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23 novembre 2023
Cour d’appel de Lyon
RG n°
20/01021
N° RG 20/01021 – N° Portalis DBVX-V-B7E-M3IG
Décision du Tribunal de Commerce de LYON du 05 décembre 2019
RG : 2016j865
S.A.S. TTI GROUP
C/
S.A.R.L. S.A.R.L ARC EN CIEL RH
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE LYON
3ème chambre A
ARRET DU 23 Novembre 2023
APPELANTE :
S.A.S. TTI GROUP anciennement dénommée TTI SUCCESS INSIGHTS FRANCE au capital de social de 10.000 €,immatriculée au RCS de LYON sous le numéro 790 839 328, agissant poursuites et diligences de son Président en exercice Monsieur [D] [T] domicilié en cette qualite audit siège
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Philippe NOUVELLET de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, toque : 475, postulant et par Me Florence CECCON de la SELARL HORKOS AVOCATS, avocat au barreau de LYON
INTIMEE :
S.A.R.L. ARC-EN-CIEL RH au capital de 8.000 €, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le n° 482 093 861, prise en la personne de son gérant en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Eric-Louis LEVY, avocat au barreau de LYON, toque : 399, postulant et par Me Lorans CAILLERES, avocat au barreau de PARIS, plaidant par Me MAIGRET, avocat au barreau de PARIS
* * * * * *
Date de clôture de l’instruction : 16 Septembre 2021
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 04 Octobre 2023
Date de mise à disposition : 23 Novembre 2023
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
– Patricia GONZALEZ, présidente
– Aurore JULLIEN, conseillère
– Viviane LE GALL, conseillère
assistées pendant les débats de Clémence RUILLAT, greffière
A l’audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l’article 804 du code de procédure civile.
Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Patricia GONZALEZ, présidente, et par Clémence RUILLAT, greffière, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
EXPOSÉ DU LITIGE
La société TTI Success Insights France, présidée par M. [D] [T], et la société Arc-en-Ciel RH, dirigée par M. [E] [H], commercialisent des méthodes d’analyses comportementales et des applications dans la gestion des ressources humaines, management personnel et management d’autrui.
La société TTI Success Insights France commercialise la méthode ‘SUCCESS INSIGHT’ et la société Arc-en-ciel RH la méthode ‘LA SOCIÉTÉ ARC EN CIEL RH’.
Jusqu’en 2004, M. [H] était distributeur de la méthode ‘SUCCESS INSIGHT’. En 2005, il a créé la société Arc-en-ciel RH. M. [T] a succédé à M. [H] en qualité de distributeur, puis a créé, au début de l’année 2013, la société TTI Success Insights France, distributeur exclusif de la marque SUCCESS INSIGHT pour la France.
La société TTI Success Insights France reproche à la société Arc-en-Ciel des faits de dénigrement, parasitisme et confusion ainsi que la diffusion de fausse information à son sujet. Elle a fait réaliser plusieurs constats d’huissier le 16 décembre 2015, le 9 mai 2016 et le 10 janvier 2017.
Par lettre recommandée du 18 avril 2016, la société TTI Success Insights France a mis en demeure la société Arc-en-Ciel de cesser ses agissements. La société Arc-en-Ciel a alors procédé à la suppression de certaines références sur son site internet.
Par acte d’huissier du 11 mai 2016, la société TTI Success Insights France a assigné la société Arc-en-Ciel RH devant le tribunal de commerce de Lyon.
Par jugement contradictoire du 5 décembre 2019, le tribunal de commerce de Lyon a :
dit recevable le procès-verbal établi le 16 décembre 2015 par Me [K], Huissier, et débouté la société Arc en Ciel RH de sa demande d’écarter des débats la pièce n°6 communiquée par la société TTI Success Insights France,
jugé que la société TTI Success Insights France ne justifie pas que la société Arc en Ciel RH s’est livrée à des actes de dénigrement de la société TTI Success Insights France,
jugé que la société TTI Success Insights France ne justifie pas d’agissements de la société Arc en Ciel RH à son encontre entretenant la confusion,
dit prescrite l’action de la société TTI Success Insights France pour parasitisme au titre des supports de formation, à l’encontre de la société Arc en Ciel RH,
débouté la société TTI Success Insights France de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
rejeté la demande indemnitaire formée à titre reconventionnelle à hauteur de 10.000 euros par la société Arc en Ciel RH pour concurrence déloyale,
dit qu’il n’y a pas lieu à condamnation en application de l’article 700 du code de procédure civile,
condamné la société TTI Success Insights France aux entiers dépens de l’instance.
La société TTI Group, anciennement TTI Success Insights France, a interjeté appel par acte du 7 février 2020.
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 25 mai 2021, fondées sur l’ordonnance n°45-2592 du 2 novembre 1945, l’article 1240 du code civil et les articles 901 et 562 du code de procédure civile, la société TTI Group demande à la cour de :
– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a :
dit que le procès-verbal de constat établi le 16 décembre 2015 par Me [K], Huissier, n’est entaché d’aucune nullité, et est parfaitement recevable,
débouté la société Arc en Ciel de sa demande indemnitaire formée à titre reconventionnelle à hauteur de 10.000 euros,
– infirmer pour le surplus le jugement déféré,
et statuant à nouveau,
– dire recevable l’ensemble de ses demandes,
– débouter la société Arc en Ciel RH de ses demandes tendant à ce que ledit procès-verbal soit écarté des débats,
– juger que la société Arc en Ciel RH s’est livrée à des actes de dénigrement à son égard :
en publiant une lettre d’information le 23 décembre 2015, à destination de l’ensemble de son réseau, dans laquelle elle se livrait à des assertions visant à la dénigrer en mettant en doute la pertinence de ses questionnaires d’analyse comportementale,
en délivrant à l’ensemble de son réseau, par un email du 15 septembre 2016, des informations erronées et malveillantes quant à la détention par son dirigeant de parts sociales dans la SARL CTE,
– juger que la société Arc en Ciel s’est approprié les termes « success insights » accolés aux termes « arc en ciel rh » :
sur ses sites internet « www.arcencielrh.com » et « www.arcencielrh.org », et partant, sur les moteurs de recherche,
sur le site internet YouTube.com,
par le biais de l’ouvrage dont M. [H] est l’auteur, et dont la promotion est assurée sur les sites « www.arcencielrh.com » et « www.arcencielrh.org »,
par le biais de supports de formation « success insights » que M. [H] s’est procuré alors qu’il en était le distributeur et que la société Arc en Ciel RH s’est appropriée aujourd’hui,
– juger que la société Arc en Ciel RH entretient la confusion avec elle,
– juger que la société Arc en Ciel RH s’est livrée à des actes de parasitisme à son encontre,
– juger qu’elle a subi un préjudice du fait des agissements de la société Arc en Ciel RH,
– juger que son action engagée pour parasitisme au titre des supports de fonction n’est pas prescrite,
en conséquence,
– condamner la société Arc en Ciel RH au paiement de la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts,
– condamner la société Arc en Ciel RH au retrait de l’ensemble des références aux termes « success insights » :
sur l’ensemble de ses sites internet et plus particulièrement sur les sites « www.arcencielrh.com » et « www.arcencielrh.org »,
sur l’ensemble des résultats des moteurs de recherche renvoyant à ses sites internet,
sur la plateforme de vidéos en ligne « youtube »,
plus généralement, sur tout site internet ou tout support destiné au public,
– la condamner à ce retrait sous astreinte d’un montant de 150 euros par jour de retard, à compter de la signification du jugement à intervenir,
– se réserver le pouvoir de liquider l’astreinte,
– ordonner la publication de la décision à intervenir sur les sites internet « www.arcencielrh.com » et « www.arcencielrh.org » selon les modalités suivantes :
la publication devra intervenir dans un délai de 15 jours à compter de la signification du jugement à intervenir,
elle interviendra en page d’accueil des sites « www.arcencielrh.com » et « www.arcencielrh.org »,
elle consistera en une publication intégrale de la décision, laquelle sera précédée de la mention « Condamnation pour actes de dénigrement et de parasitisme »,
elle sera maintenue pendant une durée de 6 mois
– la condamner à cette publication sous astreinte d’un montant de 150 euros par jour de retard, à compter de la signification du jugement à intervenir,
– se réserver le pouvoir de liquider l’astreinte,
– ordonner la publication de la décision à intervenir sur la « lettre d’information » dont la parution suivra la signification du jugement à intervenir, selon les modalités suivantes :
la publication devra intervenir en première page de la lettre d’information,
elle consistera en une publication intégrale de la décision, laquelle sera précédée de la mention « condamnation pour actes de dénigrement et de parasitisme »,
– juger qu’à défaut pour la société Arc en Ciel RH de faire figurer la publication dans sa lettre d’information, ou à défaut de publier une lettre d’information, elle sera condamnée au paiement de la somme de 5.000 euros,
en toutes hypothèses,
– juger que des faits de dénigrement et de parasitisme reprochés à la société Arc en Ciel RH subsistent,
en conséquence,
– juger que c’est à bon droit qu’elle a diligenté la présente procédure,
– débouter la société Arc en Ciel RH de ses demandes incidentes,
– condamner la société Arc en Ciel RH au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 22 mars 2021, fondées sur l’article 1er de l’ordonnance n°45-2592 du 2 novembre 1945, les articles 9, 31, 32-1, 122, 562, 559, 696, 700, 748-6, 901 et 930-1 du code de procédure civile et les articles 1240 et 1353 du code civil, la société Arc en Ciel RH demande à la cour de :
– constater que la déclaration d’appel remise au greffe de la cour d’appel de céans par la société TTI Group le 7 février 2020 à l’égard du jugement déféré ne porte pas sur le chef de jugement suivant : « débouter la société TTI Success Insight France de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions »,
en conséquence,
– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté la société TTI Group de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
en tout état de cause,
– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a :
jugé que la société TTI Success Insights France ne justifie pas qu’elle se soit livrée à des actes de dénigrement de la société TTI Success Insights France,
jugé que la société TTI Success Insights France ne justifie pas d’agissements de sa part à son encontre entretenant la confusion,
dit prescrite l’action de la société TTI Success Insights France pour parasitisme au titre des supports de formation, à son encontre,
débouté la société TTI Success Insights France de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
condamné la société TTI Success Insights France aux entiers dépens de l’instance,
– infirmer le jugement déféré en ce qu’il a :
dit recevable le procès-verbal établi le 16 décembre 2015 par Me [K], Huissier, et l’a débouté de sa demande d’écarter des débats la pièce n°6 communiquée par la société TTI Success Insights France,
rejeté sa demande indemnitaire formée à titre reconventionnelles à hauteur de 10.000 euros pour concurrence déloyale,
dit qu’il n’y a pas lieu à condamnation en application de l’article 700 du code de procédure civile,
statuant à nouveau,
– déclarer nul et de nul effet le procès-verbal de constat dressé par la Selarl Romy [K] le 16 décembre 2015 et en conséquence,
– écarter des débats la pièces n°6 communiquée par la société TTI Group à l’appui de ses conclusions d’appelante,
– dire la société TTI Group irrecevable et mal fondée en l’ensemble de ses demandes, et, en conséquence,
– débouter la société TTI Group de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
– constater le caractère abusif de l’action initiée par la société TTI Group,
– constater que la société TTI Group a commis des actes de concurrence déloyale à son préjudice,
– condamner la société TTI Group à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts,
– condamner la société TTI Group à lui payer la somme de 10.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles de première instance,
y ajoutant,
– constater le caractère abusif de l’appel interjeté par la société TTI Group à l’encontre du jugement déféré,
– condamner la société TTI Group à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts,
– condamner la société TTI Group à lui payer la somme de 10.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d’appel,
– condamner la société TTI Group aux entiers dépens avec droit de recouvrement.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 16 septembre 2021, les débats étant fixés au 4 octobre 2023.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, il sera rappelé que les ‘demandes’ tendant à voir « constater » ne constituent pas des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile et ne saisissent pas la cour ; il en est de même des ‘demandes’ tendant à voir « dire et juger » lorsque celles-ci développent en réalité des moyens.
Sur l’étendue de la saisine de la cour d’appel
La société Arc-en-ciel RH soutient que la déclaration d’appel ne vise pas le chef du jugement par lequel le tribunal a débouté la société TTI Success Insights France de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions, de sorte que la cour d’appel ne serait pas saisie des demandes de l’appelante.
Toutefois, il résulte de la déclaration d’appel que celle-ci vise trois chefs du jugement puis comporte la mention ‘suite sur page annexe’. Cette annexe figure bien dans les pièces du message RPVA comportant la déclaration d’appel, de sorte que l’effet dévolutif opère également pour les chefs visés dans l’annexe. Or, précisément, il est mentionné dans l’annexe que l’appel porte, notamment, sur le chef du jugement ayant débouté la société TTI Success Insights France de l’ensemble de ses demandes.
La cour d’appel est donc valablement saisie de la contestation de ce chef du jugement.
Sur la validité du procès-verbal d’huissier de justice
La société Arc-en-Ciel RH fait valoir que l’huissier de justice ne se borne pas à opérer des constatations sur l’agencement des sites internet qu’elle édite, mais porte des appréciations de fait et de droit sur ses constatations ; que ces appréciations juridiques outrepassent les pouvoirs dévolus à l’huissier par l’article 1er de l’ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945, de sorte que le procès-verbal de constat du 16 décembre 2015 est nul.
La société TTI Group fait valoir que l’utilisation du terme ‘confusion’ par l’huissier de justice ne visait qu’à constater que deux dénominations distinctes étaient réunies sur un même site internet mais il n’en a tiré aucune conséquence de fait ou de droit ; que l’huissier n’a émis aucun avis sur les faits portés à sa connaissance.
Sur ce,
Le procès-verbal est structuré en deux parties intitulées ‘Sur la confusion de référencement « SUCCESS INSIGHT »’ et ‘Sur l’utilisation déguisée du terme « SUCCESS INSIGHT »’.
Comme l’a exactement jugé le tribunal de commerce, ces mentions portées par l’huissier de justice ne sont que l’indication des domaines d’investigation demandés par la société TTI qui l’a sollicité. Toutes les constatations réalisées ensuite et détaillées dans chacune de ces deux parties ne sont que des constatations de fait décrivant les opérations réalisées et les mentions que l’huissier lit sur les différentes pages internet auxquelles il accède. Aucune appréciation juridique n’est portée dans son constat.
Il n’y a donc pas lieu de prononcer sa nullité et le jugement sera donc confirmé en ce qu’il rejette la demande de la société Arc-en-Ciel tendant à ce que le constat d’huissier dressé le 16 décembre 2015 (pièce n° 6 de la société TTI Group) soit écarté des débats.
Sur le dénigrement
La société TTI Group fait valoir, au titre du dénigrement, que la société Arc-en-ciel RH a diffusé une lettre d’information à l’ensemble de son réseau de clients, dans laquelle elle se livrait à des assertions visant à dénigrer la société TTI Success Insights et qu’elle a diffusé de fausses informations sur la société CTE et sur M. [T].
La société Arc-en-ciel RH fait valoir, au titre du dénigrement allégué, que la lettre d’information constitue un document interne à son réseau de consultants certifiés et n’a donc pas été diffusée publiquement ; qu’elle ne comporte pas de propos présentant un caractère dénigrant ; que l’information relative à la cession du capital social de la société CTE est exacte et n’a été diffusée qu’à certains consultants de son réseau.
Sur ce,
Selon l’article 1382, devenu 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Constitue un dénigrement la divulgation d’une information de nature à jeter publiquement le discrédit sur les produits, l’entreprise ou la personnalité d’un concurrent pour en tirer un profit, peu important qu’elle soit exacte.
1. S’agissant de la lettre d’information en date du 23 décembre 2015 publiée par la société Arc-en-Ciel RH, il est mentionné en page 3 de celle-ci un article intitulé ‘Etude sur la concurrence : Success Insights’, rédigé en ces termes :
‘Success Insights a changé le mode de renseignement et le traitement de son questionnaire. Les résultats ainsi obtenus ne sont plus conformes aux études psychométriques faites pour le questionnaire originel DISC.
Pour renseigner son questionnaire, Success Insights ne fait plus cocher les + et les – de la série des 4 adjectifs mais demande de les numéroter de 1 à 4 ce qui change toute la spécificité du questionnaire originel DISC dont nous avons la licence.’
Selon son en-tête, cette lettre est destinée au réseau de consultants certifiés Arc-en-Ciel. Il ne s’agit donc pas d’un réseau strictement interne à la société Arc-en-Ciel RH elle-même, mais d’un réseau de professionnels, lequel s’entend d’une clientèle dans le domaine des outils de ressources humaines. Le caractère public de la lettre d’information est donc établi.
Au fond, la formulation ci-dessus mentionnée énonce des faits qui apparaissent objectifs, et porte une critique en des termes mesurés sur le changement ainsi exposé. En effet, il n’est pas fait état d’une opinion défavorable ou péjorative de la méthode Success Insights, mais seulement d’une différence importante résultant de ce changement dans le questionnaire.
De plus, la lettre est adressée à des professionnels, lesquels sont adhérents au réseau Arc-en-Ciel. Il s’agit donc d’un public averti qui voit ainsi portée à sa connaissance une information sur un concurrent, de sorte qu’il est en capacité d’en apprécier la portée, étant souligné que l’article s’intitule clairement ‘Etude sur la concurrence’.
L’e-mail de M. [Z] en date du 23 décembre 2015 adressé à la société TTI Group (sa pièce n° 15) ne constitue d’ailleurs qu’une transmission, pour information, de la lettre litigieuse, sans aucun commentaire. Quant à l’e-mail de M. [L], adressé le 24 décembre 2015 à la société TTI Group (sa pièce n° 8), cette personne indique : ‘je voudrais juste savoir si ce qu’ils avancent est exact concernant le questionnaire DISC’. Ce message ne témoigne pas de l’inquiétude invoquée par la société TTI Group dans le milieu professionnel, s’agissant de l’interrogation d’une unique personne tendant seulement à vérifier la véracité du propos.
Ainsi, comme l’a exactement jugé le tribunal, il s’avère que cet article n’excède pas le droit d’exercice normal d’une critique professionnelle et ne constitue donc pas un dénigrement.
2. S’agissant de l’information donnée concernant la société CTE, la société TTI Group produit un e-mail (sa pièce n° 19) provenant de la société Arc-en-Ciel en date du 15 septembre 2016, adressé à un nombre très restreint de destinataires extérieurs à la société, onze précisément, tous ‘certifiées à Arc-en-Ciel DISC’, indiquant ‘Nous avons appris en fin de semaine dernière que le CTE avait été vendu à [Y] [I] et [D] [T], dirigeant de Success Insights France’ et proposant à ceux d’entre eux qui ‘souhaitent continuer à utiliser Arc En Ciel DISC’, de leur fournir ‘des Profils en direct’.
La société TTI Group indique que cette information est erronée en ce que les cessions de parts sociales survenues le 1er août 2016 ont eu pour effet que la société Financière THI, dont M. [T] est le gérant, s’est trouvée détenir indirectement 8 % du capital de la société CTE.
Or, que l’information diffusée par la société Arc-en-Ciel RH soit mensongère, comme la qualifie la société TTI Group, ou qu’elle soit ‘simplificatrice, donc inexacte’, comme l’a retenu le tribunal de commerce, il s’avère, en tout état de cause, que la société TTI Group n’indique nullement en quoi elle constituerait une critique défavorable ou péjorative d’elle-même ou de sa méthode Success Insights. Elle fait état de ‘désinformation’ dans ses écritures, sans établir en quoi cette information inexacte aurait pour effet de lui nuire, ce d’autant qu’elle indique, dans ses écritures, que la société CTE distribue ses propres produits Success Insights.
En d’autres termes, par son e-mail du 15 septembre 2016 critiqué, la société Arc-en-Ciel RH s’est bornée à proposer aux consultants certifiés selon sa méthode ‘Arc-en-Ciel DISC’ de leur fournir directement des ‘profils’ de cette méthode, ce qui ne peut constituer un dénigrement ni même une concurrence déloyale envers la société TTI Group dès lors que la société CTE distribue désormais les produits de cette dernière.
Enfin, le message de la société DEVCO Solutions en date du 3 octobre 2016 produit par la société TTI Group (sa pièce n° 20) ne démontre pas le prétendu préjudice qui résulterait des ‘agissements’ de la société Arc-en-Ciel RH. En effet, cette société a seulement décliné l’offre de la société TTI Group afin de conserver les ‘profils AEC déjà utilisés’. La société DEVCO précise : ‘Il me semble effectivement important de m’approprier les particularités de TTI et des supports et de m’entraîner sur les profils ‘amis’ avant de me lancer’. L’information relative au rachat de la société CTE apparaît donc sans aucun lien avec le choix de ce client de continuer à travailler avec la méthode Arc-en-Ciel plutôt que d’en changer au profit de la société TTI Group.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a écarté les actes de dénigrement allégués par la société TTI Group.
Sur le parasitisme
La société TTI Group fait valoir, au titre du parasitisme, que :
– la société Arc-en-ciel RH n’hésite pas à créer la confusion dans l’esprit du public en utilisant les termes ‘Success Insights’ sur ses sites internet ainsi que sur le site Youtube ;
– M. [H] avait publié un ouvrage à l’époque où il était distributeur de la méthode Success Insights mais il a procédé à une seconde édition reprenant les termes de la première, supprimant toutefois les références trop évidentes à la méthode Success Insights ; ces actes de parasitisme sont amplifiés par la présentation de l’ouvrage ; il en va de même des supports de formation de la société Arc-en-ciel RH ;
– elle est l’unique distributeur français de la méthode ‘Success insights’, comme en atteste le contrat qu’elle produit aux débats et dont elle est bien fondée à réclamer le coût de traduction à l’intimée ;
– elle agit en dénigrement et parasitisme, et non en contrefaçon, et elle invoque le contrat de licence pour les seuls besoins de son action non fondée sur la contrefaçon ;
– son action n’est pas prescrite dès lors que la date du dernier enregistrement des supports de formation se distingue de leur date d’utilisation ;
– son action doit être jugée tant au regard des actes parasitaires qui ont disparu que de ceux qui se poursuivent, la société Arc en ciel RH n’ayant pas cessé ces actes de dénigrement comme de parasitisme, en dépit de la procédure en cours.
La société Arc-en-Ciel RH fait valoir que :
– la société TTI Group est irrecevable à agir en concurrence déloyale en ce qu’elle n’a pas qualité ni intérêt à agir pour voir sanctionner la violation alléguée d’un droit de marque dont elle n’est pas titulaire ;
– la société TTI Group ne justifie d’aucune faute qui lui soit personnellement imputable en ce qu’elle n’a commis aucune manoeuvre déloyale et qu’il n’existe aucun risque de confusion ;
– le livre dont M. [H] est l’auteur a paru en 2008 pour sa première édition, à l’époque où il était président de la société Insights Distribution ; la société TTI Group ne peut revendiquer aucun droit sur cet ouvrage qui n’est pas édité par la société Arc-en-Ciel RH et est irrecevable à agir à ce titre ;
– M. [H] est le seul auteur des supports de formation qui sont issus de la méthode qu’il a lui-même théorisée ; la société TTI Group ne peut revendiquer aucun droit dessus.
Sur ce,
Il convient de préciser, à titre liminaire, que la société TTI Group n’agit pas en contrefaçon d’une marque, mais en parasitisme au regard de l’usage des termes ‘Success Insights’ que ferait la société Arc-en-Ciel RH. Elle justifie être titulaire d’un contrat de distribution conclu avec la société américaine TTI Success Insights lui permettant de distribuer les produits Success Insights et de bénéficier d’une licence sur les marques de cette société.
La société TTI Group a donc qualité et intérêt à agir en parasitisme contre la société Arc-en-Ciel RH.
Le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d’un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.
Fondé sur l’article 1240 du code civil, le parasitisme résulte d’un ensemble d’éléments appréhendés dans leur globalité, indépendamment de tout risque de confusion. Il suppose l’existence d’une faute, ce qui implique un comportement déloyal consistant à tirer indûment profit des investissements ou de la notoriété d’un autre opérateur.
La société TTI group fait état de trois éléments au titre du parasitisme qu’elle invoque : l’usage des termes Success Insights par référencement sur internet, l’ouvrage de M. [H], et les supports de formation que ce dernier utilise.
1. S’agissant du référencement sur internet, le constat d’huissier dressé le 16 décembre 2015 établit que la recherche effectuée pour les termes « success insights arc-en-ciel » propose de diverses façons le site de la société Arc-en-Ciel RH, sous l’en-tête ‘Success Insights’ ou avec un onglet ‘méthode Success Insights’. De même, selon un procès-verbal de constat dressé le 9 mai 2016, une vidéo Youtube de M. [H] présentant sa méthode Arc-en-Ciel est référencée avec les termes ‘Success Insights’.
Toutefois, la société TTI Group admet, dans ses écritures, que la société Arc-en-Ciel RH a procédé à la suppression de certains de ces éléments, ce qu’avaient déjà relevé les premiers juges. La société Arc-en-Ciel RH justifie d’ailleurs qu’au 11 juillet 2016, la vidéo Youtube litigieuse n’apparaissait plus dans la recherche « methode success insights » et que son site internet ne comporte pas les termes ‘Success Insights’ dans la description de sa méthode.
La société TTI Group fait état de faits persistants mais elle ne justifie que d’une capture d’écran au 28 septembre 2016 pour établir que le site internet de la société Arc-en-Ciel RH apparaît dans les résultats de la recherche « success insights arc-en-ciel » avec la mention, dans le descriptif sous l’adresse du site, des termes ‘Success insights’. De plus, ce résultat de la recherche, présentant de façon accolée les termes ‘Success Insights® – Arc en ciel®’, mentionne la date du 29 septembre 2014 et est afférent à un site firstgroup.fr dont il n’est pas démontré qu’il soit en lien avec la société Arc-en-Ciel RH. En d’autres termes, il n’est pas établi que cette reprise des termes Success Insights soit imputable à la société Arc-en-Ciel RH qui ne peut se voir reprocher le fait d’un tiers, ni que cette reprise des termes ait perduré au-delà de 2016.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que l’utilisation des termes ‘Success insights’ par la société Arc-en-Ciel RH dans le détail de son site tel qu’il apparaît lors des recherches Google a constitué des actes de parasitisme jusqu’en 2016.
2. S’agissant de la seconde édition de l’ouvrage de M. [H], il s’avère que la société Arc-en-Ciel RH n’en est pas l’éditeur et qu’aucun fait de parasitisme ne peut être reproché à M. [H] qui n’est pas dans la cause.
En outre, la société TTI Group ne justifie aucunement ses allégations. En effet, elle produit une copie des première à quatrième de couverture de l’ouvrage Révélez le manager qui est en vous ! édité en 2002. Or, comme il est mentionné dans ces pages, M. [H] était alors dirigeant de la société Success Insights et distributeur en France de cette méthode. Cette première édition de 2002 ne saurait donc en aucun cas constituer un acte de parasitisme à l’égard de la société TTI Group. Quant à la seconde édition, dont la société Arc-en-Ciel RH produit la copie de la couverture, il s’avère qu’elle ne mentionne aucunement les termes ‘Success Insights’, mais se réfère uniquement à la méthode Arc-en-Ciel.
Le parasitisme allégué à ce titre n’est donc nullement établi.
3. S’agissant enfin des supports de formation, il résulte du constat d’huissier dressé le 10 janvier 2017 que les supports de la société Arc-en-Ciel RH sont identiques en de nombreuses plaquettes power-point à ceux de la méthode Success Insights, quant au texte, à la présentation visuelle, ou encore aux couleurs.
Toutefois, comme l’a relevé le tribunal, il n’est pas démontré par la société TTI Group que la société Arc-en-Ciel RH fait un usage de ce support, alors que l’huissier de justice chargé du constat a relevé que le support attribué à la société Arc-en-Ciel RH a été créé le 18 juin 2001 et que la date du dernier enregistrement est le 2 mai 2007.
En l’état de ces éléments, le parasitisme au titre des supports de formation n’apparaît aucunement établi.
Il résulte donc de ce qui précède que le parasitisme n’est constitué que par la reprise des termes Success Insights par la société Arc-en-Ciel RH dans l’un des onglets renvoyant au site ‘arcencielrh.com’, et ‘méthode Success Insights’ dans le descriptif du site ‘arcencielrh.org’, ainsi que dans le référencement de la vidéo Youtube, jusqu’en 2016.
Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il a rejeté le demandes formées au titre du parasitisme.
Sur les mesures de réparation
S’agissant de l’indemnisation du préjudice, la société TTI Group admet que la société Arc-en-Ciel RH a retiré certaines références internet, comme l’avait déjà relevé le tribunal, et il est établi qu’au 11 juillet 2016, la vidéo litigieuse n’apparaissait plus dans les résultats de la recherche.
La société TTI Group n’explicite aucunement le préjudice qu’elle allègue et pour lequel elle réclame une indemnisation à hauteur de la somme de 50.000 euros. A tout le moins a-t-elle subi un préjudice moral qu’il convient de réparer. Compte tenu des seuls agissements de parasitisme tels que retenus et de l’ancienneté des faits, la société Arc-en-Ciel RH sera condamnée à payer à la société TTI group la somme de 5.000 euros en réparation de son préjudice.
En revanche, il n’y a pas lieu d’accueillir la demande formée au titre des mesures de retrait sur internet sous astreinte, dès lors qu’il n’est pas démontré que la société Arc-en-Ciel RH a poursuivi les actes reprochés après 2016. De même, il n’y a pas lieu d’accueillir la demande formée au titre des publications sous astreinte au regard du préjudice retenu, suffisamment réparé par l’octroi des dommages-intérêts ci-dessus alloués.
Sur les demandes de la société Arc-en-Ciel RH
La procédure n’est pas abusive dès lors que l’action en parasitisme est accueillie.
Quant aux faits de concurrence déloyale dont la société Arc-en-Ciel RH demande qu’ils soient ‘constatés’, ils ne sont aucunement explicités ni, a fortiori, démontrés. A considérer qu’ils aient trait à la procédure en contrefaçon de la marque AEC DISC et en nullité de la marque METHODE AEC ayant donné lieu à la condamnation de M. [T] et la société Quest Tools par le tribunal judiciaire de Paris par jugement du 27 février 2020, cette décision sanctionne déjà ces faits, lesquels ne sauraient être également qualifiés de concurrence déloyale dans le cadre de la présente procédure.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il rejette la demande d’indemnisation formée par la société Arc-en-Ciel RH.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
La société Arc-en-Ciel RH succombant à l’instance, elle sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.
En revanche, l’équité commande de laisser à chaque partie la charge de ses propres frais irrépétibles, en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement,
Confirme le jugement en ce qu’il :
dit recevable le procès-verbal établi le 16 décembre 2015 par Maître [K], huissier de justice, et déboute la société Arc-en-Ciel RH de sa demande tendant à écarter des débats la pièce n° 6 produite par la société Success Insights France, devenue TTI Group ;
juge que la société Success Insights France, devenue TTI Group, ne justifie pas que la société Arc-en-Ciel RH s’est livrée à des actes de dénigrement à son égard ;
rejette la demande indemnitaire de 10.000 euros formée par la société Arc-en-Ciel RH ;
dit n’y avoir lieu à condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
L’infirme pour le surplus et, statuant à nouveau,
Dit que la société Arc-en-Ciel RH a commis des actes de parasitisme à l’égard de la société TTI Group ;
Condamne la société Arc-en-Ciel RH à payer à la société TTI Group la somme de cinq mille euros (5.000 euros) à titre de dommages-intérêts ;
Rejette les autres demandes de la société TTI Group formées au titre des mesures de réparation ;
Condamne la société Arc-en-Ciel RH aux dépens de première instance et d’appel ;
Dit qu’au titre de l’article 700 du code de procédure civile, chaque partie conserve la charge de ses propres frais irrépétibles.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE