Licenciement disciplinaire : 27 janvier 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 20/02353

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Licenciement disciplinaire : 27 janvier 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 20/02353

ARRÊT DU

27 Janvier 2023

N° 184/23

N° RG 20/02353 – N° Portalis DBVT-V-B7E-TKKO

LB/VDO

AJ

Jugement du

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LILLE

en date du

29 Septembre 2020

(RG 18/00309 -section 5)

GROSSE :

aux avocats

le 27 Janvier 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

– Prud’Hommes-

APPELANT :

M. [U] [Z]

[Adresse 2]

représenté par Me Anne DURIEZ, avocat au barreau de LILLE

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/009111 du 24/11/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de DOUAI)

INTIMÉE :

S.A. [E]

[Adresse 1]

représentée par Me Jean-Pierre VANDAMME, avocat au barreau de LILLE substitué par Me Frédérique VANDAMME, avocat au barreau de LILLE

DÉBATS : à l’audience publique du 1er Décembre 2022

Tenue par Laure BERNARD

magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Nadine BERLY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Pierre NOUBEL

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Virginie CLAVERT

: CONSEILLER

Laure BERNARD

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 27 Janvier 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Pierre NOUBEL, Président et par Annie LESIEUR, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 24 novembre 2022

EXPOSE DU LITIGE

La société [E] exerce une activité de travaux de maçonnerie générale et gros ‘uvre de bâtiment’; elle est soumise à la convention collective des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment occupant plus de 10 salariés.

M. [U] [Z] a été engagé par contrat de travail à durée indéterminée du 1er septembre 2003 en qualité de maçon carreleur, coefficient 185, niveau 2 OP, après avoir effectué diverses missions d’interim à compter de 1998.

M. [U] [Z] a été convoqué à un entretien préalable fixé le 1er mars 2016, repoussé au 16 mars 2016′; il a été licencié par courrier du 21’mars’2017 rédigé en ces termes’:

«’ Le jeudi 23 février, vous avez menacé Mr [M] [S], conducteur de travaux en lui disant, je vous cite «’je vais te régler ton compte quand tu feras plus partie de la société’» A noter que M. [M], conducteur de travaux, est votre supérieur hiérarchique et sera en retraite à compter du mois de septembre 2017. Cette altercation fait suite à une série de petits incidents, refus de votre part de dite bonjour, ne pas écouter les remarques qu’il peut formuler…

Suite à ces propos que nous ne pouvons admettre, nous vous avons convoqué le 16 mars 2017 à un entretien pour sanction disciplinaire.

Le mercredi 08 mars vous avez quitté le chantier dans la matinée car vous avez fait un malaise sans en avertir qui que ce soit au niveau de l’encadrement, vous avez appelé votre neveu qui est venu vous chercher, nous avons appris plus tard votre départ et avons reçu un arrêt maladie.

Vous conviendrez que cette deuxième faute nous pose un problème de sécurité, comment justifier que pendant vos heures de travail vous décidiez subitement de quitter le chantier avec une personne étrangère à la société et sans avertir aucun de vos supérieurs.

Votre collègue nous a rapporté après votre départ que vous aviez fait plusieurs malaises, et que vous avez refusé qu’il appelle les secours, vous avez également refusé de prévenir la direction car vous ne vouliez plus nous voir. Votre collègue nous a informé de votre départ car il était seul sur le chantier avec la camionnette et n’a pas de permis de conduire.

Étant donné que votre comportement et vos agissements nous posent de nouveau problème et étant donné que plusieurs avertissements vous ont déjà été adressés à savoir’:

– 22 juin 2012 propos injurieux envers moi-même,

– 27 juin 2014 propos injurieux envers moi-même et Mr [M],

– 08 octobre 2015 absence injustifiée sans motivation ni justificatif,

– 28 janvier 2016 non-respect des horaires.

Nous considérons que ces faits constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement.’»

Le 19’mars’2018, M. [U] [Z] a saisi le conseil de prud’hommes de Lille aux fins de contester son licenciement, d’obtenir la condamnation de son employeur à lui payer les indemnités afférentes ainsi que des dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité et exécution déloyale du contrat de travail.

Par jugement rendu le 29’septembre’2020, la juridiction prud’homale a’:

– dit le licenciement de M. [U] [Z] fondé sur une cause réelle et sérieuse,

– débouté M. [U] [Z] de l’ensemble de ses demandes,

– condamné M. [U] [Z] aux entiers dépens.

M. [U] [Z] a régulièrement interjeté appel contre ce jugement par déclaration du 8 décembre 2020.

Aux termes de ses conclusions transmises par RPVA le 7 novembre 2022, M. [U] [Z] demande à la cour de’:

– infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

– déclarer ses demandes recevables,

– dire son licenciement abusif,

– condamner la société [E] à lui payer les sommes suivantes’:

– 10’000’euros nets à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi pendant le temps contractuel du fait du manquement à l’obligation de sécurité de résultat,

– 10’000’euros au titre de la non-fourniture des éléments de protection individuelle,

– 10’000’euros nets à titre de dommages et intérêts pour le préjudice d’anxiété en suite de l’exposition à l’amiante,

– 5’000’euros nets à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi pendant le temps contractuel du fait de l’exécution déloyale du contrat de travail,

– 30’000’euros nets à titre des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture abusive de son contrat,

– 2’500’euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonner le remboursement par la société [E] des indemnités chômage qui lui ont été versées dans la limite de 6 mois d’indemnités conformément à l’article L.1235-4 du code du travail,

– condamner la société [E] en tous les frais et dépens avec droit de recouvrement au profit de Maître Anne DURIEZ conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses conclusions transmises par RPVA le 17 novembre 2022, la société [E] demande à la cour de’:

– juger l’appel de Monsieur [U] [Z] irrecevable au titre des demandes nouvelles, irrégulier et infondé,

– débouter Monsieur [Z] [U] de l’ensemble de ses demandes,

– juger le licenciement de Monsieur [Z] [U] fondé sur une cause réelle et sérieuse,

– débouter Monsieur [Z] [U] de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture abusive de son contrat de travail, à tout le moins réduire le quantum de ses indemnités à la somme de 9’803,93’euros correspondant à six mois de salaire,

– débouter Monsieur [U] [Z] de ses autres demandes,

– condamner Monsieur [U] [Z] à lui payer 3’000’euros au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner M. [U] [Z] aux entiers frais et dépens.

Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites transmises par RPVA en application de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 24’novembre’2022.

MOTIFS DE LA DECISION

– Sur les demandes relatives à l’exécution du contrat de travail

– Sur les demandes de dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité

M. [U] [Z] reproche à son employeur d’avoir manqué à son obligation de sécurité en imposant à ses ouvriers des conditions de travail difficiles (travail pendant les fortes chaleurs, pas d’espace réfrigéré pour les boissons fraîches l’été, pas d’équipement contre le froid l’hiver, pas de toilettes sur les chantiers et pas d’endroit pour se restaurer avec un plat chaud) ; en ne prenant pas toutes les mesures pour le protéger contre l’exposition à l’amiante (formation tardive et pas de fourniture d’équipement de protection individuelle) et de l’avoir exposé à des fumées toxiques en brûlant à proximité des véhicules de l’entreprise les déchets de la société.

La société [E] conteste tout manquement à son obligation de sécurité ; elle fait valoir que les revendications relayées par les délégués du personnel concernant leurs conditions de travail ( espace réfrigéré pour les boissons fraîches l’été, équipement contre le froid l’hiver, toilettes sur les chantiers…) l’ont été postérieurement au départ de M. [U] [Z] de l’entreprise ; que celui-ci, qui n’a été affecté qu’à trois chantiers où de l’amiante était manipulée, et uniquement à compter de 2009, n’a pas été exposé au risque d’inhalation de poussières d’amiante, sachant qu’il disposait de tous les équipements de protection individuelle requis et qu’il avait suivi une formation en 2008 ; que s’il est vrai que des feux de déchets étaient allumés sur le site de la société, ceux-ci avaient lieu le matin et en fond de parcelle de sorte qu’aucun salarié n’était incommodé.

Sur ce,

Aux termes de l’article L. 4121-1 l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1 ;

2° Des actions d’information et de formation ;

3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.

En l’espèce, concernant l’amiante, M. [U] [Z] invoque une exposition dès son engagement par la société en 2003, ce que celle-ci conteste, faisant état de seulement trois chantiers sur lesquels est intervenu ce salarié, à compter de 2009, pour déposer de l’amiante non friable ([Adresse 6] à [Localité 4], [Adresse 5] à [Localité 3] et [Adresse 7] à [Localité 8] Sud) ; or, M. [U] [Z] apporte pour seul élément destiné à démontrer son exposition avant 2009 un compte-rendu de rendez-vous avec l’infirmière du travail le 10 janvier 2017 dans lequel il affirme avoir été exposé à l’amiante sans équipement de protection individuelle entre 2003 et 2007, puis avec équipements de protection individuelle après 2007, éléments qui ne reposent que sur ses seules affirmations ; il ne donne notamment dans la présente procédure aucun exemple de chantiers sur lesquels il aurait manipulé de l’amiante avant 2009, et ne produit que deux bulletins de paie, postérieurs à 2009, sur lesquels figurent une prime amiante. Dans ces conditions, il ne saurait être retenu qu’il a effectivement été affecté à ce type de chantier avant 2009.

Or, il doit être observé que pour les trois chantiers concernés par la manipulation de l’amiante, la société [E] a procédé à toutes les déclarations nécessaires auprès de l’inspection du travail, que M. [U] [Z] a suivi une formation dédiée en septembre 2008, qu’il a fait l’objet d’une visite auprès du médecin du travail pour s’assurer de la compatibilité de cette affectation sur ces chantiers avec son état de santé, et qu’il était était muni d’équipement de protection individuelle (au vu de ses propres déclarations auprès de l’infirmière du travail).

Ainsi, aucun manquement n’est caractérisé à l’encontre de l’employeur concernant l’exposition de M. [U] [Z] à l’amiante, et c’est donc à juste titre que le conseil de prud’hommes l’a débouté de sa demande d’indemnisation pour préjudice d’anxiété.

S’agissant des reproches formulés quant aux conditions de travail difficiles au sein de l’entreprise, ceux-ci sont en partie corroborés par les revendications exprimées par les délégués du personnel lors de réunions après le licenciement de M. [U] [Z] (sollicitant notamment la mise à disposition de boissons fraîches pour l’été, de vêtements chauds pour l’hiver) et par un courrier du syndicat CGT à l’employeur daté du 7 novembre 2016 concernant l’absence de toilettes sur un chantier de trois jours. Cependant, ces manquements de l’employeur, auxquels il s’est engagé à remédier, ne s’analysent pas en un manquement à son obligation de sécurité.

Concernant la mise à disposition des équipements de protection individuelle, la société [E] produit des factures de 2009 à 2017 d’achat de gants, masques, chaussures, combinaisons de protection, sachant qu’aucun grief n’a jamais été formulé par les salariés ou leur représentant sur ce sujet. Il n’est donc caractérisé aucun manquement de l’employeur sur ce point.

S’agissant enfin des feux sauvages de déchets auxquels l’employeur reconnaît avoir procédé sur sa parcelle, il est démontré par les photographies produites aux débats que ceux-ci avaient lieu à proximité des véhicules de la société, exposant les salariés aux émanations toxiques qui s’insinuaient nécessairement dans les véhicules, ce qui constitue un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.M. [U] [Z] n’établit toutefois pas qu’il en est résulté pour lui un préjudice (aucun problème respiratoire).

Ainsi, c’est à bon droit que le jugement de première instance l’a débouté de sa demande d’indemnisation pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et pour non-fourniture des équipements de protection individuelle.

– Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

M. [U] [Z] reproche à son employeur d’avoir exécuté le contrat de travail de façon déloyale en lui imposant un traitement différent de celui des autres salariés, sans justification, en particulier en lui imposant certaines tâches, en refusant de lui accorder cinq semaines de congés d’été en 2016, en ne lui octroyant pas d’augmentation de salaire autre que celles des minima conventionnels, en opérant des retraits injustifiés de sommes sur sa paie, et en se livrant à un acharnement disciplinaire qui a généré pour lui un état de stress et d’angoisse compte-tenu de l’incertitude sur sa situation professionnelle.

La société [E] en réponse conteste tout manquement à son obligation de loyauté dans l’exécution de son contrat. Elle expose que M. [U] [Z] ne démontre pas quelles tâches lui étaient indument assignées ; que s’il est vrai qu’il s’est vu refuser en 2016 sa cinquième semaine de congé en été, c’est en raison de l’activité de la société ; que les déductions de sommes sur son salaire ont toujours été justifiées (absence, non respect des horaires), étant observé que M. [U] [Z] n’en réclame pas le remboursement ; qu’il n’existe aucun acharnement disciplinaire, l’envoi de deux lettres de convocation à entretien préalable successives en mars 2016, s’expliquant par le souci d’assurer la régularité de la procédure de licenciement (respect du délai légal de 5 jours) ; qu’en outre cette procédure était fondée.

Sur ce,

En application de l’article 1134 du code civil devenu 1103 du code civil, les conventions doivent s’exécuter de bonne foi.

En premier lieu, M. [U] [Z] n’apporte aucun élément pour démontrer qu’il lui était assigné des tâches indues ou plus dures que celles confiées aux autres ouvriers.

Concernant le refus de sa cinquième semaine de congé en été, l’appelant n’établit pas que ses autres collègues ( et notamment ceux d’origine étrangère souhaitant, comme, lui, se rendre dans leur pays d’origine) aient bénéficié d’un traitement différent, l’employeur conservant la possibilité d’accorder ou non des congés selon l’activité de la société.

L’absence d’augmentation de salaire autre que celles imposées par la convention collective ne saurait dans le cas présent s’analyser en un manquement de l’employeur à son obligation de loyauté, aucun élément ne permettant de retenir que les autres salariés de même qualification et de même ancienneté que M. [U] [Z] bénéficiaient de telles augmentations.

Concernant les retenues d’argent sur salaire, elles sont mentionnées sur les fiches de paie comme étant toutes motivées par des absences ou des retards de M. [U] [Z].

Les pièces versées aux débats établissent que les relations contractuelles étaient souvent tendues, l’employeur faisant une stricte application notamment des horaires de travail et de pause, ce qui pouvait donner lieu à des retenues sur salaire ; que ceci a notamment donné lieu à l’intervention du syndicat CGT par courrier du 7 novembre 2016 sans toutefois que la réalité du quart d’heure de travail manquant et ayant fait l’objet d’une retenue ne soit contesté.

Si ce comportement de l’employeur pouvait être vécu par M. [U] [Z] comme trop strict ou injuste, il n’est pas démontré que celui-ci s’appliquait à sa seule personne ou celle de son ami et collègue (M. [O]) et que le traitement réservé aux autres ouvriers concernant les horaires, retards ou absences était plus souple.

Enfin, concernant l’acharnement disciplinaire dont M. [U] [Z] estime avoir fait l’objet, il doit être relevé qu’il a fait l’objet de quatre procédures disciplinaires (en 2012, 2014, 2015 et 2016) avant la procédure de licenciement (seul l’avertissement de 2014 ayant été contesté), et que la relation contractuelle a duré plus de 13 ans. Ceci ne saurait caractériser un acharnement disciplinaire contre ce salarié.

Il résulte de ces éléments qu’il ne peut être considéré que la société [E], qui n’a fait qu’user, sans abus, de ses prérogatives tirées du lien de subordination qui existait entre les parties, a manqué à son obligation d’exécuter loyalement le contrat de travail.

Le jugement de première instance sera donc confirmé en ce qu’il a débouté M. [U] [Z] de sa demande d’indemnisation pour exécution déloyale du contrat de travail par son employeur.

– Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail

– Sur le bien-fondé du licenciement

M. [U] [Z] conteste le bien fondé de son licenciement ; il soutient qu’il n’a jamais tenu de propos injurieux et menaçants à l’encontre de son supérieur, M. [M], le 23 février 2017, et que le seul élément apporté par l’employeur pour établir cette faute est une attestation émanant de ce dernier, qui est dépourvue de force probante au regard de l’inimitié notoire existante entre lui et le conducteur de travaux qui tenait ouvertement des propos racistes à son encontre ; qu’il s’est toujours montré respectueux dans le cadre de son travail ayant contesté la réalité des faits en suite desquels son employeur lui a notifié un avertissement en 2014 ; que concernant son départ du chantier au cours de sa journée de travail le 8 mars 2017, celui-ci s’explique par le fait qu’il a été victime d’un malaise rendant impossible la poursuite de son travail ; qu’il a d’ailleurs été placé en arrêt de travail à compter de ce jour-là.

La société [E] en réponse fait valoir que les accusations de racisme à l’encontre de M. [M] sont infondées, et non démontrées, étant observé que les alertes des délégués du personnel à ce sujet sont postérieures au licenciement de M. [U] [Z] ; que l’attestation de M. [B] produite par l’appelant est un faux, la soeur de ce salarié attestant qu’il ne sait ni lire ni écrire, qu’il a le statut de travailleur handicapé, et qu’il a indiqué ne pas avoir rédigé ce document ; que l’attestation de M. [M] décrivant les injures et menaces dont il a été l’objet le 23 février 2017 de la part de M. [U] [Z] est parfaitement probante et n’est pas contredite par le témoin des faits, M. [O] ; que le départ de M. [U] [Z] du chantier le 8 mars 2017 est fautif en ce qu’il aurait du prévenir les secours pour respecter les règles de sécurité et informer ses supérieurs de ce départ.

Sur ce,

Aux termes de l’article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel est motivé dans les conditions définies par le présent chapitre.

Il est justifié par une cause réelle et sérieuse.

Pour que le licenciement disciplinaire soit justifié, l’existence d’une faute avérée et imputable au salarié doit être caractérisée.

Conformément à l’article 1235-1 du code du travail, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles et si un doute subsiste, il profite au salarié.

La charge de la preuve du caractère réel et sérieux du motif n’incombe pas spécialement à l’une ou à l’autre des parties.

La sanction doit être proportionnée à la faute et tenir compte du contexte dans lequel les faits ont été commis, de l’ancienneté du salarié et des conséquences des agissements incriminés.

En l’espèce, M. [U] [Z], qui exerçait en qualité de maçon au sein de la société [E] depuis 2003 a été licencié le 21 mars 2017.

La lettre de licenciement mentionne deux fautes ayant motivé le licenciement :

– une insubordination à l’égard de M. [M] le 23 février 2017, avec propos menaçants prononcés à son encontre,

– un abandon de chantier le 8 mars 2017.

Concernant le second grief, il est établi par l’attestation de M. [O], collègue de M. [U] [Z] qui travaillait sur le même chantier que lui le 8 mars 2017 et par les pièces médicales produites que M. [U] [Z] a fait l’objet d’un malaise ce jour-là et qu’il a été contraint de rentrer chez lui, ramené par un membre de sa famille ; qu’il a été placé en arrêt de travail le jour-même. Il ne peut lui être valablement reproché de ne pas avoir informé lui-même ses supérieurs, qui ont été prévenus par M. [O], et sans qu’il soit démontré que cette information ait été tardive. Il ne peut davantage être fait grief à l’appelant d’avoir sollicité un membre de sa famille pour le véhiculer plutôt que les secours. Le comportement de M. [U] [Z] le 8 mars 2017, qui ne constituait pas un fait fautif, ne pouvait donc servir de motif à son licenciement.

S’agissant des faits du 23 février 2017, si M. [U] [Z] en conteste la matérialité, l’employeur produit une attestation précise et circonstanciée de M. [M] qui indique que ce jour-là M. [U] [Z] s’est emporté contre lui et l’a menacé de ‘lui régler son compte’. S’il existait une inimitié entre ce dernier et son supérieur, ce seul élément ne prive pas cette attestation de force probante, étant observé que l’autre témoin direct des faits, M. [O], ami de M. [U] [Z], n’atteste aucunement que l’altercation n’a pas eu lieu dans les circonstances décrites par M. [M]. La matérialité des faits reprochés à M. [U] [Z] le 23 février 2017 est donc établie.

Cependant, M. [U] [Z], de nationalité algérienne, met en avant un contexte de relations très dégradées avec son supérieur direct (M. [M]) en lien avec des réflexions à caractère raciste exprimées par ce dernier.

A cet égard, l’appelant verse aux débats une attestation de M. [O], qui relate qu’il existait des disputes entre M. [U] [Z] et son conducteur de travaux au sujet du racisme, que ce dernier l’avait par exemple interrogé sur le fait de savoir si [U] qui avait placé une bombe dans la camionnette, et que face aux plaintes de M. [U] [Z] auprès de M. [E], son patron, ce dernier avait minimisé les faits en répliquant que lui aussi était étranger car il était belge.

Il est également produit une attestation de M.[B], un autre collègue , qui fait état de disputes au sujet du racisme entre M. [U] [Z] et M. [M] ainsi qu’une alerte des délégués du personnel (dont fait partie M. [O]) sur la question du racisme récurrent de M. [M] à l’égard des ouvriers, postérieure au licenciement de M. [U] [Z].

Enfin, la lecture du dossier médical de ce dernier révèle qu’il s’était plaint auprès de l’infirmière du travail lors d’un rendez-vous le 10 janvier 2017 de la très mauvaise entente avec son conducteur de travaux, M. [M], qu’il présentait comme étant raciste, cette relation dégradée ayant des effets sur son état de santé, et provoquant une volonté d’agressivité à l’encontre de son supérieur ; qu’il a en outre fait l’objet d’un suivi psychologique à compter du mois de mars 2017 pour un syndrome anxio-dépressif lié à un conflit professionnel.

La société [E] met en cause la véracité des faits relatés dans l’attestation de M. [B] qui ne sait ni lire ni écrire (attestation de sa soeur en ce sens) et qui est atteint de handicap ; s’il est certain que ce salarié ne peut être le rédacteur de cette attestation, il doit être relevé qu’il n’est fait état d’aucune cause d’incapacité et que ses propos peuvent avoir été valablement retranscrits par un tiers. S’il est regrettable que ce fait ne soit pas mentionné dans ladite attestation, celle-ci, qui est confortée par d’autres éléments du dossier, ne saurait être considérée comme dépourvue de toute force probante.

Ainsi, si plusieurs collègues employés au sein de la société [E] (anciens ou actuels salariés) attestent n’avoir jamais personnellement constaté de propos racistes au sein de la société [E], ces attestations ne sont pas suffisantes pour démentir les pièces apportées par M. [U] [Z] qui établissent bien l’existence d’une relation dégradée entre M. [U] [Z] et son supérieur direct en lien notamment avec des réflexions à caractère raciste dont il avait été l’objet.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, si les propos tenus par M. [U] [Z] à l’égard de son supérieur direct justifiaient la mise en oeuvre d’une sanction, compte tenu de l’ancienneté de ce salarié dans la société et du contexte dans lequel ce comportement est intervenu, une mesure de licenciement constituait une sanction disproportionnée aux faits commis, en dépit de son passé disciplinaire pour insubordination, lequel était très ancien.

En conséquence, le jugement de première instance sera infirmé en ce qu’il a dit que le licenciement de M. [U] [Z] était fondé sur une cause réelle et sérieuse.

– Sur les conséquences du licenciement

* L’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse

En application de l’article L. 1235-3 dans sa rédaction applicable au présent litige, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, en l’absence de réintégration, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l’employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice, le cas échéant, de l’indemnité de licenciement prévue à l’article L. 1234-9.

En l’espèce, les parties s’opposent sur le montant de la rémunération brute à retenir M. [U] [Z] invoquant une rémunération brute moyenne de 1 895,54 euros par mois et la société [E] affirmant qu’il faut retenir une rémunération brute de 1 633,98 à 1 848,09 euros par mois.

Au regard des fiches de paie produites, il y a lieu de retenir une rémunération brute de 1 785 euros par mois.

M. [U] [Z], licencié à l’âge de 50 ans, justifie avoir rencontré des problèmes de santé à compter du mois de mars 2017 (syndrome anxio-dépressif ); il est toujours actuellement sans emploi. Compte tenu de ces éléments et de l’ancienneté du salarié dans l’entreprise ( plus de 13 ans), l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sera fixée à 16 000 euros.

Le jugement de première instance sera infirmé en ce sens.

* Le remboursement des indemnités Pôle Emploi

M. [U] [Z] sollicite la condamnation de la société [E] à rembourser les indemnités versées à Pôle Emploi. La société [E] soulève l’irrecevabilité de cette demande en application de l’article 564 du code de procédure civile.

Sur ce ,

Aux termes de l’article 564 du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

L’article 566 du code de procédure civile dispose que les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

Aux termes de l’article L. 1235-4 dans sa rédaction applicable au présent litige, dans les cas prévus aux articles L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé.

Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

En l’espèce, la demande de M. [U] [Z], qui est la conséquence de sa demande tendant à voir reconnaître le caractère infondé du licenciement, est recevable, et cette condamnation doit être prononcée d’office par la cour en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La société [E] sera donc condamnée à rembourser à Pôle Emploi les indemnités qu’il versées à M. [U] [Z] pendant les six premiers mois suivant son licenciement.

Sur les dépens et l’indemnité de procédure

Les dispositions de première instance seront infirmées concernant le sort des dépens.

La société [E] qui succombe à l’instance au sens de l’article 696 du code de procédure civile sera condamnée aux dépens avec distraction au profit de Maître Anne Duriez, ainsi qu’à payer à M. [U] [Z] la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement rendu le 29 septembre 2020 par le conseil de prud’hommes de Lille sauf en ce qu’il a dit le licenciement de M. [U] [Z] justifié, l’a débouté de sa demande d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse et l’a condamné aux dépens.

Statuant à nouveau,

DIT que le licenciement de M. [U] [Z] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la SA [E] à payer à M. [U] [Z] la somme de 16 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la SA [E] à rembourser à Pôle Emploi les indemnités qu’il versées à M. [U] [Z] pendant les six premiers mois suivant son licenciement ;

CONDAMNE la SA [E] aux dépens avec distraction au profit de Maître Anne Duriez ;

CONDAMNE la SA [E] à payer à M. [U] [Z] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER

Annie LESIEUR

LE PRESIDENT

Pierre NOUBEL

 


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