Troubles du voisinage : 2 mars 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 20/02092

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Troubles du voisinage : 2 mars 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 20/02092
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COUR D’APPEL DE BORDEAUX

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

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ARRÊT DU : 02 MARS 2023

N° RG 20/02092 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-LSJU

[J] [X]

[W] [D] épouse [X]

c/

S.A.R.L. EREM (EMBALLAGE – REPARATION – ENTRETIEN – MANUTENTION)

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le : 02 MARS 2023

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 09 avril 2020 par le Tribunal Judiciaire d’ANGOULEME (RG : 18/00258) suivant déclaration d’appel du 22 juin 2020

APPELANTS :

[J] [X]

né le [Date naissance 1] 1946 à [Localité 6] (PORTUGAL)

de nationalité Française, demeurant [Adresse 3]

[W] [D] épouse [X]

née le [Date naissance 2] 1948 à [Localité 4] (PORTUGAL)

de nationalité Française, demeurant [Adresse 3]

Représentés par Me Sébastien MOTARD de la SCP CMCP, avocat au barreau de CHARENTE

INTIMÉE :

S.A.R.L. EREM (EMBALLAGE – REPARATION – ENTRETIEN – MANUTENTION) prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 5]

Représentée par Me Chloé VIALLE de la SELARL FORESTAS-DUBOIS-PERVERIE ‘SFP CONSEILS ASSOCIÉS’, avocat au barreau de CHARENTE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 912 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 janvier 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Bérengère VALLEE, conseiller, chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Roland POTEE, président,

Bérengère VALLEE, conseiller,

Emmanuel BREARD, conseiller,

Greffier lors des débats : Véronique SAIGE

Greffier lors du prononcé :Séléna BONNET

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

M. [J] [X] et Mme [W] [D], épouse [X], sont propriétaires d’une maison d’habitation sise [Adresse 3].

Sur le terrain voisin de leur maison, la société Emballage, Réparation, Entretien, Manutention (E.R.E.M) exerce son activité de fabrication, réparation de palettes et de tous les articles de manutention, de conditionnement et d’emballage de tout produit.

Se plaignant de subir, du fait de cette activité, des troubles anormaux du voisinage et en particulier des nuisances sonores, une diminution d’ensoleillement, des projections de poussières de bois et un éclairage gênant, les époux [X] ont, par acte du 26 février 2018, assigné la société E.R.E.M devant le tribunal judiciaire d’Angoulême aux fins de voir notamment ordonner des travaux pour faire cesser lesdits troubles.

Par jugement du 9 avril 2020, le tribunal a :

– déclaré recevable l’action des époux [X],

– rejeté les demandes des époux [X] tendant à condamner la société E.R.E.M à boucher la retenue d’eau, déplacer les bennes à ordure, couper les arbres à une hauteur de six mètres, déplacer le hangar, supprimer le système d’aspiration et remédier aux vibrations qui se propagent sur leur propriété,

– condamné la société E.R.E.M à payer aux époux [X] la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts,

– débouté la société E.R.E.M de sa demande de dommages et intérêts,

– ordonné l’exécution provisoire de la décision,

– fait masse des dépens qui seront supportés par moitié par les époux [X] et par la société E.R.E.M,

– rejeté les demandes formulées tant par les époux [X] que par la société E.R.E.M à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Pour statuer ainsi, le tribunal a tout d’abord estimé que les conditions de l’article L. 112-16 du code de la construction et de l’habitation n’étaient pas remplies, de sorte que l’action en réparation était recevable. Il a ensuite retenu l’existence de troubles anormaux du voisinage liés à l’altération de l’ensoleillement et la présence de poussières de bois en abondance et, considérant les mesures mises en oeuvre par la société E.R.E.M pour mettre fin à ces troubles début 2019, l’a condamnée au paiement de dommages et intérêts et rejeté les demandes de travaux.

Les époux [X] ont relevé appel de ce jugement par déclaration du 22 juin 2020 et par conclusions déposées le 3 janvier 2023, ils demandent à la cour de :

– juger recevables et bien fondés les époux [X] en leur appel,

Par conséquent,

– réformer le jugement du tribunal judiciaire d’Angoulême du 9 avril 2020 en ce qu’il a décidé de :

* rejeter les demandes des époux [X] tendant à condamner la société E.R.E.M à boucher la retenue d’eau, déplacer les bennes à ordure, couper les arbres à une hauteur de six mètres, déplacer le hangar, supprimer le système d’aspiration et remédier aux vibrations qui se propagent sur leur propriété,

* fixer à la somme de 3 000 euros le montant des dommages et intérêts alloués aux époux [X] et par la société E.R.E.M,

* dire que les dépens seront supportés par moitié par les époux [X] et par la société E.R.E.M,

* rejeter les demandes formulées par les époux [X] à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Et statuant à nouveau,

– juger que les nuisances sonores émises par la société E.R.E.M sont constitutives d’un trouble anormal de voisinage,

– condamner la société E.R.E.M, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, à boucher la retenue d’eau et supprimer le système d’aspiration qui équipe l’installation de production pour faire cesser les nuisances sonores,

– juger que l’absence de taille des arbres en limite de propriété par la société E.R.E.M est constitutive d’un trouble anormal de voisinage,

– condamner la société E.R.E.M sous astreinte de 500 euros par jour de retard, à couper les arbres à une hauteur de 6 mètres pour faire cesser le préjudice de défaut d’ensoleillement,

– juger que la pollution par les poussières de bois par la société E.R.E.M est constitutive d’un trouble anormal de voisinage,

– condamner la société E.R.E.M, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, à déplacer les bennes à ordure à un endroit où elles ne constitueraient plus aucune gêne pour faire cesser le préjudice de pollution à la sciure de bois,

– juger que l’éclairage gênant par la hangar est constitutif d’un trouble anormal de voisinage,

– condamner la société E.R.E.M, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, à déplacer le hangar pour faire cesser le trouble lumineux,

– juger que les vibrations générées par la société E.R.E.M constituent un trouble anormal de voisinage,

– condamner la société E.R.E.M, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, à remédier aux vibrations qui se propagent sur la propriété des époux [X] pour faire cesser le trouble anormal de voisinage,

– condamner la société E.R.E.M à verser aux époux [X] la somme de 50 000 euros en indemnisation des préjudices subis en raison des troubles anormaux de voisinage,

– débouter la société E.R.E.M de ses demandes reconventionnelles,

– condamner la société E.R.E.M à verser aux époux [X] la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société E.R.E.M aux entiers dépens de première instance et d’appel, qui comprendront notamment le coût des procès-verbaux de constats de Me [I] et le coût de l’expertise réalisée par General Acoustics.

Par conclusions déposées le 22 décembre 2022, la société E.R.E.M demande à la cour de :

– débouter les époux [X] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires aux présentes,

Et par conséquent,

– confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire d’Angoulême en ce qu’il a rejeté les demandes des époux [X] tendant à voir condamner la société E.R.E.M à boucher la retenue d’eau, déplacer les bennes à ordure, couper les arbres à une hauteur de six mètres, déplacer le hangar, supprimer le système d’aération et remédier aux vibrations qui se propagent sur leur propriété,

– juger recevable et bien fondé l’appel incident formé par la société E.R.E.M,

Et par conséquent de,

– réformer le jugement du tribunal judiciaire d’Angoulême du 9 avril 2020 en ce qu’il a:

* déclaré recevable l’action des époux [X],

* condamné la société E.R.E.M à payer aux époux [X] la somme de 3 000 eurosà titre de dommages et intérêts,

* débouté la société EREM de sa demande de dommages et intérêts,

* rejeté les demandes formulées tant par les époux [X] que par la société E.R.E.M à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Et, statuant à nouveau,

– juger irrecevable l’action engagée par les époux [X],

– débouter les époux [X] de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,

– condamner les époux [X] à verser la société E.R.E.M la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts,

– condamner les époux [X] à verser à la société E.R.E.M la somme de 5 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner les époux [X] aux entiers dépens de première instance et d’appel.

L’affaire a été fixée à l’audience rapporteur du 19 janvier 2023.

L’instruction a été clôturée par ordonnance du 5 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Les nombreux ‘juger que’ figurant au dispositif des conclusions des appelants ne constituent pas des prétentions au sens du code de procédure civile mais tout au plus le récapitulatif des moyens articulés.

La cour observe en outre à titre liminaire qu’il n’y a pas lieu de statuer sur la recevabilité de l’appel, qui n’est pas discutée.

Sur la recevabilité de l’action

Se prévalant de la pré-occupation définie à l’article L. 112-16 du code de la construction et de l’habitation, la société E.R.E.M soutient que les époux [X] avaient parfaitement connaissance de l’activité voisine lorsqu’ils ont acquis leur maison d’habitation et que son activité n’a aucunement changé, la simple extension d’un bâtiment destiné au stockage du bois étant insuffisante à caractérier une modification des conditions d’exercice de son activité. Elle ajoute que par la production de son extrait KBIS, du PLU et de son permis de construire, elle justifie exercer son activité conformément aux lois et règlements en vigueur.

Aux termes de l’article L.112-16 du code de la construction et de l’ habitation dans sa version applicable à l’espèce, « les dommages causés aux occupants d’un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales ou commerciales, n’entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été demandé ou l’acte authentique constatant l’aliénation ou la prise de bail établi postérieurement à l’existence des activités les occasionnant dès lors que ces activités s’exercent en conformité avec les dispositions législatives et réglementaires en vigueur et qu’elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions ».

Trois conditions sont donc requises pour l’admission de l’exception de pré-occupation : l’antériorité de l’activité génératrice du trouble, l’exercice de l’activité en conformité avec la législation et l’absence de modification dans les conditions d’exploitation.

En l’espèce, il est acquis que les époux [X] sont devenus propriétaires de leur immeuble d’habitation, situé en zone artisanale et industrielle, par acte authentique du 11 janvier 1985 alors que la société E.R.E.M a acquis son terrain en 1984 après avoir commencé son activité de scierie sur le site dès 1982 dans le cadre d’un bail. L’activité de la société E.R.E.M était donc antérieure à l’acquisition de leur bien par les appelants.

En outre, il est exact que la société intimée verse aux débats le plan local d’urbanisme et les permis de construire obtenus dans le cadre de l’exercice de son activité.

En revanche, il est constant qu’une extension d’un bâtiment destiné au stockage du bois sur 1.575 m2 a été réalisée par la société E.R.E.M en 2010, de sorte que comme l’a retenu le premier juge, celle-ci ne peut légitimement soutenir que les conditions antérieures d’exploitation se sont strictement maintenues.

La condition liée à l’absence de modification dans les conditions d’exploitation faisant défaut, la société E.R.E.M n’est pas fondée à invoquer la pré-occupation issue de l’article L. 112-6 précité.

Le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu’il a déclaré l’action des époux [X] recevable.

Sur les troubles anormaux du voisinage

En application de l’article 651 du code civil, le droit pour un propriétaire de jouir de sa chose de la manière la plus absolue, sauf usage prohibé par la loi ou les règlements, est limité par l’obligation qu’il a de ne causer à la propriété d’autrui aucun dommage dépassant les inconvénients normaux du voisinage.

Sur les nuisances sonores

Les appelants, qui se fondent sur les articles R. 1336-5 et suivants du code de la santé publique, reprochent au jugement critiqué de n’avoir pas retenu l’existence de nuisances sonores alors que celles-ci, qui proviennent à la fois de l’activité directe de la scierie et de la présence de batraciens sur la retenue d’eau créée début 2010 près de la limite de propriété, sont établies par trois procès-verbaux de constat d’huissier et un rapport de mesures acoustiques.

Selon l’article R.1336-5 du code de la santé publique, aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme, dans un lieu public ou privé, qu’une personne en soit elle-même à l’origine ou que ce soit par l’intermédiaire d’une personne, d’une chose dont elle a la garde ou d’un animal placé sous sa responsabilité.

L’article R. 1336-6 du même code précise que :

‘Lorsque le bruit mentionné à l’article R. 1336-5 a pour origine une activité professionnelle autre que l’une de celles mentionnées à l’article R. 1336-10 ou une activité sportive, culturelle ou de loisir, organisée de façon habituelle ou soumise à autorisation, l’atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme est caractérisée si l’émergence globale de ce bruit perçu par autrui, telle que définie à l’article R. 1336-7, est supérieure aux valeurs limites fixées au même article.

Lorsque le bruit mentionné à l’alinéa précédent, perçu à l’intérieur des pièces principales de tout logement d’habitation, fenêtres ouvertes ou fermées, est engendré par des équipements d’activités professionnelles, l’atteinte est également caractérisée si l’émergence spectrale de ce bruit, définie à l’article R. 1336-8, est supérieure aux valeurs limites fixées au même article.

Toutefois, l’émergence globale et, le cas échéant, l’émergence spectrale ne sont recherchées que lorsque le niveau de bruit ambiant mesuré, comportant le bruit particulier, est supérieur à 25 décibels pondérés A si la mesure est effectuée à l’intérieur des pièces principales d’un logement d’habitation, fenêtres ouvertes ou fermées, ou à 30 décibels pondérés A dans les autres cas.’

L’article R. 1336-7 du même code énonce que :

‘L’émergence globale dans un lieu donné est définie par la différence entre le niveau de bruit ambiant, comportant le bruit particulier en cause, et le niveau du bruit résiduel constitué par l’ensemble des bruits habituels, extérieurs et intérieurs, correspondant à l’occupation normale des locaux et au fonctionnement habituel des équipements, en l’absence du bruit particulier en cause.

Les valeurs limites de l’émergence sont de 5 décibels pondérés A en période diurne (de 7 heures à 22 heures) et de 3 décibels pondérés A en période nocturne (de 22 heures à 7 heures), valeurs auxquelles s’ajoute un terme correctif en décibels pondérés A, fonction de la durée cumulée d’apparition du bruit particulier :

1° Six pour une durée inférieure ou égale à 1 minute, la durée de mesure du niveau de bruit ambiant étant étendue à 10 secondes lorsque la durée cumulée d’apparition du bruit particulier est inférieure à 10 secondes ;

2° Cinq pour une durée supérieure à 1 minute et inférieure ou égale à 5 minutes ;

3° Quatre pour une durée supérieure à 5 minutes et inférieure ou égale à 20 minutes ;

4° Trois pour une durée supérieure à 20 minutes et inférieure ou égale à 2 heures ;

5° Deux pour une durée supérieure à 2 heures et inférieure ou égale à 4 heures ;

6° Un pour une durée supérieure à 4 heures et inférieure ou égale à 8 heures ;

7° Zéro pour une durée supérieure à 8 heures.’

En l’espèce, il ressort des constats d’huissier produits par les époux [X] que:

– le 20 septembre 2018, Maître [I] expose qu’il entend, dès 6h50, depuis la propriété des époux [X], le bruit d’un charriot élévateur qui circule sur le site de l’usine, puis des bruits de pièces métalliques se heurtant les unes contre les autres dès 6h55. A 7h, la ventilation se met en route et des bruits de moteurs et d’outils industriels se font également entendre, l’ensemble de ces bruits demeurant perceptibles à 7h20, lors du départ de l’huissier.

– le 2 juillet 2019 à 9h30, Maître [I] constate qu’il y a un va-et-vient important de camions et de charriots élévateurs sous le hangar le plus au nord de l’entreprise E.R.E.M, précisant pouvoir entendre les bruits d’une machine qui semble être un outil permettant de perforer le bois, dont il indique qu’il est répétitif et constitue une véritable nuisance sonore en plus des bruits de tôles qui se frottent les unes contre les autres. Concernant le mur en bois édifié pour limiter le bruit du silos, il souligne qu’il est d’une utilité restreinte puisqu’il ne monte pas jusqu’au moteur du silos qui est l’endroit où il y a le plus de bruit.

– le 13 juin 2019 à 22h35, l’huissier constate, depuis un endroit situé entre le garage des époux [X] et le mur de clôture derrière lequel se trouve le bassin de l’entreprise E.R.E.M, le bruit de coassements de grenouilles, précisant qu’au bout d’une dizaine de minutes, il est lui-même ‘agacé par ces bruits nuisibles’ au point de demander à M. [X] de poursuivre la discussion dans le garage.

Au vu de ces éléments, il est établi que l’exploitation de la scierie et le coassement des grenouilles générent des bruits perceptibles depuis la propriété des époux [X].

Afin de démontrer que ces bruits sont constitutifs d’un trouble anormal de voisinage, les époux [X] se prévalent en appel d’un rapport de mesures acoustiques réalisé le 30 novembre 2020 par la société General Acoustics.

Dans son rapport, cette dernière expose que les mesures ont été réalisées dans le jardin de la propriété des époux [X], à proximité de la terrasse de la maison, à environ 15 mètres de la limite de propriété et que l’appareil de mesure a été mis en place le mardi 17 novembre 2020 vers 19h et récupéré le mardi 24 novembre 2020 vers 19h.

Après avoir relevé qu’en l’absence totale de précipitations durant la période de mesure, les conditions météorologiques n’ont pas eu d’impact sur les niveaux sonores mesurés, le rapport présente comme suit l’évolution temporelle du niveau sonore global depuis l’installation à la récupération du matériel :

‘Le niveau de bruit en dB(A) mesuré dans le jardin de M. et Mme [X] durant le week-end (soit durant les heures de fermeture de l’activité de la société EREM) présente une allure et des niveaux sonores ‘habituels’ pour des mesures effectuées en extérieur en présence d’une route passante, avec une augmentation progressive en matinée et une diminution progressive en soirée, et une variation entre 30 et 55 dB(A) environ selon les heures de la journée.

On notera que cette allure est totalement différente les autres jours de la semaine (sauf le vendredi qui présente une allure globale assez similaire) avec l’établissement de paliers autour de 60-65 dB(A) (niveaux supérieurs aux valeurs constatées aux mêmes horaires les autres jours), généralement localisés entre 8h et 12h, ainsi qu’entre 13h30 et 17h30, s’interrompant au moment de la pause déjeuner.’

Le rapport conclut que ‘Sur l’ensemble des 4 jours ouvrables où M. [X] nous a signalé avoir remarqué l’activité du site de la société EREM, les émergences calculées au niveau global en dB(A) en tenant compte de bruits ambiants et résiduels considérés sur l’ensemble de la journée, sont compris entre 5,5 et 10 dB(A) et donc non-conformes puisque supérieures à l’émergence maximale de 5 dB(A) tolérée en période diurne par la réglementation pénale (décret du 31 août 2006 relatif aux bruits de voisinage).

(…) Les émergences sonores spectrales relevées présentent également des valeurs importantes, notamment d’environ 10 dB à 125 et 250 Hz (basses fréquences) et d’environ 15-20 dB à 400 Hz (hautes fréquences). Même si elles ne sont pas réglementées en milieu extérieur, on signalera qu’étant donné leur importance et la distance équivalente de la maison par rapport aux sources sonores, il n’est pas à exclure qu’on pourrait mesurer des émergences sonores spectrales du même ordre et donc non conformes à l’intérieur du logement de M. [X] fenêtres ouvertes.’

Contrairement à ce que prétend la société EREM, ce rapport de mesures acoustiques démontre bien que l’intensité des nuisances sonores générées par l’exploitation de la scierie est supérieure aux exigences réglementaires précitées, ce qui est constitutif d’un trouble anormal du voisinage.

En revanche, il ne met pas en évidence que les bruits occasionnés par le chant des grenouilles excéderaient les normes précitées. La preuve d’un trouble anormal du voisinage n’est pas caractérisé à ce titre.

Sur l’altération de l’ensoleillement

Les époux [X] invoquent une altération de l’ensoleillement de leur piscine causée par la haie de thuyas plantée par la société E.R.E.M en limite de propriété et s’appuient sur un procès-verbal de constat d’huissier établi le 6 juin 2017 faisant état de la présence d’arbres d’une hauteur de 12 mètres, ce qui excèderait selon eux la hauteur des 6 mètres autorisée.

Il ressort du constat d’huissier précité que la haie de thuyas implantée par la société E.R.E.M est située à plus de 2 mètres de la limite séparative.

Or, en vertu de l’article 671 alinéa 1er du code civil, il n’est permis d’avoir des arbres, arbrisseaux et arbustes près de la limite de la propriété voisine qu’à la distance prescrite par les règlements particuliers actuellement existants, ou par des usages constants et reconnus et, à défaut de règlements et usages, qu’à la distance de deux mètres de la ligne séparative des deux héritages pour les plantations dont la hauteur dépasse deux mètres, et à la distance d’un demi-mètre pour les autres plantations.

Comme le fait justement valoir la société E.R.E.M, il n’existe donc pas de limitation de hauteur pour les arbres qui sont plantés à plus de 2 mètres de la limite séparative des propriétés des parties.

Il n’en demeure pas moins que nonobstant le respect de ces règles, la hauteur excessive des arbres peut occasionner un trouble du voisinage, en raison notamment de l’ombre qu’il procure sur le terrain voisin.

Or, sur ce point, le constat d’huissier du 26 juin 2017 démontre parfaitement que la haie, du fait de sa hauteur excessive, a été à l’origine de nuisances pour les époux [X] en ce qu’elle réduisait considérablement l’ensoleillement de leur jardin et de leur piscine à partir de la fin de l’après-midi.

Le trouble lié à la perte d’ensoleillement a toutefois cessé puisque la société E.R.E.M justifie avoir taillé les haies litigieuses et entretenir régulièrement ses espaces verts, ainsi qu’en attestent les factures du paysagistes et les photographies versées aux débats.

Sur la pollution par la poussière de bois

Les époux [X] se plaignent de la propagation de copeaux, sciures et poussière sur leur propriété, liée à la présence en limite de propriété de deux bennes servant à l’entrepose des copeaux.

Dans son procès-verbal de constat du 9 juillet 2018, Maître [I] observe une abondance de poussières de bois et de sciure en divers points de la propriété des appelants, l’huissier précisant qu’il ne fait aucun doute que c’est la présence de la benne de récupération des déchets de bois à proximité de la limite séparative des propriétés qui est à l’origine des nuisances.

Ces poussières constituent bien un trouble anormal de voisinage au préjudice des époux [X].

Il est constant que la société E.R.E.M a déplacé les bennes de l’autre côté de son terrain afin que les poussières ne puissent plus voler en abondance vers la propriété voisine.

Les époux [X] affirment que ce déplacement n’a pas suffi à régler le trouble subi mais n’en rapportent toutefois pas la preuve. En effet, si le constat d’huissier établi le 2 juillet 2021 montre la présence d’importantes traces de sciures de bois sur le talus, celui-ci n’est pas situé sur la propriété des appelants, la seule présence de traces de sciure de bois sur le dessus des tuiles de la clôture de M. [X] n’étant pas suffisante à caractériser l’existence d’un trouble anormal à ce titre.

Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu’il a retenu que le trouble lié à l’abondance de poussières de bois, s’il a certes existé, a cessé depuis le déplacement des bennes.

Sur l’éclairage gênant

Les époux [X] soutiennent que l’éclairage très puissant du hangar de stockage situé au nord ouest de leur maison constitue une gêne anormale. Ils s’appuient sur le constat dressé le 20 septembre 2018 à 6h35 qui expose que ‘le grand hangar de la scierie est (…) largement éclairé (…). La chambre où dort (M. [X]) se trouve dans l’alignement de ce hangard et plus particulièrement dans l’axe de la lumière générée par les cinq gros projecteurs halogènes qui sont allumés alors que l’activité de la scierie est censée ne pas avoir commencé puisqu’il n’est que 6h35. On peut se rendre compte que cette lumière se propage jusqu’à la partie de la maison où se trouvent les chambres.’

La société E.R.E.M affirme que les éclairages litigieux ne sont pas des spots de forte puissance mais des luminaires extérieurs classiques, type plafonniers suspendus au plafond du hangar, orientés vers le bas et dont la lumière diffusée est une lumière chaude (jaune). Elle en veut pour preuve les photographies versées par elle aux débats ainsi qu’un procès-verbal de constat d’huissier établi le 31 janvier 2019 par Maître [P], lequel ajoute que ‘les pignons du site, faisant face à la propriété [X], ne bénéficient d’aucun éclairage ou spot extérieur’.

Au regard de ces contradictions concernant la nature de l’éclairage du hangar de la société E.R.E.M, c’est à bon droit que le premier juge a estimé que les époux [X] ne rapportaient pas la preuve de l’existence d’un trouble anormal de voisinage de ce chef.

Sur les vibrations

Les époux [X] affirment que l’activité de la société E.R.E.M génère des vibrations en raison du passage de poids lourds et de véhicules industriels, lesquelles sont à l’origine de fissures dans leur mur de clôture.

Cependant, le tribunal doit être approuvé lorsqu’il considère que si le constat de Maître [I] en date du 4 avril 2018 démontre que le mur de séparation édifié par les époux [X] est fissuré en plusieurs endroits, rien n’établit, au regard de la configuration des lieux et notamment du dénivelé existant entre les terrains des parties, que des vibrations liées à l’activité de la scierie sont à l’origine des fissures observées.

Aucun trouble anormal de voisinage ne sera donc retenu de ce chef.

Sur la réparation

Sur les mesures d’exécution

En réparation des nuisances sonores, les époux [X] sollicitent la condamnation de la société E.R.EM à boucher la retenue d’eau et à supprimer le système d’aspiration qui équipe l’installation de production.

Le trouble anormal de voisinage ayant été écarté concernant le coassement des grenouilles, la demande tendant à boucher la retenue d’eau sera rejetée, étant au surplus observé que la mise en place de ce point d’eau a été imposée par le SDIS au regard des normes de sécurité en matière d’incendie et qu’il ne saurait donc être supprimé.

Si les nuisances sonores liées à l’exploitation de la scierie ont été retenues, il n’est pas démontré que la suppression du système d’aspiration de l’appareil de production serait de nature à faire cesser lesdits troubles, une telle mesure apparaissant en outre manifestement excessive en ce qu’elle risquerait d’empêcher la société E.R.E.M de poursuivre son activité.

S’agissant des troubles liés à la privation d’ensoleillement et à l’abondance de poussières de bois, il a été vu ci-avant qu’ils avaient cessé compte tenu des actions entreprises par la société E.R.E.M pour tailler la haie et déplacer les bennes de stockage des copeaux de bois. Il n’y a donc pas lieu de la condamner sous astreinte à tailler les arbres et à déplacer les bennes. Ces demandes seront par conséquent rejetées.

Enfin, les troubles liés à l’éclairage gênant et les vibrations n’ayant pas été retenus, il y a lieu de débouter les époux [X] de leurs demandes tendant à déplacer le hangar et à ‘remédier aux vibrations.’

Sur les dommages et intérêts

Les époux [X] réclament la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en raison des troubles de voisinage subis.

S’agissant du préjudice antérieur lié au défaut d’ensoleillement et à la présence de poussières de bois, le premier juge l’a justement évalué à la somme de 3.000 euros.

Maître Céline Lemoux

Le préjudice subi par les nuisances sonores liées à l’exploitation de la scierie sera quant à lui évalué à la somme de 7.000 euros.

Sur la demande reconventionnelle de la société E.R.E.M

La société E.R.E.M réclame la somme de 5.000 euros en réparation du préjudice subi compte tenu de la dégradation de ses locaux suite à la projection de pierres, la lacération de la bâche d’étanchéité du bac de rétention des eaux pluviales et de l’endommagement de son système d’évacuation des eaux.

Cependant, au vu des pièces versées aux débats, il n’est pas rapporté la preuve que les faits qu’elle dénonce soient imputables aux époux [X]. Sa demande de dommages et intérêts sera par conséquent rejetée.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Il y a lieu d’infirmer le jugement entrepris en ses dispositions relatives aux dépens.

Aux termes de l’article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. La société E.R.E.M qui succombe en supportera la charge, étant rappelé que les frais de constat d’huissier et le coût de l’expertise réalisée par General Acoustics ne relèvent pas des dépens mais seulement des frais non compris dans les dépens entrant dans les prévisions de l’article 700 du code de procédure civile.

En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Sur ce fondement, la société E.R.E.M sera condamnée à payer aux époux [X], ensemble, la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme partiellement le jugement en ce qu’il a condamné la société E.R.E.M à payer aux époux [X] la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts et en ce qu’il a fait masse des dépens qui seront supportés par moitié par chacune des parties,

Statuant à nouveau dans cette limite,

Condamne la société E.R.E.M à payer aux époux [X], ensemble, la somme de 10.000 euros en réparation des troubles anormaux du voisinage subis,

Condamne la société E.R.E.M aux dépens de première instance,

Y ajoutant,

Condamne la société E.R.E.M à payer aux époux [X], ensemble, la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel,

Condamne la société E.R.E.M aux dépens d’appel,

Rejette toutes demandes plus amples ou contraires des parties.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame Séléna BONNET , greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,

 


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