Savoir-faire : 26 octobre 2023 Cour d’appel de Poitiers RG n° 21/03112

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Savoir-faire : 26 octobre 2023 Cour d’appel de Poitiers RG n° 21/03112
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26 octobre 2023
Cour d’appel de Poitiers
RG n°
21/03112

MHD/LD

ARRET N° 552

N° RG 21/03112

N° Portalis DBV5-V-B7F-GMTQ

[J]

C/

S.A.S. EMAIL MARKETING

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE POITIERS

Chambre Sociale

ARRÊT DU 26 OCTOBRE 2023

Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 septembre 2021 rendu par le Conseil de Prud’hommes de LA ROCHELLE

APPELANT :

Monsieur [I] [J]

né le 28 mai 1972 à [Localité 4] (03)

[Adresse 1]

[Localité 2]

Comparant

Ayant pour avocat plaidant Me Claudy VALIN de la SCP VALIN COURNIL, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT

INTIMÉE :

S.A.S. EMAIL MARKETING

N° SIRET : 432 711 521

[Adresse 3]

[Localité 7]

Ayant pour avocat plaidant Me Stéphanie BERTRAND de la SELARL STEPHANIE BERTRAND AVOCAT, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 Septembre 2023, en audience publique, devant :

Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente

Madame Ghislaine BALZANO, Conseillère

Monsieur Nicolas DUCHATEL, Conseiller

GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lionel DUCASSE

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– Signé par Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente, et par Monsieur Lionel DUCASSE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

Par contrat à durée indéterminée prenant effet le 29 novembre 2010, Monsieur [I] [J] a été engagé en qualité de ‘responsable développement’ par la société Email Stratégie.

Le 9 juillet 2019, le contrat de travail de Monsieur [J] a été transféré à la société Email marketing à la suite de la fusion-absorption de la société Email Stratégie.

Le 1er octobre 2019, les parties ont signé un avenant au contrat de travail du salarié afin notamment de fixer la rémunération mensuelle du salarié à la somme de 4583.33 euros.

Monsieur [J] a été placé en arrêt de travail pour maladie non professionnelle du 15 janvier 2020 au 19 février 2020 puis à compter du 17 mars 2020 pour garde d’enfant liée à la COVID 19.

Le 26 février 2020, il a subi une visite médicale de reprise qui s’est conclue par la mention ‘à revoir si besoin’.

Par courrier envoyé le 13 mars 2020, son employeur l’a prévenu de sa volonté de mener une réorganisation des services et de ne plus utiliser qu’une seule plate-forme de développement en mettant de côté celle dont il était responsable et l’a convoqué à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement pour motif économique.

Par courrier envoyé le 14 mars 2020, Monsieur [J] a avisé son employeur qu’il subissait des faits de harcèlement moral caractérisés par des actes d’isolement et d’exclusion de certaines réunions de la part de son supérieur hiérarchique direct, Monsieur [Z].

Par courriers respectifs des 23 et 26 mars 2020, la société a contesté les accusations portées par le salarié puis lui a exposé le motif économique de son licenciement et lui a remis un contrat de sécurisation professionnelle.

Le 27 mars 2020, elle lui a proposé vainement un poste de reclassement en qualité de testeur en contrat à durée indéterminée.

Monsieur [J] a accepté le contrat de sécurisation professionnelle le 6 avril 2020.

Le 15 avril 2020, il s’est vu notifier son licenciement pour motif économique dans le cadre de l’acceptation de son contrat de sécurisation professionnelle.

Il a alors été informé de sa sortie des effectifs le 16 avril 2020.

Par requête du 25 mai 2020, il a saisi le conseil de prud’hommes de La Rochelle aux fins de contester son licenciement et ses conditions de travail.

Par jugement du 28 septembre 2021, le conseil de prud’hommes a :

– dit qu’aucun fait de harcèlement moral n’est caractérisé,

– dit que le licenciement de Monsieur [J] repose sur une cause réelle et sérieuse et que la société Email Marketing a rempli ses obligations de reclassement,

– reçu Monsieur [J] dans ses demandes,

– débouté Monsieur [J] de ses demandes,

– dit qu’il n’y a pas lieu à exécution provisoire,

– reçu Monsieur [J] dans sa demande d’article 700 et l’en a débouté,

– condamné Monsieur [J] aux dépens éventuels,

– reçu la société Email Marketing dans sa demande reconventionnelle d’article 700 et a condamné Monsieur [J] au versement à la société Email Marketing de 1200 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration électronique du 27 octobre 2021, Monsieur [J] a interjeté appel de cette décision.

***

L’ordonnance de clôture a été prononcée en cet état de la procédure le 16 août 2023.

PRÉTENTION DES PARTIES

Par conclusions du 27 janvier 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, Monsieur [I] [J] demande à la cour de :

– infirmer et réformer le jugement attaqué en toutes ses dispositions,

– et statuant à nouveau,

– constater que la société Email Marketing-Dolist SAS manque à son obligation de recherche de la contre preuve telle que définie à l’article L.1154-1 alinéa 2 du code du travail,

– constater qu’il amène suffisamment d’éléments pour démontrer l’existence du harcèlement moral sous de nombreux aspects,

– constater l’existence d’un préjudice, moral ou psychologique, démontré par pièces médicales et attestations conformes à l’article 202 du code de procédure civile,

* en conséquence,

– condamner la société Email Marketing-Dolist SAS à lui verser une somme de 10 000 € au titre des dommages et intérêts en réparation du préjudice moral,

– constater que la preuve de la réalité et du sérieux du motif économique allégé n’est pas administré,

– constater, également, la violation caractérisée de l’obligation de recherche de reclassement,

* en conséquence,

– condamner la société Email Marketing-Dolist SAS à lui verser une indemnité égale à douze mois de salaire soit 54 999.96 euros au titre de l’article L.1235-3 du code du travail,

– débouter la SAS Email Marketing de toutes ses demandes,

– condamner la société Email Marketing-Dolist SAS à lui verser une indemnité de 6000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles de première instance et d’appel,

– condamner la société Email Marketing-Dolist SAS en tous les dépens.

Par conclusions du 21 avril 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, la SAS Email Marketing demande à la cour de :

– confirmer le jugement en ce qu’il a :

° dit qu’aucun fait de harcèlement moral n’est caractérisée ;

° dit que le licenciement de Monsieur [J] repose sur une cause réelle et sérieuse et qu’elle a rempli ses obligations de reclassement ;

° reçu Monsieur [J] dans ses demandes et l’en a débouté ;

° dit qu’il n’y a pas lieu à exécution provisoire ;

° reçu Monsieur [J] dans sa demande d’article 700 et l’en déboute ;

° condamné Monsieur [J] aux dépens éventuels ;

° reçu sa demande reconventionnelle d’article 700 et condamné Monsieur [J] au versement de 1 200 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

– en conséquence :

– débouter Monsieur [J] de l’intégralité de ses demandes, toutes infondées et injustifiées ;

– faire droit à sa demande reconventionnelle,

– condamner Monsieur [J] à lui verser la somme de 4 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner Monsieur [J] aux entiers dépens, en ce compris les éventuels frais d’exécution.

SUR QUOI,

I – SUR L’EXECUTION DU CONTRAT DE TRAVAIL :

A – Sur le harcèlement moral :

L’article L.1152-1 du code du travail dispose : ‘ Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.’

Il en résulte que le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l’intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés :

– des agissements répétés,

– entraînant une dégradation des conditions de travails du salarié,

– portant atteinte à ses droits, sa dignité, sa santé physique ou mentale ou compromettant son avenir professionnel.

Cela signifie que le harcèlement moral est caractérisé par la constatation de ses conséquences telles que légalement définies, peu important l’intention (malveillante ou non) de son auteur.

L’article L.1154-1 du code du travail fixe le régime de la preuve en matière de harcèlement :

‘Lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.’

Le régime probatoire du harcèlement moral est posé par l’article L. 1154-1 du code du travail qui prévoit que dès lors que le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il en résulte que le salarié n’est tenu que d’apporter au juge des éléments permettant de présumer l’existence d’un harcèlement moral et qu’il ne supporte pas la charge de la preuve de celui-ci.

De ce fait, le juge doit :

– en premier lieu examiner la matérialité des faits allégués par le salarié en prenant en compte tous les éléments invoqués y compris les certificats médicaux,

– puis qualifier juridiquement ces éléments en faits susceptibles, dans leur ensemble, de faire présumer un harcèlement moral,

– enfin examiner les éléments de preuve produits par l’employeur pour déterminer si ses agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement et si ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il est constant que peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de management par un supérieur hiérarchique dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

***

En l’espèce, aux fins de démontrer la matérialité des faits de harcèlement moral, Monsieur [J] rapporte :

* 1 : qu’il lui était fait interdiction de participer aux réunions organisées en visioconférence :

Cependant, il ne donne aucune précision sur les dates et le nombre desdites réunions.

En conséquence, ce fait n’est pas établi dans sa matérialité.

* 2 : que le 20 janvier 2020, la SAS Email Marketing a organisé une réunion et lui a interdit d’y participer en visioconférence afin de l’écarter de ses responsabilités alors que ses collaborateurs y participaient en présentiel et que même s’il était en télétravail jusqu’au 30 janvier suivant, il se serait rendu disponible pour être présent si son employeur ne le lui avait pas interdit.

Aux fins de démontrer la matérialité de cette mise à l’écart, il produit aux débats :

– un emploi du temps démontrant l’existence de cette réunion et le fait qu’elle soit grisée,

– un message électronique de [K] [Z], le Directeur des opérations de la société Email Marketing, lui écrivant : ‘ Il n’est pas nécessaire que tu te connectes cet après-midi à la visio Automation’.

Il en résulte que ce fait est établi dans sa matérialité.

* 3 : que l’employeur a planifié des réunions avec son équipe sans le prévenir et aurait entretenu des relations directes avec ses collaborateurs afin de le court-circuiter, que certaines réunions, portant sur la ‘ Tierce Maintenance Applicative’ (TMA) ont été réalisées sans lui alors qu’il ressort de l’article 2 de

son contrat de travail que cette mission relève de ses prérogatives et que de ce fait, il n’aurait pas dû en être écarté par son employeur.

Afin d’étayer ses allégations, il produit :

– des retranscriptions de réunions qu’il a réalisées pour démontrer que l’une de ses collaboratrices avait eu une réunion, à son insu, avec [A] [Z] et [O] [P], la responsable des ressources humaines,

– des échanges de messages entre Monsieur [Z] et l’une de ses collaboratrices dans lesquels le directeur des opérations donne des instructions directes à la collaboratrice sans passer par son intermédiaire.

Il en résulte que ce fait est établi dans sa matérialité.

* 4 : qu’à la suite de l’alerte qu’il donnait à son employeur sur le comportement harcelant de Monsieur [Z] à son égard dans un courrier du 14 mars 2020, il a été mis à l’écart et que sa convocation à un entretien préalable à licenciement n’a été qu’une mesure de rétorsion prise par son employeur à la réception de son courrier.

Afin d’étayer ses allégations, il produit l’avis de réception datant son courrier du 14 mars 2020 à 9 heures 42 et prétend que l’employeur ne produit pas d’avis de réception permettant de démontrer que la lettre de convocation à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement est effectivement datée du 13 mars.

Il en résulte que ce fait est établi dans sa matérialité.

* 5 : que, dans un courrier en réponse à celui qu’il lui avait envoyé le 14 mars 2020, la société Email Marketing avoue le fait que Monsieur [Z] l’avait court-circuité en envoyant des mails à ses collaborateurs dans la mesure où l’employeur lui a écrit : ‘En tout état de cause, Monsieur [Z], en sa qualité de Directeur des Opérations a non seulement légitimement le droit de s’adresser par mail, ou tout autre moyen à sa convenance, à l’ensemble des équipes ou sous-traitant mais, surtout, n’a pas à vous en rendre compte…’ ou encore ‘ Seuls les collaborateurs participant activement et amenant donc de la valeur supplémentaire opérationnelle à la réunion ont été conviés de sorte que nous n’avons pas jugé utile d’inviter leur supérieur hiérarchique.’

Il produit :

– l’attestation de l’ancien dirigeant de la société Email stratégie, précisant que l’équipe de développeurs dirigée par Monsieur [J] était constituée par tous les collaborateurs développeurs au sein de toutes les sociétés,

– l’organigramme de la société en 2017.

Il en résulte que ce fait est établi dans sa matérialité.

* 6 : que sa mise à l’écart a conduit à la dégradation de son état de santé.

Afin d’étayer ses allégations, il produit :

– des attestations de son médecin et de ses proches démontrant qu’il souffrait depuis le mois de janvier 2020 de troubles du sommeil, d’une baisse d’appétit, de difficulté de concentration, de maux de tête et d’irritabilité, à savoir :

° le témoignage de Madame [X] [Y] qui indique : ‘ son travail revenait sans cesse dans nos discussions… Il m’a dit que ça n’allait pas fort au travail, qu’il se sentait harcelé au quotidien. ..’

° le témoignage de Madame [L] [J], son épouse qui atteste : ‘il ne dormait plus, faisait des cauchemars et combien de fois, il a vomi en pleine nuit !’,

° le témoignage de Madame [S]-[R] qui explique : ‘il paraissait toujours préoccupé, sous l’emprise d’un mal être permanent, toujours stressé et pressé’ et qu’il justifiait de cet état en répondant : ‘ .. mon travail, je suis sous pression’.

° le témoignage de Monsieur [R] qui précise : ‘Quand il prend la parole, c’est pour évoquer les difficultés qu’il rencontre dans son travail, cela l’obsède.

– des prescriptions médicales d’anxiolytiques et d’antidépresseurs,

– ses résultats lors de tournois sportifs.

Il en résulte que ce fait est établi dans sa matérialité.

***

Ainsi, les faits 2 à 6 sont établis dans leur matérialité.

Pris dans leur ensemble, ils laissent présumer l’existence d’un harcèlement moral.

***

Il appartient donc à l’employeur de prouver que les agissements invoqués par Monsieur [J] ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

A ce titre :

* Sur le fait 2 relatif à l’interdiction faite au salarié de participer à la réunion du 20 janvier 2020 en visioconférence :

L’employeur explique :

– que Monsieur [J] avait bien été convié à la réunion du 20 janvier 2020 qui avait lieu le jour de la reprise de son travail après son arrêt de travail,

– qu’il lui avait accordé la possibilité de télé-travailler jusqu’au 30 janvier suivant,

– que la réunion impliquait de participer à des ateliers sur place à [Localité 7] et ne pouvait donc se faire qu’en présentiel,

– que seul un salarié a pu assister à la réunion en visioconférence, Monsieur [W] car il devait intervenir en qualité d’expert technique alors que Monsieur [J], lui, qui avait un rôle d’animation impliquant sa présence sur place, ne pouvait y assister en visioconférence,

– que cela justifie que Monsieur [Z] lui ait répondu par message électronique qu’il n’était pas utile que Monsieur [J] se connecte pour assister à cette réunion,

– qu’ainsi, cela ne constitue pas une interdiction mais une dispense permettant à Monsieur [J] de rester en télétravail comme il l’avait demandé.

L’employeur ajoute que le matin du 20 janvier, lors d’un appel téléphonique, Monsieur [J] lui avait demandé à ne pas participer à la réunion car il se sentait encore fatigué pour aller jusqu’à [Localité 7] participer à cette réunion et que de ce fait, le message que lui a envoyé Monsieur [Z] n’est qu’une réponse à la demande qu’il a formulée de ne pas assister à la réunion litigieuse.

Afin d’étayer ses allégations, l’employeur verse aux débats :

– l’invitation faite à Monsieur [J] de participer à la réunion,

– le mail de Monsieur [Z] transmettrant le compte-rendu de la réunion à Monsieur [J],

– l’attestation de Monsieur [Z] relatant l’appel téléphonique que lui a passé le salarié pour l’informer le 20 janvier 2020 qu’il souhaitait ne pas participer à la réunion de l’après-midi et la réponse qu’il y a apportée par mail,

– le mail de Monsieur [Z] du 14 janvier 2020 autorisant Monsieur [J] à télétravailler jusqu’au 30 janvier suivant.

Il en résulte donc que contrairement aux affirmations de Monsieur [J], celui-ci a été convoqué effectivement par mél à la réunion litigieuse qui se tenait à [Localité 7], que cependant, comme il avait été autorisé à télétravailler par son employeur jusqu’au 30 janvier suivant et que cette réunion devait se tenir en présentiel, il avait été dispensé de se connecter.

Toutefois, contrairement à ce qu’il prétend, il n’a pas été écarté sciemment du suivi de cette réunion dès lors que le compte rendu lui en a été transmis dès que sa rédaction a été achevée après la réunion.

Ainsi, l’employeur justifie par des éléments objectifs ce fait.

* Sur les faits 3 et 5 relatifs à la planification de réunions avec l’équipe de Monsieur [J] et sur la communication directe de son supérieur hiérarchique direct avec ses collaborateurs :

L’employeur expose en substance qu’à aucun moment Monsieur [J] n’a été mis à l’écart ou court-circuité dans la mesure :

* où d’une part la Tierce Maintenance Applicative – TMA – ne relevait pas de ses fonctions et où il n’encadrait réellement qu’un seul collaborateur, Monsieur [E] [W],

– où Madame [D] n’était pas sous la subordination de Monsieur [J] puisqu’elle était la salariée de la société Juelno, une de ses sous-traitantes,

– où la réunion du 10 mars 2020, intitulée « CSP TMA », ne concernait que Madame [D] et a eu lieu sans la présence de Monsieur [J] car elle ne relevait pas de ses fonctions,

– où dans le courrier qu’il a envoyé à Monsieur [J] le 23 mars 2020, il lui a rappelé que Madame [N] [T], responsable du Customer Department, n’avait pas été elle non plus conviée à la réunion portant sur la TMA alors que pourtant une de ses collaboratrices y participait,

– où les échanges par courrier électronique ayant eu lieu directement entre Madame [D] et Monsieur [Z] portaient sur des points de la réunion à préparer,

– où en tout état de cause, c’est Madame [D] qui a contacté directement Monsieur [Z] et non l’inverse,

– où de surcroît, comme Madame [D] était salariée d’un sous-traitant de l’employeur, Monsieur [Z] était parfaitement en droit de la contacter directement, sans qu’il puisse lui être reproché de court-circuiter Monsieur [J],

* où d’autre part Monsieur [J] était informé de la réorganisation qui se préparait et donnait son avis sur le projet proposé, démontrant en cela qu’il était conscient de la nécessité de la réorganisation de la gestion de la Tierce Maintenance Applicative qui devait être laissée à des experts techniques en capacité de résoudre les bugs et de réaliser les tests techniques,

– où en tout état de cause, Monsieur [J] était convié à toutes les réunions du Comité de direction opérationnel, chaque lundi et qu’en conséquence, il n’était pas évincé de son rôle d’acteur actif de la société.

Afin d’étayer ses allégations, l’employeur produit :

– le contrat de travail du salarié et son avenant,

– la liste des salariés de la société Juelno actualisée en août 2019,

– le courrier qu’il a envoyé le 23 mars 2020 au salarié pour lui expliquer les raisons pour lesquelles il n’avait pas été convié à la réunion TMA, secteur dirigé par Monsieur [Z], qui est un secteur technique n’entrant pas dans le champ de ses compétences qui étaient centrées su l’organisation des développements et non sur la maintenance technique,

– le mél que lui a envoyé Monsieur [J] le 30 octobre 2019 pour lui faire connaître son avis sur la future organisation opérationnelle.

***

Il en résulte :

– que Madame [D] n’était pas la subordonnée de Monsieur [J] mais la salariée d’une société sous-traitante qui travaillait avec Monsieur [Z],

– que de ce fait, elle pouvait contacter directement celui-ci sans passer par l’intermédiaire de Monsieur [J] et qu’inversement, Monsieur [Z] pouvait l’interroger,

– qu’en tout état de cause, Monsieur [Z], directeur des opérations, supérieur hiérarchique de Monsieur [J], pouvait s’adresser à l’ensemble de ses subordonnés sans devoir au préalable passer par l’intermédiaire des responsables de secteur et notamment de Monsieur [J],

– que les organigrammes produits par le salarié et l’attestation de l’ancien dirigeant de Email stratégie ne visent que les périodes antérieures à la fusion- absorption et non la période postérieure,

– que par ailleurs, contrairement à ce que soutient Monsieur [J], il a été consulté sur les projets de réorganisation de l’entreprise (pièce 24 produite par l’employeur) puisqu’il a donné là-dessus un avis favorable et était partie prenante, comme en témoignent les pièces versées par l’employeur (pièce 25 produite par l’employeur),

– qu’en outre, Monsieur [J] ne conteste pas l’affirmation de l’employeur selon laquelle sa collègue Madame [M], responsable du Customer department n’a pas été non plus invitée à ce comité comme lui alors qu’elle était la supérieure hiérarchique de Madame [G], technical support qui y participait,

– qu’ainsi, le fait qu’il n’ait pas été convié à cette réunion s’explique par la nature même de celle – ci et ne constitue pas une mesure vexatoire.

L’employeur justifie donc – pièces à l’appui – par des éléments objectifs ce fait.

* Sur le fait 3 relatif à la concomitance des dénonciations de harcèlement avec la convocation à un entretien préalable à licenciement :

L’employeur explique :

– que dès les 23 et 30 octobre 2019, des échanges entre Monsieur [J] et Monsieur [Z] sont intervenus à propos de la réorganisation des services, démontrant que le salarié était informé des projets de la société et y participait activement,

– que le 24 janvier 2020, il a informé le salarié des difficultés économiques rencontrées par la société,

– que le 13 mars 2020, il lui a envoyé une convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif économique,

– que le même jour, Madame [O] [P] a appelé Monsieur [J] pour le prévenir oralement, par courtoisie, de la convocation qu’il allait recevoir.

Afin d’étayer ses allégations, il verse l’avis d’envoi de la lettre de convocation à l’entretien préalable au licenciement, daté du 13 mars 2020.

Il en résulte que la convocation à l’entretien préalable au licenciement – adressée au salarié le 13 mars 2020 – ne constitue pas une mesure de rétorsion au courrier que le salarié lui a envoyé le 14 mars 2020 pour dénoncer des faits de harcèlement moral.

* Sur le fait 5 relatif à la dégradation de l’état de santé de Monsieur [J] :

L’employeur explique :

– que Monsieur [J] a été placé en arrêt de travail avant les faits allégués suivi d’une prolongation d’arrêt de travail d’origine non professionnelle du 29 janvier 2020,

– qu’il a organisé une visite de reprise à l’issue de son dernier arrêt maladie,

– que le médecin du travail n’a pas signalé d’éventuel problème de harcèlement moral,

– que l’un des traitements est un anxiolytique qui peut être utilisé également pour traiter les sevrages alcooliques,

– que le diagnostic fait par le médecin démontre une fatigue générale mais ne permet pas de faire de lien avec les conditions de travail du salarié,

– que les attestations des proches de l’appelant ne font pas état d’événements précis et datés,

– que Monsieur [J] a retrouvé un poste au sein de la société Rhinos dès le mois de juillet 2020 ce qui démontre son absence de mal-être.

Afin d’étayer ses allégations, il verse :

– la convocation du salarié à la visite médicale de reprise,

– l’avis du médecin du travail,

– un extrait du Vidal.

Il en résulte que Monsieur [J], placé en arrêt maladie non professionnelle du 15 janvier au 19 février 2020 puis à compter du 17 mars 2020 jusqu’au 16 avril 2020, date de sa sortie des effectifs de la société n’évoque comme faits qu’il considère être des faits de harcèlement que des faits postérieurs au 15 janvier 2020.

Le lien existant entre d’une part la dégradation de son état de santé et de ses résultats sportifs et d’autre part ses conditions de travail n’est pas établi.

***

Il résulte donc de l’ensemble de ces éléments que la SAS Email marketing produit des pièces à l’appui de ses explications qui justifient objectivement que les faits allégués par Monsieur [J] ne sont pas constitutifs de harcèlement moral.

Monsieur [J] doit donc être débouté de toutes ses demandes formées de ce chef.

En conséquence, le jugement attaqué doit être confirmé.

B – Sur l’exécution déloyale du contrat de travail par l’employeur :

En application de l’article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

En l’espèce, à l’appui de ses demandes présentées au titre de l’exécution déloyale de son contrat de travail par son employeur, Monsieur [J] reprend l’ensemble des faits qu’il a présentés au titre du harcèlement moral et soutient implicitement que ledit harcèlement constitue une déloyauté.

Cependant, comme la cour vient de confirmer le jugement attaqué qui l’a débouté de toutes ses demandes formées au titre de l’existence d’un harcèlement moral, il convient en conséquence de le débouter de toutes ses prétentions présentées au titre de l’existence d’une déloyauté de son employeur dans l’exécution du contrat de travail.

II – SUR LA RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL :

A – Sur le licenciement économique et la préservation de la compétitivité de l’entreprise :

Aux termes de l’article L. 1233-3 du code du travail dans sa version en vigueur depuis le 01 avril 2018 :

‘ Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :…

3° A une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité…

La matérialité de la suppression, de la transformation d’emploi ou de la modification d’un élément essentiel du contrat de travail s’apprécie au niveau de l’entreprise.

Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise s’apprécient au niveau de cette entreprise si elle n’appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d’activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude.

Pour l’application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies à l’article L. 233-1, aux I et II de l’article L. 233-3 et à l’article L. 233-16 du code de commerce.

Le secteur d’activité permettant d’apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché.

Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant de l’une des causes énoncées au présent article, à l’exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L. 1237-11 et suivants et de la rupture d’un commun accord dans le cadre d’un accord collectif visée aux articles L. 1237-17 et suivants.’

Pour l’appréciation du bien-fondé du motif économique du licenciement tiré d’une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité, il revient au juge de vérifier l’existence d’une menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise ou du secteur d’activité du groupe dont elle relève.

La réorganisation destinée à sauvegarder la compétitivité n’implique pas l’existence de difficultés économiques actuelles, qui suffiraient d’ailleurs à elles seules à justifier les licenciements.

Elle implique l’existence d’une menace sur la compétitivité de l’entreprise ou le secteur d’activité du groupe nécessitant une anticipation des risques et le cas échéant, des difficultés à venir.

Corrélativement, il a été jugé que la réorganisation qui répond moins à une nécessité économique qu’à une volonté de l’employeur de privilégier le niveau de rentabilité de l’entreprise, ne peut constituer un motif économique justifiant le licenciement (Soc. 22 septembre 2009, n° 08-44.147 ; Soc., 3 novembre 2011, pourvoi n° 10-21.337 ; Soc., 5 mars 2014, pourvoi n° 12-25.035).

Le critère de la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise ne se confond pas

avec celui de l’intérêt de l’entreprise. Une réorganisation visant à transformer l’activité de l’entreprise, à améliorer sa rentabilité ou encore à harmoniser le statut de l’ensemble des salariés, ou encore une opération de fusion-absorption ou la cession d’une filiale ne sont pas nécessairement destinées à sauvegarder sa compétitivité.

La menace sur la compétitivité est donc une situation intermédiaire entre les difficultés économiques et la recherche de rentabilité.

Enfin, peu importe l’origine des difficultés économiques, et notamment qu’elles résultent de la mauvaise gestion de l’employeur, dès lors qu’elles sont avérées (Soc. 24 juin 2009, n° 07-44562 ; Soc. 23 novembre 2011, n° 10-26167 ; Soc. 24 mai 2018 n° 16-18.307), sauf attitude frauduleuse.

***

En l’espèce, Monsieur [J] soutient en substance :

– que le licenciement pour motif économique serait dépourvu de cause réelle et sérieuse,

– que la situation financière de l’employeur doit être appréciée à l’échelon du groupe et non uniquement de la SAS Email Marketing, en prenant en compte l’état de la société Digital Moon,

– que la société ne connaîtrait pas de difficultés financières et qu’elle serait prospère,

– que la SAS Email Marketing ne démontre aucunement la matérialité de cette menace,

– qu’il appartient à la société de démontrer qu’elle n’a pas commis de faute de gestion,

– que la société Digital Moon, présidente du groupe auquel appartient la SAS Email Marketing, a racheté la start-up Brainify, liquidée par la société présidente en mobilisant la société Dolist SAS.

En réponse, l’employeur objecte pour l’essentiel :

– que le chiffre d’affaires a été artificiellement maintenu par la fusion avec la société Email Stratégie,

– qu’en revanche, les résultats nets de l’entreprise se sont gravement détériorés depuis 2018,

– que les bilans annuels 2018 et 2019 et l’attestation établie par son expert-comptable certifient l’état des comptes au 30 septembre 2020,

– que la société Digital Moon a pour objet social la prise de participation dans les startups, soit une activité différente de celle de la société Email Marketing,

– que les prises de participation ayant entraîné des pertes lourdes pour la société Digital Moon ne peuvent être considérées comme des fautes de gestion puisque la société intimée Email Marketing n’a pas participé à ces investissements,

– que ses difficultés financières l’ont poussé à réorganiser l’entreprise dans l’optique de sauvegarder sa compétitivité,

– que de ce fait, il a dû réduire ses charges fixes en centralisant son activité autour d’un seul logiciel nommé Campaign,

– que le poste de Monsieur [J] qui était responsable du développement de la plate-forme Wewmanager a été supprimé,

– que le registre du personnel du 1er janvier 2018 au 31 décembre 2020 établit la suppression effective du poste et l’absence de nouveau recrutement.

***

Cela étant, les notifications du contrat de sécurisation professionnelle et du motif économique du 26 mars 2020 outre celles de la rupture du contrat de travail après acceptation du contrat de sécurisation professionnelle du 15 avril 2020 indiquent :

‘Au cours de l’année 2019, la Société a été amenée à fusionner avec la Société

EMAILSTRATEGIE et à ce titre à intégrer de nouveaux outils ainsi que de nouveaux collaborateurs.

En parallèle, les résultats financiers de la Société EMAIL MARKETING se sont dégradés de manière significative sur les trois dernières années.

En effet, alors que le chiffre d’affaires se maintient artificiellement en raison notamment de la fusion qui est intervenue en 2019, force est de constater que le résultat d’exploitation s’est littéralement effondré.

Quant au résultat net, celui-ci s’est également gravement détérioré.

Le tableau suivant en atteste :

2017 2018 2018 / 2017 2019 2019 / 2018

Chiffre d’Affaires

5 888 5 906 0% 6 689 13%

Valeur Ajoutée

4 001 3 797 -5% 3 995 5%

VA / CA

68,0% 64,3% 59,7%

Excédent Brut d’Exploitation

705 184 -74% -123 -167 %

EBE /CA

12,0% 3,1% -1,8%

Résultat d’Exploitation

237 -286 -221% -826 NS

REX / CA

4,0% -4,8% -12,3%

Résultat Net

515 76 -85% -564 -842%

(1) 2019 : estimation avant clôture définitive des comptes

Les résultats constatés en ce début d’année 2020 ne font malheureusement que confirmer les pertes d’exploitation qui se poursuivent inexorablement, et même s’aggravent.

En réalité, les efforts de développement déployés par la Société avec le rachat d’EMAILSTRATEGIE, les investissements réalisés pour la tentative de lancement d’une activité à l’international, mais également la structuration réalisée en interne au fil des ans ont malheureusement entraîné une augmentation des charges fixes et notamment de la masse salariale, des achats, et de frais techniques d’hébergement (DataCenter).

Le chiffre d’affaires généré depuis n’a pas été suffisant pour compenser l’augmentation de ces charges fixes auxquelles doit faire face la Société.

Dans le même temps, la Société évolue dans un marché complexe, celui des technologies « Martech », qui se traduit par un marché rythmé par l’évolution des concepts ainsi qu’une offre technique effervescente et pléthorique. Ce marché est dominé par les éditeurs mondiaux, qui déploient à grande échelle des outils complets correspondant à des offres fragmentées et innovantes. La tendance globale du marché de diminution des volumes du routage email impacte également le chiffre d’affaires.

A ce jour, la Société EMAIL MARKETING développe et entretient trois plateformes différentes d’email marketing et de gestion de campagnes :

– La plate-forme WEWMANAGER développée à [Localité 5] occupant 2 salariés et des sous-traitants et issue du rachat de la Société EMAILSTRATEGIE ;

– Les plateformes V8 et CAMPAIGN développées à [Localité 7] occupant 14 salariés.

Cependant, afin de faire face à la concurrence redoutable des acteurs présents sur le marché, et de rationaliser le fonctionnement de la Société, il est apparu nécessaire d’opérer un repositionnement stratégique sur les produits à proposer aux clients et dans le même temps de mutualiser les savoir-faire et donc de s’orienter vers une plate-forme unique complète, performante et innovante.

Pour des raisons de sécurité et de délivrabilité, la Direction Générale a privilégié la plate-forme CAMPAIGN, comme étant vouée à devenir le socle unique sur lequel les nouvelles fonctionnalités seront développées d’ici la fin de l’année 2020 selon les projections.

La Direction générale a donc décidé de dédier toutes les compétences et moyens à un seul outil : la plate-forme CAMPAIGN pour assurer un meilleur positionnement face à une concurrence acerbe.

Aussi, les autres plateformes n’ayant pas vocation à perdurer, leurs applications ne feront à l’avenir l’objet que d’actions de maintenance et non plus de développement de nouvelles fonctionnalités.

La société a donc entrepris de se réorganiser, notamment en fusionnant les services affectés au développement et à la maintenance des trois plateformes, dans le but de mutualiser les moyens et compétences, et utiliser les meilleures fonctionnalités de chacune pour créer un outil unique qui soit le plus performant et concurrentiel possible.

Cette réorganisation permettra également d’opérer une rationalisation des charges fixes en évitant les doublons de fonctions entre les salariés issus de la Société EMAIL MARKETING et ceux issus de la Société rachetée EMAILSTRATEGIE.

Face à cette nécessaire réorganisation, la Société EMAIL MARKETING a dû prendre un certain nombre de décisions, et notamment celle de fusionner les deux services développement, et par voie de conséquence de supprimer votre poste de Responsable développement. En parallèle, la Société s’est engagée dans une politique de réduction des coûts pour réduire ses charges fixes.

Cette réorganisation rendue nécessaire pour assurer la sauvegarde de la compétitivité de la Société EMAIL MARKETING a pour objectif de participer à ramener la masse salariale à de plus justes proportions, rationaliser le fonctionnement de l’entreprise par une mutualisation des compétences, et ainsi permettre de redresser la situation économique et financière de l’entreprise qui devient préoccupante’.

Afin d’étayer ses allégations, la société verse aux débats :

– le point d’activité 2020 de la société Email Marketing,

– le tableau des résultats de la société avec un résultat d’exploitation s’élevant à 237.000 € en 2017, contre -286.000 € en 2018 et -875.000 € en 2019 et un résultat net passé de 515.000 € en 2017 à -564.000 en 2019,

– les bilans 2018 et 2019,

– l’attestation de l’expert comptable certifiant l’état des comptes au 30 septembre 2020 et indiquant : ‘perte nette de 724 037 euros sur les 9 premiers mois de l’année 2020. Pour information, les comptes qui seront prochainement arrêtés au 31/12/2020 confirmeront les tendances relevées dans les comptes au 30 septembre 2020″ ,

– l’extrait KBIS de la société Digital Moon,

– le registre du personnel du 1er janvier 2018 au 31 décembre 2020 démontrant la suppression effective du poste et l’absence de nouveau recrutement.

***

Il en résulte contrairement à ce que soutient le salarié :

– que si le chiffre d’affaires de la société était artificiellement gonflé par la fusion-acquisition réalisée en 2019, le résultat d’exploitation s’est en revanche effondré, tout comme le résultat net,

– que les documents versés aux débats établissent un décallage très net entre les chiffres qui y sont énoncés et la conclusion qu’en tire le salarié selon laquelle la société est en bonne santé économique,

En effet, s’appuyer pour parvenir à cette dernière affirmation sur les chiffres et les résultats de la société en 2017 et 2018 outre les articles de presse de 2016 et 2017 est totalement inopérant dès lors que le licenciement a été prononcé en 2020 et non en 2017 et 2018 et que les prises de participation litigieuses visées par le salarié n’ont pas été prises par son employeur mais par la société Digital Moon dont l’objet social comme le KBIS l’indique est la prise de participation dans des startups.

Il en résulte donc :

– que d’une part la société n’avait d’autres moyens pour sauvegarder sa compétitivité dans un secteur particulièrement concurrentiel que de se restructurer et c’est ce qu’elle a fait en fusionnant ses services de [Localité 8] et de [Localité 7] ; fusion qui a conduit à se concentrer sur une seule plate-forme, à savoir ‘ Campaign’ qu’elle avait conçue, à limiter ses charges et à abandonner la plate-forme ‘ webmanager’ sur laquelle travaillait Monsieur [J].

– que d’autre part, au vu des chiffres exposés, une menace réelle pesait sur la compétitivité de la société qui ne pouvait que conduire à la réorganisation de la société sans qu’il soit nécessaire, contrairement à ce que soutient implicitement le salarié que ladite société soit au bord de la procédure collective pour être bien fondée à se restructurer,

– qu’enfin, au vu des principes sus rappelés, les éventuelles fautes de gestion commises par l’employeur sont inopérantes pour remettre en cause le licenciement litigieux.

En conséquence, il convient de rejeter toutes les prétentions du salarié de ce chef.

B – Sur l’obligation de reclassement :

Selon l’article L.1233-4 du code du travail, le périmètre du reclassement interne est l’entreprise.

Si le licenciement envisagé concerne un établissement d’une entreprise qui en compte plusieurs, c’est parmi les différents établissements que les possibilités de reclassement doivent être recherchées (Soc. 22 février 1995, Bull V n° 66, n° 93-43404 ; Soc.18 mars 1997, n° 94-41994).

Si l’entreprise appartient à un groupe, le périmètre du reclassement interne est le groupe dont les activités, l’organisation ou le lieu de travail ou d’exploitation permettent la permutation de tout ou partie du personnel (Soc. 5 avril 1995 Bull V n° 123 ; Soc. 4 mars 2009, Bull, V, n° 57 ; Soc. 9 décembre 2015 n°14-21.672).

Le groupe de reclassement est celui composé des entreprises dont les activités ou l’organisation leur permettent d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel.

La permutabilité du personnel peut être caractérisée soit par la constatation de ce que des salariés ont été effectivement mutés d’une entreprise vers l’autre, soit par la constatation de ce qu’il existe, entre les différentes entités du groupe, des liens qui, au regard de leurs activités, de leur organisation ou de leur lieu d’exploitation, leur permettent d’effectuer la permutation de leur personne.

C’est à l’employeur qu’il incombe d’établir qu’il a satisfait à son obligation de reclassement à laquelle il est tenu (Soc. 5 juillet 2011, n° 10-14625).

***

Monsieur [J] expose en substance :

– que l’employeur a manqué à son obligation de reclassement,

– que sans attendre le résultat d’une prétendue recherche de reclassement, l’employeur lui a, dès le 25 mars 2020 proposé un seul et unique poste, en interne, de testeur avec une rémunération de 2290 euros par mois tandis que son salaire mensuel était jusqu’alors de plus de 4500 euros,

– que de plus l’employeur lui a proposé un contrat de sécurisation professionnelle dès le lendemain, démontrant l’absence de sérieux de la recherche de reclassement,

– qu’enfin, l’employeur a publié des annonces sur internet pour des postes de Développeur Fullstack sur les sites de [Localité 7] et de [Localité 6] peu après son licenciement,

– qu’il s’en déduit que l’employeur n’a pas respecté son obligation de recherche de reclassement.

En réponse, la SAS Email marketing objecte pour l’essentiel :

– qu’elle a respecté toutes les obligations légales imposée par l’article L.1233-4 du code du travail en recensant, en recherchant et en proposant au salarié tous les postes disponibles au sein de l’entreprise en interne à l’époque du licenciement, compatibles avec ses compétences, connaissances et niveau de diplôme,

– que les salariés engagés avant le début de la procédure de licenciement se sont vu assigner des postes nécessitant des compétences incompatibles avec celles de Monsieur [J],

– que les annonces pour des postes de Développeur Fullstack sont parues en automne 2020, soit plusieurs mois après le licenciement de Monsieur [J],

– que de ce fait, elle ne pouvait pas proposer un reclassement sur ces postes avant le licenciement de Monsieur [J],

– que de plus, celui-ci n’a jamais fait valoir sa priorité de réembauchage et qu’en tout état de cause, ces postes impliquaient de travailler sur un autre logiciel et avec un autre langage informatique que ceux qu’utilisés par Monsieur [J],

– qu’enfin, ces postes étaient à pourvoir sur les sites de [Localité 7] et de [Localité 6] alors que Monsieur [J] ne souhaitait pas quitter la région de [Localité 5].

Elle ajoute qu’en proposant le 27 mars 2020 un poste de reclassement comme testeur à Monsieur [J] qui l’a refusé, elle a respecté l’obligation qui lui est faite de proposer tout emploi d’une catégorie inférieure.

Elle verse à l’appui de ses allégations :

– les registres du personnel 2018, 2019, 2020,

– les courriers de recherche de reclassement externes et les réponses négatives que des sociétés y ont apportées,

– les promesses d’embauche de Monsieur [U] du 6 janvier 2020,

– la lettre d’embauche pour le poste de Developper Fullstrack du 4 novembre 2020.

***

Cela étant :

– le registre du personnel pour la période du 1er janvier 2018 au 31 décembre 2020 établit qu’au moment du licenciement de Monsieur [J] le seul poste disponible était le poste de testeur, même s’il s’agissait d’un poste d’une catégorie inférieure à celui qu’il occupait jusque là,

– aucun reproche ne peut être fait à l’employeur à ce titre dans la mesure où les termes de la loi lui imposent de proposer tous les postes disponibles, même ceux qui appartiennent à une catégorie inférieure à celui occupé par le salarié au moment de son licenciement,

– les 3 postes de cadres ou de chefs de projet pourvus peu avant le licenciement de Monsieur [J] sont les suivants :

° le 10 février 2020, M. [U] en tant que développeur confirmé front end

° le 11 mars 2020, M. [B] en qualité de chef de projet marketing digital

° le 16 mars 2020, M. [H] en tant que consultant commercial.

Il en résulte :

– que Monsieur [U] a signé sa promesse d’embauche le 6 janvier 2020, soit avant l’engagement de la procédure de licenciement pour motif économique,

– que Monsieur [J] ne contredit pas l’employeur lorsque ce dernier explique que les postes de chef de projet marketing digital et de consultant étaient trop éloignés de ses compétences même après le suivi d’ une formation professionnelle,

– que de ce fait, il n’aurait pas pu les occuper.

Par ailleurs, contrairement à ce que soutient le salarié, l’appel à candidature d’un développeur Fullstack est paru à l’automne 2020 pour faire suite à la démission en septembre 2020 de la personne qui occupait jusqu’alors ces missions, à savoir Monsieur [V] [C].

Ainsi, ce poste n’était pas disponible à l’époque des recherches de reclassement et de la rupture du contrat de travail de Monsieur [J] et s’est libéré 5 mois après son départ de la société.

En tout état de cause, non seulement le recrutement litigieux n’est intervenu qu’en novembre 2020, soit 7 mois après le départ de l’appelant pour une prise de poste en janvier 2021 mais également Monsieur [J] n’avait pas formé de demande de priorité à l’embauche au moment de la signature du CSP pour laquelle il ne rapporte pas la preuve que son consentement a été vicié par l’erreur, le dol ou la violence.

Il est donc malvenu à reprocher à son employeur de ne pas lui avoir proposé le poste litigieux.

En conséquence, il résulte de tout ce qui précède que la société a respecté son obligation de reclassement de Monsieur [J].

C – En conclusion, il convient de confirmer le jugement attaqué en ce qu’il a dit que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse et a débouté Monsieur [J] de l’intégralité de ses demandes.

III – SUR LES DÉPENS ET LES FRAIS IRRÉPÉTIBLES :

Les dépens doivent être supportés par Monsieur [J] qui succombe dans l’intégralité de ses prétentions.

***

Il n’est pas inéquitable de rejeter les demandes des parties fondées sur l’article 700 du code de procédure civile tant en première instance qu’en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de La Rochelle le 28 septembre 2021 sauf en ce qu’il a condamné Monsieur [J] à payer à la société Email Marketing la somme de 1200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Infirmant de ce dernier chef,

Et statuant à nouveau :

Déboute la SAS Email Marketing de sa demande présentée en première instance au titre des frais irrépétibles de l’article 700 du code de procédure civile,

Y ajoutant,

Déboute les parties de leur demande respective formée en appel en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne Monsieur [J] aux dépens d’appel.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,

 


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