Savoir-faire : 24 octobre 2023 Cour d’appel de Reims RG n° 22/01894

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Savoir-faire : 24 octobre 2023 Cour d’appel de Reims RG n° 22/01894
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24 octobre 2023
Cour d’appel de Reims
RG n°
22/01894

R.G : N° 22/01894 – N° Portalis DBVQ-V-B7G-FH2W

ARRET N°

du : 24 octobre 2023

[P]

C/

S.A.S. TRB GROUPE CB

copie exécutoire:

la SCP DELVINCOURT – CAULIER-RICHARD – CASTELLO AVOCATS ASSOCIES

la SELAS ACG & ASSOCIES

COUR D’APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE 1ère SECTION

ARRET DU 24 OCTOBRE 2023

RENVOI DE CASSATION

PARTIES EN CAUSE :

ENTRE:

Monsieur [O] [P]

[Adresse 4]

[Localité 1] (POLOGNE)

Représenté par Me Mélanie CAULIER-RICHARD de la SCP DELVINCOURT – CAULIER-RICHARD – CASTELLO AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS, avocat postuant, et Me Nadia GUERRI-BERNASCONI de la SELARL NADIA GUERRI, avocat au barreau d’AMIENS, avocat plaidant

DEMANDEUR en première instance

APPELANT devant la cour d’appel de DOUAI d’un jugement rendu le 25 mars 2014 par le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer

DEMANDEUR devant la cour d’appel de REIMS, cour de renvoi

ET

S.A.S. TRB Agissant poursuite et diligences de ses représentants légaux domiciliés de droit audit siège, Sigle GROUPE CB,

SAS au capital de 1 464 000 € immatriculée au RCS de Boulogne sur Mer

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Gérard CHEMLA de la SELAS ACG & ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS, avocat postulant, et Me Alex DEWATTINE, avocat au barreau de BOULOGNE-SUR-MER, avocat plaidant

DEFENDRESSE en première instance

INTIMEE devant la cour d’appel de DOUAI d’un jugement rendu le 25 mars 2014 par le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer

DEMANDERESSE devant la cour d’appel de REIMS, cour de renvoi

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre

Madame Véronique MAUSSIRE, conseillère

Madame Florence MATHIEU, conseillère

GREFFIER :

Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffière

DEBATS :

A l’audience publique du 18 septembre 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 24 octobre 2023,

ARRET :

Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 24 Octobre 2023 et signé par Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, président de chambre et Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffier auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

Le 31 mars 1991, la société Terres Réfractaires du Boulonnais (TRB) a conclu avec M. [O] [P] un contrat d’agent commercial à durée déterminée renouvelable par périodes successives d’une année civile lui confiant la représentation commerciale de ses produits sur l’ensemble du territoire italien.

Ce contrat a été reconduit le 2 janvier 1996 pour une durée de cinq années puis le

6 novembre 2001, un contrat a été conclu avec une entité dénommée MP di [P] [O] & C à effet du 1er janvier 2001 se terminant le 31 décembre 2005.

Les relations contractuelles entre les parties ont pris fin le 31 décembre 2005 après l’envoi par la société TRB d’un courrier le 21 septembre 2005 reprochant à M. [P] un défaut d’assistance technique à l’origine de commandes inadaptées ayant donné lieu à des facturations que deux sociétés ont refusé de payer.

M. [P] a contesté les reproches formulés à son encontre ainsi que les conditions de la rupture et a saisi en juin 2006 la commission de conciliation des litiges individuels et collectifs du travail de [Localité 5] puis il a obtenu une ordonnance d’injonction de payer la somme de 87 106,85 euros d’une autorité judiciaire italienne, ordonnance frappée d’opposition par la société TRB devant le tribunal de Pise qui s’est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Boulogne sur Mer.

M. [P] a alors saisi ce tribunal le 21 mai 2011 en paiement de diverses commissions et de l’indemnité compensatrice prévue par l’article L 134-12 du code de commerce.

Par un jugement rendu le 25 mars 2014, le tribunal de grande instance de Boulogne sur Mer a déclaré les demandes de M. [P] en paiement des commissions fondées sur les contrats conclus à compter du 6 novembre 2001 irrecevables au motif que l’entreprise MP di [P] [O] & C était alors devenue la titulaire du contrat d’agent commercial ; s’agissant de la période antérieure, le tribunal a débouté M. [P] de sa demande d’indemnité compensatrice au motif qu’il était déchu de son droit faute pour lui d’avoir justifié d’une réclamation dans l’année suivant la cessation du contrat.

M. [P] a également été débouté de sa demande en paiement de l’indemnité de préavis au motif qu’il ne pouvait se prévaloir d’une exécution à titre individuel du contrat après son terme le 2 janvier 1996.

Par un arrêt rendu le 16 février 2015, la cour d’appel de Douai a notamment condamné la société TRB à payer à M. [P] la somme de 43 231 euros au titre des commissions pour l’année 2006 et a confirmé le jugement en ce qu’il avait dit M. [P] déchu de son droit à indemnité compensatrice.

Par un arrêt du 15 mars 2017, la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt rendu par la cour d’appel de Douai seulement en ce que, confirmant le jugement, elle a rejeté la demande d’indemnité compensatrice pour le motif tiré de sa déchéance.

La censure de la Cour de cassation porte sur le constat par les juges du fond que M. [P] n’avait pas manifesté son intention de faire valoir ses droits dans le délai d’un an prévu à l’article L 134-12 du code de commerce au motif que la saisine dans ledit délai de la commission des litiges individuels et collectifs du travail de [Localité 5] ne valait pas notification d’une réclamation au titre de l’indemnité de rupture du contrat au sens de cet article alors que cette réclamation n’est soumise à aucun formalisme particulier et que les juges du fond auraient dû rechercher si l’acte de saisine de la juridiction italienne ne contenait pas une manifestation non équivoque de faire valoir ses droits à réparation.

M. [P] a saisi la cour d’appel d’Amiens, cour de renvoi, par déclaration du 21 août 2017.

Il a demandé à la cour à titre principal de :

– infirmer partiellement le jugement en ce qu’il l’a déclaré déchu de son droit à indemnité compensatrice,

statuant à nouveau et dans les limites de la cassation,

– condamner la société TRB à lui payer la somme de 624 356,25 euros au titre de l’indemnité compensatrice de rupture du contrat d’agent commercial.

Les demandes ont été contestées.

Par arrêt rendu le 12 septembre 2019, la cour d’appel d’Amiens a confirmé le jugement du tribunal de grande instance de Boulogne sur Mer du 25 mars 2014 en ce qu’il a débouté M. [P] de sa demande en paiement d’une indemnité compensatrice et en ce qu’il a statué sur les dépens et, y ajoutant, a condamné M. [P] à payer à la société TRB la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens d’appel.

Pour statuer ainsi, la juridiction a considéré que l’acte de saisine de la commission de conciliation ne manifestant pas l’intention non équivoque de M. [P] de faire valoir les droits qu’il tient de l’article L 134-12 du code de commerce et à défaut pour ce dernier d’avoir notifié cette intention par un autre moyen dans le délai d’un an ayant couru à compter de la cessation des relations contractuelles, il y avait lieu de le déchoir de son droit à indemnité compensatrice et de le débouter de sa demande.

Par un arrêt du 23 mars 2022, la Cour de cassation a cassé et annulé cet arrêt au motif qu’aux termes de l’acte de saisine de la commission de conciliation de la juridiction italienne du travail, M. [P] avait demandé la réparation du préjudice résultant de la résiliation irrégulière du rapport d’agence et des préjudices consécutifs, marquant ainsi sans équivoque sa volonté de réclamer à la société TRB l’indemnité due à l’agent commercial en cas de cessation de ses relations avec le mandant, de sorte que la cour d’appel avait violé l’article L 134-12 du code de commerce.

M. [P] a saisi la cour d’appel de Reims, cour de renvoi désignée, par déclaration du 8 novembre 2022.

Par conclusions notifiées le 1er septembre 2023, M. [P] demande à la cour de :

Vu les articles L.134-1, et suivants du code de commerce,

Vu notamment, les articles L.134-12, L.134-13 et L.134-16 du code de commerce,

Vu l’article L.441-10 du code de commerce,

Vu les articles 1231-6 et 1231-7 du Code civil,

Vu le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Boulogne sur Mer du

25 mars 2014,

Vu l’arrêt de la cour d’appel de Douai du 16 février 2015,

Vu l’arrêt de la Cour de cassation du 15 mars 2017,

Vu l’arrêt de la cour d’appel d’Amiens du 12 septembre 2019,

Vu l’arrêt de la Cour de cassation du 23 mars 2022,

Statuant dans les limites de la double cassation, limitant le débat à l’unique indemnité compensatrice de rupture du contrat d’agent commercial, de :

– INFIRMER partiellement le jugement rendu par le tribunal de grande Instance de

Boulogne sur Mer en date du 25 mars 2014, en ce qu’il a déclaré Monsieur

[P] déchu de son droit à indemnité compensatrice et l’a débouté de sa demande à ce titre,

Statuant à nouveau,

– CONDAMNER la société TRB à payer à Monsieur [P] la somme de 624 356,25 euros, au titre de l’indemnité compensatrice de rupture de son contrat d’agent commercial,

– CONDAMNER la société TRB à réparer le préjudice subi par Monsieur [P] du

fait de l’érosion monétaire,

– CONDAMNER en conséquence, la société TRB à lui verser la somme de

158 517,85 euros à fin 2022, décompte provisoire qui sera recalculé et arrêté définitivement à la date de la décision à intervenir, en application des données INSEE,

– CONDAMNER dès lors, la société TRB à payer à Monsieur [P] l’indemnité principale de 624 356,25 euros augmentée du montant correspondant à l’érosion monétaire, dont le décompte définitif sera recalculé et arrêté définitivement à la date de la décision à intervenir, avec intérêts au taux légal,

– CONDAMNER la société TRB à réparer le préjudice subi par Monsieur [P] du

fait de la perte de chance résultant de l’indisponibilité du capital, constitué par l’indemnité de rupture dont il aurait dû bénéficier il y a 17 ans,

– CONDAMNER en conséquence, la société TRB à payer à Monsieur [P]

l’indemnité principale de 624 356,25 euros, augmentée du montant correspondant à l’érosion monétaire, dont le décompte définitif qui sera recalculé et arrêté

définitivement à la date de la décision à intervenir, majorée des intérêts avec

capitalisation de 3%, à compter du 14 juin 2006, date de la demande initiale de Monsieur [P],

A titre subsidiaire,

– CONDAMNER la société TRB à payer à Monsieur [P] l’indemnité de rupture

que la cour retiendra,

– CONDAMNER la société TRB à réparer le préjudice subi par Monsieur [P] du

fait de l’érosion monétaire sur la base de l’indemnité de rupture retenue par la cour,

– CONDAMNER en conséquence, la société TRB à payer à Monsieur [P]

l’indemnité de rupture retenue par la cour, augmentée du montant correspondant à l’érosion monétaire, dont le décompte définitif sera recalculé et arrêté définitivement à la date de la décision à intervenir, en application des données INSEE, avec intérêts au taux légal,

– CONDAMNER la société TRB à réparer le préjudice subi par Monsieur [P] du

fait de la perte de chance résultant de l’indisponibilité du capital, par une majoration

des intérêts avec capitalisation de 3% à compter du 14 juin 2006, date de la demande initiale de Monsieur [P], sur la base de l’indemnité de rupture retenue par la cour, augmentée du montant correspondant à l’érosion monétaire, dont le décompte définitif sera recalculé et arrêté définitivement à la date de la décision à intervenir,

En tout état de cause,

– CONDAMNER la société TRB à payer à Monsieur [P] la somme de 8 000,00

euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– CONDAMNER enfin, la société TRB aux entiers dépens de première instance et d’appel, dont distraction est requise au profit de Me Caulier-Richard, avocat aux offres de droit.

– DEBOUTER la société TRB de toutes ses autres demandes, fins ou conclusions plus amples ou contraires.

Par conclusions notifiées le 4 septembre 2023, la société TRB demande à la cour de:

Vu les articles 563, 564, 565 et 566 du code de procédure civile,

Vu l’article 627 du code de procédure civile,

Vu les articles 910-4 et 954 al 3 du code de procédure civile,

Vu l’article 1015 du code de procédure civile,

Vu l’article 1037-1 du code de procédure civile,

Vu l’article L131-4 du code de l’organisation judiciaire,

Vu l’article L411-3 alinéa 2 du code de l’organisation judiciaire,

Vu les articles L431-4 et L431-6 du code de l’organisation judiciaire,

Vu les articles L134-12 et suivants du code de commerce,

Vu les articles L1231-5 et suivants du code de commerce,

Vu la jurisprudence précitée,

statuant dans les limites de la double cassation limitant le débat à l’unique indemnité compensatrice de rupture du contrat d’agent commercial :

A TITRE LIMINAIRE :

– DECLARER irrecevables les nouvelles prétentions formulées par Monsieur [O] [P] devant la cour d’appel de Reims et visant à :

« CONDAMNER la société TRB à réparer le préjudice subi par Monsieur [P] du fait de l’érosion monétaire,

CONDAMNER en conséquence, la société TRB à lui verser la somme de 158 517,85 euros à fin 2022, décompte provisoire qui sera recalculé et arrêté définitivement à la date de la décision à intervenir, en application des données INSEE,

– CONDAMNER dès lors, la société TRB à payer à Monsieur [P] l’indemnité principale de 624 356,25 euros augmentée du montant correspondant à l’érosion monétaire, dont le décompte définitif sera recalculé et arrêté définitivement à la date de la décision à intervenir,

– CONDAMNER la société TRB à réparer le préjudice subi par Monsieur [P] du fait de la perte de chance résultant de l’indisponibilité du capital, constitué par l’indemnité de rupture dont il aurait dû bénéficier, il y a 17 ans,

CONDAMNER en conséquence, la société TRB à payer à Monsieur [P] l’indemnité principale de 624 356,25 euros, augmentée du montant correspondant à l’érosion monétaire, dont le décompte définitif qui sera recalculé et arrêté définitivement à la date de la décision à intervenir, majorée des intérêts avec capitalisation de 3%, à compter du 14 juin 2006, date de la demande initiale de Monsieur [P],

En tout état de cause,

CONDAMNER la société TRB à réparer le préjudice subi par Monsieur [P] du fait de l’érosion monétaire sur la base de l’indemnité de rupture retenue par la cour,

CONDAMNER en conséquence, la société TRB à payer à Monsieur [P] l’indemnité de rupture retenue par la cour, augmentée du montant correspondant à l’érosion monétaire, dont le décompte définitif sera recalculé et arrêté définitivement à la date de la décision à intervenir, en application des données INSEE,

CONDAMNER la société TRB à réparer le préjudice subi par Monsieur [P] du fait de la perte de chance résultant de l’indisponibilité du capital, par une majoration des intérêts avec capitalisation de 3% à compter du 14 Juin 2006, date de la demande initiale de Monsieur [P], sur la base de l’indemnité de rupture retenue par la Cour, augmentée du montant correspondant à l’érosion monétaire, dont le décompte définitif sera recalculé et arrêté définitivement à la date de la décision à intervenir»

A TITRE PRINCIPAL :

– CONFIRMER le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Boulogne sur Mer en date du 25 mars 2014 en ce qu’il a déclaré Monsieur [P] déchu de son droit à indemnité compensatrice et l’a débouté de sa demande à ce titre,

– DEBOUTER Monsieur [P] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions au titre de la présente procédure,

A TITRE SUBSIDIAIRE :

– MINORER le montant de l’indemnité compensatrice de rupture à la somme de 89 002 euros correspondant à une annuité de commissions calculées sur la base des trois dernières années d’exécution du mandat,

– DEBOUTER Monsieur [P] de ses autres demandes, fins et conclusions dans le cadre de la présente procédure,

EN TOUT ETAT DE CAUSE :

– CONDAMNER Monsieur [P] au paiement de la somme de 30 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile, outre aux dépens de première instance, d’appel et de cour d’appel de renvoi.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur la déchéance du droit à indemnisation de M. [P] :

L’article L 134-12 du code de commerce dispose qu’en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l’agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

L’agent commercial perd le droit à réparation s’il n’a pas notifié au mandant, dans un délai d’un an à compter de la cessation du contrat, qu’il entend faire valoir ses droits.

Ce texte impose par conséquent à l’agent commercial de notifier dans un délai d’un an à compter de la cessation du contrat qu’il entend faire valoir ce droit sous peine de déchéance.

La notification n’est soumise à aucun formalisme particulier (cass com 21 octobre 2014 n° 13-18370) et seule importe en réalité la volonté non équivoque de l’agent de faire valoir ses droits à réparation (cass com 15 mars 2017 n° 15-20.115).

Il incombe au mandant d’un agent commercial qui invoque la déchéance du droit à l’indemnité de cessation de contrat demandée par ce dernier d’établir que sa réclamation était tardive.

En l’espèce, il est constant que M. [P] dont le contrat à durée déterminée d’agent commercial a pris fin à son échéance le 31 décembre 2005 a saisi la commission départementale de conciliation des litiges individuels et collectifs du droit du travail de [Localité 5] (Italie) par lettre du 14 juin 2006 traduite en français.

Ce courrier est libellé comme suit :

Je soussigné [O] [P] engage une procédure de litige pour les manquements suivants :

– défaut de paiement de commissions : montant à déterminer

– résiliation irrégulière du rapport d’agence : montant à déterminer

– réparation des préjudices consécutifs : montant à déterminer

– réparation des préjudices pour violation de l’exclusivité : montant à déterminer

– réparation du préjudice d’image, biologique et moral : montant à déterminer

– intérêts légaux et réévaluation monétaire : montant à déterminer

Il n’est pas contesté que les réclamations opérées par M. [P] sont toutes consécutives à la cessation de son contrat d’agent commercial.

Ce courrier a pour objet de faire valoir l’intégralité de ses droits suite à cette cessation, peu important qu’il n’ait pas expressément précisé qu’il entendait solliciter le paiement de l’indemnité compensatrice prévue par l’article L 134-12 du code de commerce et peu important également que le poste “réparation des préjudices consécutifs” soit placé après sa réclamation au titre de la résiliation irrégulière du rapport d’agence, l’impropriété du terme utilisé étant sans emport sur l’exercice de son droit à réparation.

Il ressort de cette lettre de saisine que la cour considère de manière souveraine et sans s’estimer en quoi que ce soit tenue par les deux arrêts de cassation rendus dans ce litige que M. [P] a manifesté une intention dépourvue de toute équivoque d’obtenir la réparation de l’intégralité des préjudices subis du fait de la rupture de son contrat et il ne peut lui être reproché, comme l’a jugé le tribunal, d’avoir omis de qualifier spécialement dans sa missive le droit demandé.

M. [P] introduit sa demande dans l’année de la cessation du contrat et il n’est donc pas déchu de son droit à indemnisation.

Compte tenu de ces éléments, il y a lieu, dans la limite de la cassation, d’infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Boulogne sur Mer en date du 25 mars 2014 en ce qu’il a déclaré Monsieur [P] déchu de son droit à indemnité compensatrice et l’a débouté de sa demande à ce titre.

Sur l’indemnité compensatrice due à M. [P] :

– Sur l’irrecevabilité des demandes indemnitaires au titre de l’érosion monétaire et au titre de la perte de chance subie en raison de l’indisponibilité du capital:

L’article 910-4 du code de procédure civile dispose qu’à peine d’irrecevabilité, relevée d’office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l’ensemble de leurs prétentions sur le fond. L’irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.

Pour s’opposer à cette fin de non-recevoir soulevée par l’intimée qui considère qu’il s’agit de prétentions qui n’avaient pas été formulées devant la cour d’appel cassée et qui sont par conséquent irrecevables en raison du principe de concentration des prétentions , M. [P] soutient que l’article 910-4 susvisé ne s’applique pas devant la cour d’appel de renvoi, s’agissant de la poursuite d’une procédure d’appel initiale introduite par une déclaration d’appel datant de 2014, soit antérieurement à la création dudit article.

L’article susvisé, issu du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, s’applique aux instances consécutives à un renvoi après cassation lorsque la juridiction de renvoi est saisie à compter du 1er septembre 2017.

La cour d’appel de Reims à laquelle a été dévolu l’examen du litige a été saisie par déclaration reçue le 8 novembre 2022.

Cet article est par conséquent applicable à l’instance poursuivie devant la cour de renvoi.

Il résulte de l’article 1037-1 du code de procédure civile que, lorsque la connaissance d’une affaire est renvoyée à une cour d’appel par la Cour de cassation, ce renvoi n’introduit pas une nouvelle instance, la cour d’appel de renvoi étant investie, dans les limites de la cassation intervenue, de l’entier litige tel que dévolu à la juridiction dont la décision a été cassée, l’instruction étant reprise en l’état de la procédure non atteinte par la cassation.

La cassation de l’arrêt n’anéantit pas les actes et formalités de la procédure antérieure et la cour d’appel demeure saisie des conclusions remises à la cour d’appel initialement saisie.

Il s’ensuit que le principe de concentration des prétentions résultant de l’article

910-4 s’applique devant la cour d’appel de renvoi, non pas au regard des premières conclusions remises devant elle par l’appelant, mais en considération des premières conclusions de celui-ci devant la cour d’appel dont l’arrêt a été cassé (cass civ 2,

12 janvier 2023, n° 21-18.762 publié au bulletiin).

Il n’est pas contesté que M. [P] présente les deux demandes indemnitaires susvisées pour la première fois devant la cour d’appel de renvoi et que ces demandes n’ont donc pas été formulées devant la cour d’appel d’Amiens dont l’arrêt a été cassé.

Compte tenu de ces éléments, il y a lieu de considérer que les demandes présentées devant la cour d’appel de Reims sont irrecevables.

– Sur l’indemnité compensatrice :

L’indemnisation de l’agent commercial étant provoquée par la cessation du contrat, elle est due aussi bien pour un contrat à durée indéterminée que pour un contrat à durée déterminée venu à échéance, le principe de l’indemnisation étant acquis du seul fait de cette cessation.

Elle est destinée à réparer le préjudice né de la perte de part de marché que l’agent commercial s’était attaché, perte subie en raison de la privation des revenus tirés de la clientèle commune qu’il aurait dû percevoir.

S’il est d’usage de considérer que l’indemnité soit fixée sur la base de deux années de commissions brutes perçues, calculées sur la moyenne des trois dernières années d’exécution du mandat, cet usage n’est pas intangible et il convient de se référer aux circonstances de l’espèce en procédant à l’examen de la situation “in concreto” de l’agent commercial concerné.

Il ressort du contrat signé par M. [P] le 31 mars 1991 que la société TRB lui a confié la représentation exclusive des produits fabriqués et/ou vendus par sa mandante pour l’ensemble du territoire italien.

Ce contrat à durée déterminée a par la suite été renouvelé pour prendre fin en 2005, soit après 14 années de collaboration.

Il y est également spécifiquement mentionné en son article 3 qu’il est chargé d’apporter à la clientèle toute l’assistance technique nécessaire à la mise en oeuvre convenable des produits.

Il s’agit d’éléments de valorisation de l’activité de M. [P] auquel avait été confiée la représentation exclusive des produits puisque, outre une durée de mandat relativement longue bien que marquée par une certaine précarité du fait d’un contrat qui n’a jamais été transformé en contrat à durée indéterminée, il exerçait davantage qu’une activité d’agent commercial par cette assistance technique qui lui conférait un savoir faire supplémentaire incontestable par rapport à celui d’un simple agent commercial chargé de commercialiser les produits de son mandant, les pièces qu’il verse aux débats permettant également de démontrer qu’il a enrichi la société TRB par ses compétences particulières en la matière.

Si l’intimée soutient que M. [P] a commis une faute dans l’exécution de son mandat justifiant que l’indemnité compensatrice soit minorée à une année de commissions, elle ne démontre aucunement que les griefs dont elle fait état dans sa lettre du 21 septembre 2005 soient objectivement justifiés, M. [P] y ayant d’ailleurs répondu de manière circonstanciée et point par point (sa pièce n° 5).

De son côté, M. [P], qui sollicite une indemnisation à hauteur de quatre années de commissions, ne peut pas intégrer dans son préjudice sa précarité financière actuelle dont n’est pas responsable la société TRB non plus que l’existence d’une clause de non-concurrence de trois ans intégrée dans un avenant à son contrat signé le 2 janvier 1996, clause habituelle chez les agents commerciaux et pour laquelle la société TRB relève à juste titre qu’elle ne lui interdisait pas d’exercer toute activité de fabrication et de distribution des produits susceptibles de concurrencer ceux de sa mandante (il s’agit de produits commercialisés dans le domaine de l’acierie),M. [P] ayant par dérogation à cette clause l’autorisation de poursuivre la vente de masses IMRA dans la limite annuelle de 5 000 tonnes.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments et plus particulièrement de la spécificité de la relation contractuelle ayant uni les parties, il y a lieu de fixer l’indemnité compensatrice due à M. [P] à trois années de commissions acquises à l’agent calculées sur la base de la moyenne des trois dernières années de son mandat, soit 2003, 2004 et 2005.

Au regard des extraits des livres comptables produits par celui-ci, certifiés par Maître [T], notaire à [Localité 5] et traduits par Mme [B], expert près la cour d’appel de Grenoble (ses pièces n°30/13, 31/12, 32/10et 33/19) , qui apparaissent d’une valeur probante supérieure à celle des documents versés aux débats mais non certifiés sincères et véritables par la société TRB, l’indemnité compensatrice due à M. [P] s’établit comme suit :

Pour l’année 2003 : montant des commissions : 249 820,81 euros,

Pour l’année 2004 : montant des commissions : 150 727,46 euros,

Pour l’année 2005 : montant des commissions : 50 982,41 euros,

soit une moyenne de 150 510 euros sur ces trois années, de sorte que l’indemnité revenant à M. [P] s’élève à la somme de 451 530 euros.

Cette somme produira intérêts au taux légal à compter du 14 juin 2006, date à laquelle M. [P] a formé sa demande initiale.

La capitalisation des intérêts, de droit, sera également ordonnée.

L’article 700 du code de procédure civile :

L’équité commande que la société TRB soit condamnée à payer à M. [P] la somme de 5 000 euros.

Succombant pour l’essentiel dans ses prétentions, la société TRB ne peut prétendre à une indemnité à ce titre.

Les dépens :

La société TRB sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel engagés devant la cour de renvoi avec pour ceux d’appel, recouvrement direct au profit de Maître Caulier-Richard, par application de l’article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Vu l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation en date du

23 mars 2022 ;

Statuant dans les limites de la cassation, publiquement et par arrêt contradictoire ;

Infirme partiellement le jugement rendu le 25 mars 2014 par le tribunal de grande instance de Boulogne sur Mer en ce qu’il a déclaré M. [O] [P] déchu de son droit à indemnité compensatrice et l’a débouté de sa demande à ce titre.

Statuant à nouveau ;

Sur l’absence de déchéance de droit :

Dit que M. [O] [P] a notifié à son mandant, la société TRB, sa demande de réparation au titre de l’indemnité compensatrice prévue à l’article L 134-12 du code de commerce dans l’année de la cessation de son contrat et qu’il n’est donc pas déchu de son droit à indemnité.

Sur les préjudices :

Déclare irrecevables sur le fondement de l’article 910-4 du code de procédure civile les demandes formées par M. [O] [P] au titre des préjudices constitués par l’érosion monétaire et la perte de chance résultant de l’indisponibilité du capital.

Condamne la société TRB à payer à M. [O] [P] au titre de l’indemnité compensatrice la somme de 451 530 euros avec intérêts au taux légal à compter du 14 juin 2006 et capitalisation des intérêts.

Condamne la société TRB à payer à M. [O] [P] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Déboute la société TRB de sa demande à ce titre.

Condamne la société TRB aux dépens de première instance et d’appel engagés devant la cour de renvoi avec pour ceux d’appel, recouvrement direct au profit de Maître Caulier-Richard, par application de l’article 699 du code de procédure civile.

Le greffier La présidente

 


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