Mise à pied disciplinaire : 6 juillet 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/00583

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Mise à pied disciplinaire : 6 juillet 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/00583
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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 8

ARRET DU 06 JUILLET 2023

(n° , 7 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/00583 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CC7QH

Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Novembre 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 19/02184

APPELANTE

Madame [T] [M]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Ghislain DADI, avocat au barreau de PARIS, toque : A0257

INTIMÉE

S.A.S. MONOPRIX EXPLOITATION, PAR ABREVIATION ‘MPX’

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Cécile FOURCADE, avocat au barreau de PARIS, toque : E1815

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 22 Mai 2023, en audience publique, les avocats ne s’étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Véronique BOST, vice-présidente placée, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, présidente

Madame Nicolette GUILLAUME, présidente

Madame Véronique BOST, vice-présidente placée, rédactrice

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– signé par Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [T] [M] a été engagée par la société Sofrapain dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée du 10 septembre 2001 en qualité de vendeuse.

Le 1er janvier 2003, son contrat a été repris par la société Monoprix Exploitation.

La convention collective applicable à la relation de travail est celle des grands magasins et magasins populaires.

Le 15 mai 2014, la société Monoprix Exploitation a notifié à Mme [M] son licenciement pour faute grave.

Contestant ce licenciement, Mme [M] saisissait le conseil de prud’hommes de Paris qui par jugement du 28 juin 2016 déboutait la salariée de l’intégralité de ses demandes.

Mme [M] a interjeté appel de ce jugement et par arrêt du 13 mars 2018, la cour d’appel de Paris a :

– infirmé le jugement déféré sauf en ce qu’il a débouté Mme [M] de sa demande de dommages et intérêts au titre de la violation des dispositions de l’article L1332-5 du code du travail,

statuant à nouveau et y ajoutant,

– annulé la mise à pied disciplinaire du 20 mars 2014,

– dit que le licenciement de Mme [M] est nul,

– ordonné la réintégration de Mme [M] dans l’emploi occupé avant la rupture ou dans un emploi équivalent situé dans le même secteur géographique et dit que cette réintégration devrait intervenir au plus tard, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt,

– condamné la société Monoprix Exploitation à payer à Mme [M] les sommes suivantes :

– 1 974 euros bruts au titre du rappel de salaire retenu durant la mise à pied conservatoire,

– 197,40 euros bruts au titre des congés payés afférents,

– 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination,

– 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la mise à pied disciplinaire du 20 mars 2014,

– 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté les parties du surplus de leurs prétentions,

– condamné la société Monoprix Exploitation aux dépens.

Le 6 février 2019, la société Monoprix Exploitation a convoqué Mme [M] à un entretien préalable.

Souhaitant obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail, Mme [M] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris par acte du 14 mars 2019 .

Le 20 mars 2019, la société Monoprix Exploitation a notifié à Mme [M] son licenciement pour faute grave.

Par jugement du 23 novembre 2020, notifié aux parties par lettre du 30 novembre 2020, le conseil de prud’hommes de Paris a :

– déclaré irrecevable la demande d’indemnité égale au montant de la rémunération au titre du principe d’unicité de l’instance,

– débouté Mme [M] du surplus de ses demandes,

– débouté la société Monoprix Exploitation de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné Mme [M] aux entiers dépens.

Par déclaration du 23 décembre 2020, Mme [M] a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 22 février 2021, Mme [M] demande à la cour de :

– infirmer le jugement entrepris,

– fixer son salaire moyen mensuel brut à 1 974 euros,

– prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la société Monoprix Exploitation,

en conséquence,

– dire et juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– dire et juger que doit être écarté le montant maximal d’indemnisation prévu par l’article L. 1235-3 du Code du travail en raison de son inconventionnalité, ce plafonnement violant les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention 158 de l’OIT et le droit au procès équitable,

en conséquence,

– condamner la société Monoprix Exploitation au paiement des sommes suivantes :

– 114 492 euros au titre de l’indemnité égale au montant de la rémunération, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du lendemain de la notification de la décision à intervenir dans la limite de 365 jours, dont le conseil (sic) s’en réserve le pouvoir de la liquider,

– 11 449,20 euros au titre des congés payés afférents,

– 3 948 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

– 394,80 euros au titre des congés payés afférents,

– 9 623,25 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement,

– 43 428 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause

réelle et sérieuse,

– 1 000 euros de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat,

-2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– dire que les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le conseil de prud’hommes tandis que les créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l’article 1154 du code civil, devenant l’article 1343-2 du code civil,

– condamner la société Monoprix Exploitation aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 20 mai 2021, la société Monoprix Exploitation demande à la cour de :

– déclarer mal fondée Madame [M] en son appel,

– confirmer le jugement rendu en première instance en ce qu’il a :

– déclaré irrecevable la demande d’indemnité égale au montant de la rémunération au titre du principe de l’unicité de l’instance,

– débouté Madame [T] [M] du surplus de ses demandes,

en conséquence,

à titre liminaire :

– déclarer irrecevable en application du principe de l’unicité d’instance la demande de versement d’une indemnité correspondant aux salaires non perçus entre un licenciement du 15 mai 2014 annulé au cours d’une précédente procédure prud’homale par un arrêt définitif de la cour d’appel de Paris rendu le 13 mars 2018, et sa réintégration le 25 juin 2018,

en tout état de cause :

– débouter Madame [M] de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

à titre reconventionnel,

– condamner Madame [T] [M] au versement de la somme de 3 000 euros à titre d’amende civile pour procédure abusive,

– condamner Madame [T] [M] à lui verser les sommes de:

– 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour appel abusif et dilatoire,

– 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour un plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure et aux conclusions susvisées pour l’exposé des moyens des parties devant la cour.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 21 mars 2023 et l’audience de plaidoiries a été fixée au 22 mai 2023.

MOTIFS

Sur l’irrecevabilité de la demande

Aux termes de l’article R.1452-6 du code du travail dans sa rédaction antérieure au décret du 20 mai 2016, texte restant applicable aux instances introduites devant les conseils de prud’hommes antérieurement au 1er août 2016, toutes les demandes liées au contrat de travail entre les mêmes parties font, qu’elles émanent du demandeur ou du défendeur, l’objet d’une seule instance,

En application de ce texte, une instance ne peut être engagée postérieurement à une première procédure prud’homale que lorsque le fondement des nouvelles prétentions est né ou s’est révélé après l’extinction de l’instance primitive. Sont en conséquence irrecevables des demandes formées dans une nouvelle procédure dès lors que leur fondement est né avant la clôture des débats de l’instance antérieure.

En l’espèce, Mme [M] forme une demande en paiement d’une indemnité de réintégration.

La société Monoprix Exploitation soulève l’irrecevabilité de cette demande qui n’a pas été formée lors de l’instance portant sur le premier licenciement qui s’est achevée avec l’arrêt rendu par la présente cour le 13 mars 2018. Elle rappelle que la précédente instance avait été introduite le 10 décembre 2014 de sorte que la règle de l’unicité de l’instance s’applique.

L’indemnité de réintégration étant une conséquence de la nullité du licenciement et de la réintégration ordonnée en conséquence, le fondement de cette prétention n’est pas né ou ne s’est pas révélé après l’extinction de la première instance.

Il appartenait à Mme [M] de former cette demande, même à titre provisionnel, dans le cadre de la première instance.

Cette demande est irrecevable dans le cadre de la présente instance. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la demande en résiliation judiciaire

Il est de principe qu’en cas d’action en résiliation judiciaire suivie, avant qu’il ait été définitivement statué, d’un licenciement, il appartient au juge d’abord de rechercher si la demande de résiliation judiciaire était justifiée et seulement ensuite le cas échéant de se prononcer sur le licenciement notifié par l’employeur.

Le salarié est admis à demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail en cas d’inexécution par l’employeur des obligations découlant dudit contrat. Les manquements de l’employeur susceptibles de justifier la résiliation judiciaire à ses torts doivent être établis par le salarié et d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

La gravité des faits reprochés s’apprécie non à la date d’introduction de la demande de résiliation judiciaire mais en fonction de leur persistance jusqu’au jour du licenciement.

A l’appui de sa demande de résiliation judiciaire, Mme [M] soutient que la société Monoprix Exploitation n’a pas respecté les termes de l’arrêt du 13 mars 2018 qui ordonnait sa réintégration dans un délai de trois mois à compter de la notification de l’arrêt.

La société Monoprix Exploitation a, le 18 juin 2018, adressé à Mme [M] une lettre recommandée lui indiquant qu’elle était attendue le 25 juin 2018 au sein du magasin Sébastopol à un poste de responsable rayon alimentation.

Quelle que soit la date de notification de l’arrêt, qui n’est pas précisée par Mme [M], ce courrier proposant une réintégration caractérise l’exécution de l’arrêt par la société Monoprix Exploitation. Quand bien même cette proposition de réintégration interviendrait, compte tenu de la date de notification de l’arrêt, au delà du délai de trois mois, un dépassement de quelques jours ne constitue pas un manquement suffisamment grave pour justifier la résiliation du contrat et ce d’autant moins qu’à la date à laquelle Mme [M] a saisi le conseil de prud’hommes ce manquement avait cessé, la société Monoprix Exploitation lui ayant proposé un poste et ayant à plusieurs reprises tenté d’organiser la visite médicale de reprise.

Mme [M] ne peut pas davantage invoquer le non paiement de l’indemnité de réintégration dès lors qu’elle n’avait formé aucune demande en ce sens dans le cadre de la précédente instance.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté Mme [M] de sa demande de résiliation judiciaire.

Sur le licenciement

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible immédiatement le maintien du salarié dans l’entreprise.

Il appartient à l’employeur d’apporter la preuve de la gravité des faits fautifs retenus et de leur imputabilité au salarié.

La lettre de licenciement, qui fixe les termes du litige, est ainsi rédigée :

« Madame,

Faisant suite à notre entretien du 23 février 2019 auquel vous ne vous êtes pas présentée, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave.

Les faits qui vous sont reprochés sont les suivants :

Depuis le 25 juin 2018, vous êtes absente de votre poste de travail et ce sans justificatifs, malgré nos demandes écrites du 31 juillet 2018 et du 15 octobre 2018 dans lesquelles nous vous avons rappelé qu’en cas d’absence, vous deviez en informer immédiatement votre employeur et envoyer un justificatif dans les plus brefs délais.

Ces courriers sont restés sans réponse de votre part.

Par ailleurs, nous vous avions convoquée à une visite médicale fixée le 08 août 2018 à laquelle vous ne vous êtes pas rendue, et ce sans nous en informer au préalable.

Nous vous avons alors convoqué à une nouvelle visite médicale fixée au 24 octobre 2018. Dans la mesure où l’avis rendu à cette occasion ne comportait pas d’indication quant à votre attitude à reprendre votre poste, nous vous avons convoqué à une nouvelle visite médicale le 16 janvier 2019 auprès du centre de médecine du travail situé au [Adresse 2], à laquelle vous ne vous êtes pas rendue, et ce sans nous en informer au préalable.

Enfin, dans un courrier du 25 janvier 2019 nous vous avons rappelé que vos refus de vous soumettre aux visites médicales obligatoires sont constitutifs d’une faute. Dans ce courrier, nous vous avons également rappelé que vous étiez en situation d’absence injustifiée depuis le 25 juin 2018.

Vos absences injustifiées et votre attitude fautive perturbent gravement le bon fonctionnement de votre secteur et rend impossible la poursuite de votre contrat de travail.

En conséquence, votre licenciement prend effet à la date d’envoi de cette lettre, sans préavis ni indemnités excepté l’indemnité compensatrice de congés payés. »

Mme [M] soutient que le motif tiré de son absence n’est pas sérieux et ne caractérise pas une faute grave à son encontre.

Au contraire, la société Monoprix Exploitation soutient que le licenciement pour faute grave de Mme [M] est justifié par son absence continue et injustifiée depuis sa réintégration et son refus de passer une visite médicale de reprise.

Il ressort des pièces produites aux débats que la société Monoprix Exploitation a adressé plusieurs courriers à Mme [M] d’abord pour lui indiquer à quel poste elle serait réintégrée puis pour lui demander de justifier de son absence à ce poste. Elle a également organisé plusieurs visites médicales de reprise auxquelles Mme [M] ne s’est pas rendue sans fournir d’explication.

Cette absence de reprise au poste qui lui avait été indiqué pour sa réintégration ainsi que le fait de ne pas se présenter à plusieurs visites médicales de reprise constituent une faute grave justifiant le licenciement.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur l’exécution déloyale du contrat

Mme [M], dans le dispositif de ses conclusions, formule une demande de dommages-intérêts au titre d’une exécution déloyale du contrat de travail.

Dans les moifs de ses conclusions, elle ne présente aucun moyen au soutien de cette demande et ne caractérise aucune exécution déloyale du contrat par l’employeur.

La demande doit donc être rejetée.

Sur la procédure abusive

La société Monoprix Exploitation invoque la posture dilatoire de son adversaire et le caractère abusif et nuisible de l’action entamée en appel pour solliciter la somme de 3 000 eurs à titre de dommages-intérêts et la condamnation de Mme [M] à une amende civile de 3 000 euros.

L’article 32-1 du code de procédure civile dispose que ‘ celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 €, sans préjudice de dommages-intérêts qui seraient réclamés.»

La condamnation à une amende civile relève de la prérogative du juge et ne peut faire l’objet d’une demande par une autre partie à l’instance.

Il n’y a pas lieu de condamner Mme [M] à une amende civile.

L’exercice d’une action en justice ou d’un recours constitue en son principe un droit, lequel ne dégénère en abus pouvant donner lieu à dommages et intérêts que s’il caractérise un acte de mauvaise foi ou de malice ou une erreur grossière équipollente au dol.

En l’espèce, la mauvaise foi ou la malice de Mme [M] n’étant pas établies, la demande de dommages et intérêts sera rejetée.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Madame [M], qui succombe, sera condamnée aux dépens.

L’équité commande la condamner également à la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME le jugement déféré,

Y ajoutant,

CONDAMNE Mme [T] [M] à payer à la société Monoprix Exploitation la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE Madame [T] [M] aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

 


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