Bandes-dessinées : 11 mai 2023 Cour d’appel de Dijon RG n° 21/00555

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Bandes-dessinées : 11 mai 2023 Cour d’appel de Dijon RG n° 21/00555

RUL/CH

[U] [F] [D]

C/

S.A.S.U. EUROPÉENNE DE CONDIMENTS

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 11 MAI 2023

MINUTE N°

N° RG 21/00555 – N° Portalis DBVF-V-B7F-FYBF

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de DIJON, section Industrie, décision attaquée en date du 22 Juin 2021, enregistrée sous le n° F 20/00462

APPELANTE :

[U] [F] [D]

[Adresse 3]

[Localité 1]

représentée par Me Elsa GOULLERET de la SELARL ESTEVE GOULLERET NICOLLE & ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON

INTIMÉE :

S.A.S.U. EUROPÉENNE DE CONDIMENTS

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Christine TAPIA, avocat au barreau de DIJON

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Avril 2023 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller chargé d’instruire l’affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :

Olivier MANSION, Président de chambre,

Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,

Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Kheira BOURAGBA,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Kheira BOURAGBA, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Mme [R] [D] a initialement été embauchée par la société EUROPÉENNE DE CONDIMENTS (ci-après EDC) par un contrat de travail à durée déterminée du 6 juillet au 31 août 2017 puis par un contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de contrôleur laboratoire.

Le 28 mai 2019, elle a été une première fois convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement mais en raison de la distribution tardive du pli, elle a de nouveau été convoquée le 5 juin 2019 pour un entretien fixé au 18 suivant.

Le 21 juin 2019, elle a été licenciée pour absences prolongées entraînant la désorganisation de l’entreprise.

Par requête du 14 novembre 2019 radiée du rôle de la juridiction le 1er septembre 2020 et réinscrite le 9 septembre suivant, elle a saisi le conseil de prud’hommes de Dijon afin de contester son licenciement, le faire juger nul et faire condamner son employeur aux indemnités afférentes, outre des dommages-intérêts pour procédure irrégulière et un rappel de salaire au titre de la reclassification de son contrat de travail et de la requalification du contrat à durée déterminée initial en un contrat de travail à durée indéterminée, un rappel de prime et des dommages-intérêts pour paiement tardif du salaire.

Par jugement du 22 juin 2021, le conseil de prud’hommes de Dijon a requalifié le contrat à durée déterminée initial en un contrat de travail à durée indéterminée, jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné l’employeur à lui payer des dommage-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et à titre d’indemnité de requalification, rejetant le surplus de ses demandes.

Par déclaration formée le 21 juillet 2021, Mme [D] a relevé appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières écritures du 19 avril 2022, l’appelante demande de :

sur le licenciement,

à titre principal,

– réformer le jugement déféré,

– juger que la société EDC n’a pas respecté son obligation de santé et sécurité au travail et n’a pas respecté les préconisations du médecin du travail,

– juger que le licenciement est nul,

– condamner la société EDC à lui régler les sommes suivantes :

* 10 000 euros à titre de dommages et intérêts,

* 890 euros à titre d’indemnité spéciale de licenciement,

* 1 600 euros au titre du solde d’indemnité de préavis équivalent à un mois, outre 160 euros au titre des congés payés afférents,

* 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,

à titre subsidiaire,

– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a considéré le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– le réformer sur le montant des dommages-intérêts et condamner la société EDC à lui régler la somme de 5 600 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

en tout état de cause,

– confirmer le jugement déféré sur la requalification du contrat à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée et l’indemnité de requalification qui en résulte,

sur les demandes de rappels de salaire

– infirmer le jugement déféré,

– juger que Mme [D] doit être classée Technicien niveau IV,

– condamner la société EDC à lui régler les sommes suivantes :

* 3 200 euros « à titre de requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée,

* 1 059,71 euros au titre du non-respect du minima de la classification niveau IV de la convention collective, outre 105,97 euros au titre de l’année 2019, prorata temporis,

* 2 557,36 euros au titre du non-respect du minima de la classification niveau IV de la convention collective, outre 255,74 euros au titre de l’année 2018,

* 1 130.30 euros au titre du non-respect du minima de la classification niveau IV de la convention collective, outre 113,03 euros au titre de l’année 2017, prorata temporis, à compter de l’embauche,

* 71 euros bruts à titre de rappel de primes PIBP 2017/2018, outre 7,10 euros bruts au titre des congés payés afférents,

* 33,38 euros au titre des frais supplémentaires qu’elle a dû assumer lors du déblocage de la participation,

* 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour règlement tardif des salaires,

– condamner la société EDC à lui régler la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et lui délaisser la charge des entiers dépens.

Aux termes de ses dernières écritures du 28 février 2023, la société EDC demande de :

– confirmer le jugement déféré dans toutes ses dispositions,

– débouter Mme [D] de l’ensemble de ses demandes.

Pour l’exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, la cour relève que l’employeur sollicite dans le dispositif de ses conclusions tout à la fois la confirmation du jugement déféré « dans toutes ses dispositions » et le rejet de « l’ensemble de ses demandes », étant observé que certaines des demandes de la salariée ont été accueillies. Il s’en déduit que cette seconde demande ne peut s’entendre que des demandes formulées par la salariée à hauteur de cour.

I – Sur la requalification du contrat à durée déterminée initial en un contrat de travail à durée indéterminée :

Mme [D] soutient que le motif de son contrat à durée déterminée initial, à savoir la réorganisation du service laboratoire, déroge aux cas légaux de recours à un contrat temporaire de sorte que le contrat est réputé à durée indéterminée et elle sollicite à ce titre une indemnité de requalification équivalente à deux mois de salaire, soit 3 200 euros.

L’employeur admet que lors de la rédaction du contrat les mots « accroissement temporaire» ont été oubliés et reconnaît lui devoir la somme de 1 550 euros au titre de l’indemnité de requalification représentant un mois de salaire.

Compte tenu de ces éléments et des pièces produites, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a requalifié le contrat de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée, ce à compter du 6 juillet 2017, et alloué à Mme [D] la somme de 1 550 euros à titre d’indemnité de requalification correspondant à un mois de salaire (pièce n° 2).

II – Sur la reclassification :

En application des dispositions de l’article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

En cas de litige, la qualification du salarié dépend des fonctions réellement exercées par lui et il revient au salarié qui demande un rappel de salaires fondé sur une reclassification conventionnelle, la charge de prouver qu’il exerce en réalité des fonctions d’un niveau supérieur à celles stipulées à son contrat de travail.

Mme [D] soutient avoir été embauchée en qualité de contrôleur laboratoire niveau 2, échelon 1, qualification employé mais qu’en qualité de technicienne de laboratoire, elle devait relever du niveau technicien et non ouvrier/employé, soit au minimum le niveau 4. Elle ajoute que bien que disposant d’un baccalauréat S option physique/chimie et d’un DUT génie mécanique biologique option industrie alimentaire et biologique, elle n’encadrait aucune équipe de sorte qu’elle devait relever du degré 4 et non du degré 5.

Elle sollicite en conséquence un rappel de salaire sur la base du niveau 4 échelon 1 de la convention collective alimentation : industries alimentaires diverses (5 branches), soit la somme de :

– 1 059,71 euros bruts pour l’année 2019, outre 105,97 euros au titre des congés payés afférents,

– 2 557,36 euros bruts pour l’année 2018, outre 255,74 euros au titre des congés payés afférents,

– 1 130,30 euros bruts pour l’année 2017, outre 113,03 euros au titre des congés payés afférents (pièce n° 3).

La société EDC oppose que la salariée dresse un portrait flatteur de ses expériences et compétences et rappelle qu’elle a été embauchée par l’intermédiaire du réseau « 100 chances 100 emploi » qui aide les jeunes adultes en difficulté professionnelle à accéder à un emploi (pièces n° 3, 6-1) et que si elle justifie d’un baccalauréat scientifique et d’un DUT dans le domaine de la biologie, sa carrière professionnelle à l’INRA s’est limitée à un stage en 2014 pendant sa deuxième année de DUT (pièce n° 2) et son travail au sein d’EDC est purement alimentaire, la salariée s’investissant depuis 2007 dans la création d’illustrations et de bandes dessinées numérique en collaboration avec un écrivain anglais (pièces n° 1 et 4).

Elle ajoute que selon la convention collective applicable, le niveau 2 ouvriers/employés est attribué lorsque le nombre de points se situe entre 24 et 35 mais que Mme [D] :

– se situe à un niveau de connaissances Bac+2, soit le degré D5 (10 points),

– n’avait aucune expérience professionnelle,

– ne remplit aucun critère classant en termes de technicité/complexité, initiative/autonomie, responsabilité, animation/encadrement et communication (2 à 4 points au mieux),

soit un total de 34 points maximum correspondant au niveau 2 (entre 24 et 35 points).

Il résulte des articles 5.1 à 5.8 de la convention collective nationale des 5 branches industries alimentaires diverses du 21 mars 2012 que le niveau 4 allégué par la salariée se caractérise par les critères classants suivants :

* Connaissances requises ou expérience équivalente : maîtrise d’une technique et connaissance de l’environnement de travail, niveau de connaissances équivalent à un niveau BAC, éventuellement complété par une formation technique ou expérience équivalente. Le niveau de connaissance équivaut aux CQP « Responsable d’équipe », « Responsable d’équipe logistique », « Technicien maintenance »,

* Technicité, complexité : l’emploi requiert l’exécution de travaux complexes à partir de consignes précises et comportant des difficultés techniques. La réalisation des opérations suppose :

– un savoir-faire basé sur des connaissances théoriques (spécialisation professionnelles) ;

– une compréhension globale des situations, des installations ou des systèmes de gestion.

La polycompétence correspond à l’application de techniques différentes requises en partie sur plusieurs postes de travail (faisant partie de l’emploi),

* Initiative, autonomie : le travail est réalisé à partir de directives où tous les détails ne sont pas déterminés (critères de choix en partie définis). L’emploi requiert l’analyse des informations dans le cadre des directives, des procédures et techniques. Le contrôle de la bonne réalisation du travail a lieu à la fin des opérations.

* Responsabilité : l’emploi nécessite des décisions et/ou actions dont les effets se constatent au niveau d’une équipe ou d’une activité large et influencent l’environnement immédiat de l’emploi,

* Animation, encadrement : L’emploi requiert la coordination du travail sans assumer les responsabilités d’un agent de maîtrise (délégation d’autorité). L’animation se caractérise par le conseil technique correspondant à la technique professionnelle maîtrisée,

* Communication : la réalisation du travail nécessite un échange de toutes les informations nécessaires au bon fonctionnement du secteur incluant éventuellement des contacts externes occasionnels (fournisseurs/clients). La réalisation du travail nécessite le traitement des informations d’ordre quantitatif et qualitatif.

Or Mme [D], qui se fonde uniquement sur le fait qu’elle est titulaire de deux diplômes de l’enseignement supérieur et qui admet par ailleurs n’exercer aucune attribution d’encadrement ou de management d’une équipe au sens de la convention alors qu’il s’agit d’un des critères classants du niveau 4, ne justifie d’aucun élément de nature à établir qu’elle exécute les tâches qui relèvent de la classification revendiquée.

Il s’en déduit, par confirmation du jugement déféré, qu’elle n’est pas fondée à réclamer une reclassification de son emploi au niveau 4 revendiqué et la demande de rappel de salaire afférente doit être rejetée.

III – Sur le licenciement :

Mme [D] sollicite :

* à titre principal que soit prononcée la nullité de son licenciement aux motifs que :

– toutes mesures discriminatoires fondées sur l’état de santé du salarié est interdite,

– l’employeur n’a pas tenté d’aménager son poste pour lui permettre de le conserver,

– l’affection dont elle souffre est d’origine professionnelle et directement liée aux manquements de l’employeur à son obligation de sécurité et santé en raison de l’absence de mise en place des préconisations du médecin du travail,

* à titre subsidiaire, que son licenciement soit qualifié sans cause réelle et sérieuse en raison de l’absence de désorganisation démontrée et du remplacement définitif effectué.

Afin de permettre à la cour de déterminer si le licenciement est entaché de nullité, il convient en premier lieu d’examiner le motif du licenciement tel qu’énoncé dans la lettre de licenciement afin de définir s’il caractérise une discrimination liée à l’état de santé de la salariée.

En l’espèce, la lettre de licenciement du 21 juin 2019 indique :

« […] vous êtes absente pour maladie depuis le 23 février 2019, vos prolongations d’arrêts successives nous ont été transmises au fur et à mesure sans disposer d’informations suffisantes quant à votre reprise du travail.

En raison de ces arrêts répétés et prolongés, il ne nous a pas été possible de nous projeter sur du moyen terme avec un nouveau collaborateur et votre absence se prolongeant nous sommes contraints de recruter un salarié sous contrat à durée indéterminée pour vous remplacer.

Le service laboratoire et plus particulièrement le poste de contrôle auquel vous êtes affectée ne peut continuer plus longtemps à fonctionner en mode dégradé car vos absences répétées désorganisent non seulement le laboratoire mais également le service qualité et tous les services qui dépendent des résultats journaliers des contrôles tels les services fabrication et conditionnement, le planning-ordonnancement, et les autres services rattachés comme par exemple le service expédition avec des retards de livraison. Vos absences prolongées engendrent des difficultés avec une surcharge de travail pour vos collègues du laboratoire et qualité dont les horaires de travail sont modifiés et des difficultés d’organisation à mettre en place pour faire face à votre absence. Force est de constater que ces dysfonctionnements ne peuvent être résolus qu’en recrutant une personne en CDI avec une formation spécifique sur votre poste afin d’assurer la mission finale de votre emploi à savoir : effectuer les contrôles et les analyses habituels et réguliers définis dans les plans de contrôle sur les matières premières, les produits en cours de fabrication, les produits finis et les produits de négoce […] » (pièce n° 22).

L’article L. 1132-1 du code du travail ne s’oppose pas au licenciement motivé, non par l’état de santé du salarié, mais par la situation objective de l’entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l’absence prolongée ou les absences répétées du salarié. Ce salarié ne peut toutefois être licencié que si les perturbations entraînent la nécessité pour l’employeur de procéder à son remplacement définitif par l’engagement d’un autre salarié, lequel doit intervenir à une date proche du licenciement ou dans un délai raisonnable après celui-ci, délai que les juges du fond apprécient souverainement en tenant compte des spécificités de l’entreprise et de l’emploi concerné, ainsi que des démarches faites par l’employeur en vue d’un recrutement.

Au titre de la désorganisation de l’entreprise résultant de l’absence prolongée de la salariée et nécessitant son remplacement, l’employeur :

– rappelle que :

* Mme [D] a été embauchée dans le cadre d’un programme destiné à insérer des jeunes adultes en difficulté dans le monde professionnel en les accompagnant jusqu’à l’emploi durable, à lutter contre les discriminations, à favoriser la diversité et à innover dans une démarche portée par les entreprises (pièce n° 3),

* il est adhérent du mouvement des entreprises de france (MEDEF) de Côte d’Or et a rejoint la communauté « Les entreprises s’engagent » pour une société inclusive et un monde durable, s’engageant à adopter certaines pratiques inclusives notamment l’emploi des jeunes, le handicap, la sobriété énergétique (pièce n° 3 bis),

* l’entreprise et son service de ressources humaines sont très engagés dans cette démarche inclusive (pièce n° 3 ter),

– indique que les nombreux arrêts-maladies de la salariée désorganisaient l’entreprise qui ne savait pas si elle entendait revenir ou se faire prolonger, avec en plus la problématique de la convocation auprès de la médecine du travail en ce qui concerne la visite de reprise, et qu’elle devait toujours anticiper les équipes et les rotations en prévoyant à chaque fois le retour de Mme [D] et une personne pour assurer son poste en cas de prolongation de ses arrêts.

A l’appui de son affirmation, hormis les arrêts de travail pour maladie du 23 février au 22 juillet 2019 (soit un arrêt initial et 7 prolongations – pièce n° 16), il ne produit aucun élément de nature à établir en quoi l’absence de Mme [D], au demeurant limitée à 4 mois à la date du licenciement, a perturbé le fonctionnement de l’entreprise de façon telle qu’il s’est trouvé dans l’impossibilité d’y faire face par des mesures provisoires.

En outre, nonobstant le fait qu’il résulte des développements qui précèdent que Mme [D] a été embauchée deux ans seulement auparavant sans expérience professionnelle et sur la seule base d’un baccalauréat et d’un DUT, ce qui est de nature à faciliter son remplacement rapide par un salarié temporaire, même sans expérience, l’employeur ne justifie aucunement de l’embauche définitive d’un salarié pour la remplacer.

Dès lors, sans qu’il soit nécessaire de statuer sur le moyen tiré du fait que l’employeur n’aurait pas tenté d’aménager son poste pour lui permettre de le conserver ou que l’affectation dont elle souffre serait d’origine professionnelle et directement liée aux manquements de l’employeur à son obligation de sécurité et santé, la cour considère que l’employeur échoue à démontrer que le fonctionnement de l’entreprise a été perturbé par l’absence prolongée ou les absences répétées de la salarié nécessitant de procéder à son remplacement définitif par l’engagement d’un autre salarié.

Il s’en déduit que le licenciement, dès lors seulement fondé sur l’absence prolongée de la salariée pour cause de maladie, est lié à son état de santé et de ce fait nul.

Au titre d’un licenciement nul, Mme [D] sollicite les sommes suivantes :

– 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, correspondant à 6 mois de salaire,

– 890 euros à titre de rappel d’indemnité spéciale de licenciement,

– 1 600 euros à titre de rappel d’indemnité de préavis, outre 160 euros au titre des congés payés afférents.

L’employeur conclut à la confirmation du jugement déféré qui lui a accordé 2 400 euros nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Compte tenu des circonstances du licenciement, de la situation de la salariée et des pièces produites, il lui sera alloué les sommes suivantes :

– 9 300 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

– 890 euros à titre de rappel d’indemnité spéciale de licenciement,

S’agissant du rappel d’indemnité de préavis, Mme [D] fonde sa demande sur le fait qu’elle aurait dû relever de la catégorie ETAM et non ouvrier/employé, de sorte que son préavis aurait dû être de deux mois. Or il ressort des développements qui précèdent que cette prétention n’est pas fondée. La demande à ce titre sera donc rejetée.

IV – Sur les dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité :

Au visa de l’article L 4121-1 du code du travail, Mme [D] soutient que son absence prolongée résulte d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

Elle indique à cet égard que :

– elle a été placée en arrêt maladie à compter du 23 février 2019 après de nombreuses alertes du médecin du travail qui réclamait la mise en place d’un poste aménagé,

– elle a été victime d’un accident du travail au mois de janvier 2019.

A l’appui de son affirmation elle produit son dossier « médecine du travail » (pièce n° 1) et son dossier « MDPHD » (pièce n° 5) et sollicite en conséquence la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts.

L’employeur oppose que :

– si Mme [D] a bien eu un accident de travail le 25 janvier 2019, il s’agit d’un accident bénin déclaré comme tel (pièces n° 13 et 14) qui n’a fait l’objet d’aucun arrêt de travail,

– l’arrêt de travail du 25 février 2019, soit un mois après l’accident du travail (pièce n° 16) n’a en rien une origine professionnelle et ne peut pas être relié à la « sensation de picotement à la joue gauche » ressentie le 25 janvier 2019,

– si Mme [D] va mal ce n’est en rien de la faute de l’employeur et les pièces de son dossier médical révèle de gros problèmes personnels, un suivi par une psychologue et par un psychiatre, des douleurs persistantes au niveau de ses deux poignets qui se sont accentuées depuis son accident du travail alors que l’accident du travail concerne sa joue gauche,

– le traitement EMDR (désensibilisation et retraitement de l’information par les mouvements oculaires) qu’elle suit repose sur le mouvement de l »il, un balayage rapide de droite à gauche, alors même que la personne se reconnecte à l’événement traumatisant par la pensée et la verbalisation préalable à son thérapeute et a été entamé avant son accident du travail (pièce n° 12),

– Mme [D] dessine beaucoup et c’est peut-être cette activité artistique qui lui donne mal aux poignets même si les examens médicaux concluent à l’absence d’anomalie,

– tout au long de la procédure Mme [D] n’a cessé de produire de nouvelles pièces médicales, les dernières invoquant une souffrance au niveau des épaules, une cystite ou une sécheresse oculaire et une dépression,

– même si elle a tenté d’obtenir du médecin du travail un avis d’inaptitude, elle n’a pas été licenciée pour inaptitude d’origine professionnelle.

Néanmoins, il ne ressort pas des pièces produites la démonstration que l’accident du travail du mois de janvier 2019 résulterait d’un quelconque manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, pas plus que la survenance des multiples pathologies dont la salariée justifie au titre des dernières pièces produites, lesquelles sont largement postérieures à son licenciement (pièces n° 21 à 25, 28 à 32).

De même, la salariée évoque dans ses écritures « de nombreuses alertes du médecin du travail qui réclamait la mise en place d’un poste aménagé » sans toutefois justifier de la réalité de cette affirmation, laquelle n’est pas non plus corroborée par les éléments de son dossier médical qui, bien que nombreux, ne contient aucune information de l’employeur sur la situation de la salariée.

La demande sera donc rejetée, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.

V – Sur les autres demandes :

a – sur la régularité de la procédure de licenciement :

Mme [D] soutient que la lettre recommandée de licenciement est datée du 28 mai 2019, date de l’entretien préalable, alors que l’article L1232-6 alinéa 3 du code du travail impose que la lettre de licenciement ne peut être expédiée moins de deux jours ouvrables après la date de l’entretien préalable.

Elle sollicite en conséquence la somme de 1 600 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure irrégulière.

Néanmoins, l’article L1235-2 dernier alinéa du code du travail dispose que lorsqu’une irrégularité a été commise au cours de la procédure de licenciement et que celui-ci est fondé sur une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié, à la charge de l’employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.

Le licenciement de Mme [D] étant entaché de nullité, et sans qu’il soit nécessaire de statuer sur la cause d’irrégularité alléguée, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande.

b – Sur le rappel de prime :

Mme [D] soutient que ses notations ont été diminuées entre 2017 et 2018 en raison notamment de ses arrêts de travail pour maladie, impliquant une diminution de ses droits à primes, et demande que l’employeur « s’explique sur l’objectif de ces notes » et à défaut lui règle un rappel de prime PIBP d’un montant de 71 euros bruts, outre 7,10 euros au titre des congés payés afférents.

L’employeur oppose que Mme [D] a perçu une prime PIBP de 587 euros pour l’année 2017/2018 et de 564 euros pour l’année 2018/2019 dont le montant dépend pour 25% des résultats et des performances de l’entreprise (pièce n° 6) et il relève par ailleurs de son pouvoir de direction d’estimer que le comportement professionnel de Mme [D] et justifie à cet égard d’un tableau comparatif (pièce n° 18-1).

Au-delà du caractère modique de la diminution constatée et du fait que l’affirmation de la salariée mettant cette diminution sur le compte de ses arrêts de travail n’est corroborée par aucun élément utile, il ressort du tableau comparatif produit par l’employeur que le calcul des primes entre 2017/2018 et 2018/2019 est essentiellement fondé sur des critères techniques dont il n’a pour certains pas la maîtrise directe (résultats et performances globales de l’entreprise).

Par ailleurs, le caractère variable de la prime annuelle PIBP d’un montant de 1 150 euros (prorata temporis) est précisé dans l’attestation d’embauche tenant lieu de contrat de travail et s’impose donc à la salariée.

Il s’en déduit que la demande n’est pas fondée, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.

c – Sur les dommages-intérêts pour règlement tardif des salaires :

Mme [D] soutient que pendant son arrêt de travail l’employeur a tardé à lui régler ses compléments de salaire et que de ce fait elle s’est trouvée sans ressources. Elle sollicite en conséquence la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Néanmoins, au-delà du fait que la salariée ne justifie d’aucun préjudice résultant du retard allégué, l’employeur justifie du fait qu’elle a attendu fin avril 2019 pour lui transmettre les attestations d’indemnités journalières de la CPAM pour la période du 23 février au 17 avril 2020 (pièce n° 17).

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande.

d – Sur le déblocage de la participation en novembre 2019 :

Mme [D] soutient qu’en novembre 2019 elle a sollicité le déblocage de la participation mais qu’à la suite d’une erreur de la DRH, des frais supplémentaires à hauteur de 33,38 euros ont été mis à sa charge (pièce n° 10) dont elle demande le remboursement.

L’employeur indique à cet égard ne pas comprendre le sens de cette demande basée sur sa pièce n° 10 qui concerne en réalité les indemnités journalières de la sécurité sociale.

Néanmoins, au-delà du fait que la cour constate avec l’employeur que la pièce n° 10 est sans rapport avec l’objet de la demande, la salariée ne justifie aucunement des frais allégués ni même de la nature de l’erreur imputée à l’employeur.

La demande sera donc rejetée.

VI – Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Le jugement déféré sera confirmé sur ces points.

Sur les demandes formulées à hauteur d’appel,

Les demandes des parties au titre de l’article 700 du code de procédure civile seront rejetées.

La société EDC succombant au principal, elle supportera les dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement rendu le 22 juin 2021 par le conseil de prud’hommes de DIJON sauf en ce qu’il a :

– rejeté la demande de dommages-intérêts pour procédure irrégulière,

– rejeté la demande de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,

– rejeté la demande de rappel de salaire au titre de la reclassification de l’emploi,

– rejeté la demande de rappel de prime,

– rejeté la demande de dommages-intérêts pour règlement tardif des salaires,

– requalifié le contrat de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée et alloué à Mme [R] [D] la somme de 1 550 euros à titre d’indemnité de requalification,

– rejeté les demandes des parties au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– dit que les entiers dépens de l’instance seront à la charge de chacune des parties,

Statuant à nouveau des chefs infirmés, et y ajoutant,

DIT que le licenciement de Mme [R] [D] est nul,

CONDAMNE la société EUROPÉENNE DE CONDIMENTS à payer à Mme [R] [D] les sommes suivantes :

– 9 300 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

– 890 euros à titre de rappel d’indemnité spéciale de licenciement,

REJETTE les demandes de Mme [R] [D] à titre de :

– rappel d’indemnité de préavis et les congés payés afférents,

– remboursement des frais de déblocage de la participation,

REJETTE les demandes des parties au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel,

CONDAMNE la société EUROPÉENNE DE CONDIMENTS aux dépens d’appel.

Le greffier Le président

Kheira BOURAGBA Olivier MANSION

 


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