Nullité de dessin et modèle : 30 mars 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/03995

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Nullité de dessin et modèle : 30 mars 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/03995

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 3EB

12e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 30 MARS 2023

N° RG 21/03995 – N° Portalis DBV3-V-B7F-US5M

AFFAIRE :

S.A.S. VETIR

C/

S.A.S. LA SEMELLE MODERNE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 Mars 2021 par le TJ de NANTERRE

N° Chambre : 1

N° RG : 18/09460

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Mélina PEDROLETTI

Me Martine DUPUIS

TJ NANTERRE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TRENTE MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

S.A.S. VETIR

RCS Angers n° 322 424 342

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Mélina PEDROLETTI, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626 et Me Lauren PARIENTE du cabinet MANDEL PARIENTE ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P342

APPELANTE

****************

S.A.S. LA SEMELLE MODERNE

RCS Aubenas n° 335 920 328

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentant par Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 et Me Serge LEDERMAN de la SELAS De Gaulle Fleurance et Associés, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire: K35

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 1er Décembre 2022, les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur François THOMAS, Président,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,

Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,

Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,

EXPOSE DU LITIGE

La SAS La Semelle Moderne a pour activité la création, la fabrication et la commercialisation en gros de modèles de semelles pour articles chaussants. Elle est titulaire des droits de propriété intellectuelle sur le modèle français de semelle « Koka » déposé en couleurs le 14 mai 2014 et enregistré sous le numéro 20142078 en classe 02-04 de la classification de Locarno :

Elle revendique également des droits d’auteur sur cette semelle.

La SAS Vêtir, filiale du Groupe Eram, exerce sous l’enseigne « Gemo » et a comme activité la vente de vêtements, d’accessoires et de chaussures pour femmes, hommes et enfants.

En 2016, la société MFC Eram, société de fabrication de chaussures du Groupe Eram, a passé une commande de 15.000 paires de semelles Koka auprès de la société La Semelle Moderne.

Le 12 septembre 2017, la société Vêtir a commandé une référence de modèle de sandale en deux coloris (noir et or) auprès d’un fabricant asiatique, la société Whenzhou Start Import Export. Sous ce modèle de sandale figurait la semelle suivante :

En mai 2018, la société La Semelle Moderne a signalé à la société Vêtir avoir identifié une copie du modèle de semelle Koka.

Le 12 juin 2018, la société La Semelle Moderne a fait dresser par huissier de justice un procès-verbal de constat d’achat portant sur deux paires de sandales noires et or respectivement référencées 30383310540 et 30383310541, vendues au prix de 27,99 € la paire.

Par courrier recommandé du 15 juin 2018, la société La Semelle Moderne a mis en demeure la société Vêtir de cesser la commercialisation de ces produits, de lui communiquer l’identité de son fournisseur et de l’indemniser de son préjudice causé par ses actes de contrefaçon et de concurrence déloyale.

Par courrier recommandé du 19 juin 2018, la société Vêtir a contesté la validité du modèle opposé ainsi que tout acte de contrefaçon ou de concurrence déloyale et soutenu avoir acquis la semelle incorporée dans ses sandales auprès d’un fournisseur chinois.

Par acte du 20 septembre 2018, la société La Semelle Moderne a assigné la société Vêtir devant le tribunal de grande instance de Nanterre en contrefaçon de modèle français et de droit d’auteur ainsi qu’en concurrence déloyale et parasitaire.

Par jugement du 18 mars 2021, le tribunal judiciaire de Nanterre a :

– déclaré irrecevable pour défaut de qualité à agir l’action en contrefaçon de droits d’auteur de la société La Semelle Moderne ;

– rejeté la demande reconventionnelle en nullité du modèle n°20142078 dont est titulaire la société La Semelle Moderne présentée par la société Vêtir ;

– dit qu’en commercialisant des sandales noires et or respectivement référencées 30383310540 et 30383310541 incorporant une semelle reproduisant la combinaison des caractéristiques dominantes du modèle n°20142078 et suscitant de ce fait une impression visuelle d’ensemble identique dans l’esprit de l’utilisateur averti, la société Vêtir a commis des actes de contrefaçon au préjudice de la société La Semelle Moderne ;

– condamné en conséquence la société Vêtir à payer à la société La Semelle Moderne les sommes de :

/ 20.000 € en réparation de son préjudice économique,

/ 10.000 € en réparation de son préjudice moral ;

– interdit en outre à la société Vêtir, sous astreinte provisoire et temporaire de 100 € par infraction constatée pendant un délai de 6 mois courant à compter de la signification du jugement, d’importer, de fabriquer, de commercialiser et d’offrir en vente ou de vendre, directement ou indirectement, les sandales noires et or respectivement référencées 30383310540 et 30383310541 et tout produit incorporant le modèle n°20142078 dont est titulaire la société La Semelle Moderne ;

– s’est réservé la liquidation de cette astreinte ;

– rejeté les demandes de destruction des stocks et de publication judiciaire présentées par la société La Semelle Moderne ;

– rejeté les demandes de la société La Semelle Moderne au titre de la concurrence déloyale et parasitaire ;

– rejeté la demande indemnitaire reconventionnelle de la société Vêtir au titre de la procédure abusive ;

– rejeté la demande de la société Vêtir au titre des frais irrépétibles ;

– condamné la société Vêtir à payer à la société La Semelle Moderne la somme de 15.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’à lui rembourser les frais afférents au procès-verbal de constat d’achat du 12 juin 2018 ;

– condamné la société Vêtir à supporter les entiers dépens de l’instance qui seront recouvrés directement par la Selas De Gaulle Fleurance & Associés conformément à l’article 699 du code de procédure civile ;

– ordonné lieu à l’exécution provisoire du jugement en toutes ses dispositions.

Par déclaration du 24 juin 2021, la société Vêtir a interjeté appel du jugement.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 16 septembre 2022, la société Vêtir demande à la cour de :

– recevoir la société Vêtir en son appel et la dire bien fondée ;

– infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nanterre le 18 mars 2021 ayant :

– rejeté la demande reconventionnelle en nullité du modèle n°20142078 dont est titulaire la société La Semelle Moderne présentée par la société Vêtir ;

– dit qu’en commercialisant des sandales noires et or respectivement référencées

30383310540 et 30383310541 incorporant une semelle reproduisant la combinaison des caractéristiques dominantes du modèle n°20142078 et suscitant de ce fait une impression visuelle d’ensemble identique dans l’esprit de l’utilisateur averti, la société Vêtir a commis des actes de contrefaçon au préjudice de la société La Semelle Moderne ;

– condamné en conséquence la société Vêtir à payer à la société La Semelle Moderne les sommes de :

/ 20.000 € en réparation de son préjudice économique,

/ 10.000 € en réparation de son préjudice moral ;

– interdit en outre à la société Vêtir, sous astreinte provisoire et temporaire de 100 € par infraction constatée pendant un délai de 6 mois courant à compter de la signification du jugement, d’importer, de fabriquer, de commercialiser et d’offrir en vente ou de vendre, directement ou indirectement, les sandales noires et or respectivement référencées 30383310540 et 30383310541 et tout produit incorporant le modèle n°20142078 dont est titulaire la société La Semelle Moderne ;

– s’est réservé la liquidation de l’astreinte ;

– rejeté la demande indemnitaire reconventionnelle de la société Vêtir au titre de la procédure abusive ;

– rejeté la demande de la société Vêtir au titre des frais irrépétibles ;

– condamné la société Vêtir à payer à la société La Semelle Moderne la somme de 15.000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’à lui rembourser les frais afférents au procès-verbal d’achat du 12 juin 2018 ;

– condamné la société Vêtir à supporter les entiers dépens de l’instance qui seront recouvrés directement par la SELAS De Gaulle Fleurance & Associés conformément à l’article 699 du code de procédure civile ;

– ordonné l’exécution provisoire du jugement en toutes ses dispositions ;

– confirmer la décision déférée pour le surplus ;

Statuant à nouveau,

Sur l’action en contrefaçon de droit d’auteur et dessins et modèles,

A titre principal,

– débouter la société La Semelle Moderne de toutes ses demandes fondées sur son action en contrefaçon de droit d’auteur en ce que la semelle « Koka » est dénuée de toute originalité et n’est donc pas éligible à la protection conférée par les Livres I et III du code de la propriété intellectuelle;

– débouter la société La Semelle Moderne de toutes ses demandes sur son action en contrefaçon de dessin et modèle en ce que la semelle « Koka » enregistrée à l’INPI le 14 mai 2014 sous le n°20142078 n’est pas nouvelle et ne bénéficie d’aucun caractère propre de sorte qu’elle n’est pas éligible à la protection conférée par le Livre V du code de la propriété intellectuelle ;

– prononcer en conséquence la nullité du modèle de semelle « Koka » enregistré à l’INPI le 14 mai 2014 sous le n°20142078 dont la société La Semelle Moderne est titulaire ;

– ordonner la transmission du présent arrêt, une fois celui-ci devenu définitif, pour inscription au Registre National des Dessins et Modèles à la requête de la partie la plus diligente ;

Subsidiairement,

– débouter la société La Semelle Moderne de l’ensemble de ses demandes formulées tant au titre de l’action en contrefaçon de droit d’auteur, qu’au titre de l’action en contrefaçon de dessin et modèle ; le modèle de semelle en gomme figurant sous les références de sandales « 30.38.331.0540 » (coloris noir) et « 30.38.331.0541 » (coloris or) de la société Vêtir ne reproduisant pas le modèle de semelle « Koka » objet du présent litige ;

Sur l’action en concurrence déloyale et parasitisme formulée à titre subsidiaire,

– débouter la société La Semelle Moderne de ses demandes formulées au titre de son action en concurrence déloyale et parasitaire en ce que la société Vêtir n’a commis aucune faute susceptible d’être sanctionnée sur le fondement de l’article 1240 du code civil ;

En tout état de cause,

– débouter la société La Semelle Moderne de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

– condamner la société La Semelle Moderne à verser à la société Vêtir une somme de 30.000 € à titre de dommages et intérêts au titre de la procédure abusive ;

– condamner la société La Semelle Moderne à verser à la société Vêtir une somme de 25.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société La Semelle Moderne aux entiers dépens de la présente instance et autoriser Me Pedroletti à les recouvrer conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions notifiées le 27 septembre 2022, la société La Semelle Moderne demande à la cour de :

– confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nanterre le 18 mars 2021 en ce qu’il a:

– rejeté la demande reconventionnelle en nullité du modèle n°20142078 dont est titulaire la société La Semelle Moderne présentée par la société Vêtir ;

– dit qu’en commercialisant des sandales noires et or respectivement référencées 30383310540et 30383310541 incorporant une semelle reproduisant la combinaison des caractéristiques dominantes du modèle n°20142078 et suscitant de ce fait une impression visuelle d’ensemble identique dans l’esprit de l’utilisateur averti, la société Vêtir a commis des actes de contrefaçon au préjudice de la société La Semelle Moderne ;

– rejeté la demande indemnitaire reconventionnelle de la société Vêtir au titre de la procédure abusive ;

– rejeté la demande de la société Vêtir au titre des frais irrépétibles ;

– condamné la société Vêtir à payer à la société La Semelle Moderne la somme de 15.000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’à lui rembourser les frais afférents au procès-verbal de constat d’achat du 12 juin 2018 ;

– condamné la société Vêtir à supporter les entiers dépens de l’instance qui seront recouvrés directement par la SELAS De Gaulle Fleurance & Associés conformément à l’article 699 du code de procédure civile ;

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

– déclaré la société La Semelle Moderne irrecevable à agir en contrefaçon du modèle de semelle Koka sur le fondement du droit d’auteur ;

– limité les condamnations de la société Vêtir à la somme globale de 30.000 € au titre des préjudices subis par la société La Semelle Moderne ;

– rejeté les demandes de destruction des stocks et de publication judiciaire présentés par la société La Semelle Moderne ;

– rejeté la demande de la société La Semelle Moderne au titre des actes de concurrence déloyale et parasitaire ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

– constater que la société la société La Semelle Moderne est titulaire de droits d’auteur sur la semelle Koka ;

– dire et juger que la semelle Koka de la société La Semelle Moderne est originale et bénéficie de la protection conférée par le Livre I du code de la propriété intellectuelle ;

– dire et juger que la société Vêtir, en important, en offrant à la vente et en vendant des articles reproduisant la semelle Koka de la société La Semelle Moderne, s’est rendue coupable d’actes de contrefaçon dudit modèle de semelle sur le fondement du Livre I du code de la propriété intellectuelle ;

– dire et juger, à titre subsidiaire que la société Vêtir s’est rendue coupable d’actes de concurrence déloyale et de parasitisme à l’égard de la société La Semelle Moderne ;

En conséquence,

– interdire à la société Vêtir l’importation, la fabrication, la commercialisation, l’offre à la vente et la vente de tout article reproduisant la semelle Koka de la société La Semelle Moderne, quelle que soit la référence sous laquelle ils seraient commercialisés et ce, sous astreinte de 1.500 € par infraction constatée, à compter de la signification de l’arrêt à intervenir, la Cour restant saisie pour statuer sur la liquidation de ladite astreinte ;

– ordonner à la société Vêtir de détruire, à ses frais, tous les produits contrefaisants en stock au sein de la société Vêtir, ou détenus par ses différents revendeurs ou présents dans ses entrepôts dans un délai de dix jours à compter de la signification du jugement à intervenir, et ce, sous astreinte de 10.000 € par jour de retard passé ce délai, la Cour restant saisie pour statuer sur la liquidation de ladite astreinte ;

– condamner la société Vêtir à verser à la société La Semelle Moderne la somme globale de 130.000 € en réparation du préjudice subi au titre de la contrefaçon de sa semelle Koka ;

– condamner, à titre subsidiaire la société Vêtir à verser à la société La Semelle Moderne la somme de 130.000 €, en réparation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale et de parasitisme ;

– ordonner la publication de la décision à intervenir en faisant le cas échéant état du jugement de première instance :

/ dans 3 journaux ou publications professionnels (y compris électroniques), au choix de la société La Semelle Moderne, et aux frais avancés de la société Vêtir, sur simple présentation des devis, dans la limite de 8.000 € HT par insertion ;

/ sur le site internet du magasin Gemo (www.gemo.fr) pendant soixante jours, en police de taille minimum 12, sur un espace qui ne pourra être inférieur à 15 centimètres de longueur et 20 centimètres de largeur, et ce, sous astreinte définitive de 1.000 € par jour de retard, à compter de la signification du jugement à intervenir, la Cour se réservant le droit de liquider l’astreinte directement ;

– autoriser la société La Semelle Moderne à procéder à la publication de la décision à intervenir, en intégralité ou par extraits, sur son propre site internet accessible à l’adresse www.semelle-moderne.fr et ce pendant une durée de 3 mois ;

– condamner la société Vêtir à verser à la société La Semelle Moderne la somme de 25.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société Vêtir aux entiers dépens de la présente instance, dont distraction au profit de la SELARL Lexavoué Paris-Versailles, en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 3 novembre 2022.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur la recevabilité de la société La Semelle Moderne à agir au titre du droit d’auteur

Le jugement, après avoir précisé les caractéristiques de la semelle qui en feraient l’originalité selon la société La Semelle Moderne, relève qu’il s’agit d’une stricte description technique ne caractérisant pas l’originalité de la semelle, faute de révéler les choix exprimant le parti pris esthétique traduisant la personnalité de l’auteur. Il relève que si certains choix apparaissent personnels dans l’association d’une semelle plate à un talon de bottine, cette explication apparaît trop proche de la simple idée, faute d’explication sur l’effet esthétique recherché. Il en a déduit que les demandes de la société La Semelle Moderne au titre du droit d’auteur étaient irrecevables faute de qualité à agir.

La société La Semelle Moderne revendique la protection de la semelle Koka au titre du droit d’auteur, en soutenant que le jugement l’a exclue au regard de l’imprécision de l’apport créatif de l’auteur. Elle indique qu’une semelle a déjà été protégée au titre du droit d’auteur, qu’une combinaison d’éléments caractéristiques permet d’obtenir cette protection même si certains d’entre eux sont banals, l’appréciation de l’originalité devant se faire de manière globale. Elle reprend les caractéristiques de sa semelle, fruit d’un travail minutieux qui lui donne un caractère distinctif, le but étant de donner un esthétisme proche de la spartiate, avec une grande finesse de l’avant pied contrastant avec l’aspect du talon de type bottine. Elle écarte les antériorités avancées par la société Vêtir comme dépourvues de pertinence, l’originalité découlant d’une combinaison d’éléments absente de ses semelles antérieures. Elle écarte aussi le grief du caractère fonctionnel imposé par la forme des produits, soutient que sa semelle forme une combinaison originale de caractéristiques, et sollicite l’infirmation du jugement sur ce point.

La société Vêtir relève qu’il revient au demandeur à l’action en contrefaçon de démontrer l’originalité de son produit, que la société La Semelle Moderne ne justifie pas des choix créatifs effectués, ni des éléments sur une prétendue création. Elle dénonce la banalité d’une semelle en gomme, et la seule description de caractéristiques connues et dénuées d’originalité de la société La Semelle Moderne. Elle souligne l’absence de parti pris esthétique, le caractère très commun du talon dit bottier, le fait que la forme asymétrique de la semelle soit imposée par la forme du pied. Elle souligne l’absence de revendication des motifs figurant sur la semelle, la fragilité de l’originalité de la mention ‘semelle fabriquée en France’, et soutient que les caractéristiques de la semelle Koka appartiennent au fond commun de la semelle. Elle fait état de l’absence d’originalité des éléments dénoncés par la société La Semelle Moderne, même dans leur combinaison. Elle analyse le talon bottier revendiqué par la société La Semelle Moderne, objet de plusieurs dépôts antérieurs à la semelle Koka dont l’intimée a seulement repris les caractéristiques ; de même dénonce-t-elle la banalité du rond dans lequel figure la pointure, et d’une forme ovale figurant en dessous, comme d’une semelle d’usure en gomme composée d’une strate de cuir et la forme arrondie de la trépointe de la semelle. Elle argue que la partie supérieure de la semelle Koka est composée d’un motif arbitraire dénué de fonction technique, mais qui n’établit pas un parti pris créatif, et n’est pas reproduit par sa semelle. Elle sollicite la confirmation du jugement qui a déclaré cette semelle non originale et protégeable au titre du droit d’auteur.

*****

En vertu des articles 31 et 32 du code de procédure civile, l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé, toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir étant irrecevable.

Conformément à l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend a faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

L’article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que l’auteur d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette ‘uvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial.

Ce droit appartient, en application de l’article L.112-1 du même code, à l’auteur de toute ‘uvre

de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination.

En vertu de l’article L.112-2 10° du code de la propriété intellectuelle, sont considérées notamment comme ‘uvres de l’esprit au sens de ce code, les ‘uvres des arts appliqués.

La protection est acquise à l’auteur d’une oeuvre de l’esprit sans formalité et du seul fait de la création d’une forme originale en ce sens qu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur et n’est pas la banale reprise d’un fonds commun non appropriable.

Il appartient à celui qui se prévaut d’un droit d’auteur dont l’existence est contestée de définir et d’expliciter les contours de l’originalité qu’il allègue afin de permettre à celui qui remet en cause ce droit de le contester utilement.

A cet égard, si une combinaison d’éléments connus ou naturels n’est pas a príori exclue de la protection du droit d’auteur, il convient que la description qui en est faite soit suffisamment précise pour limiter le monopole demandé à une combinaison déterminée opposable à tous sans s’étendre à un genre insusceptible d’appropriation.

La protection légale suppose que l’auteur ait été animé, dans la conception de l’oeuvre, du souci de donner à celle-ci une valeur nouvelle dans le domaine de l’agrément, et séparable du caractère fonctionnel de l’objet envisagé.

Selon la CJUE, la circonstance qu’un modèle génère un effet esthétique ne permet pas, en soi, de déterminer si ce modèle constitue une création intellectuelle reflétant la liberté de choix et la personnalité de son auteur ; aussi, le fait que des modèles génèrent, au-delà de leur objectif utilitaire, un effet visuel propre et notable du point de vue esthétique n’est pas de nature à justifier qu’ils soient qualifiés d’ ”uvres’ protégeables au titre du droit d’auteur.

En l’espèce, la société La Semelle Moderne revendique l’originalité, pour son modèle de semelle Koka découlant de la combinaison originale des caractéristiques suivantes :

‘- une semelle d’usure et un bonbout (la dernière épaisseur du talon qui sert donc de couche d’usure en contact avec le sol) en aspect « gomme » de couleur miel foncé et, entre ces deux couches, un talon enveloppé de cuir naturel d’une largeur d’un centimètre dans sa partie arrière ;

– une semelle d’usure qui se caractérise par un gabarit particulièrement asymétrique (c’est-à-dire

qui va au-delà de la seule forme du pied à la différence d’un gabarit symétrique ou longiligne) et composée :

/ sous sa partie avant pied, d’un dessin composé de plusieurs lignes de signes géométriques et typographiques (« @ », « & », € etc.),

/ juste en dessous, positionné vers l’intérieur de la semelle, d’un rond creusé dans lequel est inscrite en relief la pointure de la chaussure,

/ puis, encore en dessous, au centre, d’une forme ovale allongée aux contours creusés ;

– un bonbout qui fait quant à lui apparaître 5 ronds creusés, imitation de clous, ainsi que des striures apposées en diagonale ;

– une lisse (face latérale qui constitue le pourtour de la semelle) arrondie ainsi qu’une trépointe (à l’origine la bande de cuir destinée à être fixée tout autour de la chaussure) en arrondi ¿ de rond toujours en aspect gomme’.

La forme asymétrique s’explique par celle de la voûte plantaire, et est ainsi imposée par la fonction, cette forme devant suivre celle du pied. Il est aussi justifié qu’une lisse arrondie est présente sur au moins un modèle de semelle déposé auparavant.

Si la société La Semelle Moderne revendique, s’agissant du bonbout, ‘la présence sur celui-ci de 5 ronds creusés, imitation de clous, ainsi que des striures apposées en diagonale’, il est justifié par la société Vêtir de l’existence de cinq modèles déposés à l’EUIPO entre 2011 et 2013, présentant de la même façon 4 ou 5 ronds creusés pouvant évoquer des clous, ainsi que des striures disposées également en diagonale.

Trois modèles européens déposés avant le modèle sur lequel la société La Semelle Moderne revendique des droits présentent également, sous la partie de la semelle correspondant à l’avant pied, un rond creusé dans lequel est inscrite la pointure de la chaussure -ce qui relève du fond commun de la chaussure-, avec en dessous, au centre, d’une forme ovale allongée aux contours creusés.

Il est également justifié qu’un modèle déposé en 2013 à l’EUIPO présente, dans une couleur caramel (donc similaire à la couleur miel foncé revendiquée), ‘un bonbout… en aspect ‘gomme’ de couleur miel foncé et, entre ces deux couches, un talon enveloppé de cuir naturel d’une largeur d’un centimètre dans sa partie arrière’ ainsi que le revendique la société La Semelle Moderne. Un tel talon figure en outre sur plusieurs modèles de chaussures commercialisés avant le dépôt du modèle de la société La Semelle Moderne, de sorte qu’il relève du fond commun de la chaussure.

Il en résulte qu’à l’exception du dessin, sous sa partie avant du pied, composé de plusieurs lignes de signes géométriques et typographiques ([ ], @, &, £, §…), les éléments constituant la semelle ne peuvent en eux même revendiquer une originalité.

Cependant, comme l’observe la société Vêtir, cette superposition de différents signes typographiques ne traduit pas un parti pris esthétique ni ne révèle un effort créatif particulier.

La société La Semelle Moderne ne conteste pas que ses caractéristiques sont déjà connues et appartiennent à l’univers de la chaussure, mais fait état de l’originalité de la combinaison des éléments qui la composent.

Pour autant, si elle soutient que cette combinaison est le fruit d’un travail minutieux, pensé dans ses moindres détails, associant un avant pied très fin au gabarit asymétrique et aux lignes arrondies avec un talon de type bottine comprenant un empiècement en cuir entre deux éléments de caoutchouc, elle n’indique pas l’identité du créateur de la semelle, ni ne verse une attestation par laquelle il décrirait la démarche qu’il a suivie pour parvenir à créer ladite semelle.

De même, il n’est produit aucun croquis relevant de ce travail de création, ni aucune pièce illustrant ce travail.

Si l’originalité doit être appréciée de façon globale, la société La Semelle Moderne ne justifie pas d’un effort créatif quant à la combinaison des éléments la constituant, dont elle ne peut se dispenser même si cette combinaison ne se retrouve pas à l’identique dans d’autres chaussures.

L’association revendiquée d’un aspect très fin de l’avant pied avec un talon de type bottine – courant dans sa disposition – n’apparaît pas révélatrice d’originalité, la société La Semelle Moderne ne pouvant la déduire de la forme de la chaussure légère à laquelle serait associée sa semelle, par opposition aux chaussures de type fermé auxquelles seraient destinées les autres semelles présentant certaines caractéristiques identiques.

Il n’apparaît pas que la combinaison des éléments connus, combinés entre eux dans cette semelle lui confère une physionomie qui porte l’empreinte de la personnalité de son auteur et soit révélatrice de choix arbitraires manifestant l’expression de sa sensibilité.

Faute pour la société La Semelle Moderne d’établir suffisamment en quoi la personnalité de l’auteur s’est manifestée dans la création de cette semelle, le jugement sera confirmé en ce qu’il l’a déclarée irrecevable dans son action en contrefaçon de droit d’auteur pour défaut d’originalité de l’oeuvre revendiquée.

Sur la validité du modèle

Le jugement a retenu que le modèle revendiqué par la société La Semelle Moderne était nouveau et propre, ce que les modèles opposés ne parvenaient pas à contester, de sorte qu’il a rejeté la demande en nullité du modèle.

La société Vêtir conteste la nouveauté du modèle de la société La Semelle Moderne, qui l’aurait elle-même divulgué en déposant un autre modèle le 21 novembre 2012 présentant les mêmes éléments que le modèle de 2014 dont la protection est revendiquée. Elle fait état des différences insignifiantes entre les modèles, rappelle que les modèles doivent être comparés au vu de leur dépôt, et non au vu des clichés versés par la société La Semelle Moderne. Elle produit aussi le modèle Procaldao qui serait destructeur de nouveauté, comme plusieurs modèles antérieurs au modèle Koka.

Elle conteste aussi le caractère propre de ce modèle car l’observateur averti, qui sera un professionnel de la chaussure, constatera que ses caractéristiques appartiennent au fond commun de la chaussure. Elle relève notamment le rond en partie centrale pour indiquer la taille de la chaussure, l’ovale en milieu de semelle, le talon dit ‘bottier’ comportant un emplacement de cuir. Cette combinaison d’éléments étant déjà connue de l’utilisateur averti, ce modèle ne peut revendiquer aucun caractère propre.

Après avoir rappelé les règles applicables, la société La Semelle Moderne indique que la semelle est l’élément clé d’une chaussure, et que le caractère individuel d’un modèle ne doit être apprécié qu’au vu d’antériorités prises individuellement et non combinées entre elles. Elle soutient que la société Vêtir n’examine le modèle qu’au regard des éléments qu’elle a copiés.

Elle compare son modèle Koka en cause avec son modèle Tryo de 2012, et relève les différences visibles sur les dépôts INPI, notamment quant à la hauteur du talon. Elle écarte aussi toute identité avec le modèle Procaldao, et rappelle la nécessité d’antériorités de toutes pièces pour priver de nouveauté un modèle.

S’agissant de son caractère propre, il ne peut être apprécié qu’au regard d’antériorités prises individuellement, alors que la société Vêtir décompose ses caractéristiques pour les comparer.

Elle souligne les différences existant avec les antériorités avancées par la société Vêtir pour le talon, pour la forme ovale combinée au rond positionné dans lequel apparaît la pointure, pour le talon composé d’une strate de cuir enveloppée entre la semelle de cuir et le bonbout. Elle affirme que son modèle produit sur l’utilisateur averti une impression visuelle différente des semelles présentes sur le marché.

*****

L’article L.511-1 du code de la propriété intellectuelle prévoit que ‘peut être protégée à titre de dessin ou modèle l’apparence d’un produit, ou d’une partie de produit, caractérisée en particulier par ses lignes, ses contours, ses couleurs, sa forme, sa texture ou ses matériaux. Ces caractéristiques peuvent être celles du produit lui-même ou de son ornementation.

Est regardé comme un produit tout objet industriel ou artisanal, notamment les pièces conçues pour être assemblées en un produit complexe, les emballages, les présentations, les symboles graphiques et les caractères typographiques, à l’exclusion toutefois des programmes d’ordinateur’.

L’article L.511-2 indique que ‘seul peut être protégé le dessin ou modèle qui est nouveau et présente un caractère propre’.

Il sera rappelé que la société La Semelle Moderne revendique le modèle ‘Koka’ n°20142078 déposé le 14 mai 2014.

Sur la nouveauté

L’article L.511-3 précise qu’ ‘un dessin ou modèle est regardé comme nouveau si, à la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou à la date de la priorité revendiquée, aucun dessin ou modèle identique n’a été divulgué. Des dessins ou modèles sont considérés comme identiques lorsque leurs caractéristiques ne diffèrent que par des détails insignifiants’.

Le modèle ‘Tryo’ déposé le 21 novembre 2012 sous le n°20125178 par la société La Semelle Moderne, qui constituerait selon la société Vêtir une auto-divulgation du modèle Koka, ne présente pas les mêmes motifs décoratifs que ceux figurant sous la partie avant de la semelle du modèle Koka, ceux du modèle Tryo n’étant constitués que de ronds. De même, elle ne dispose pas d’une tranche plus claire dans l’épaisseur du talon que le modèle Koka, lequel est plus développé vers l’intérieur au niveau de l’avant du pied. Le modèle Koka présente au surplus une lisse plus arrondie que le modèle Tryo qui, au vu de ces différences notables, ne peut constituer une auto-divulgation.

S’agissant du modèle de la société Procaldao du 1er octobre 2012, c’est à raison que le jugement a retenu qu’il présentait des différences très visibles, notamment les cercles concentriques peu nombreux apposés sur une surface striée sur la partie avant de la semelle, et son talon présentant des strates sombres en alternance. Ces strates sont plus sombres et plus nombreuses que sur le talon du modèle Koka, lequel est moins épais. Comme le relève la société Vêtir elle-même, il présente en partie centrale un rectangle, là où le modèle Koka présente une forme ovale. Aussi, ce modèle ne peut être destructeur de nouveauté du modèle Koka.

Le jugement avait relevé que les autres modèles versés par la société Vêtir (pièces 25, 26, 28, 29 et 30) ne faisaient pas l’objet de développements particuliers, de même que les semelles des chaussures figurant dans les publications de presse (pièces 31, 32, 33), et il en est de même devant la cour. Ces pièces ne peuvent ainsi constituer des antériorités de toutes pièces, ce d’autant que ces modèles présentent des différences significatives avec le modèle Koka. Aussi, la nouveauté de celui-ci n’est pas utilement contestée, et le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur le caractère propre

Selon l’article L.511-4, ‘un dessin ou modèle a un caractère propre lorsque l’impression visuelle d’ensemble qu’il suscite chez l’observateur averti diffère de celle produite par tout dessin ou modèle divulgué avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou avant la date de priorité revendiquée.

Pour l’appréciation du caractère propre, il est tenu compte de la liberté laissée au créateur dans la réalisation du dessin ou modèle’.

L’utilisateur averti se comprend comme un utilisateur doté non d’une attention moyenne mais d’une vigilance particulière, que ce soit en raison de son expérience personnelle ou de sa connaissance étendue du secteur considéré.

Pour qu’un modèle puisse être considéré comme présentant un caractère individuel, l’impression globale que ce modèle produit sur l’utilisateur averti doit être différente de celle produite sur cet utilisateur non pas par une combinaison d’éléments isolés, tirés de plusieurs dessins ou modèles antérieurs, mais par un ou plusieurs dessin ou modèles antérieurs, pris individuellement.

Comme en 1ère instance, la société Vêtir fait état d’antériorités (ses pièces 8 à 34) prises globalement, sans procéder à la comparaison détaillée de chacune de ces pièces avec le modèle Koka en cause.

La société La Semelle Moderne a détaillé les différents éléments constituant son modèle qui, par leur combinaison, produiront sur le professionnel de la chaussure ou le connaisseur du marché de la chaussure, soit l’utilisateur averti, une impression d’ensemble dont il n’est pas justifié par la société Vêtir que les pièces qu’elle avance produirait chez lui une impression identique. En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de la société Vêtir au titre de la nullité du modèle Koka n°20142078 de la société La Semelle Moderne.

Sur la contrefaçon

Le jugement, après avoir relevé les caractéristiques essentielles du modèle, a retenu que la société Vêtir avait, au vu du procès-verbal de saisie-contrefaçon, commercialisé des sandales dont la semelle comporte toutes les caractéristiques du modèle Koka à l’exception des motifs de la partie haute. Il a considéré que les signes incrustés sur la semelle du modèle sont très voisins des lignes figurant sur la semelle arguée de contrefaçon, qui reprend toutes les autres caractéristiques du modèle, de sorte qu’il a déclaré la semelle incorporée dans les sandales en cause contrefaisante.

La société Vêtir conteste toute contrefaçon de la semelle Koka par la commercialisation des sandales en cause, indique qu’elle a commandé auprès de son fournisseur un modèle de sandale et non de semelle, et rappelle que l’utilisateur averti n’accorde qu’une attention limitée aux éléments banals pour se concentrer sur les caractéristiques arbitraires ou qui diffèrent de la norme. Elle souligne le motif fantaisiste et arbitraire de la semelle Koka, occupant toute la partie haute, que les semelles des sandales qu’elle a vendues ne reprennent pas puisqu’elles présentent un quadrillage. Elle fait état de l’impression d’ensemble différente donnée par la partie haute de ses semelles, et que la partie basse est constituée d’éléments plus communs. Aussi ne peut-il lui être reproché que la reprise partielle d’éléments banals, et l’utilisateur averti ne peut conclure à une impression d’ensemble similaire, l’intimée ne pouvant s’octroyer le monopole d’éléments relevant du fond commun de la semelle.

La société La Semelle Moderne soutient que la contrefaçon ne s’entend pas nécessairement d’une copie servile, mais de la reprise des éléments caractéristiques de nature à produire chez l’observateur averti une impression visuelle d’ensemble similaire. Elle affirme que la matérialité des actes de contrefaçon découle de la comparaison de son modèle avec la semelle incorporée dans la chaussure litigieuse, et liste les caractéristiques se trouvant sur les deux semelles. Elle en déduit que la combinaison des caractéristiques essentielles du modèle Koka est reprise, relève que de profil les semelles sont semblables, et conteste reprocher à la société Vêtir d’avoir repris la seule partie basse de la semelle. Elle ajoute que la légère modification des signes sur les semelles ne produit pas chez l’utilisateur averti une impression visuelle d’ensemble différente du modèle Koka. Elle souligne la reprise à l’identique de tous les autres éléments du modèle, et rappelle que la société Vêtir s’est précédemment fournie, par le biais du groupe Eram, auprès d’elle avant de s’adresser à son fournisseur asiatique pour en réaliser une copie servile à moindre coût. Elle déduit de cette copie l’existence d’acte de contrefaçon.

*****

L’article L.513-4 prévoit que ‘sont interdits, à défaut du consentement du propriétaire du dessin ou modèle, la fabrication, l’offre, la mise sur le marché, l’importation, l’exportation, le transbordement, l’utilisation, ou la détention à ces fins, d’un produit incorporant le dessin ou modèle’.

L’article L.513-5 indique que ‘la protection conférée par l’enregistrement d’un dessin ou modèle s’étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l’observateur averti une impression visuelle d’ensemble différente’.

Il est établi par procès-verbal de constat du 12 juin 2018 qu’a été vendue, dans une boutique à enseigne Gemo de Gennevilliers, deux paires de sandales portant respectivement les références 30 38 331 0540 et 30 38 331 0541, et la société La Semelle Moderne soutient que les semelles de ces sandales contrefont le modèle de semelle Koka déposé le 14 mai 2014 et enregistré sous le numéro 20142078 dont elle est titulaire.

La société La Semelle Moderne relève que les deux semelles présentent les mêmes caractéristiques suivantes :

– une semelle d’usure et un bonbout en aspect « gomme » de couleur miel foncé et, entre ces deux couches, un talon plus clair enveloppé de cuir naturel d’une largeur d’un centimètre dans sa partie arrière ;

– positionné vers l’intérieur de la semelle, un rond creusé dans lequel est inscrite en relief la pointure de la chaussure ; en dessous, au centre, une forme ovale allongée aux contours creusés ;

– sur le bonbout, cinq ronds creusés ainsi que des striures en diagonale, l’ensemble disposé de la même manière ;

– une lisse arrondie et une trépointe en arrondi ;

– un gabarit très asymétrique.

La société La Semelle Moderne reconnaît que les motifs présents sur la partie avant pied ne sont pas les mêmes, mais relève qu’ils sont dessinés au même endroit, sans encadré défini, et que le pourtour extérieur de la semelle est marqué par une bande de texture lisse.

En effet, les motifs fantaisistes ([], &, €, $, £, §, %,…) présents sur la partie supérieure de la semelle du modèle Koka, ne figurent pas sur la partie supérieure des semelles arguées de contrefaçon, marquées par des marbrures avec au centre un quadrillage irrégulier.

Or, cette partie supérieure de la semelle occupe la moitié de la semelle et ces motifs fantaisistes, restant visibles après avoir été incorporés dans un produit plus complexe qu’est la chaussure, vont être observés par l’utilisateur averti, qui retournera notamment les chaussures pour les examiner.

Il est par ailleurs à considérer que s’agissant de l’appréciation de l’impression globale produite par les modèles sur l’utilisateur averti, celui-ci n’accorde qu’une attention limitée aux éléments qui sont totalement banals et communs à tous les exemples du type de produit en cause et se concentre sur les caractéristiques qui sont arbitraires ou qui diffèrent par la forme.

Or, la plupart des éléments dont la reprise par la semelle litigieuse est dénoncée par la société La Semelle Moderne sont répandus dans le domaine de la semelle de chaussure, qu’il s’agisse du rond creusé portant en relief la pointure de la chaussure, de la forme ovale située en dessous au centre, ou du talon ‘bottier’ composé de striures et de petits cercles, avec un empiècement de cuir. Du fait de leur emprunt au fond commun de la maroquinerie, une telle reprise ne suffit pas à caractériser la contrefaçon.

Aussi l’observateur averti donnera une considération particulière aux signes occupant la partie supérieure de la semelle, ce d’autant que la place qu’ils couvrent est importante puisque correspondant à la moitié supérieure de la semelle. Au vu de la place importante occupée par ces signes, il aura une impression visuelle d’ensemble différente de ces deux semelles.

En conséquence, la contrefaçon n’apparaît pas établie, et le jugement sera infirmé sur ce chef.

Sur la concurrence déloyale et parasitaire

Le jugement n’a pas fait droit à cette demande, considérant que les demandes de la société La Semelle Moderne reposaient sur des faits identiques à ceux invoqués au titre de la contrefaçon, pour laquelle ses demandes avaient été satisfaites, et les préjudices indemnisés.

La société La Semelle Moderne dénonce l’attitude de la société La Semelle Moderne, qui a fait reproduire par son fabricant asiatique sa semelle sans son autorisation, ce qui révèle un comportement déloyal. Elle avance qu’en reproduisant servilement toutes les caractéristiques du modèle Koka, la société Vêtir a délibérément créé un risque de confusion, ce d’autant que la reproduction de certaines d’entre elles ne s’imposait pas. Elle souligne l’importance de la semelle dans la construction de la chaussure, qui participe à son allure générale, et relève que le risque de confusion est créé par la vente concomitante de chaussures disposant de son modèle de semelle, avec d’autres chaussures disposant de la semelle contestée, à moindre prix.

Elle en déduit que la clientèle professionnelle de fabricants de chaussures se fournissant auprès d’elle a pu se détourner de sa semelle, considérant qu’elle était vendue à un prix excessif. Elle dénonce l’atteinte à son image, fabriquant en France alors que des semelles de moindre qualité sont fabriquées en Asie, et fait état du succès de ce modèle Koka, vendu à plus de 230.000 exemplaires, de sorte qu’il dispose d’une valeur économique individualisée. Elle souligne que la société Vêtir s’est d’abord approvisionnée auprès d’elle, avant de le faire en toute connaissance de cause et à moindre coût auprès d’un fournisseur chinois.

Au titre du parasitisme, elle relève la reprise à l’identique des caractéristiques de son modèle, révélant la volonté délibérée de se placer dans son sillage afin de bénéficier sans bourse délier de ses investissements. Elle détaille notamment les frais de mise au point des moules, et fait état de ses efforts de création.

La société Vêtir conteste toute concurrence déloyale, ayant vendu un modèle de sandale sous lequel est fixée une semelle classique, non visible pour le consommateur moyen. Elle relève que le modèle de semelle ne déclenche pas l’acte d’achat de la chaussure sous laquelle elle est placée, et que les ventes de sandales qu’elle a effectuées le sont en raison de l’apparence du modèle de sandale et non de sa semelle. Elle ajoute que la société La Semelle Moderne est un grossiste qui vend à des distributeurs et non au public, souligne que ses semelles ne reproduisent pas le motif particulier figurant sur la partie supérieure de la semelle Koka ce qui exclurait le risque de confusion, ce d’autant que ses semelles portent une marque. Elle indique que les deux sociétés ne s’adressent pas au même public, ce qui exclut toute concurrence, que la société La Semelle Moderne fait état de prix de chaussures et non de semelles, et ne justifie pas de la qualité inférieure des semelles qu’elle dénonce. Elle avance que la société La Semelle Moderne ne peut prétendre avoir un droit acquis à des commandes permanentes des filiales du groupe Eram, que la réalisation de produits similaires à des prix inférieurs s’inscrit dans le jeu normal de la concurrence, et qu’il ne peut lui être fait grief de se fournir à l’étranger.

Elle conclut au rejet de tout parasitisme, faute pour la société La Semelle Moderne de justifier de ses investissements, la seule fabrication des moules étant une dépense indispensable à la fabrication de semelles.

*****

La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce, ce qui implique qu’un produit puisse être librement reproduit sous réserve de l’absence de faute induite par la création d’un risque de confusion dans l’esprit du public sur l’origine du produit. L’appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d’une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause, la reprise d’une combinaison et d’un agencement, même individuellement usuels, pouvant caractériser des actes de concurrence déloyale s’il en résulte un risque de confusion dans l’esprit du public.

Reposant aussi sur l’article 1240 du code civil, le parasitisme ne requiert pas l’existence d’un risque de confusion, mais la circonstance qu’une personne morale ou physique s’inspire ou copie, à titre lucratif et de manière injustifiée, une valeur économique d’autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements. Il consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d’un autre en profitant indûment de la notoriété acquise ou des investissements réalisés.

S’agissant de la concurrence déloyale, la société Vêtir soutient que l’acte d’achat d’une paire de chaussures n’est pas déclenché par le modèle de semelle dont elle est dotée, et produit en ce sens une attestation d’un expert dressé en 2015 soit avant l’apparition du litige ; de son côté la société La Semelle Moderne verse trois témoignages de personnes intervenant dans le domaine de la chaussure faisant état de l’importance du choix de la semelle dans la construction d’une chaussure, la semelle étant une partie intégrante de la chaussure, et déterminante de sa physionomie.

Les semelles sont visibles au moment de l’acte d’achat, l’utilisateur final pouvant retourner les chaussures pour les examiner, et apprécier l’aspect général qu’elles contribuent à donner à la chaussure, comme le confort et la souplesse qu’elles apportent.

Si une situation de concurrence directe ou effective entre les sociétés n’est pas une condition de l’action en concurrence déloyale qui exige seulement l’existence de faits fautifs générateurs d’un préjudice, il n’en demeure pas moins que la société La Semelle Moderne est un fabricant de semelles vendant à des distributeurs alors que la société Vêtir exerçant sous l’enseigne Gemo commercialise des chaussures et accessoires pour femmes, hommes et enfants, de sorte que ces sociétés ne s’adressent pas à la même clientèle et n’utilisent pas les mêmes réseaux de distribution.

Alors que la société La Semelle Moderne dénonce la reprise servile de la totalité des caractéristiques du modèle Koka par les semelles des chaussures de la société Vêtir, il est établi que ces semelles ne reproduisent pas les motifs particuliers figurant sur toute la moitié supérieure de la semelle Koka, et les autres éléments dont la société La Semelle Moderne dénonce la reprise font partie du fond commun de la semelle, de sorte que le risque de confusion n’est pas suffisamment établi.

La clientèle de la société Vêtir n’achète pas des semelles seules, mais des chaussures équipées de semelles, chaussures sur lesquelles figure la marque Gemo, ce qui identifie l’origine des produits, alors que la société La Semelle Moderne ne vend pas ses semelles sous sa propre marque.

La société La Semelle Moderne ne peut invoquer la différence de prix des chaussures vendues par la société Vêtir, selon qu’elles sont équipées de sa semelle ou de la semelle querellée, pour en déduire que la société Vêtir a fait fabriquer une semelle identique à moindre prix pour proposer ses chaussures à un prix public moins élevé, les prix portant sur des modèles de chaussures différents.

Enfin, il ne peut être reproché à la société Vêtir d’avoir recherché des semelles à des prix inférieurs à celui proposé par la société La Semelle Moderne.

Au vu de ce qui précède, et alors que l’existence d’un risque de confusion n’est pas retenue, la société La Semelle Moderne sera déboutée de sa demande au titre de la concurrence déloyale, le jugement étant confirmé sur ce point.

S’agissant du parasitisme, la société Vêtir écarte cette demande en retenant que la société La Semelle Moderne ne justifierait pas de ses investissements.

Les seuls éléments fournis par la société La Semelle Moderne sont relatifs aux frais de mise au point des moules de fabrication des semelles Koka, en 2014 et 2015.

Ces seuls frais ne sauraient justifier d’un savoir-faire particulier et propre de la société La Semelle Moderne, d’un travail intellectuel de création de la semelle Koka générant un avanatage concurrentiel dont elle aurait supporté le coût, de frais promotionnels ou de publicité engagés pour assurer la vente de cette semelle.

Au surplus, il n’est pas contesté que le bon de commande de la société Vêtir auprès de la société Whenzhou Start Import Export porte non sur un modèle de semelle, mais sur un modèle de sandale, sans qu’il apparaisse que la société Vêtir ait choisi le modèle de semelle fixé sous ce modèle de sandale.

Aussi, et alors que les éléments de la semelle Koka dont la société La Semelle Moderne dénonce la reprise font partie du fond commun de la semelle, la demande présentée au titre du parasitisme n’apparaît pas fondée, et il n’y sera pas fait droit.

Sur les demandes complémentaires et reconventionnelles

Les demandes principales de la société La Semelle Moderne n’étant pas accueillies, ses demandes reconventionnelles seront rejetées.

L’accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, ce n’est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le fait d’exercer une action en justice ou une voie de recours en justice légalement ouverte, est susceptible de constituer un abus, à condition pour celui qui l’invoque de caractériser une faute.

En l’espèce, la société Vêtir ne démontre pas que l’engagement de la procédure par la société La Semelle Moderne et l’appel qu’elle a interjeté auraient été abusifs de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la société Vêtir de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Sur les autres demandes

Les condamnations prononcées en 1ère instance au titre des dépens et frais irrépétibles seront infirmées.

La société La Semelle Moderne sera condamnée au paiement des dépens de 1ère instance et d’appel, ainsi qu’au versement à la société Vêtir de la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement en ce qu’il a déclaré la demande en contrefaçon de droit d’auteur irrecevable, rejeté les demandes de destruction et de publication, rejeté les demandes au titre de la concurrence déloyale et parasitaire et en procédure abusive,

Infirme pour le surplus,

statuant à nouveau,

Déboute les parties de leurs autres demandes,

Condamne la société La Semelle Moderne à verser à la société Vêtir une somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société La Semelle Moderne aux entiers dépens de la présente instance et autorise Me Pedroletti à les recouvrer conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur François THOMAS, Président et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


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