Licenciement disciplinaire : 11 janvier 2023 Cour d’appel d’Amiens RG n° 22/00896

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Licenciement disciplinaire : 11 janvier 2023 Cour d’appel d’Amiens RG n° 22/00896

ARRET

G.I.E. TELAMIENS

C/

[O]

copie exécutoire

le 11/01/2023

à

Me DOUTRIAUX

Me CHIROLA

EG/IL/SF

COUR D’APPEL D’AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD’HOMALE

ARRET DU 11 JANVIER 2023

*************************************************************

N° RG 22/00896 – N° Portalis DBV4-V-B7G-ILQE

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE D’AMIENS DU 22 FEVRIER 2022 (référence dossier N° RG F20/00198)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

G.I.E. TELAMIENS

[Adresse 2]

[Adresse 3]

représentée, concluant et plaidant par Me Thierry DOUTRIAUX de la SELARL SOLUCIAL AVOCATS, avocat au barreau de LILLE, substitué par Me Alexis FLAMENT, avocat au barreau de LILLE

ET :

INTIME

Monsieur [G] [O]

né le 04 Novembre 1979 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 4]

comparant en personne,

concluant et plaidant par Me Fabien CHIROLA, avocat au barreau de LILLE

DEBATS :

A l’audience publique du 16 novembre 2022, devant Mme Eva GIUDICELLI, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus :

– Mme [D] [U] en son rapport,

– les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives.

Mme [D] [U] indique que l’arrêt sera prononcé le 11 janvier 2023 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme [D] [U] en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 11 janvier 2023, l’arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.

*

* *

DECISION :

M. [O], né le 4 novembre 1979, a été embauché initialement par le groupement d’intérêt économique Televes (l’employeur) le 18 juin 2018 par contrat à durée indéterminée, en qualité d’animateur force de vente N1 – superviseur.

Le 1er février 2020, le contrat de travail du salarié a été transféré au groupement d’intérêt économique Telamiens.

L’activité du groupement d’intérêt économique Telamiens est la vente de formation continue pour adulte.

Le contrat est régi par la convention collective nationale de l’enseignement privé à distance.

Le groupement d’intérêt économique emploie plus de 10 salariés.

M. [O] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 20 février 2020 avec mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier du 3 mars 2020, il a été licencié pour faute grave.

Contestant la légitimité de son licenciement, M. [O] a saisi le conseil de prud’hommes d’Amiens le 9 juin 2021.

Par jugement du 22 février 2022, le conseil a :

– dit et jugé que le licenciement de M. [O] était dénué de cause réelle et sérieuse et donc de toute faute grave ;

– condamné le groupement d’intérêt économique Telamiens à payer à M. [O] les sommes suivantes :

– 1 201,37 euros à titre d’indemnité légale de licenciement ;

– 8 238 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

– 823,80 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;

– 5 492 euros soit 2 mois de salaire à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– 3 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi distinctement de la rupture du contrat de travail ;

– 1 246,35 euros brut à titre de rappel de salaires sur mise à pied à titre conservatoire ;

– 124,63 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur rappel de salaires sur mise à pied conservatoire ;

– ordonné au groupement d’intérêt économique Telamiens de remettre à M. [O] les documents de rupture conformes à la décision (attestation Pôle Emploi, certificat de travail, solde de tout compte et bulletin de paie) et ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du 31ème jour de la notification du jugement ;

– condamné le groupement d’intérêt économique Telamiens à verser à M. [O] la somme de 2000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens ;

– débouté le groupement d’intérêt économique Telamiens de toutes ses plus amples demandes.

Par conclusions remises le 5 octobre 2022, le groupement d’intérêt économique Telamiens, régulièrement appelant de ce jugement, demande à la cour de :

– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes d’Amiens du 22 février 2022 en toutes ses dispositions ;

Statuant de nouveau,

– dire et juger que le licenciement est fondé sur une faute grave ;

– débouter M. [O] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

Reconventionnellement,

– condamner M. [O] à lui verser :

– 2 500 euros sur le fondement de l’article 32-1 du code de procédure civile ;

– 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner M. [O] aux entiers frais et dépens.

Par conclusions remises le 20 septembre 2022, M. [O] demande à la cour de :

– confirmer le jugement rendu le 22 février 2022 par le conseil de prud’hommes d’Amiens en toutes ses dispositions ;

– débouter le groupement d’intérêt économique Telamiens de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

Y ajoutant,

– condamner le groupement d’intérêt économique Telamiens à lui verser la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– mettre à la charge du groupement d’intérêt économique Telamiens les entiers frais et dépens de l’instance.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

EXPOSE DES MOTIFS

1/ Sur le bien fondé du licenciement pour faute grave

La lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l’employeur, qui fixe les limites du litige, lie les parties et le juge qui ne peut examiner d’autres griefs que ceux qu’elle énonce.

En l’espèce, la lettre de licenciement est motivée comme suit :

«Nous faisons suite à l’entretien qui s’est tenu le 20 janvier dernier, et auquel vous vous êtes présenté, assisté de Madame [C] [Y].

Après réflexion, nous vous notifions votre licenciement pour faute grave.

Les motifs de cette mesure sont les suivants :

Vous avez été embauché le 18 juin 2018 par le GIE TELEVES, en qualité d’Animateur force de vente N1 ‘ Superviseur.

Le 01 Février 2020 votre contrat a été transféré au sein de notre GIE TELAMIENS.

Nous avons constaté des faits fautifs dans l’exécution de votre mission.

Alors qu’en signant votre fiche de poste vous vous engagiez à encadrer votre équipe de Conseillers, et à veiller au respect des bonnes pratiques et des règles applicables dans le GIE, nous nous sommes aperçus que vous n’assumiez pas vos engagements.

En effet, nous avons constaté que vous transfériez des contrats vers un conseiller, afin de lui permettre de bénéficier de « primes palier » plus élevées.

A ce titre, Monsieur [P] [S] s’est vu transférer 4 contrats au cours de la dernière semaine du mois de janvier, faisant ainsi artificiellement passer sa prime de 30 € à 140 € brut par contrat.

Soit un montant global de la prime passant de 13*30€ = 390€ à 17*140€ = 1990 € brut.

Vérifications faites, les 4 candidats titulaires des contrats transférés n’ont jamais eu d’interlocuteur masculin au téléphone, et ne se sont entretenues qu’avec Madame [Z].

Monsieur [P] [S] n’a donc été auteur d’aucun travail ayant abouti à la conclusion de ces 4 contrats, qui lui ont pourtant été attribués entre le 27 et le 30 janvier 2020.

Dès lors que vous êtes le seul à avoir le pouvoir de solliciter un tel transfert d’un Conseiller à un autre auprès du service commercial, et que la confirmation des transferts vous a été adressée dans les 4 cas, nous constatons que vous avez manipulé les résultats des salariés.

Cette falsification aurait dû faire bénéficier Monsieur [P] de 1.600 € bruts indus pour le seul mois de janvier !

Cette manipulation des résultats de Monsieur [P] [S] s’est faite au détriment des intérêts du

GIE, afin de procurer un avantage indu à l’un des salariés.

Le système de « primes palier » est conçu pour récompenser les salariés de leur travail et de leur motivation. Il ne doit en aucun cas être instrumentalisé pour faire bénéficier un salarié d’un avantage individuel auquel il n’a pas droit, du fait de la non atteinte des paliers par le fruit de son travail personnel.

En tant que Superviseur, vous êtes le garant du respect de ces règles.

En aidant le salarié à falsifier ses résultats pour obtenir une prime supplémentaire, vous avez manqué à vos obligations contractuelles.

Lors de votre entretien préalable vous n’avez pas contester ce transfert de contrats, et avez simplement expliqué que cette pratique serait courante, et que vous aviez transféré des contrats de Madame [Z] à Monsieur [P] [S] afin d’assurer la continuité du traitement durant l’absence de celle-ci.

Or, Madame [Z] n’a été absente que le 28 janvier. Cela ne justifie donc pas que vous ayez transféré 4 contrats les 27, 28 et 30 janvier 2020.

Nous contestons en outre le fait que nous autorisions cette pratique de falsification des résultats.

Ces comportements sont constitutifs d’une faute grave.

En conséquence, la présente lettre marque la date de rupture de votre contrat de travail, qui interviendra sans préavis, ni indemnités.

La période de mise à pied conservatoire ne sera pas rémunérée, en raison de la faute grave qui est caractérisée.»

L’employeur critique le jugement entrepris en ce qu’il a constaté que M. [O] avait effectivement commis les faits qui lui étaient reprochés mais n’en n’a pas tiré les conséquences de droit alors que le salarié a agi déloyalement de façon préméditée et répétée en totale contradiction avec ses fonctions de superviseur chargé de respecter et de faire respecter les procédures, nonobstant l’absence de bénéfice personnel ou de préjudice.

Il soutient que la procédure interne connue de M. [O], qui découle nécessairement de la logique commerciale de l’entreprise et du système de primes applicable, ne permet la réattribution de coupons ou contrats provisoires par le service commercial, à la demande du superviseur, que dans des cas limitativement prévus, qui correspondent aux situations décrites dans les attestations produites par le salarié, mais pas aux faits qui lui sont reprochés constitutifs de man’uvres frauduleuses, l’existence de motifs de licenciement inavoués n’étant pas démontrée.

Il ajoute qu’en transférant 4 contrats provisoires retournés signés de Mme [Z] à M. [P], M. [O] a permis à ce dernier de passer un palier majorant sa prime alors que le nombre de contrats traités par Mme [Z], même en incluant ces 4 contrats, ne lui aurait de toute façon pas permis d’atteindre le premier palier de déclenchement de la prime.

M. [O] affirme que le transfert de coupons provisoires d’un télé-conseiller à un autre était une pratique usuelle au sein de l’entreprise permettant d’assurer la continuité du processus de validation des contrats en cas d’absence de tel ou tel télé-conseiller, et que les transferts en cause se sont faits à la demande de Mme [Z], qui avait décidé de quitter son emploi, et ont été validés par le service commercial, seul décisionnaire.

Il fait valoir que les contrats n’étant que provisoires au moment du transfert, un travail de suivi après signature restait à réaliser, l’élève disposant d’un délai de trois mois pour annuler le contrat, qu’aucune note de service ne réglementait la réattribution des coupons, et que la preuve de l’existence de liens d’amitié entre lui et M. [P] n’est pas rapportée, l’employeur cherchant avant tout à l’évincer en raison de positions insuffisamment pro-direction.

La faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. La mise en ‘uvre de la procédure de licenciement doit donc intervenir dans un délai restreint après que l’employeur a eu connaissance des faits fautifs allégués et dès lors qu’aucune vérification n’est nécessaire.

C’est à l’employeur qui invoque la faute grave et s’est situé sur le terrain disciplinaire de rapporter la preuve des faits allégués et de justifier qu’ils rendaient impossibles la poursuite du contrat de travail.

En l’espèce, M. [O] a été embauché le 18 juin 2018 en qualité d’animateur force de vente N1 ‘ superviseur.

Sa fiche de poste précise, notamment, qu’il doit maîtriser les procédures et les pratiques de travail internes, ainsi que veiller à ce que les procédures mises en place soient strictement respectées et appliquées.

Il ressort de la note de service 2019-14 qu’une prime est versée aux télé-conseillers qui atteignent un minimum de 10 contrats brut mensuels, définis comme les contrats définitifs du mois d’inscription, le montant de la prime augmentant par paliers.

Il est constant que M. [O] a demandé au service commercial les 27, 28 et 30 janvier 2020 de transférer des dossiers d’inscriptions suivis par Mme [Z] à M. [P], télé-conseillers exerçant en binôme sous sa surpervision.

Nonobstant la finalité de cette demande de réattribution que l’employeur ne fait que déduire des faits constatés alors que le salarié se défend de toute intention frauduleuse, il convient de relever que l’appelant ne justifie d’aucun document interne établissant la procédure à suivre en la matière au jour du licenciement.

Les attestations de Mmes [W] et [A], respectivement attachée de direction RH et responsable du service d’inscription, qui indiquent «il n’est pas pour habitude au sein de l’entreprise» et «il n’est pas d’usage», lorsqu’elles évoquent le transfert opéré à la demande de M. [O], illustrent l’absence de consignes claires à ce sujet au moment des faits.

Or, dans les attestations de Mmes [Y], [M], [K] et de M. [I], [H], [V], suffisamment précises et circonstanciées pour valoir force probante, ces salariés de l’entreprise mentionnent plusieurs numéros de dossier pour lesquels une réattribution a permis la perception d’une prime.

Si l’employeur démontre pour 11 dossiers sur 18 qu’il s’agissait d’un transfert de dossiers du fait de la résiliation des contrats de prestation avec le GIE Mondophone et la société Intelcia, situation différente de celle reprochée à M. [O], aucune explication n’est fournie pour 7 autres dossiers.

Au vu de ces éléments qui prouvent que la procédure de réattribution de dossiers n’était pas clairement définie au sein de l’entreprise, l’employeur ne peut se contenter de se référer à sa logique commerciale et à l’esprit du système de prime mis en place pour établir l’existence d’un comportement frauduleux constitutif d’une faute grave justifiant un licenciement disciplinaire.

Le jugement entrepris est donc confirmé de ce chef ainsi que des chefs non spécifiquement contestés concernant les conséquences pécuniaires du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

2/ Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

M. [O] étant accueilli en ses demandes, c’est à bon droit que les premiers juges ont rejeté la demande reconventionnelle de l’employeur de dommages et intérêts pour procédure abusive.

3/ Sur les demandes accessoires

L’employeur succombant totalement, il convient de confirmer le jugement entrepris sur les frais irrépétibles et dépens de première instance, et de mettre à sa charge les dépens d’appel.

L’équité commande de condamner l’employeur à payer au salarié la somme de 500 euros au titre des frais irrépétibles d’appel, et de le débouter de sa demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

confirme, dans ses dispositions soumises à la cour, le jugement du 22 février 2022,

y ajoutant,

condamne le GIE Telamiens à payer à M. [O] la somme de 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

condamne le GIE Telamiens aux dépens de la procédure d’appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.

 


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