,18 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 176,91 € à titre des congés payés sur préavis,
– 884,59 € à titre d’indemnité spéciale de licenciement.
– ordonner la remise sous astreinte non comminatoire de 200 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir de l’ensemble des fiches de paie et des documents de fin de contrat conformes à ladite décision,
– condamner la société EJ Picardie au paiement de 3 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens,
– dire que l’ensemble des condamnations porteront intérêt au taux légal à compter de la première saisine du conseil de prud’hommes,
– débouter la société EJ Picardie de toute demande au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions remises le 13 avril 2023, la société EJ Picardie demande à la cour de :
– confirmer le jugement rendu le 4 juillet 2022 en son intégralité,
En conséquence,
– juger Mme [U] recevable mais mal fondée en ses prétentions,
Sur la demande de requalification,
– juger que les missions de Mme [U] n’étaient pas liées à un emploi durable et permanent,
– juger qu’elle n’a pas manqué à ses obligations en matière de délai de carence,
– juger que les contrats de mission ont été transmis dans les délais et qu’en tout état de cause, elle ne saurait répondre de prétendus manquements de la société Supplay à ses obligations,
En conséquence, juger Mme [U] mal fondée en sa demande de requalification de ses missions en CDI, d’indemnité de requalification, nullité du licenciement, indemnité de licenciement, indemnité compensatrice de préavis et congés payés sur préavis et l’en débouter,
Subsidiairement, réduire ses demandes à de plus justes proportions,
– juger que la rupture du contrat est intervenue au terme du CDD,
– juger que la rupture ne produit pas les effets d’un licenciement nul et juger Mme [U] mal fondée en sa demande de dommages et intérêts pour nullité du licenciement, indemnité de licenciement, indemnité compensatrice de préavis et congés payés sur préavis et l’en débouter,
Subsidiairement, réduire ses demandes à de plus justes proportions,
– juger Mme [U] mal fondé en sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral.
Subsidiairement, la réduire à de plus justes proportions,
– juger l’intégralité du surplus des prétentions de Mme [U] mal fondée,
– rejeter en conséquence l’intégralité de ses prétentions,
– condamner Mme [U] à lui verser 2 500 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu’aux dépens.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.
EXPOSE DES MOTIFS
1/ Sur la requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée
Mme [U] soutient que l’entreprise utilisatrice a eu recours au travail temporaire comme instrument de gestion destiné à palier un sous-effectif permanent pour faire face à une activité constante avec des variations cycliques récurrentes, son affectation ayant toujours été la même quel que soit le motif du recours sur une période de 9 mois.
Elle ajoute que le motif d’accroissement temporaire d’activité n’était pas en rapport avec l’activité sur les mois d’octobre 2020 et de mai-juin 2021, et que l’entreprise utilisatrice ne produit pas l’ensemble des documents demandés permettant de justifier du motif de remplacement de M. [S].
Elle se prévaut, également, de l’absence de respect du délai de carence et du délai de transmission du contrat dans les 2 jours, ce dont l’entreprise utilisatrice est autant responsable que l’entreprise de travail temporaire, toutes deux ayant agi de concert.
La société répond qu’elle justifie de chaque motif de recours sur la période du 20 octobre 2020 au 27 juin 2021 tantôt en lien avec le remplacement d’un salarié absent tantôt avec un accroissement d’activité, notamment causé par le retard de production pris pendant le premier confinement.
Elle conteste toute incohérence entre le motif du recours à l’emploi temporaire et l’activité par comparaison à l’activité des années précédentes, et souligne que le fait d’être affectée dans le même service pendant 8 mois n’est pas un motif de requalification.
Concernant le délai de carence, elle fait valoir qu’en application de l’accord national du 29 juin 2018, le délai de carence ne s’applique pas en cas de recours au travail temporaire pour remplacement d’un salarié absent ou accroissement temporaire d’activité, et que le non-respect de ce délai n’entraîne pas à lui seul la requalification en contrat de travail à durée indéterminée en l’absence de preuve de l’existence d’un emploi durable.
Concernant le délai de transmission des contrats de mission, elle rappelle que la sanction de ce manquement de l’entreprise de travail temporaire est une indemnité mise à la charge de cette dernière seulement, et non la requalification en contrat à durée indéterminée.
L’article L.1251-5 du code du travail dispose que le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice.
En application des dispositions de l’article L.1251-40 du même code, lorsqu’une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d’une entreprise de travail temporaire en méconnaissance des dispositions des articles L.1251-5 à L.1251-7, L.1251-10, L.1251-11, L.1251-12-1, L.1251-30 et L.1251-35-1, et des stipulations des conventions ou des accords de branche conclus en application des articles L.1251-12 et L.1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission.
La méconnaissance de l’obligation de transmission du contrat de mission au salarié dans le délai fixé par l’article L.1251-17 ne saurait, à elle seule, entraîner la requalification en contrat à durée indéterminée. Elle ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.
Il en résulte que le non-respect du délai de carence prévu par l’article L.1251-36 n’emporte pas à lui seul requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée à l’encontre de la société utilisatrice, et que seule l’entreprise de travail temporaire peut être sanctionnée en cas de méconnaissance du délai de transmission au salarié du contrat de mission prévu par l’article L.1251-17.
En l’espèce, sur la période du 20 octobre 2020 au 27 juin 2021, Mme [U] a signé 18 contrats de mission pour mise à disposition de la société EJ Picardie au poste d’opératrice remoulage dans le même service.
Sur ces 18 contrats, 6 visent le motif d’accroissement temporaire de l’activité en précisant la commande concernée, et 12 le motif de remplacement d’un salarié absent à son poste, M. [R] à deux reprises, et M. [S] à 10 reprises.
La société justifie de la réalité des commandes et des absences mentionnées.
Concernant le motif d’accroissement temporaire d’activité, sans que les courbes de commandes produites par la société utilisatrice mettent en évidence des variations cycliques récurrentes de l’activité sur les années 2019, 2020 et 2021, le graphique montre effectivement une phase ascendante dans les semaines précédents les semaines d’emploi de Mme [U], la référence à l’état des commandes pendant les semaines où elle a travaillé n’étant pas pertinente.
Concernant le motif de remplacement d’un salarié, le recours à une salariée intérimaire pour remplacer M. [S] en arrêts-maladies renouvelés tous les 3 mois n’apparaît pas injustifié en l’absence de prévisibilité sur la date de retour de ce dernier.
Ces éléments montrent que les motifs de recours au travail temporaire visés dans les contrats de mission étaient réels.
Dès lors, le non-respect du délai de carence, à le considérer établi, ne pouvant à lui seul justifier la requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée et la méconnaissance du délai de transmission de ces contrats ne pouvant être opposée qu’à l’entreprise de travail temporaire, il ne saurait être reproché à l’entreprise utilisatrice d’avoir pourvu durablement un emploi lié à son activité normale et permanente par la mise à disposition de Mme [U].
C’est donc à bon droit que les premiers juges ont débouté la salariée de sa demande de ce chef et des demandes indemnitaires subséquentes.
2/ Sur le manquement à l’obligation de sécurité
Mme [U] affirme que l’entreprise utilisatrice, informée de ce qu’elle était victime de harcèlement sexuel, moral et téléphonique par un de ses salariés, a manqué à son obligation de sécurité en ne mettant aucune organisation en place pour lui éviter tout contact avec son agresseur.
La société répond qu’elle a immédiatement réagi à la plainte de Mme [U] en affectant temporairement le salarié mis en cause dans une autre équipe le temps de l’enquête interne et en le sanctionnant d’une mise à pied disciplinaire de 2 jours au regard des faits avérés et de l’absence d’antécédents.
En application des dispositions de l’article L.4121-1 du code du travail, l’entreprise de travail temporaire et l’entreprise utilisatrice sont tenues, à l’égard des salariés mis à disposition, d’une obligation de sécurité dont elles doivent assurer l’effectivité, chacune au regard des obligations que les textes mettent à leur charge en matière de prévention des risques.
En l’espèce, il ressort des échanges de courriels produits que le 20 avril 2020, Mme [U] s’est plainte au chef d’équipe du comportement déplacé d’un collègue dans ces termes :
«Bah à la pause de 23h vendredi 16 avril Mr [E] [C] m’a demander de le suivre aux fluidiseurs. Ensuite nous sommes montés au niveau 3 à sa demande. II m’a demander de fermé les yeux, chose que j’ai faites mais que j’ai rouvert directe et [C] était devant moi dans l’intention de m’embrasser. Je lui ai demandé pourquoi tu fais ça ‘ et il m’a répondu par message : je veux un bisou. Ma réponse a été non mais tu te rend compte de ton comportement ”’ II m’a ensuite tiré le bras en me secouant en disant aller. Il m’a donné des petits coups de pieds. La fin de pause arrivait et sur le chemin [C] me dit : nous avons rater quelque chose là. Je lui ai répondu : non je crois pas. Et il m’a répondu : si le bisous.»
Dans la semaine qui a suivit, Mme [U] a été entendue par la responsable des ressources humaines et une enquête interne a été diligentée avec l’assistance du référent harcèlement de l’entreprise conduisant à l’engagement d’une procédure disciplinaire à l’encontre de M. [E] le 12 mai 2021 qui s’est conclue par une mise à pied de deux jours notifiée le 10 juin 2021.
Il est justifié que M. [E] a été en arrêt-maladie du 19 avril au 4 mai 2021.
MM. [D] et [L], chefs d’équipe, témoignent que ce dernier a quitté l’équipe A pour l’équipe B dès son retour d’arrêt-maladie le 6 mai 2021 afin d’éviter les contacts avec Mme [U], qu’une interdiction de contact lui a été communiquée et que les temps de relève étaient particulièrement surveillés.
Il ne saurait donc être reproché à l’employeur de n’avoir mis aucune mesure en place afin d’assurer la sécurité de Mme [U], étant relevé qu’aucun nouvel incident n’ayant été signalé à compter de la révélation des faits le 20 avril 2021 alors que la salariée et M. [E] ont fréquenté le même lieu de travail du 6 mai au 21 juin 2021, cette nouvelle organisation a été efficiente.
Dès lors, la plainte pour tentative d’agression sexuelle auprès des services de police du 18 juin 2021, le certificat médical et l’arrêt de travail du 21 juin 2021 pour trouble anxio-dépressif, et le courrier adressé le 22 juin 2021 à l’entreprise de travail temporaire afin de dénoncer l’incurie de l’entreprise utilisatrice intervenus plus de deux mois après les faits sont insuffisants à caractériser un manquement de la société société EJ Picardie à l’obligation de sécurité.
C’est donc à bon droit que les premiers juges ont rejeté la demande de dommages et intérêts formée sur ce fondement.
3/ Sur les demandes accessoires
Mme [U] succombant en ses demandes, il convient de confirmer le jugement entrepris quant aux dépens de première instance, et de la condamner aux dépens d’appel.
L’équité commande de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles engagés en appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
confirme le jugement du 4 juillet 2022 en ses dispositions soumises à la cour,
y ajoutant,
rejette les demandes fondées sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
condamne Mme [O] [U] aux dépens d’appel.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.