Oeuvre originale : 29 juin 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/03709

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Oeuvre originale : 29 juin 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/03709
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29 juin 2023
Cour d’appel de Versailles
RG n°
22/03709

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 39H

14e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 29 JUIN 2023

N° RG 22/03709 – N° Portalis DBV3-V-B7G-VHP2

AFFAIRE :

S.A.S.U. PIC 92 PUBLICITE IMPRESSION CREATION

C/

S.A.R.L. EUROPE ET COMMUNICATION

Décision déférée à la cour : Arrêt rendu le 14 Avril 2022 par le Cour de Cassation de PARIS

N° RG : 412 F-D

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 29.06.2023

à :

Me Mélina PEDROLETTI, avocat au barreau de VERSAILLES

Me Isabelle CHARBONNIER, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT NEUF JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de VERSAILLES, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

DEMANDERESSE devant la cour d’appel de Versailles saisie comme cour de renvoi, en exécution d’un arrêt de la Cour de cassation (2ème chambre civile) du 14 avril 2022 cassant et annulant l’arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles, 14ème chambre le 5 novembre 2020

S.A.S.U. PIC 92 PUBLICITE IMPRESSION CREATION

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 5]

Ayant pour avocat plaidant Me Françoise LALANNE, du barreau de Paris

Représentée par Me Mélina PEDROLETTI, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626 – N° du dossier 25785

****************

DEFENDERESSE DEVANT LA COUR DE RENVOI

S.A.R.L. EUROPE ET COMMUNICATION

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

N° SIRET : 409 80 4 4 16

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Isabelle CHARBONNIER, Postulant, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 355

Ayant pour avocat plaidant Me Stéphanie LEGRAND, du barreau de Paris

****************

Composition de la cour :

L’affaire a été débattue à l’audience publique du 24 Mai 2023, Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, conseiller ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseiller faisant fonction de président,

Madame Anne THIVELLIER Conseiller,

Madame Marietta CHAUMET, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Mme Elisabeth TODINI

EXPOSE DU LITIGE

La sasu Pic 92 Publicité Impression Création (PIC 92) et la S.A.R.L. Europe et Communication sont deux entreprises concurrentes sur le marché de la conception, la réalisation et la commercialisation de bureaux de vente destinés à la promotion immobilière.

La société Europe et Communication a connu plusieurs départs de salariés. Après avoir été précédemment salariés de cette société, M. [Z] [U] et M. [P] [L] ont été embauchés par la société PIC 92 respectivement en qualité de chef de projet et de directeur artistique les 6 mars 2017 et 4 mars 2019.

En décembre 2017, la société PIC 92 a fabriqué, par le recours à des sous-traitants, un prototype de bureaux de vente à structure métallique qu’elle a commercialisés auprès de plusieurs clients entre 2018 et 2019.

Par requête du 6 novembre 2019, la société Europe et Communication a sollicité la désignation d’un huissier de justice afin de rechercher certains documents auprès de la société PIC 92 pour établir la preuve d’actes de concurrence déloyale et illicite.

Par ordonnance rendue le 13 novembre 2019, le président du tribunal de commerce de Nanterre a désigné la Scp Venezia & Associés, huissiers de justice, pour réaliser des mesures de saisie.

L’huissier a accompli ses diligences le 2 décembre 2019.

Par acte d’huissier de justice délivré le 20 décembre 2019, la société PIC 92 a fait assigner en référé la société Europe et Communication aux fins d’obtenir principalement la rétractation de l’ordonnance du 13 novembre 2019.

Par ordonnance contradictoire rendue le 12 février 2020, le juge des référés du tribunal de commerce de Nanterre a :

– débouté la société PIC 92 de son exception d’incompétence et s’est déclaré compétent,

– confirmé en toutes ses dispositions l’ordonnance 2019 O 07788 rendue le 13 novembre 2019 par le tribunal de commerce de Nanterre,

– débouté la société PIC 92 de sa demande subsidiaire de maintien de la mesure de séquestre en l’étude de l’huissier missionné des documents saisis jusqu’à l’obtention d’une décision judiciaire définitive sur le sort de l’ordonnance rendue le 13 novembre 2019,

– condamné la société PIC 92 à payer à la société Europe et Communication la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

– rappelé que l’exécution provisoire est de droit.

Par arrêt du 5 novembre 2020, la présente cour a :

– infirmé l’ordonnance du juge des référés du 12 février 2020 sauf en ce qu’elle a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par la société PIC 92,

statuant à nouveau et y ajoutant,

– rétracté l’ordonnance sur requête rendue le 13 novembre 2019,

– ordonné à l’huissier instrumentaire de restituer à la société PIC 92 l’ensemble des données, documents, pièces ou supports appréhendés par lui et par tout expert informatique l’ayant assisté en exécution de l’ordonnance sur requête du 13 novembre 2019, de procéder à la destruction des supports subsistants et d’en dresser procès-verbal,

– dit que la société Europe et Communication supportera les dépens de première instance et d’appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

– condamné la société Europe et Communication à verser à la société PIC 92 la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Par arrêt du 14 avril 2022, rendu au visa de l’article 455 du code de procédure civile, la Cour de cassation a :

– cassé et annulé en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 5 novembre 2020, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles ;

– remis l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d’appel de Versailles, autrement composée.

Par déclaration reçue au greffe le 3 juin 2022, la société Pic 92 a saisi la présente cour.

Dans ses dernières conclusions déposées le 3 mars 2023 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Pic 92 demande à la cour de :

– dire l’appel recevable et bien fondé,

– débouter l’intimée de sa demande d’ ordonner le renvoi de la présente affaire devant une chambre de la cour d’appel de Versailles, autrement composée que celle ayant rendu l’arrêt cassé du 5 novembre 2020,

– la juger non fondée,

– juger que l’exception d’irrecevabilité soulevée par la société Europe et Communication est de la compétence du conseiller de la mise en état,

– la juger non fondée au visa de la nature de l’appel qui est la voie d’achèvement du litige,

– juger qu’en toute hypothèse la société Europe et Communication en sera déboutée,

– confirmer l’ordonnance en ce qu’elle déclare la juridiction commerciale compétente,

– infirmer l’ordonnance en ses autres dispositions,

– rétracter l’ordonnance sur requête rendue le 13 novembre 2019,

– juger que la société Europe et Communication ne justifie pas de la nécessité de recourir à une procédure non contradictoire,

– juger que la requête initiale de la société Europe et Communication est dépourvue de motif légitime,

– juger que la requête s’analyse en une demande de mesure générale d’investigation qui n’est pas légalement admissible,

– ordonner en conséquence à l’huissier de justice instrumentaire de restituer à la société PIC 92 l’ensemble des données, documents, pièces ou supports appréhendés par lui et par tout expert informatique l’ayant assisté en exécution de l’ordonnance sur requête du 13 novembre 2019, de procéder à la destruction des supports subsistants et d’en dresser procès-verbal.

subsidiairement, si la Cour ne faisait pas droit à la demande de rétractation de l’ordonnance initiale rendue par le juge des requêtes le 13 novembre 2019,

Faisant application des dispositions de l’article R. 153-1, alinéa 3 du code de commerce, et statuant sur la demande de levée partielle de la mesure de séquestre ordonnée,

Faisant application des dispositions des articles R 153-3 à R 153-7 du Code de Commerce,

– fixer un délai à la société appelante pour la communication de la version confidentielle intégrale des pièces ci-après listées, d’une version non confidentielle ou d’un résumé des pièces, et d’un mémoire précisant, pour chaque information ou partie de ces pièces, les motifs qui leur confèrent le caractère d’un secret des affaires.

t) Les conditions de l’appel d’offres et les documents contractuels et comptables pour les programmes Kauffman & Broad [Adresse 6], [Adresse 7], [Adresse 8], [Adresse 9],

u) Les conditions de l’appel d’offres et les documents contractuels et comptables pour les programmes Eiffage Immobilier La Vallée et L’Archipel,

v) Les conditions de l’appel d’offres et les documents contractuels et comptables pour le programme Pierre Etoile [Adresse 11],

w) Les conditions de l’appel d’offres et les documents contractuels et comptables pour le programme OGIC Le Castelin,

x) Les conditions de l’appel d’offres et les documents contractuels et comptables pour les programmes BNP Paribas Immobilier Les terrasses d’Opale et Vogue Avant-scène ou Elégance,

y) Les conditions de l’appel d’offres et les documents contractuels et comptables pour le programme Franco Suisse [Adresse 10],

z) Les conditions de l’appel d’offres et les documents contractuels et comptables pour le programme Nexity Square,

aa) Les conditions de l’appel d’offres et les documents contractuels et comptables pour le programme Pierreval [Adresse 12],

bb)Les conditions de l’appel d’offres et les documents contractuels et comptables pour le programme Groupe Valophis Nouvel horizon,

cc) Les conditions de l’appel d’offres et les documents contractuels et comptables pour le programme Emerige [Adresse 3],

dd)Les conditions de l’appel d’offres et les documents contractuels et comptables pour le programme Sefricime Country Club,

ee) L”appel d’offres, l’offre faite par la Société PIC 92, ainsi que tous les plans réalisés à cette occasion, et les échanges intervenus entre la Société PIC 92 Publicite Impression Creation et les promoteurs, y compris postérieurement à l’attribution du marché, se rapportant au bureau de vente Eiffage Promex Ceprom pour le programme Le domaine de Soave,

ff) Les documents comptables (devis, bons de commande, factures …) se rapportant aux commandes passées à la Société Favmesco, en volume et en valeur ;

gg)les documents comptables (devis, bons de commande, factures …) se rapportant aux relations commerciales entretenues par la Société PIC 92 Publicite Impression Creation avec la Compagnie Automobile Pour L’utilisation de Vehicules à Amenagements Speciaux, exerçant sous le sigle Cauvas, la date de début de fourniture par cette société de prestations de transport et d’installation de bureaux de vente et le nom et les références des programmes immobiliers correspondants ;

hh)les documents comptables (devis, bons de commande, factures …) se rapportant aux commandes passées par la Société PIC 92 Publicite Impression Creation à la Société C A M, année après année, depuis le 1er janvier 2017 ;

ii) les documents comptables (devis, bons de commande, factures …) se rapportant aux commandes passées par la Société PIC 92 Publicite Impression Création à la Société Installation Surfaces Commerciales 78, exerçant sous l’enseigne I.S.C. 78, année après année depuis le 1er janvier 2017 ;

jj) les documents comptables (devis, bons de commande, factures …) se rapportant aux commandes passées par la Société PIC 92 Publicite Impression Creation à la Société G.M.., année après année, depuis le 1er janvier 2017 ;

kk)les comptes annuels détaillés de la Société PIC 92 depuis le 1er janvier 2017,

– condamner la société Europe et Communication à payer à la société PIC 92 la somme de 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société Europe et Communication aux entiers dépens de première instance, d’appel et aux dépens de l’arrêt cassé en application de l’article 639 du code de procédure civile, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile, par Maître Mélina Pedroletti, avocat.’

Dans ses dernières conclusions déposées le 2 mars 2023 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Europe et Communication demande à la cour de :

‘- ordonner le renvoi de la présente affaire devant une chambre de la cour d’appel de Versailles, autrement composée que celle ayant rendu l’arrêt cassé du 5 novembre 2020 ;

– confirmer l’ordonnance rendue le 12 février 2020 par le juge des référés du tribunal de commerce de Nanterre en ce qu’elle a :

– débouté la société PIC 92 de son exception d’incompétence et s’est déclaré compétent,

– confirmé en toutes ses dispositions l’ordonnance 2019 O 07788 rendue le 13 novembre 2019 par le tribunal de commerce de Nanterre,

– débouté la société PIC 92 de sa demande subsidiaire de maintien de la mesure de séquestre en l’étude de l’huissier missionné des documents saisis jusqu’à l’obtention d’une décision judiciaire définitive sur le sort de l’ordonnance rendue le 13 novembre 2019,

– condamné la société PIC 92 à payer à la société Europe et Communication la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

y ajoutant,

– juger la société PIC 92 irrecevable et mal fondée en sa demande formée sur le fondement des articles R. 153-3 à R. 153-7 du code de commerce, comme nouvelle en cause d’appel, formée en violation du principe de concentration des moyens et sans objet ;

– débouter la société PIC 92 de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

– la débouter de ses demandes visant à voir ordonner à l’huissier de lui restituer l’ensemble des documents appréhendés par lui et par l’expert informatique l’ayant assisté, de procéder à la destruction des supports subsistants et d’en dresser procès-verbal ;

– condamner la société PIC 92 à verser à la société Europe et Communication la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d’appel, ainsi que de ceux de l’arrêt cassé, dont distraction au profit de Maître Isabelle Charbonnier, en application de l’article 699 du même code’.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 7 mars 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le renvoi à une autre chambre de la cour

La société Europe et Communication expose que l’affaire doit être évoquée devant une chambre de la cour autrement composée et déduit de l’ordonnance de roulement de la cour la conclusion que 2 magistrats sur 3 composant la 14ème chambre ont déjà siégé lors de la première instance devant la cour.

Sur ce,

La composition de la présente chambre est totalement distincte de celle ayant rendu la décision attaquée. Aucun renvoi ne peut donc être accordé à ce titre.

Sur la rétractation

La société PIC conteste en premier lieu le recours à une procédure non-contradictoire, affirmant que la motivation sur ce point de la requête et de l’ordonnance est insuffisante.

Elle expose notamment que l’intimée ne produit aucun élément justifiant du parasitisme dont elle se prévaut et qu’elle ne peut se prévaloir d’aucune création originale, ce qu’aurait permis d’établir une procédure contradictoire.

Arguant ensuite de l’absence de motif légitime, la société PIC conteste avoir débauché des salariés de la société Europe et Communication dans des conditions déloyales, s’agissant de M. [U] comme de M. [L] ou M. [I].

Elle affirme qu’aucun élément ne permet de démontrer qu’elle aurait eu recours à des sous-traitants dans des conditions de nature à fausser le jeu de la concurrence, faisant valoir que la société Europe et Communication ne produit aucun élément en ce sens.

Elle soutient que la société Europe et Communication ne peut se prévaloir d’aucune originalité dans les modèles techniques utilisés, ni ne justifie de l’existence d’investissements à ce titre.

Elle en déduit que le procès futur que l’intimée dit vouloir engager à ce titre est manifestement voué à l’échec.

Enfin, sur la nature disproportionnée des mesures ordonnées, la société PIC affirme qu’elles avaient le caractère d’une mesure générale d’investigation car insuffisamment précises quant au matériel concerné (bureau de vente bois, bureau ALGECO ou bureau de vente de structure métallique). Elle soupçonne la société Europe et Communication de chercher à mettre la main sur les informations concernant une société concurrente.

La société Europe et Communication rétorque que le recours à une procédure non-contradictoire était justifié par la nature des faits invoqués d’atteinte au secret des affaires et de concurrence déloyale et par le risque de déperdition des preuves, ainsi que le mentionnent clairement la requête et l’ordonnance.

Elle soutient disposer d’un motif légitime fondé sur des soupçons de concurrence déloyale dont se serait rendue coupable la société PIC.

Elle argue notamment de l’existence d’un lien entre l’embauche de ses anciens salariés (M. [U], M. [L], M. [I]) par l’appelante et le développement par celle-ci d’une nouvelle activité constituant une atteinte au secret des affaires, et de recours par la société PIC à des sous-traitants dans des conditions de nature à fausser le jeu normal de la concurrence.

Soutenant que le savoir-faire peut porter aussi bien sur des éléments techniques que sur des méthodes de gestion ou commerciales, la société Europe et Communication affirme être à l’origine d’un modèle technique et commercial original relatif à la fabrication, au transport et à la commercialisation de bungalows autoportés réutilisables qu’elle soupçonne la société PIC d’avoir détourné.

Sur les mesures ordonnées, la société Europe et Communication soutient qu’elles étaient légalement admissibles, les chefs de la mission étant circonscrits à la preuve des faits allégués et limités dans le temps.

Sur ce,

Selon l’article 145 du code de procédure civile : ‘s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées, à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé’.

Le juge, saisi d’une demande de rétractation d’une ordonnance sur requête ayant ordonné une mesure sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile et tenu d’apprécier au jour où il statue les mérites de la requête, doit s’assurer de l’existence d’un motif légitime, au jour du dépôt de la requête initiale et à la lumière des éléments de preuve produits à l’appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui, à ordonner la mesure probatoire et des circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement.

Sur le non-recours à une procédure contradictoire

Selon l’article 493 du code de procédure civile, l’ordonnance sur requête est une décision rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.

Les mesures d’instruction prévues à l’article 145 du code de procédure civile ne peuvent être ordonnées sur requête que lorsque les circonstances exigent qu’elles ne soient pas prises contradictoirement.

Le juge saisi d’une demande de rétractation statue sur les mérites de la requête en se prononçant, au besoin d’office, sur sa motivation ou celle de l’ordonnance. Il est nécessaire que soient exposés de manière explicite les motifs justifiant le non-recours à une procédure contradictoire. Cette motivation doit s’opérer in concreto et ne peut pas consister en une formule de style.

L’ordonnance vise la requête et les pièces qui y sont jointes, ce qui vaut adoption implicite des motifs figurant dans la requête.

Après avoir exposé les agissements reprochés à la société PIC 92, la société requérante Europe et Communication indique que ‘le recours à une procédure non contradictoire est justifié par la nature des faits d’atteinte au secret des affaires et de concurrence déloyale et illicite susceptibles d’avoir été commis’, faisant valoir qu”à défaut existerait un risque : que les éléments recherchés par l’huissier, en particulier les données informatiques, numériques ou électroniques détenues par les anciens salariés de la société Europe et Communication ou communiquées par eux à la société PIC 92 soient dissimulés ou détruits ; que l’huissier ne puisse pas recueillir de déclarations spontanées des personnes devant être entendues.’, concluant ‘l’effet de surprise, nécessaire pour assurer l’efficacité de la mesure sollicitée, justifie donc que celle-ci soit ordonnée non contradictoirement.’

L’ordonnance ajoute sur ce point : ‘la nécessité de solliciter la mesure de façon non contradictoire est justifiée eu égard au risque évident de déperdition des éléments de preuve nécessaires à l’action envisagée, en cas de débat contradictoire avec la société PIC 92″ ainsi que ‘l’effet de surprise est nécessaire à l’efficacité de la mesure sollicitée.’

Dans ces conditions, il sera retenu que l’ordonnance est motivée par renvoi à la nature des faits allégués de concurrence déloyale et à l’attitude de MM. [U] et [L] et de la société PIC 92, ensemble, expressément dénoncés dans la requête, justifiant le recours à cette procédure non contradictoire, de sorte que la société requérante a donc suffisamment caractérisé les circonstances nécessitant de déroger au principe de la contradiction par rapport à un contexte précis et suffisamment décrit.

Sur le motif légitime

Il résulte de l’article 145 que le demandeur à la mesure d’instruction n’a pas à démontrer le bien-fondé de l’action en vue de laquelle elle est sollicitée ou l’existence des faits qu’il invoque puisque cette mesure in futurum est destinée à les établir, mais qu’il doit toutefois justifier de la véracité des éléments rendant crédibles les griefs allégués et plausible le procès en germe.

Outre son caractère légitime, la mesure d’instruction visant à améliorer la situation probatoire du requérant, son utilité pour la recherche ou la conservation des preuves doit également être établie, étant souligné que sont sans incidence sur l’appréciation des mérites de la requête, les résultats de l’exécution des mesures sollicitées. En conséquence le motif légitime ne peut résulter de la saisie litigieuse et les développements de la partie requérante qui tenteraient de le caractériser de la sorte seront écartés.

Il sera également rappelé qu’il appartient à la partie requérante de justifier de ce que sa requête était fondée, et non aux demandeurs à la rétractation de rapporter la preuve qu’elle ne l’est pas.

En l’espèce, il est établi que M. [U] et [L] travaillent désormais pour le compte de la société PIC 92, concurrente de la société requérante Europe et Communication.

M. [U] était employé comme commercial de la société Europe et Communication depuis octobre 2014 et a démissionné le 14 septembre 2016.

M. [S], qui expose l’avoir reçu à cette occasion, certifie dans son attestation que M. [U] lui avait indiqué souhaiter créer une ‘boîte informatique’ avec un ami, mais il est justifié qu’il est salarié de la société PIC 92 depuis le 6 mars 2017.

Le contrat de prestation de recrutement produit par la société Europe et Communication mentionne que ‘[Z] [U] est un candidat issu de la chasse’, que ‘depuis octobre 2016, [Z] [U] est en recherche active d’emploi. Il souhaite retourner dans le secteur de la vente d’espaces de vente et de solutions de communication’, et que ‘il attend actuellement une réponse finale de Cuisinella pour un poste en chef de projet marketing opérationnel’, toutes indications démontrant que l’arrivée de M. [U] dans la société PIC 92 s’est faite dans des conditions habituelles de recrutement et que celui-ci n’a pas quitté la société Europe et Communication avec le projet d’être embauché par sa concurrente.

Au surplus, dès lors que sa clause de non-concurrence, qui au demeurant ne portait que sur les clients de la société Europe et Communication et non sur ses concurrents, avait été levée, aucune violation de ses obligations contractuelles ne peut être reprochée à M. [U].

Enfin, M. [U], titulaire d’un BTS Négociation et relation client, exerçait une fonction de commercial dans la société Europe et Communication et a été embauché comme chargé de clientèle par la société PIC 92. Aucun élément ne permet de penser qu’il dispose de connaissances techniques quant aux structures qu’il était chargé de commercialiser et qu’il se serait donc trouvé en mesure de porter atteinte au secret des affaires en les communiquant à son nouvel employeur.

Concernant M. [L], employé comme infographiste – modéliste 3D, dessinateur et réalisateur de la société Europe et Communication depuis 2007 (et devenu cadre en 2015), il a démissionné le 15 novembre 2018 et indiqué à ses collègues qu’il allait travailler pour la société Vinci (attestation de M. [E]).

S’il a été en réalité engagé comme directeur artistique de la société PIC 92 le 4 mars 2019, il convient cependant de dire que cette date est postérieure à la commercialisation de structures avec un châssis métallique autoporté par l’appelante.

En effet, la société Europe et Communication verse aux débats plusieurs pièces indiquant que sa technique de construction des bureaux de vente (avec un châssis métallique autoporté, présentant la caractéristique d’être transportable et réutilisable), n’était pas originellement utilisée par la société PIC 92 (qui se servait de cloisons en bois ou de type Algeco montées sur place, peu déplaçables ou réutilisables).

Il n’est pas contesté que des bureaux de vente comportant un châssis métallique ont été progressivement commercialisés également par la société PIC 92. Celle-ci justifie avoir fait réaliser une ‘ossature en tubes d’acier’ en décembre 2017 qu’elle qualifie de prototype. La société Europe et Communication démontre que la société PIC 92 s’est prévalue de la réalisation d’un ‘nouvel espace de vente monobloc déplaçable et réutilisable’ le 17 novembre 2018 et verse aux débats une attestation de M. [H] datée du 13 juin 2019 qui indique avoir constaté cet usage par la société PIC 92 ‘depuis 1 an environ’.

Dès lors, la chronologie des faits ne permet d’établir aucun lien entre l’embauche de M. [L] par la société PIC 92 en mars 2019 et le développement des châssis métalliques par celle-ci, étant précisé que le fait que M. [L], dans la société PIC 92 comme chez Europe et Communication, utilise le logiciel REVIT est sans portée, puisque sa présentation mentionne qu’il est ‘un outil de conception et de dessin leader du marché pour la modélisation des données du bâtiment’ (souligné par la cour), ce qui exclut toute particularité à son usage.

Quant au fait que M. [I], embauché par la société PIC 92 en qualité de directeur technique, avec notamment pour mission de ‘développer la compétitivité par rapport à la concurrence’, se soit renseigné sur les caractéristiques techniques des espaces de vente produits par la société Europe et Communication auprès de la société Technal, spécialisée dans les menuiseries en aluminium et sous-traitante de la société Europe et Communication (sa chargée de clientèle indiquant dans son courriel du 7 décembre 2018 que M. [I] leur a posé des questions en septembre 2017 pour connaître les techniques de la société Europe et Communication quant à la mise en oeuvre des profilés aluminium et s’était déplacé sur un site en octobre 2017 pour photographier une réalisation de celle-ci), il n’est susceptible de caractériser aucune atteinte au secret des affaires dès lors que ces actes reprochés à M. [I] n’excèdent pas les limites d’une naturelle concurrence entre sociétés rivales.

Il y a lieu en effet de rappeler que le seul fait de commercialiser des produits identiques à ceux d’un concurrent relève par principe de la liberté du commerce et que, les sociétés PIC 92 et Europe et Communication exerçant dans le même secteur restreint des bureaux de vente, elles proposent nécessairement des produits similaires à leurs clients.

Il convient enfin de souligner que la technique utilisée par la société Europe et Communication n’est pas protégée au titre de la propriété industrielle. En effet, le gérant de la société avait déposé une demande de brevet d’invention le 23 décembre 2008 pour un ‘bungalow transportable’, ayant vocation à concerner notamment ‘des bureaux de vente immobiliers’, la demande exposant ‘il existe donc un besoin pour des bungalows durables, présentant un bon niveau de confort et d’un coût modéré. A cet effet, l’invention propose un bungalow transportable caractérisé en ce qu’il comporte : un châssis rigide à sa base, un plancher fixé sur ledit châssis, des murs, un toit, ledit châssis comprenant un cadre comportant au moins deux supports longitudinaux et deux supports transversaux (…) [qui] sont des profilés métalliques’.

L’opinion écrite sur la brevetabilité de l’invention établie par l’INPI répond :

– ‘2. la présente demande ne remplit pas les conditions de brevetabilité, l’objet des revendications 1, 17 et 22-24 n’étant pas conforme au critère de nouveauté (…),

– 3. la présente demande ne remplit pas les conditions de brevetabilité, l’objet de la revendication 21 n’impliquant pas une activité inventive’,

précisant notamment ‘il est évident pour la personne du métier d’appliquer ces caractéristiques [introduire des barres dans les ouvertures et relier des élingues aux barres]. En plus, disposer un palonnier sur les élingues pour espacer les élingues rentre dans le cadre de la pratique courante pour la personne du métier et les avantages qui en résultent sont aisément prévisibles’.

Aucun élément ne permet donc de considérer que la commercialisation d’un bungalow transportable grâce à l’utilisation de profilés métalliques présente une spécificité technique particulière.

La société Europe et Communication ne démontre donc l’existence d’aucun litige en germe relatif à une atteinte au secret des affaires aucun lien ne pouvant être fait au regard des pièces produites entre les embauches de MM. [U] et [L] et le développement d’un nouveau modèle de bureau de vente par la société PIC 92, laquelle structure métallique, non brevetée, ne présente aucune caractéristique particulière.

Ces deux embauches, à deux ans d’intervalle, de deux salariés de la société Europe et Communication dans des conditions dont rien ne justifie qu’elles auraient été anormales, et alors qu’aucune désorganisation de l’intimée n’est alléguée, ne sont pas susceptibles d’être qualifiées de débauchage.

Sur le recours à des sous traitants dans des conditions de nature à fausser le jeu normal de la concurrence, la société Europe et Communication se contente d’allégations, au demeurant très floues faisant valoir qu”à sa connaissance, ces prétendus sous-traitants se trouvent en effet dans une situation de subordination à l’égard de la société PIC 92″, sans les étayer par aucune pièce et aucun motif légitime ne peut donc être retenu à ce titre.

En conséquence, l’intimée ne justifie d’aucun élément rendant crédible les griefs allégués et plausible le procès en germe et il convient d’ordonner la rétractation de l’ordonnance sur requête.

L’ordonnance querellée sera, pour ces raisons, infirmée. Seront ordonnées les mesures subséquentes à la rétractation d’anéantissement des mesures d’instruction exécutées.

Sur les demandes accessoires

L’ordonnance querellée sera également infirmée à ce titre.

Partie succombant, la société Europe et Communication ne saurait prétendre à l’octroi d’une indemnité procédurale et sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel avec application au profit de l’avocat qui le demande des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

En équité, il convient de condamner la société Europe et Communication à verser à la société PIC 92 la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme l’ordonnance rendue le 12 février 2020 par le juge des référés du tribunal de commerce de Nanterre ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Ordonne la rétractation de l’ordonnance rendue le 13 novembre 2019 ;

En conséquence,

Dit que l’huissier instrumentaire procédera à la restitution à la société PIC 92 de l’intégralité des pièces et documents saisis lors de ses opérations ainsi qu’à la destruction des éléments subsistants et en dressera procès-verbal ;

Dit que le constat d’huissier en date du 2 décembre 2019 et l’ensemble des éléments recueillis lors des opérations de constat devront être écartés de tout débat, et ne pourront faire l’objet d’aucune communication ou production en justice ;

Condamne la société Europe et Communication à verser à la société PIC 92 la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Dit que les dépens de première instance et d’appel seront supportés par la société Europe et Communication avec application au profit de l’avocat qui le demande des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseiller faisant fonction de Président et par Madame Elisabeth TODINI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GREFFIER, Le PRESIDENT,

 


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