Mise à pied disciplinaire : 12 juillet 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/03576

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Mise à pied disciplinaire : 12 juillet 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/03576
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REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 9

ARRÊT DU 12 JUILLET 2023

(n° , 1 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/03576 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDR2O

Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Octobre 2020 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – Section Activités diverses chambre 4- RG n° F20/00642

APPELANT

Monsieur [E] [H]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Ghislain DADI, avocat au barreau de PARIS, toque : A0257

INTIMÉE

ASSOCIATION FONDATION OEUVRE DE LA CROIX SAINT SIMON

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Jérôme WATRELOT, avocat au barreau de PARIS, toque : K0100

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 29 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Philippe MICHEL, président, et M. Fabrice MORILLO, conseiller, chargé du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Philippe MICHEL, président de chambre

M. Fabrice MORILLO, conseiller

Mme Nelly CHRETIENNOT, conseillère

Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats

ARRÊT :

– contradictoire

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, prorogé à ce jour.

– signé par Monsieur Fabrice MORILLO, conseiller pour le président empêché et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant contrats de travail à durée déterminée à compter du 14 janvier 2008 puis contrat de travail à durée indéterminée à compter du 25 mai 2010, M. [E] [H] a été engagé par la Fondation Oeuvre de la Croix Saint-Simon en qualité d’agent d’accueil et de communication, l’intéressé exerçant les fonctions d’agent logistique et travaux d’entretien depuis le 1er septembre 2013. La Fondation Oeuvre de la Croix Saint-Simon emploie habituellement au moins 11 salariés et applique la convention collective nationale de l’hospitalisation privée.

Suivant courrier recommandé du 7 avril 2016, M. [H] a fait l’objet d’un avertissement.

Invoquant l’existence d’une discrimination syndicale, d’une situation de harcèlement moral ainsi que d’une inégalité de traitement et s’estimant insuffisamment rempli de ses droits, M. [H] a saisi la juridiction prud’homale le 29 septembre 2017.

Suivant courrier recommandé du 16 octobre 2017, M. [H] a fait l’objet d’une mise à pied disciplinaire d’un jour.

M. [H] a été désigné en qualité de représentant de section syndicale le 8 novembre 2017.

Après avoir fait l’objet d’une mise à pied conservatoire et été convoqué, suivant courrier recommandé du 20 décembre 2017, à un entretien préalable fixé au 5 janvier 2018, M. [H] a fait l’objet d’une demande d’autorisation administrative de licenciement.

Suivant décision du 23 février 2018, l’inspecteur du travail a refusé l’autorisation de procéder au licenciement pour motif disciplinaire de M. [H].

Par jugement du 29 octobre 2020, le conseil de prud’hommes de Paris a :

– condamné la Fondation Oeuvre de la Croix Saint-Simon à payer à M. [H] les sommes suivantes :

– 4 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,

– 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté M. [H] du surplus de ses demandes,

– débouté la Fondation Oeuvre de la Croix Saint-Simon de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la Fondation Oeuvre de la Croix Saint-Simon aux dépens.

Par déclaration du 9 avril 2021, M. [H] a interjeté appel du jugement lui ayant été notifié le 13 mars 2021.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 17 septembre 2021, M. [H] demande à la cour de :

– fixer à 2 039 euros son salaire brut mensuel,

– infirmer le jugement en ce qu’il l’a débouté de ses demandes relatives à l’existence d’une discrimination syndicale, d’un harcèlement moral et d’une inégalité de traitement injustifiée entre salariés,

– condamner en conséquence la Fondation Oeuvre de la Croix Saint-Simon à lui payer les sommes suivantes :

– 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour discrimination syndicale,

– 60 000 euros en réparation des préjudices liés au harcèlement moral,

– 27 000 euros à titre de rappel de salaire pour inégalité injustifiée avec le salaire d'[X] [Z],

– confirmer le jugement en ce qu’il a retenu le principe d’une violation par la Fondation Oeuvre de la Croix Saint-Simon de son obligation de sécurité et l’a condamnée au paiement de la somme de 4 000 euros mais y ajouter 20 000 euros en raison des préjudices de santé subis à ce titre,

– condamner, en tout état de cause, la Fondation Oeuvre de la Croix Saint-Simon au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 7 octobre 2021, la Fondation Oeuvre de la Croix Saint-Simon demande à la cour de :

à titre principal,

– dire que la déclaration d’appel ne mentionne pas les chefs de jugement critiqués mais se contente d’énumérer les prétentions de première instance,

– dire que la déclaration d’appel n’a, en conséquence, pas opéré dévolution à la cour de quelque chef de jugement que soit, de sorte que faute d’avoir été valablement saisie, la cour ne peut statuer,

à titre subsidiaire,

– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. [H] de ses demandes de dommages-intérêts pour discrimination syndicale et pour harcèlement moral ainsi que de sa demande de rappel de salaire pour violation du principe à travail égal salaire égal,

– infirmer le jugement en ce qu’il a considéré qu’elle avait manqué à son obligation de sécurité et l’a condamnée à payer à M. [H] la somme de 4 000 euros à titre de dommages-intérêts et, statuant à nouveau,

– débouter M. [H] de sa demande de dommages-intérêts pour violation de l’obligation de sécurité,

– infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamnée au paiement de la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de première instance,

– condamner M. [H] au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.

L’instruction a été clôturée le 21 février 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du 29 mars 2023.

MOTIFS

Sur l’effet dévolutif de la déclaration d’appel

L’intimée fait valoir que la déclaration d’appel, qui ne mentionne pas les chefs de jugement critiqués mais se contente d’énumérer les prétentions de première instance de l’appelant, n’a pas opéré dévolution à la cour de quelque chef de jugement que ce soit, et que la cour n’ayant été saisie, en conséquence, d’aucun chef de jugement critiqué, elle ne pourra donc valablement statuer sur l’appel.

Selon l’article 562 du code de procédure civile, l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent, la dévolution ne s’opérant pour le tout que lorsque l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.

En outre, seul l’acte d’appel opère la dévolution des chefs critiqués du jugement.

Il en résulte que lorsque la déclaration d’appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l’effet dévolutif n’opère pas, quand bien même la nullité de la déclaration d’appel fondée sur ce même grief aurait été rejetée.

Etant relevé que la déclaration d’appel litigieuse mentionne au titre de l’objet/portée de l’appel : « Appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués : Appel en ce que le conseil a débouté le salarié des chefs suivants et demande d’infirmations sur ces chefs critiqués […] », de sorte que ladite déclaration d’appel mentionne effectivement les chefs de jugement critiqués, ceux-ci correspondant aux points tranchés dans le dispositif du jugement en ce que le conseil de prud’hommes a « débouté M. [H] du surplus de ses demandes », étant observé que le rappel des demandes formulées devant les premiers juges, mentionné à titre de simple précaution dans la déclaration d’appel, en sus de l’énumération des chefs de décision critiqués, s’explique par le fait que le conseil de prud’hommes a débouté le salarié du surplus de ses demandes sans autre précision.

Dès lors, l’effet dévolutif de l’appel ayant opéré, la cour se déclare valablement saisie.

Sur la discrimination syndicale

L’appelant fait valoir que la mesure de licenciement entreprise à son encontre est en lien avec les revendications salariales et syndicales exprimées dans le cadre de son mandat et qu’elle n’est pas basée sur des critères objectifs, la demande d’autorisation administrative de licenciement faisant référence à de multiples reprises à sa qualité de représentant syndical. Il affirme ainsi que la mesure disciplinaire envisagée à son encontre, en l’occurrence le licenciement, est en partie fondée sur l’exercice de son mandat de représentant syndical, ce qui est discriminatoire.

L’intimée réplique qu’elle a utilisé, sans le détourner, son pouvoir disciplinaire et que les griefs retenus à l’encontre de l’appelant portant sur le non-respect des règles concernant l’utilisation des véhicules de service, le défaut d’application des consignes de sa hiérarchie ainsi que les dénigrements, accusations outre la gêne occasionnée par le comportement de l’intéressé, préexistaient à sa désignation en qualité de représentant syndical.

Selon l’article L. 1132-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige, aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m’urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d’autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français.

Par ailleurs, en application de l’article L. 1134-1 du code du travail, lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

En l’espèce, l’appelant faisant valoir qu’il a fait l’objet de l’engagement d’une procédure disciplinaire le 20 décembre 2017 alors qu’il avait été désigné en qualité de représentant de section syndicale le 8 novembre 2017 et que la demande d’autorisation administrative de licenciement (demande initiale de l’employeur du 28 décembre 2017 et courrier portant informations complémentaires du 11 janvier 2018) fait à plusieurs reprises référence à ses activités syndicales, il apparaît que l’intéressé présente des éléments de fait qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’une discrimination en raison de ses activités syndicales.

Toutefois, s’agissant des griefs relatifs au non-respect des règles concernant l’utilisation des véhicules de service ainsi qu’au défaut d’application des consignes de sa hiérarchie, l’employeur justifie que ceux-ci préexistaient très largement à la désignation de l’appelant en qualité de représentant de section syndicale, celle-ci n’étant intervenue que le 8 novembre 2017 alors que l’intéressé avait déjà fait l’objet de courriers de mise en garde/rappel à l’ordre en date des 14 janvier 2016, 4 février 2016, 15 mars 2017 et 12 juin 2017, d’un avertissement en date du 7 avril 2016 ainsi que d’une mise à pied disciplinaire le 16 octobre 2017.

Concernant les autres éléments de faits présentés par l’appelant concernant les reproches dont il a fait l’objet dans le cadre de son activité de représentant syndical (dénigrements de la fondation et accusations fallacieuses d’une particulière gravité ainsi que cela ressort effectivement des courriers de saisine de l’inspecteur du travail des 28 décembre 2017 et 11 janvier 2018, l’intimée indiquant que l’appelant a adopté un comportement totalement déplacé, fait preuve d’une agressivité de nature à perturber les services et qu’il a gêné de façon importante le travail des autres salariés), la cour relève qu’il résulte de la décision précitée de l’inspecteur du travail en date du 23 février 2018 que « les propos tenus dans le cadre d’un échange ordinaire entre collègues ne caractérisent pas un usage abusif de la liberté d’expression dont dispose tout salarié aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’entreprise […], que l’exercice d’une fonction représentative implique l’existence d’une liberté d’expression étendue, que l’employeur situe sa demande sur le terrain disciplinaire sans apporter la preuve de la méconnaissance par le salarié d’une obligation contractuelle ou l’exercice anormal de son mandat […], que les éléments joints par l’employeur ne permettent pas de caractériser le fait que la gêne éventuellement apportée à l’accomplissement du travail des salariés a été importante et révèlent, au contraire, des tentatives de porter atteinte à l’exercice par le salarié de son mandat syndical […], que considérant la concomitance entre l’acquisition d’un mandat syndical par le salarié et l’engagement de la procédure de licenciement pour motif disciplinaire moins de trois jours après la reprise de son travail par le salarié, considérant également la concomitance entre la procédure de licenciement pour motif disciplinaire assortie d’une mise à pied conservatoire et l’engagement du processus électoral en vue de la mise en place du comité économique et social, considérant enfin les difficultés qu’a pu rencontrer le salarié pour exercer son mandat, considérant par conséquent que tout lien entre la présente procédure et le mandat détenu par le salarié ne peut être écarté. »

Dès lors, au vu de l’ensemble des développements précédents, la cour retient que l’employeur n’établit pas que ses différentes décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination en raison des activités syndicales du salarié et accorde à ce dernier, en réparation du préjudice subi, une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts, et ce par infirmation du jugement.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il résulte par ailleurs de l’article L. 1154-1 du code du travail que, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

En l’espèce, l’appelant, qui fait valoir qu’il existe des agissements constitutif de harcèlement moral se manifestant par une absence de réponse à ses revendications, l’existence d’une inégalité de traitement entre salariés occupant un même poste ainsi que le retrait d’avantages relatifs à l’usage du véhicule professionnel, lesdits agissement ayant entraîné une dégradation de sa santé physique ainsi que de sa santé mentale, produit les éléments suivants :

– différents échanges de mails et de courriers avec son employeur,

– le rapport d’expertise du cabinet Degest du 8 mars 2017 portant sur les conditions de travail et les risques professionnels auxquels sont exposé les salariés,

– des avis d’arrêts de travail ainsi que divers éléments médicaux concernant l’évolution de son état de santé outre des avis de la médecine du travail ainsi que la décision de reconnaissance de sa qualité de travailleur handicapé du 13 septembre 2016,

– différents éléments et courriers afférents à la procédure de demande d’autorisation de licenciement auprès de l’inspecteur du travail,

– la fiche de poste de M. [Z] exerçant les fonctions d’agent logistique-ouvrier hautement qualifié,

– un document intitulé « recommandations sur la structuration d’un service technique et logistique à la fondation » daté de février 2014,

– des procès-verbaux de dépôt de plainte pour harcèlement moral des 26 juin et 28 septembre 2017.

Il apparaît ainsi que le salarié présente des éléments de fait, qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement.

L’intimée, soulignant que l’appelant reprend des griefs la plupart du temps identiques en les qualifiant différemment, une fois comme révélant une discrimination, une autre fois comme constituant un acte de harcèlement ou une troisième fois comme contrevenant à l’obligation de sécurité, tout en mettant en avant le fait que la réitération de l’exécution défectueuse de son contrat de travail, ses demandes incessantes et mal fondées, ses prises à partie créent une situation de tension dont il est à l’origine, produit différentes pièces en réplique aux fins d’établir que les agissements litigieux sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

S’agissant de l’absence de réponse aux revendications de l’appelant, si ce dernier soutient que cette absence de réponse à ses demandes malgré ses relances a contribué à dégrader ses conditions de travail et à le maintenir dans une incertitude constante quant à l’étendue de ses missions et de ses droits, la société étant restée passive face aux difficultés qu’il rencontrait dans l’exécution de son contrat, la cour relève cependant que l’employeur n’a pas cessé de répondre aux multiples courriers et mails lui étant adressés par l’intéressé concernant ses conditions de travail ainsi que le contenu et le périmètre de ses fonctions, ainsi que cela résulte notamment des courriers et mails des 14 janvier 2016, 4 février 2016, 18 mai 2016, 26 août 2016, 13 octobre 2016, 23 décembre 2016, 6 mars 2017, 15 mars 2017, 12 juin 2017, 22 mai 2018, 20 juin 2018 et 22 juin 2018.

S’agissant de l’inégalité de traitement alléguée par l’appelant eu égard à la situation de son collègue de travail du service technique (M. [X] [Z]), il sera rappelé qu’en application du principe d’égalité de traitement, l’employeur est tenu d’assurer l’égalité de rémunération entre tous les salariés pour autant que les salariés en cause sont placés dans une situation identique, et il lui appartient, le cas échéant, de démontrer qu’il existe des raisons objectives à la différence de rémunération entre des salariés effectuant un même travail ou un travail de valeur égale dont il revient au juge de contrôler la réalité et la pertinence, étant observé que c’est à celui qui invoque une atteinte au principe d’égalité de traitement de démontrer qu’il se trouve dans une situation identique ou similaire à ceux auxquels il se compare en établissant qu’il exerçait des fonctions identiques ou similaires à celles des salariés concernés.

En l’espèce, outre le fait que l’appelant a lui-même indiqué dans son courriel du 22 mai 2018 (en parlant de la situation de M. [X] [Z]) que : « C’est pourquoi, bien que je veuille bien admettre une plus grande technicité de celui qui a été mon formateur à ce poste, je me suis permis d’oser demander une explication à ma hiérarchie concernant la différence d’un tiers de salaire que nous avons constaté entre [X] et moi à notre plus grand étonnement », la cour relève en toute hypothèse qu’il résulte des pièces justificatives produites en réplique par l’intimée, qu’alors que l’appelant ne justifie d’aucune compétence technique particulière en lien avec le poste qu’il occupe depuis le 1er septembre 2013 et qu’il a été formé en interne sur ce poste lui ayant été proposé à titre de reclassement dans le cadre d’une procédure de licenciement économique engagée en 2013, M. [Z] occupe pour sa part le poste depuis le 10 septembre 2007 et a bénéficié d’un avenant à son contrat de travail, à effet au 9 septembre 2011, actant sa nomination au poste d’ouvrier hautement qualifié, de sorte qu’il existait des raisons objectives réelles et pertinentes à la différence de rémunération entre ce dernier et l’appelant découlant notamment d’une ancienneté, d’une expérience et d’une technicité plus grandes dans l’exercice des fonctions.

Dès lors, étant de surcroît observé que les tâches relatives à la gestion du courrier, occasionnellement confiées à l’appelant, figurent bien dans sa fiche de poste, aucune atteinte au principe d’égalité de traitement ne pouvant être retenue en l’espèce, la cour confirme le jugement en ce qu’il a débouté le salarié de ses différentes demandes de ce chef, en ce comprise sa demande de rappel de salaire y afférente.

Concernant enfin l’usage du véhicule de service, si l’appelant affirme que le véhicule professionnel dont il se servait était un véhicule de fonction et qu’il avait toujours été admis et convenu par l’employeur qu’il pouvait l’utiliser à titre personnel, notamment pour effectuer les trajets entre son domicile personnel et son lieu de travail ainsi que les différents établissements dans lesquels il devait se rendre pour effectuer ses missions, une telle mise à disposition d’un véhicule de fonction pour usage privé constituant un avantage en nature, et que l’attitude de la direction aurait changée depuis fin 2015 lorsqu’il avait commencé à formuler différentes demandes auprès de sa hiérarchie, il sera cependant relevé que contrairement aux déclarations précitées, il résulte des « recommandations sur la structuration d’un service technique et logistique à la fondation », tant dans leur version de décembre 2013 que de février 2014, que celles-ci prévoyaient déjà, concernant l’utilisation des deux véhicules Kangoo, que lesdits « véhicules doivent être à la fondation le soir, le week-end et durant les périodes de vacances des agents (sauf astreinte), que toute exception devra faire l’objet d’une demande à la direction et que seules les amendes sur les places livraisons sont prises en charge par la fondation ». Il sera par ailleurs observé que lesdites règles, applicables aux différents salariés du service, n’ont cessé d’être rappelées à l’appelant ainsi que cela résulte des courriers et mails précités des 14 janvier 2016, 4 février 2016, 18 mai 2016, 26 août 2016, 15 mars 2017, 12 juin 2017, 22 mai 2018 et 20 juin 2018 outre l’avertissement du 7 avril 2016 et la mise à pied disciplinaire du 16 octobre 2017.

Il sera de surcroît relevé que, suite à une alerte de l’appelant auprès du CHSCT en date du 26 juin 2017, une enquête a été diligentée, ladite enquête ayant été menée par la directrice des ressources humaines et les membres du CHSCT avec audition des différents salariés concernés, la synthèse de l’enquête établie en octobre 2017 mentionnant que : «’Les propos des salariés recueillis lors des entretiens dans le cadre de l’enquête paritaire ne montrent pas, à notre avis, de faits de harcèlement, de traitement discriminatoire et de retrait d’avantage en nature. Néanmoins, l’ensemble des salariés du service technique (encadrant et collaborateurs) sont exposés à un climat conflictuel qui engendre des difficultés dans l’exercice de leur travail et qui, pour certains, génère une souffrance. […] En conclusion, nous recommandons l’intervention d’un médiateur externe, psychologue du travail, face à la situation conflictuelle installée dans le service et le dialogue bloqué ».

Il sera enfin observé, s’agissant des éléments médicaux produits par le salarié, que si la dégradation de son état de santé n’est pas contestable, les seuls certificats médicaux versés aux débats, qui se limitent manifestement à rapporter les propos et le ressenti de l’intéressé ainsi que ses différentes doléances, ne permettent pas suffisamment d’établir que cette dégradation serait effectivement la conséquence de ses conditions de travail.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, la cour retient que l’employeur établit que les agissements litigieux ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, le jugement devant en conséquence être confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de ses demandes afférentes à l’existence de faits de harcèlement moral.

Sur l’obligation de sécurité

L’appelant fait valoir que la société intimée a manqué à ses obligations en matière de respect des préconisations et restrictions émises par la médecine du travail (avis de la médecine du travail des 8 mars 2016 et 16 février 2017) concernant le port de charges lourdes et que malgré ses alertes, il a finalement été placé en arrêt de travail pour accident du travail à compter du 31 août 2017 après le port de charges trop lourdes dans le cadre de livraisons auprès des crèches de la structure. Il souligne que l’intimée a également manqué à ses obligations s’agissant de sa santé mentale, compte tenu de son état de souffrance au travail dont sa hiérarchie n’a pas tenu compte, aucun dialogue n’étant possible.

L’intimée réplique qu’elle s’est parfaitement conformée aux prescriptions du médecin du travail et que, suite à l’enquête du CHSCT préconisant le recours à un intervenant extérieur en la personne d’un psychologue du travail, elle a effectivement saisi le psychologue du travail au bénéfice des salariés du service technique qui n’ont cependant jamais émis le souhait de recourir effectivement à ses services, l’appelant ayant même indiqué lors du réunion du CSE que la mesure de médiation n’était plus utile.

Aux termes de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1 ;

2° Des actions d’information et de formation ;

3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.

Il résulte de l’article L. 4121-2 du même code que l’employeur met en oeuvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l’article L. 1142-2-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.

En application de ces dispositions, il est établi que ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L.4121-2 du code du travail.

S’agissant de la protection de la santé mentale de l’appelant, outre le fait que l’existence de faits de harcèlement moral n’a pas été retenue par la cour ainsi que cela résulte des développements précédents, il apparaît également que, contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges, l’intimée a effectivement accompli les diligences nécessaires concernant l’intervention d’une psychologue du travail au sein du service technique ainsi que cela résulte du mail du 19 février 2018 de Mme [S], membre du CHSCT (« Suite aux échanges que nous avons eu avec la psychologue du travail concernant une intervention au sein du service technique, cette dernière propose aux salariés du service technique des consultations individuelles et confidentielles à leur demande, via le médecin du travail »), l’appelant ayant en toute hypothèse lui-même indiqué, lors de la réunion du comité économique et social du 23 juillet 2019, que, s’agissant de la question de l’intervention d’un médiateur psychologue du travail auprès du service, « cette mesure de médiation n’était plus utile dans la mesure où Monsieur [P] quittait la fondation », aucun manquement de l’employeur à son obligation de sécurité ne pouvant dès lors être retenu de ces chefs.

S’agissant de la protection de la santé physique de l’appelant, alors qu’il ressort des fiches d’aptitude des 8 mars 2016 et 16 février 2017 que le salarié est apte avec restriction et qu’il peut effectuer des tâches de manutention en respectant une limite de l’ordre de 10/12 kg par charge unitaire, il résulte du certificat médical d’accident du travail du 31 août 2017, de l’ordonnance médicale du 25 septembre 2017 mentionnant une lombalgie aigue depuis 3 semaines suite aux ports de charges ainsi que du courriel de l’appelant du 6 septembre 2017 faisant état du fait que l’accident du travail du 31 août 2017 est la conséquence du port de charges trop lourdes lors d’une intervention au sein d’une crèche en méconnaissance des restrictions du médecin du travail, étant ainsi observé que, contrairement à ce qui a été retenu par les premiers juges, l’employeur ne démontre pas avoir respecté les préconisations et restrictions résultant des avis précités de la médecine du travail concernant le port de charges lourdes par son salarié.

Dès lors, la cour retient que l’employeur ne justifie pas avoir effectivement pris les différentes mesures nécessaires prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail pour assurer la sécurité du salarié et protéger sa santé physique.

Par conséquent, l’intimée ayant ainsi manqué à son obligation de sécurité, ledit manquement ayant causé au salarié un préjudice spécifique compte tenu des répercussions sur son état de santé, la cour lui accorde, par substitution de motifs et infirmation du jugement sur le quantum, la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Sur les autres demandes

En application de l’article 1231-7 du code civil, il y a lieu de rappeler que, s’agissant de créances indemnitaires, les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, l’employeur sera condamné à payer au salarié la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés non compris dans les dépens.

L’employeur, qui succombe, supportera les dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Se déclare valablement saisie par l’effet dévolutif de l’appel ;

Confirme le jugement en ce qu’il a débouté M. [H] de ses demandes de dommages-intérêts pour harcèlement moral et de rappel de salaire pour inégalité de traitement et en ce qu’il a débouté la Fondation Oeuvre de la Croix Saint-Simon de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

L’infirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la Fondation Oeuvre de la Croix Saint-Simon à payer à M. [H] les sommes suivantes :

– 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour discrimination,

– 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité ;

Rappelle que les condamnations de nature indemnitaire portent intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Condamne la Fondation Oeuvre de la Croix Saint-Simon à payer à M. [H] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute M. [H] du surplus de ses demandes ;

Condamne la Fondation Oeuvre de la Croix Saint-Simon aux dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER Monsieur Fabrice MORILLO

Conseiller pour le président empêché

 


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