Your cart is currently empty!
20 octobre 2023
Cour d’appel de Douai
RG n°
21/00569
ARRÊT DU
20 Octobre 2023
N° 1382/23
N° RG 21/00569 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TSSM
GG / SL
AJ
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ARRAS
en date du
30 Mars 2021
(RG -section )
GROSSE :
aux avocats
le 20 Octobre 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANT :
M. [J] [S]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté par Me Mathilde WACONGNE, avocat au barreau de DOUAI
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 59178/02/23/003803 du 12/05/2023 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de DOUAI)
INTIMÉE :
S.A.S. GUISNEL LOCATIONS
[Adresse 3]
[Adresse 3]
représentée par Me Catherine CAMUS-DEMAILLY, avocat au barreau de DOUAI, Me Damien DELAUNAY, avocat au barreau de PARIS
DÉBATS : à l’audience publique du 03 Mai 2023
Tenue par Gilles GUTIERREZ
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Angelique AZZOLINI
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Soleine HUNTER-FALCK
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Muriel LE BELLEC
: CONSEILLER
Gilles GUTIERREZ
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 20 Octobre 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Muriel LE BELLEC, Conseiller et par Annie LESIEUR, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 12/04/2023
EXPOSE DU LITIGE
M. [J] [S] a été engagé par la SAS GUISNEL LOCATION à compter du 2 janvier 2017 en qualité de conducteur livreur poids lourds, groupe 6, coefficient 138.
La convention collective applicable est celle des transports routiers.
L’employeur a infligé au salarié un mise à pied disciplinaire de deux jours par lettre du 27/06/2017 en raison de dépassements de temps de conduite.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 5 octobre 2018, M. [S] a été convoqué à un entretien préalable fixé le 17 octobre 2018.
Par courrier du 18 octobre 2018, M. [J] [S] s’est vu notifier sa mise à pied à titre conservatoire.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 24 octobre 2018, M. [J] [S] s’est vu notifier son licenciement pour faute grave aux motifs suivants :
«[…] Les faits qui vous sont reprochés sont les suivants :
-Le 17 septembre 2018, vous n’avez pas respecté les consignes spécifiées par notre client pour une livraison chez LOGISTA. Vous avez donc laissé le matériel à l’extérieur et, qui plus est, vous n’avez informé personne.
Lors de l’entretien du 17 octobre, vous nous avez précisé que vous pensiez qu’il y avait une caméra sur ce site. Vous avez reconnu votre erreur sur ce point mais contesté le fait que cette livraison avait été effectuée trop tôt.
-Le 19 septembre 2018, vous avez assuré une livraison pour notre client chez RIBEAUCOUP. Cette fois également les spécificités clients n’ont pas été respectées car vous avez laissé les matériaux auprès du portail d’entrée, alors qu’il est demandé d’amener le matériel à l’abri des regards et des intempéries. D’autre part, vous avez laissé le portail ouvert alors qu’il y a un chien sur ce site.
Lors de l’entretien du 17 octobre, vous avez précisé que vous pratiquiez ainsi depuis 2 ans et qu’il n’était pas possible d’avancer le camion plus près afin de mettre le matériel à l’abri.
Réponse étonnante étant donné que les autres conducteurs livrant ce client parviennent à le faire !
-Le 1er octobre, vous avez signalé la disparition du téléphone professionnel mis à disposition par le client.
Il vous a alors été demandé de porter plainte pour vol, ce que vous avez refusé de faire. En effet, selon vos propos du 17 octobre, vous ne vouliez pas « passer 3 heures dans un commissariat ».
Cette attitude inacceptable nous interpelle d’autant que vous précisez que la porte du camion ne fermait pas et que vous aviez donc mis votre téléphone personnel en sécurité dans votre poche. Vous avez également ajouté que vous ne vouliez pas perdre de temps à déposer plainte car vous auriez signalé que la porte du véhicule ne fermait pas, mais rien n’avait été fait. Cela démontre votre total irrespect à l’égard de notre client et de l’entreprise.
-Le 4 octobre 2018, vous avez réalisé une livraison à [Localité 2] avant l’heure spécifiée par le client qui voulait absolument être présent afin de vérifier le matériel.
Ces dysfonctionnements sont malheureusement récurrents car nous avons beaucoup d’autres exemples du même type : une livraison avant l’heure demandée en mai ; ou bien encore un refus de charger des marchandises en mars avec en prime des propos outranciers « cela me casse les couilles, c’est toujours la même merde ici ».
Vous nous avez affirmé que vous ne vous rappeliez pas ces faits et que vous respectiez les spécificités de livraison. Quoi qu’il en soit tous ces exemples alimentent vos lacunes professionnelles et vos négligences ; mais également le fait que vous organisez votre planning comme cela vous arrange, quitte d’ailleurs à « forcer des livraisons ».
-Le 10 octobre, vous n’avez pas chargé une palette de radiateurs. Vous nous avez répondu que, compte tenu de l’organisation chez notre client, un oubli n’était pas possible et qu’en fait on vous faisait payer votre comportement ; en l’occurrence, et selon vos propos « pas patient », « tendance à répondre », votre « langage ».
Vous avez donc nié être responsable de cet oubli et précisé que vous ne manqueriez pas d’aller vous expliquer avec le chef d’agence CEDEO puisque, selon vous, vos autres interlocuteurs CEDEO sont satisfaits de votre travail.
Vos réactions et vos propos lors de l’entretien démontrent à eux seuls votre attitude désinvolte et irrespectueuse vis-à-vis de notre client et de l’entreprise qui vous emploie.
Votre comportement est intolérable et indigne d’un professionnel d’une Société de Services, vos actes pouvant être fort préjudiciables pour l’image de notre Groupe auprès de ses clients. De plus, cette absence de savoir être est en contradiction complète avec les valeurs et le projet d’entreprise que nous vous avions présentés lors de votre engagement.
Vous n’avez énoncé aucun regret quant aux conséquences de vos actes pour l’entreprise.
Votre attitude nous a donc conduit à prononcer une mise à pied conservatoire qui vous a été signifiée par courrier recommandé le 18 octobre 2018.
Compte tenu de l’ensemble de ces faits, nous vous notifions votre licenciement pour faute grave[…] ».
Suivant demande réceptionnée au greffe le 18 février 2019, M. [J] [S] a saisi le conseil de prud’hommes d’Arras afin de contester le bien fondé de la rupture du contrat de travail et obtenir des rappels de salaire.
Par jugement du 30 mars 2021, la juridiction prud’homale a débouté M. [J] [S] de l’ensemble de ses demandes, a débouté la SAS GUISNEL LOCATION de sa demande formulée au visa de l’article 700 et a condamné M. [J] [S] aux dépens.
Par déclaration transmise au greffe par voie électronique le 27 avril 2021, M. [J] [S] a relevé appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 26 juillet 2021, M. [J] [S] demande à la cour d’infirmer le jugement déféré et de :
A titre principal,
-dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner la SAS GUISNEL LOCATION à lui payer 11.176,62 euros d’indemnité de licenciement, à défaut 3.725,54 euros en application du barème des ordonnances dites Macron ;
-subsidiairement, dire le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse ;
-en tout état de cause, condamner la SAS GUISNEL LOCATION à lui payer :
-1.862,77 euros d’indemnité de préavis, outre 186,27 euros de congés payés afférents,
-1.862,77 euros d’indemnité légale de licenciement,
-1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
-condamner la SAS GUISNEL LOCATION aux dépens de première instance et d’appel.
M. [J] [S] soutient en substance que l’employeur ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de la gravité des faits qui lui sont reprochés, ni que ces faits constituent un motif réel et sérieux justifiant la rupture du contrat de travail.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 16 septembre 2021, la SAS GUISNEL LOCATION demande à la cour de :
-confirmer le jugement déféré sauf en ce qu’il l’a débouté de sa demande formulée au visa de l’article 700 du code de procédure civile ;
-subsidiairement, dire le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, à tout le moins limité l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 3.725,54 euros ;
-condamner M. [J] [S] à lui payer 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais de première instance et 3000 euros au titre des frais engagés en cause d’appel ;
-condamner M. [J] [S] aux entiers dépens.
Elle fait valoir pour l’essentiel que le licenciement est fondé sur des faits d’une gravité telle qu’ils ont rendu impossible le maintien des relations de travail ce compris durant la période de préavis. En particulier, elle entend démontrer le comportement permanent de M. [J] [S] d’insubordination et d’irrespect tant envers la clientèle qu’envers sa hiérarchie.
La clôture de la procédure résulte d’une ordonnance du 12 avril 2023.
Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère, en vertu de l’article 455 du code de procédure civile, aux conclusions écrites transmises par RPVA et dont un exemplaire a été déposé à l’audience de plaidoirie.
MOTIFS DE L’ARRÊT
A titre liminaire, la cour observe que M. [J] [S] ne reprend pas ses demandes de première instance relatives à l’indemnité pour licenciement irrégulier et tendant à un rappel de salaire pour la période du 2 août 2017 au 1er mars 2018, de sorte qu’elle n’en est pas saisie.
Sur la rupture du contrat de travail
L’article L1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l’existence d’une cause réelle et sérieuse. La cause doit ainsi être objective, exacte et les griefs reprochés doivent être suffisamment pertinents pour justifier la rupture du contrat de travail.
La faute grave privative du préavis prévu à l’article L.1234-1 du même code résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise même pendant la durée limitée du préavis sans risque de compromettre les intérêts légitimes de l’employeur.
Il appartient à ce dernier de rapporter la preuve de l’existence d’une faute grave, à défaut de quoi le juge doit rechercher si les faits reprochés sont constitutifs d’une faute pouvant elle-même constituer une cause réelle et sérieuse.
Il convient d’examiner les griefs figurant à la lettre de licenciement du 4 juillet 2018 qui fixe les limites du litige.
Les griefs sont afférents à des manquements commis lors de livraison, ainsi qu’au vol d’un téléphone portable.
-Sur la première série de griefs tenant à la méconnaissance des obligations mises à la charge d’un conducteur livreur lors des livraisons :
Au préalable, l’employeur justifie de la remise d’une fiche de poste lors de l’embauche du salarié. Au titre des savoir-faire relatifs à ce poste, cette fiche indique que le salarié doit notamment vérifier la date et l’heure des rendez-vous, décharger la marchandise chez le client à l’endroit prévu, s’assurer que le bon de livraison est daté et émargé par le destinataire en contrôlant l’authenticité des réserves émises par le client, et de manière générale être responsable à titre commercial de l’image de l’entreprise et de celle des clients représentés.
S’agissant de la livraison du 17 septembre 2018 effectuée pour le compte de la société DISTRIBUTION SANITAIRE CHAUFFAGE, l’employeur produit le courriel de plainte du client indiquant en substance que M. [J] [S] a déposé trois palettes sans la présence du réceptionniste, sans faire signer de bon de livraison et sans réaliser de clichés avec le smartphone mis à sa disposition. M. [S], qui reconnaît avoir procédé à la livraison objet du litige hors la présence du client, ne saurait se défausser de sa responsabilité en prétextant que l’employeur ne l’a pas informé de l’heure à laquelle il devait effectuer sa livraison ni de la nécessité de la présence du client, eu égard à ses fonctions ci-avant rappelées, et au titre desquelles il avait déjà fait l’objet d’une mise à pied disciplinaire de deux jours les 25 et 26 juillet 2017 pour des faits identiques. Le grief est établi.
S’agissant de la livraison du 19 septembre 2018 effectuée pour le compte de la société CEDEO, cette dernière indique au travers d’un mail de doléances que les marchandises n’ont pas été déposées à l’abri des intempéries comme spécifié, mais derrière le portail d’entrée sans que celui-ci ne soit refermé après le départ de M. [J] [S].
Celui-ci reconnaît qu’en effet, il n’est pas rentré avec son camion de peur que le poids de l’engin n’affaisse la cour, tout en indiquant effectuer régulièrement et depuis plus d’un an des livraisons sur ce site, sans pour autant soutenir que des incidents de voirie sont auparavant survenues. Au demeurant, il se déduit des explications du salarié qu’il avait parfaitement conscience de ne pas effectuer la livraison à l’endroit indiqué par le client sans qu’il n’en alerte son employeur et ne lui fasse remonter l’incident, ainsi que ses fonctions l’exigent. Au surplus, les photographies du lieu de livraison produites par M. [J] [S] ne permettent pas d’en déduire le caractère vétuste ou délabré qu’il lui prête. Le grief est établi.
S’agissant de la livraison du 4 octobre 2018 effectuée pour le compte de la société CEDEO, il ressort de la réclamation de celle-ci que M. [J] [S] a déchargé sa marchandise hors la présence du client, la société DAVID CARRELAGES, alors qu’il lui avait été rappelé le matin même par téléphone l’horaire de livraison, soit à 9h, et qu’il s’était vu refuser la possibilité de l’effectuer entre 7h et 7h30.
C’est vainement que M. [J] [S] soutient que la société DAVID CARRELAGES n’était pas le client et qu’il ne savait pas qu’un de ses représentants souhaitait être présent à la livraison, le salarié ne contredisant pas le fait qu’aucun bon de livraison n’ait été régularisé. Le grief est établi.
S’agissant de la marchandise laissée à quai le 10 octobre 2018 au sein de l’entreprise Saint-Gobain et dont le transport devait être assuré pour le compte de la société CEDEO, il y a lieu d’observer que le mail de réclamation daté du jour-même porte bien la référence de la commande litigieuse figurant sur l’ordre de transport. Les allégations de M. [J] [S] revenant à dire impossible cette erreur en raison de la présence d’un responsable de la société CEDEO, manquent de portée dans la mesure où il lui appartenait conformément à sa fiche de poste de vérifier la complétude de sa marchandise au regard de son bon de livraison. Le grief est établi.
-Sur le grief tenant au vol d’un téléphone portable professionnel le 1er octobre 2018 :
L’appelant admet avoir refusé d’aller déposer plainte auprès des services de Police malgré l’injonction de son employeur, sans pour autant justifier d’une charge de travail telle qu’elle l’empêchait de s’exécuter, étant précisé au surplus que le rapport d’activité produit par la SAS GUISNEL LOCATION, non contesté par l’appelant, indique que le 1er octobre 2018, M. [J] [S] a travaillé de 6h30 à 14h32 et disposait par conséquent du temps nécessaire pour se rendre au commissariat, cette démarche apparaissant logique dans la mesure où il était détenteur du téléphone portable qui lui a été soustrait. Le grief est établi.
Pris dans leur ensemble, ces faits constituent autant de manquements aux obligations professionnelles attendues d’un conducteur livreur comme l’était M. [J] [S] et revêtent, de par leur multiple réitération, une gravité telle qu’ils justifient l’impossibilité de maintenir le salarié dans l’entreprise même durant la période de préavis.
C’est dès lors à bon droit que les premiers juges ont débouté M. [J] [S] de ses demandes tirées de la rupture de son contrat de travail.
Sur les autres demandes
M. [J] [S] sera condamné aux dépens d’appel, sa condamnation aux dépens de première instance étant confirmée.
Il n’apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles non compris dans les dépens. Le jugement sera confirmé de ce chef et les parties seront déboutées de leur demande respective formulée au visa de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition par le greffe,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement prononcé le 30 mars 2021 par le conseil de prud’hommes d’Arras,
Y ajoutant,
Condamne M. [J] [S] aux dépens d’appel,
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER
Annie LESIEUR
Pour le Président empêché,
Muriel LE BELLEC
Conseiller