Bandes-dessinées : 5 avril 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/02299

·

·

Bandes-dessinées : 5 avril 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/02299

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 3

ARRET DU 05 AVRIL 2023

(n° , 7 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/02299 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBXEH

Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Février 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de PARIS – RG n° F 17/05526

APPELANTE

S.A. L’ECOLE DES LOISIRS

[Adresse 7]

[Localité 3]

Représentée par Me Guillaume DAUCHEL, avocat au barreau de PARIS, toque : W09

INTIMEE

Madame [B] [K]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Judith KRIVINE, avocat au barreau de PARIS, toque : R260

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s’étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Anne MENARD, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Anne MENARD, présidente

Madame Fabienne ROUGE, présidente

Madame Véronique MARMORAT, présidente

Lors des débats : Madame Sarah SEBBAK, greffière

ARRÊT :

– contradictoire

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– signé par Madame Anne MENARD, présidente et par Madame Sarah SEBBAK, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Madame [K] a été engagée par la société l’Ecole des Loisirs le 2 décembre 2003 en qualité d’attachée de promotion. Elle percevait en dernier lieu une rémunération moyenne mensuelle de 3.350 euros, pour un horaire de travail contractuel de 35 heures par semaine.

Dans le cadre de ses fonctions, elle avait notamment la charge de l’organisation de la présence de l’Ecole de Loisirs à plusieurs salons chaque année.

Au cours de l’année 2013, le groupe Ecole des Loisirs a également créé une nouvelle société, appelée [Adresse 7], pour développer une activité dans la bande dessinée, et madame [K] a également assumé la présence de cette société au festival d'[Localité 4].

Madame [K] a été en arrêt de travail une première fois entre le 25 avril 2016 et le 6 juin 2016, puis du 23 novembre 2016 au 23 janvier 2017, et enfin à compter du 1er février 2017.

Elle a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 13 juillet 2017 afin d’obtenir la résiliation de son contrat de travail, et le paiement de différentes sommes au titre de l’exécution et de la rupture de son contrat de travail.

En cours de procédure, le 28 mai 2018, elle a été licenciée pour inaptitude.

Par jugement en date du 27 février 2020, le conseil de prud’hommes de Paris, statuant en formation de départage, a :

– dit l’exception de prescription bien fondée et rejeté les demandes de salaire ou accessoires antérieures au 13 juillet 2014.

– prononcé la résiliation du contrat de travail au 28 mai 2018 aux torts de la société anonyme l’Ecole des Loisirs.

– condamné la société l’Ecole des Loisirs à payer à madame [K] les sommes suivantes :

5.566,68 euros au titre des jours de repos non pris

557 euros au titre des congés payés afférents

4.500 euros au titre des heures supplémentaires 2014

450 euros au titre des congés payés afférents

12.475,35 euros au titre des heures supplémentaires 2015

1.247 euros au titre des congés payés afférents

3.685,84 euros au titre des heures supplémentaires 2016

368,58 euros au titre des congés payés afférents

35.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

1.500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

La société l’Ecole des loisirs a interjeté appel de cette décision le 13 mars 2020.

Par conclusions récapitulatives du 28 octobre 2020, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, elle demande à la cour d’infirmer le jugement sur la résiliation du contrat de travail et les condamnations prononcées, de le confirmer pour le surplus, de débouter madame [K] de toutes ses demandes, et de la condamner au paiement d’une somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions récapitulatives du 3 août 2020, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, madame [K] demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu’il a prononcé la résiliation du contrat de travail, ainsi que sur les sommes allouées au titre des heures supplémentaires, des jours de repos non pris, et de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle sollicite l’infirmation pour le surplus et demande la condamnation de la société l’Ecole des Loisirs à lui payer les sommes suivantes :

6.700 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, ainsi que 670 euros au titre des congés payés afférents

55.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

7.851,87 euros à titre de dommages et intérêts pour violation par l’employeur de son obligation de sécurité

1.000 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral

20.100 euros à titre de dommages et intérêts pour prêt illicite de main d’oeuvre

2.800 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel

La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

MOTIFS

– Sur les demandes au titre des jours de repos non pris et des heures supplémentaires

En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, de répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.

Madame [K] expose que dans le cadre de son travail, la tâche la plus chronophage consistait dans l’organisation de salons, les deux principaux, celui et [Localité 5] et celui de [Localité 6], ayant lieu respectivement en novembre et mars, et étant donc séparés de trois mois, ce qui, bien que cela entraîne une surcharge de travail, pouvait être géré ; qu’à partir de 2014, il lui a été demandé d’organiser le salon d'[Localité 4], ce qui l’a amenée à travailler sans prendre aucune journée de travail entre le 20 janvier 2014, et le 22 mars 2014, soit neuf semaines consécutives ; que la même situation s’est répétée en 2015 durant cinq semaines consécutives, ainsi qu’en 2016, là encore durant cinq semaines consécutives.

Elle ajoute que jusqu’en 2013, ses heures supplémentaires lui étaient payées, mais qu’à partir de 2014, il lui a été demandé de ne plus les demander, et qu’elles ont été intégré dans sa rémunération, étant précisé que l’augmentation dont elle a bénéficié cette année là correspond en effet strictement au lissage sur un an des heures payées auparavant.

Pour justifier des horaires réalisés, elle verse aux débats des mails, souvent vierges, qu’elle adressait pour justifier de sa présence à son travail, tout en précisant qu’en 2014 et 2016, elle ne pouvait pas travailler à son domicile, et qu’elle envoyait donc ces mails de sa boîte professionnelle à ses supérieurs hiérarchiques, et qu’en 2015, où elle pouvait travailler chez elle, ces mails étaient adressés de sa boîte personnelle à sa propre boîte professionnelle, afin d’attester de ses heures de début et de fin de travail. Elle produit en outre un important volume de fichiers qu’elle s’est adressés sur sa boîte professionnelle, après y avoir travaillé le soir ou le week end.

Elle produit également, chaque année pour la période allant de janvier à mars durant laquelle elle indique avoir été surchargée de travail en raison des salons, un tableau précis de ses horaires, incluant le début, la fin et la période de pause, et en totalisant chaque semaine.

Elle produit donc, tant au titre du travail le week end qu’au titre des heures supplémentaires des éléments tout à fait précis, auxquels l’employeur est en mesure de répondre.

De son côté, l’employeur soutient que la préparation des salons ne présentait pas de difficulté particulière, mais que madame [K] était particulièrement précautionneuse et prenait beaucoup de temps pour revérifier les choses, étant de nature très anxieuse ; qu’il a accepté cet excès de précaution pour ne pas la heurter, mais qu’il ne s’agissait pas de demandes de sa part. Il ajoute qu’à partir de 2014, madame [K] n’a plus demandé le paiement d’heures supplémentaires, et que lorsqu’elle est revenue d’arrêt maladie, elle a bénéficié d’un aménagement de ses horaires.

Il conteste avoir donné son accord pour la rémunération d’heures supplémentaires ou leur réalisation, et soutient que des mails ne comportant pas de contenu ne présentent aucun caractère probant.

Toutefois, la cour ne peut que constater que l’employeur ne produit aucun élément pour justifier des horaires effectifs de la salariée, alors-même qu’aucune convention de forfait jour n’était en place. Il ne peut tout à la fois prétendre qu’il ignorait qu’elle travaillait le dimanche, et qu’il la laissait s’organiser pour ne pas la heurter. Les mails reçus par la hiérarchie de madame [K] dès 2014 ne laissaient aucun doute sur le fait qu’elle travaillait le week end, dès lors qu’ils étaient adressés depuis les locaux de l’entreprise. Il n’a pas été non plus proposé à madame [K] de formation pour lui permettre de mieux organiser son travail, si l’employeur jugeait qu’elle passait trop de temps sur les tâches qui lui étaient confiées.

Compte tenu de ces éléments, la cour retient que madame [K] a bien réalisé les heures supplémentaires dont elle fait état pour les années 2015 et 2016. En revanche, pour l’année 2014, les heures supplémentaires qu’elle invoque ont toutes été effectuées avant le mois de juillet 2014, de sorte que cette demande se heure à la prescription. Le jugement sera donc infirmé de ce chef.

De la même manière, la cour retient que madame [K] a régulièrement, durant la période des salons, été amenée à travailler sans aucun jour de repos durant plusieurs semaines consécutives, en violation des dispositions des articles L3132-1 et L3132-2 du code du travail.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a fait droit à la demande d’indemnisation au titre des jours de repos non pris, le quantum alloué étant justifié au regard du salaire de madame [K].

– Sur la demande au titre des manquements de l’employeur à son obligation de sécurité

L’employeur a payé des heures supplémentaires en quantité assez importante sur la période séparant les salons de [Localité 5] et de [Localité 6] en 2013, de sorte qu’il ne pouvait ignorer que leur organisation entraînait sur cette période de l’année une surcharge de travail importante pour madame [K]. Malgré cela, il lui a demandé à partir de l’année 2014 d’organiser en plus celui d'[Localité 4], sur la même période.

L’employeur n’a pas tenu compte des alertes de sa salariée, et des informations dont il disposait sur sa surcharge de travail durant la période des salons, et ces manquements ont eu des conséquences sur la santé de madame [K], dès lors que ses arrêts de travail d’avril et novembre 2016 font état d’un burn out. Elle a dû être hospitalisée au mois de février 2017, et le compte rendu d’hospitalisation fait très explicitement référence à sa surcharge de travail comme étant à l’origine de sa pathologie.

La salarié justifie du montant sollicité à ce titre par le montant des frais médicaux non remboursés auxquels elle a dû faire face, durant son hospitalisation, puis en raison des consultations auprès d’un psychothérapeute.

Il sera fait droit à sa demande en paiement de la somme de 8.851,87 euros à titre de dommages intérêts, intégrant le préjudice financier justifié et 1.000 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral.

– Sur la demande au titre du prêt de main d’oeuvre illicite

Madame [K] expose qu’alors que la société l’ Ecole des Loisirs n’a aucun stand au festival de la bande dessinée, elle devait prendre en charge chaque année la préparation et l’organisation du stand de la société [Adresse 7], sans que son accord n’ait été sollicité.

La société l’ Ecole des Loisirs fait valoir de son côté qu’elle était liée avec la société [Adresse 7] par un contrat de diffusion-distribution, aux termes duquel elle présentait à ses frais et sur son stand les volumes confiés par la société [Adresse 7], et organisait le salon pour son compte. Elle ajoute que cette préparation n’a fait l’objet d’aucune facturation distincte entre les deux sociétés, et que madame [K] connaissait parfaitement les conditions de cette collaboration puisque la question a été abordée en comité d’entreprise, auquel elle participait.

L’employeur ne conteste pas que lui-même n’avait pas de stand sur le festival d'[Localité 4], de sorte qu’il est établi que pour l’organisation de cet événement, madame [K] était bien mise à disposition de la société [Adresse 7].

Les conditions d’une telle mise à disposition, telles que prévues par l’article L8241-1 du code du travail n’ont pas été respectées, dès lors notamment que l’accord de madame [K] n’a pas été requis.

Cette mise à disposition illicite a causé à madame [K] un préjudice, dans la mesure où ce travail supplémentaire a entraîné une fatigue et n’est pas étranger au burn out dont elle a été victime, alors que si son accord avait été requis, elle aurait pu demander qu’une organisation soit mise en place afin de la décharger par ailleurs.

Il sera fait droit à sa demande de dommages et intérêts de ce chef à hauteur de 5.000 euros.

– Sur la demande de résiliation

Les manquements de l’employeur susceptibles de justifier la résiliation judiciaire à ses torts doivent être d’une gravité suffisante. La résiliation judiciaire aux torts de l’employeur produit les effets d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Lorsque le salarié n’est plus au service de son employeur au jour où il est statué sur la demande de résiliation judiciaire, cette dernière prend effet, si le juge la prononce, au jour du licenciement.

En l’espèce, l’absence de respect des dispositions des articles L3132-1 et L3132-2 du code du travail, les manquements de l’employeur à son obligation de sécurité qui ont été retenus, et le prêt de main d’oeuvre illicite constituent des manquements d’une gravité suffisante pour justifier la résiliation du contrat de travail, étant souligné que s’ils ont commencé plusieurs années avant la demande, ils se sont poursuivis au cours des années suivantes.

Le premier juge a écarté la demande relative à l’indemnité de préavis au motif que la salariée étant en arrêt de travail n’était pas en mesure de l’exécuter.

Toutefois, la cour a retenu l’existence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, et d’un lien entre la surcharge de travail imposé à madame [K] et son arrêt de travail. Dès lors, cette dernière est fondée à obtenir le paiement de son indemnité de préavis.

Madame [K] avait près de 15 années d’ancienneté au moment de son licenciement et elle était âgée de 46 ans. Elle justifie des difficultés rencontrées pour retrouver un emploi. Au regard de ces éléments, il lui sera alloué une somme de 40.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, par application des dispositions de l’article L1235-3 du code du travail.

PAR CES MOTIFS

La cour,

CONFIRME le jugement en ce qu’il a :

– dit l’exception de prescription bien fondée et rejeté les demandes de salaire ou accessoires antérieures au 13 juillet 2014.

– prononcé la résiliation du contrat de travail au 28 mai 2018 aux torts de la société anonyme l’Ecole des Loisirs.

– condamné la société l’Ecole des Loisirs à payer à madame [K] les sommes suivantes :

5.566,68 euros au titre des jours de repos non pris

557 euros au titre des congés payés afférents

12.475,35 euros au titre des heures supplémentaires 2015

1.247 euros au titre des congés payés afférents

3.685,84 euros au titre des heures supplémentaires 2016

368,58 euros au titre des congés payés afférents

1.500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

INFIRME le jugement pour le surplus et statuant à nouveau,

CONDAMNE la société l’Ecole des Loisirs à payer à madame [K] les sommes suivantes :

8.851,87 euros à titre de dommages intérêts pour manquements de l’employeur à son obligation de sécurité

5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour prêt de main d’oeuvre illicite

6.700 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis

40.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

DÉCLARE prescrite les demandes salariales au titre des heures supplémentaires de l’année 2014.

Vu l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société l’Ecole des Loisirs à payer à madame [K] en cause d’appel la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes.

CONDAMNE la société l’Ecole des Loisirs aux dépens de première instance et d’appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x