Licenciement disciplinaire : 2 mars 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/00256

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Licenciement disciplinaire : 2 mars 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/00256

N° RG 21/00256 – N° Portalis DBV2-V-B7F-IVCJ

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 02 MARS 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE LOUVIERS du 16 Décembre 2020

APPELANTE :

Me ZOLOTARENKO Maud (SCP MANDATEAM) – Mandataire liquidateur de la SOCIETE METALLURGIQUE DU VEXIN

[Adresse 3]

[Adresse 3]

représenté par Me Arnaud MABILLE de la SELAS DELOITTE SOCIETE D’AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Elise LAURENT, avocat au barreau de ROUEN

INTIMES :

Monsieur [W] [K]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté par Me Stéphane CAMPANARO de la SELARL CAMPANARO OHANIAN, avocat au barreau de l’EURE

Association UNEDIC DÉLÉGATION AGS CGEA DE [Localité 4]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Thierry BRULARD de la SCP BRULARD – LAFONT – DESROLLES, avocat au barreau de l’EURE

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 18 Janvier 2023 sans opposition des parties devant Madame BIDEAULT, Présidente, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame BIDEAULT, Présidente

Madame POUGET, Conseillère

Madame DE BRIER, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

M. GUYOT, Greffier

DEBATS :

A l’audience publique du 18 Janvier 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 02 Mars 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 02 Mars 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

La société Métallurgique du Vexin (la société) avait pour activité principale la fabrication de chauffe-eau et ballons de stockage d’eau chaude sanitaire. Elle employait plus de 30 salariés et appliquait la convention collective nationale de la métallurgie.

M. [W] [K] (le salarié) a été embauché par la société, détenue par son père, M. [Y] [K], en qualité d’adjoint de direction, statut cadre niveau III, aux termes d’un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 15 février 2007.

A compter du 1er janvier 2011, il a été promu directeur général, statut cadre niveau III B, sa rémunération brut mensuelle étant portée à 5 900 euros.

Le 27 juin 2018, la société et le salarié ont décidé d’un commun accord de régulariser une convention de rupture conventionnelle visant à mettre un terme au contrat de travail de M. [K].

Les parties ont convenu à cette occasion du règlement d’une somme de 35 671,07 euros à titre d’indemnité de rupture conventionnelle.

Le 12 juillet 2018, M. [Y] [K], père du salarié, a cédé l’intégralité des action de la société Métallurgique du Vexin à la société Ridel Energy.

Le 4 août 2018, le contrat de travail de M. [W] [K] a pris fin.

La société Métallurgique du Vexin et M. [W] [K] ont formalisé un nouveau contrat de travail à durée indéterminée le 12 juillet 2018, à effet au 3 septembre 2018, M. [K] étant embauché en qualité de directeur commercial, statut cadre, position III pour une rémunération brut mensuelle de 7 000 euros. Le contrat de travail précisait en son préambule ‘dans le cadre des négociations relatives à la cession de la totalité des titres de la société Métallurgique du Vexin intervenue le 12 juillet 2018, il a été convenu de négocier les termes d’un nouveau contrat de travail à conclure entre la société et M. [W] [K].’

M. [K] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 11 avril 2019 par lettre du 27 mars précédent, mis à pied à titre conservatoire puis licencié pour faute grave par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 16 avril 2019 motivée comme suit :

‘Nous faisons suite à l’entretien préalable à votre éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement pour faute grave, qui s’est tenu le jeudi 11 avril 2019 à 11 heures, en présence de Monsieur [P] [N], président de la société Ridel Energy, elle-même présidente de la Sasu Société Métallurgique du Vexin, assisté de Monsieur [L] [F], directeur d’usine, et au cours duquel vous vous êtes présenté accompagné de Monsieur [M] [D], délégué du personnel.

Lors de cet entretien, nous vous avons exposé les motifs justifiant la mise en oeuvre de cette procédure disciplinaire et avons recueilli vos explications. Toutefois, ces dernières ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation de la situation.

Dès lors, nous sommes contraints de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave, cette décision reposant sur les motifs que nous vous avons verbalement exposés lors de votre entretien préalable et que nous vous rappelons ci-après :

Vous avez été engagé par la société Métallurgique du Vexin en qualité d’adjoint de direction dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée en date du 15 février 2007. Par avenant en date du 31 décembre 2010, vous avez été promu, à compter du 1er janvier 2011, en qualité de directeur général.

Sept ans plus tard, vous avez sollicité une rupture conventionnelle de votre contrat de travail ayant pris effet le 4 août 2018.

Dans le cadre des négociations relatives à la cession de la totalité des titres de la société Métallurgique du Vexin, intervenue le 12 juillet 2018, il a été convenu de négocier les termes d’un nouveau contrat de travail à conclure entre ladite société et vous-même.

Vous avez alors été embauché le 3 septembre 2018 par la société Métallurgique du Vexin en qualité de directeur commercial, statut cadre, position III, repère III A.

Dans ce cadre, il vous appartenait de conduire la politique commerciale avec pour objectif principal de développer la société. Vous aviez notamment pour mission de:

– Participer à la définition de la politique commerciale de la société, à partir de la stratégie de la société ;

– Fixer les objectifs et axes prioritaires commerciaux ;

– Promouvoir l’image et la notoriété de la société ;

– Participer à la négociation des contrats des comptes stratégiques ;

– Reporter régulièrement au représentant légal de l’employeur ;

– Assurer l’interface avec les autres services de la société.

Par courriel en date du 31 janvier 2019, le cabinet d’avocats CJCH Sollicitors, en sa qualité de conseil de la société Dassault Systèmes Solidworks Corporation, prenait attache avec l’actuel directeur de l’usine, Monsieur [L] [F].

La société Métallurgique du Vexin était alors accusée de contrefaçon des droits de la société Dassault Systèmes SolidWorks Corporation, sur le logiciel ‘SolidWorks’, pour avoir utilisé ce logiciel sans avoir acquis auprès des services commerciaux de la société disposant des droits d’auteur sur ce logiciel, ou d’un des revendeurs agréés, les autorisation ou licences nécessaires.

Le cabinet d’avocats CJCH Sollicitors nous rappelait à cette occasion que de tels actes exposent leur auteur à des poursuites civiles ou pénales, étant rappelé que la contrefaçon de logiciels est passible, aux termes des articles L 335-2 et L 335-3 du code de la propriété intellectuelle de 3 ans d’emprisonnement et d’une amende de 300 000 euros ( 1 500 000 euros pour les personnes morales) outre la réparation du préjudice causé du fait de ces agissements.

Lors de la réception de ce courriel, [L] [F] et moi-même avons été particulièrement surpris et choqués de la gravité de la situation et des risques de poursuites pénales pour contrefaçon dont nous ignorions tout.

Nous vous avons immédiatement sollicité, tant en votre qualité d’ancien directeur général que d’actuel directeur commercial ( cadre, position III B, indice 180) au sein de la société Métallurgique du Vexin, afin d’en savoir davantage sur cette question.

A notre plus grande surprise, vous nous avez indiqué par courriel en date du 1er février 2019, que vous aviez retrouvé un échange d’emails datant de mars 2018, avec la société Avenso, concernant le logiciel ‘SolidWorks’.

Vous nous avez avoir précisé: ‘Je me souviens d’une communication téléphonique de fin 2017, ou début (2018) avec ‘un’ cabinet anglais ou américain de recouvrement qui m’avait dirigé vers Avenso pour régulariser la licence’.

L’ingénieur commercial avec lequel vous étiez alors en contact indiquait pour sa part, en mars 2018: ‘J’ai bien pris note de votre volonté de trouver une issue favorable à ce dossier en passant par une régularisation de la situation.’

Il résulte de ce qui précède que vous avez commis un agissement fautif grave et continu depuis de longs mois, tant en votre qualité de directeur général, antérieurement au 12 juillet 2018, qu’en votre qualité de directeur commercial ( cadre, position III B, indice 180) à compter du 3 septembre 2018.

Vous vous êtes en effet rendu coupable de dissimulation du délit de contrefaçon du logiciel ‘SolidWorks’ en totale violation des dispositions du code de la propriété intellectuelle, en laissant certains salariés de la société Métallurgique du Vexin ‘cracker’, télécharger et utiliser le logiciel ‘Solidworks’ sans licence, et de manière continue, de vos propres aveux depuis au moins la fin de l’année 2017. Vous avez d’ailleurs reconnu avoir connaissance de la situation, n’avoir jamais agi pour régulariser la situation, et ce malgré la notification de la contrefaçon qui vous avait d’ores et déjà été adressée par cabinet anglo-saxon en mars 2018. Nous ne pouvons tolérer de tels agissements fautifs d’une particulière gravité.

La société Métallurgique du Vexin est en effet particulièrement soucieuse de respecter les règles légales en vigueur en matière de propriété intellectuelle et est également très soucieuse de son image de marque. Vos agissements fautifs ont donc porté de ce point de vue un lourd préjudice à la société Métallurgique du Vexin.

Par ailleurs, depuis le 3 septembre 2018, vous vous êtes également rendu coupable de dissimulation d’informations auprès de votre nouvel employeur. En effet, en omettant sciemment de communiquer les informations essentielles dont vous disposiez au sujet de l’utilisation frauduleuse du logiciel ‘SolidWorks’ et de la non-divulgation de la mise en cause de la société Métallurgique du Vexin en mars 2018 pour contrefaçon du logiciel ‘SolidWorks’, vous ne nous avez pas permis de régulariser la situation et vous nous faite courir un risque judiciaire ou pécuniaire extrêmement important.

Il est en effet particulièrement inacceptable pour un nouveau dirigeant de se voir accusé d’un délit passible d’une peine de 3 ans d’emprisonnement et d’une amende pouvant atteindre 1 500 000€, pour des faits connus de longue date par l’un de ses collaborateurs les plus qualifiés et expérimentés, mais qui ont sciemment été dissimulés.

Ces manquements d’une particulière gravité constituent en outre une violation essentielle à l’obligation de loyauté qui incombe à tout salarié vis-à-vis de son employeur, dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail.

Dans ce contexte, votre maintien, même temporaire, dans l’entreprise s’avère aujourd’hui impossible et nous sommes contraints, par la présente, de vous notifier votre licenciement pour faute grave qui prendra effet le mardi 16 avril 2019, date à laquelle seront établis votre solde de votre compte, attestation Pôle Emploi et votre certificat de travail.

A ce titre, nous vous informons qu’aucune indemnité de préavis et de licenciement ne vous sera versée à l’occasion de l’établissement de votre solde de tout compte.

Nous vous rappelons également que vous faites l’objet d’une mise à pied conservatoire. Par conséquence, la période non travaillée du 27 mars 2019 au 16 avril 2019 nécessaire pour effectuer la procédure de licenciement, ne sera pas rémunérée. (…)’

La société Métallurgique du Vexin a fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire le 28 novembre 2019.

Par jugement du 5 février 2021, le tribunal de commerce d’Evreux a prononcé la liquidation judiciaire de la société Métallurgique du Vexin.

Contestant la légitimité de son licenciement et estimant ne pas avoir été intégralement rempli de ses droits au titre de la rupture de son contrat de travail, M. [K] a saisi le 1er août 2019 le conseil de prud’hommes de Louviers.

Par jugement du 16 décembre 2020, le conseil de prud’hommes a :

– dit que le licenciement du salarié ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse,

– donné acte à l’Unédic Cgea de [Localité 4] de son intervention,

– fixé la créance à inscrire au profit de M. [K] au passif de la société Métallurgique du Vexin aux sommes suivantes :

89 358,67 euros nette à titre de dommages et intérêts contractuels pour rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur conformément au paragraphe 4 du contrat de travail,

7 641 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

22 923 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 2 292,30 euros au titre des congés payés afférents,

4 845,41 euros bruts à titre de paiement du salaire sur la période de mise à pied injustifiée outre 484,54 euros au titre des congés payés afférents,

– ordonné l’exécution provisoire sur la somme de 89 358,67 euros correspondant aux dommages et intérêts contractuellement convenus,

– dit que l’exécution provisoire est de droit sur les éléments de salaire,

– dit que les dispositions du jugement sont opposables à l’Unédic Cgea de [Localité 4] dans les limites de sa garantie,

– ordonné la remise d’un bulletin de salaire, d’une attestation Pôle Emploi et d’un certificat de travail conformes à la décision,

– condamné la société Métallurgique du Vexin à verser à M. [K] la somme de 1 700 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société Métallurgique du Vexin aux entiers dépens, y compris les frais d’exécution et honoraires d’huissier.

La société Métallurgique du Vexin, assistée de son administrateur judiciaire et de son mandataire judiciaire a interjeté appel le 18 janvier 2021 à l’encontre de cette décision qui lui a été notifiée le 19 décembre précédent.

La salarié a constitué avocat par voie électronique le 26 janvier 2021.

Me [J], liquidateur judiciaire de la société Métallurgique du Vexin a constitué avocat le 8 mars 2022 puis nouvel avocat le 13 décembre 2022.

L’Unédic Ags Cgea délégation de [Localité 4] a constitué avocat par voie électronique le 26 janvier 2021.

Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 14 décembre 2022, le liquidateur de la société, soutenant que les faits reprochés au salarié sont matériellement établis, lui sont imputables et d’une gravité justifiant le licenciement prononcé, sollicite l’infirmation du jugement entrepris, demande à titre principal que le salarié soit débouté de ses demandes, requiert à titre subsidiaire que le montant de l’indemnité contractuelle de licenciement accordée à M. [K] soit réduite à de plus justes proportions, sollicite en tout état de cause la condamnation du salarié au paiement d’une indemnité de procédure de 2 000 euros ainsi qu’aux entiers dépens.

Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 15 décembre 2022, l’Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 4] demande à la cour de :

– lui donner acte de son intervention à l’instance au titre des dispositions de l’article L 625-3 du code de commerce,

– lui donner acte de ce qu’elle s’associe à l’argumentation et aux moyens de défense développés par le liquidateur,

– lui donner acte de son appel incident,

– infirmer le jugement et débouter M. [K] de l’intégralité de ses demandes,

– subsidiairement, réduire les dommages et intérêts,

– dire que les dispositions de l’arrêt à intervenir ne lui seront opposables que dans les limites de sa garantie,

– dire que les dispositions de l’arrêt relatives à la remise de documents sous astreinte, à l’indemnité de procédure et aux dépens ne lui sont pas opposables.

Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 6 juillet 2021, le salarié intimé, réfutant les moyens et l’argumentation de la partie appelante, affirmant que les faits invoqués au soutien du congédiement sont prescrits, estimant à titre subsidiaire que les faits invoqués ne relèvent pas du contrat de travail actuel, soutenant enfin que ces faits ne présentent pas un caractère de gravité justifiant le licenciement prononcé, sollicite pour sa part la confirmation de la décision déférée, demande que l’arrêt soit déclaré opposable à l’Unédic délégation Ags Cgea de [Localité 4] qui sera tenue à garantie, requiert la condamnation du liquidateur ès qualités à lui verser la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et sa condamnation aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture en date du 15 décembre 2022 a renvoyé l’affaire pour être plaidée à l’audience du 18 janvier 2023.

Il est expressément renvoyé pour l’exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d’appel aux écritures des parties.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1/ Sur le licenciement

Au soutien de la contestation de la légitimité de son licenciement, le salarié invoque la prescription des faits, considère que les faits reprochés ne sont pas en lien avec le contrat de travail signé le 12 juillet 2018 et conteste leur gravité.

Le liquidateur ès qualités et l’Unédic Ags Cgea délégation de [Localité 4] considèrent pour leur part que les faits, découverts le 31 janvier 2019, ne sont pas prescrits ; que le salarié a manqué à son obligation de loyauté, que les faits, par leur gravité, justifiaient le licenciement prononcé.

Sur ce ;

Pour satisfaire à l’exigence de motivation posée par l’article L.1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement doit comporter l’énoncé de faits précis et contrôlables.

La lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l’employeur, qui fixe les limites du litige, lie les parties et le juge qui ne peut examiner d’autres griefs que ceux qu’elle énonce.

Aux termes de l’article L.1332-4 du code du travail aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénale. Sous cette réserve, le licenciement disciplinaire prononcé à raison de faits connus de plus de deux mois par l’employeur est sans cause réelle et sérieuse.

La faute grave s’entend d’une faute d’une particulière gravité ayant pour conséquence de rendre impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe à l’employeur et à lui seul et il appartient au juge du contrat de travail d’apprécier au vu des éléments de preuve figurant au dossier si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, et s’ils ont revêtu un caractère de gravité suffisant pour justifier l’éviction immédiate du salarié de l’entreprise.

En l’espèce, il n’est pas contesté que M. [Y] [K] a cédé l’intégralité des actions de la société Métallurgique du Vexin à la société Ridel Energy le 12 juillet 2018 et qu’en conséquence, à compter de cette date, la société a changé de dirigeant.

L’employeur établit avoir été destinataire d’un mail des conseils de la société Dassault Systèmes SolidWorks Corporation le 30 janvier 2019 l’informant d’une utilisation frauduleuse du logiciel SolidWorks.

Il ne ressort pas des éléments du dossier que l’employeur ait eu connaissance antérieurement à cet email de la possibilité d’une utilisation frauduleuse du logiciel.

Si le salarié soutient que l’employeur a acquis une licence du logiciel SolidWorks en octobre 2018, il ne peut être déduit de cet achat la connaissance par l’employeur d’une utilisation frauduleuse du logiciel.

En convoquant le salarié à un entretien préalable au licenciement par courrier du 27 mars 2019, l’employeur a engagé la procédure disciplinaire dans le délai de deux mois à compter duquel il a eu pleinement connaissance des faits, ce dont il s’évince que les faits reprochés au sein de la lettre de rupture ne sont pas prescrits.

Aux termes de la lettre de licenciement, il y a lieu de constater que l’employeur reproche au salarié des faits continus dont une partie se serait déroulée sous l’empire de son précédent contrat de travail. Comme justement constaté par les premiers juges, ces faits ne peuvent légitimer le licenciement.

Il ressort des éléments du dossier que le courriel des conseils de la société Dassault reçu par l’employeur le 30 janvier 2019 mentionne l’utilisation frauduleuse du logiciel par la société sans préciser de date, de période d’utilisation.

M. [K] établit que son nouvel employeur a procédé à l’acquisition du dit logiciel le 31 octobre 2018. En effet, suite à la réception du mail du 31 janvier 2019, le conseil de l’employeur a indiqué aux conseils de la société Dassault ‘nous vous précisons que notre cliente a pris l’attache de la société Vislativ (M. [Z] [X]). M. [X] a visité notre cliente dans ses locaux le 11 septembre dernier. SMV a passé commande du logiciel le 31 octobre dernier.’

Le liquidateur ès qualités ne s’explique pas sur la teneur de ce mail et ne conteste pas spécifiquement l’existence de cet achat.

Ainsi, il résulte de ces éléments que l’employeur échoue à établir que les faits reprochés au salarié se sont produits au cours du contrat de travail le liant à M. [K] et plus spécifiquement entre le 3 septembre 2018 (début du contrat de travail) et le 31 octobre 2018, date à laquelle la situation apparaît avoir été régularisée.

Si le liquidateur ès qualités soutient que le salarié a manqué à son obligation de loyauté en ne révélant pas l’existence des difficultés rencontrées dans l’utilisation du logiciel SolidWorks, il n’explique pas les raisons pour lesquelles, quelques semaines après avoir acquis l’entreprise et réembauché M. [K] il a procédé à l’acquisition du dit logiciel.

Ainsi, au vu des éléments versés aux débats en cause d’appel, il apparaît que les premiers juges, à la faveur d’une exacte appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve produits, non utilement critiquée en cause d’appel, ont à bon droit écarté dans les circonstances particulières de l’espèce l’existence d’une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Le jugement entrepris est confirmé de ce chef.

2/ Sur l’indemnité contractuelle de licenciement

Le liquidateur ès qualités et l’Ags demandent à la cour de réduire le montant de l’indemnité contractuelle de licenciement fixée par les premiers juges à la somme de 89 358,67 euros équivalente à 12 mois de salaire.

Ils considèrent que cette indemnité, qui résulte de l’application du contrat de travail, présente un montant manifestement excessif, qu’elle a le caractère d’une clause pénale qui doit être réduite.

Ils exposent que le salarié a déjà été indemnisé à l’occasion de la rupture de son premier contrat de travail en percevant une indemnité spécifique de rupture de 35 671,07 euros, qu’il ne comptait qu’une très faible ancienneté au titre du second contrat (9 mois) et qu’il n’a pas justifié de sa situation professionnelle puisqu’il a créé sa propre société en novembre 2019.

M. [K] conclut à la confirmation du jugement entrepris de ce chef. Il rappelle qu’il percevait une rémunération brut mensuelle de 7 641 euros, soutient que son premier contrat de travail a été rompu à la demande des acquéreurs pour purger ses droits et avantages, précise avoir été indemnisé par Pôle Emploi à compter de son licenciement jusqu’au 31 août 2020, avoir constitué une société en 2019 qui n’a connu aucun débouché et avoir été contraint de reprendre un poste salarié le 3 septembre 2020 pour lequel il ne perçoit qu’une rémunération de 4 500 euros.

Sur ce ;

L’indemnité de licenciement, lorsqu’elle est prévue par le contrat de travail, a le caractère d’une clause pénale et peut être réduite par le juge si elle présente un caractère manifestement excessif.

En l’espèce, le contrat de travail du 12 juillet 2018 prévoit une indemnité de licenciement calculée comme suit :

‘en cas de rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur, durant la période de garantie d’emploi, ayant vocation à procurer 19,5 mois de rémunération à M. [K], compte tenu de l’allocation d’une prime dite de 13ème mois, calculée au prorata du temps de travail effectué, stipulée à l’article V, paragraphe 2 du présent contrat et hors les cas ci-dessus autorisés, l’employeur s’engage à verser à M. [K] une indemnité correspondant à 19,5 mois de rémunération minorée des sommes versées pendant la durée courue du présent contrat et du prorata de la prime dite de 13ème mois déjà versé.

Par exemple, s’il est mis fin au présent contrat au bout de 4 mois, l’indemnité sera égale à 15,5 mois de rémunération déduction faite du 13ème mois versé si les 4 mois comprennent le mois de décembre.’

Soutenant avoir acquis une ancienneté de 7,5 mois à la date de rupture de son contrat de travail, M. [K] revendique le bénéfice d’une indemnité de licenciement équivalente à 12 mois de salaire, pour un salaire mensuel brut de 7 641 euros, déduction faite du 13ème mois soit la somme de 89 358,67 euros.

Au regard de son libellé, la clause contractuelle doit être qualifiée de clause pénale.

Or, équivalente à 12 mois de salaire, la cour considère qu’elle est manifestement excessive au regard du préjudice subi par le salarié du fait de la rupture imputable à l’employeur, de l’ancienneté du salarié, des conditions d’exécution du contrat de travail.

Par infirmation du jugement entrepris, la cour considère qu’il doit être mis à la charge de l’employeur une indemnité contractuelle de licenciement de 44 679,33 euros correspondant à 6 mois de salaire en exécution de la clause pénale.

3/ Sur le montant du rappel de salaire, de l’indemnité compensatrice de préavis

Les droits du salarié au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et du rappel de salaire relatif à la mise à pied conservatoire ne sont pas spécifiquement contestés dans leur quantum à hauteur de cour.

Le jugement entrepris est confirmé de ces chefs.

4/ Sur l’indemnisation de la rupture illégitime du contrat de travail

Compte-tenu de la date du licenciement sont applicables les dispositions de l’article L 1235-3 du code du travail dans sa version issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.

Selon ces dispositions si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, en cas de refus de la réintégration du salarié dans l’entreprise, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par ledit article, en fonction de l’ancienneté du salarié dans l’entreprise et du nombre de salariés employés habituellement dans cette entreprise.

Pour une ancienneté inférieure à une année dans une entreprise employant habituellement plus de onze salariés, l’article L. 1235-3 du code du travail prévoit une indemnité maximale d’un mois de salaire.

En considération de la situation particulière et eu égard notamment à son âge, à l’ancienneté de ses services, à sa formation et à ses capacités à retrouver un nouvel emploi, la cour dispose des éléments nécessaires pour confirmer la réparation qui est due à M. [K] à la somme fixée par les premiers juges.

Aux termes de l’article L 1235-4 du code du travail dans sa version issue de la loi du 8 août 2016, dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Il convient en conséquence de faire application des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail et de fixer la créance de Pôle Emploi dans la procédure collective de la société à une somme équivalente aux allocations de chômages versées au salarié dans la limite d’un mois de prestations.

5/ Sur les frais irrépétibles et les dépens

Chacune des parties succombant partiellement dans ses prétentions conservera la charge de ses frais irrépétibles et de ses dépens à hauteur de cour.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement, en dernier ressort ;

Confirme le jugement du conseil de prud’hommes de Louviers du 16 décembre 2020 sauf en ses dispositions relatives au montant de l’indemnité contractuelle de licenciement ;

Infirme le jugement entrepris de ce chef ;

Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant:

Fixe la créance de M. [W] [K] dans la procédure collective de la société Métallurgique du Vexin à la somme suivante qui sera inscrite sur l’état des créances déposé au greffe du tribunal de commerce :

44 679,33 à titre d’indemnité contractuelle de licenciement qualifiée de clause pénale,

Fixe la créance de Pôle Emploi dans la procédure collective de la société Métallurgique du Vexin à une somme équivalente aux allocations de chômages versées au salarié dans la limite d’un mois de prestations ;

Rappelle que le jugement d’ouverture de la procédure collective arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels ainsi que tous intérêts de retard et majorations ;

Déclare la présente décision opposable à l’Unedic Ags délégation de [Localité 4] qui sera tenue à garantie dans les limites prévues aux articles L 3253-6 à L 3253-17, D 3253-5 et D 3253-2 du code du travail ;

Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile ;

Rejette toute autre demande ;

Dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens d’appel.

La greffière La présidente

 


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