REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
ARRÊT DU 18 FÉVRIER 2020
(n° 036/2020, 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 18/09771 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B5WIX
Décision déférée à la Cour : du 05 Avril 2018 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 17/03244
APPELANTE
SOCIÉTÉ CIVILE DES AUTEURS MULTIMEDIA, DITE SCAM
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro D323 077 479
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentée par Me Francine HAVET, avocat au barreau de PARIS, toque : D1250
Assisté de Me Olivier CHATEL de l’AARPI ASSOCIATION D’AVOCATS CHATEL – BLUZAT, avocat au barreau de PARIS, toque : R039
INTIMÉS
Madame [C] [V]
Née le [Date naissance 1] 1975 à [Localité 5]
De nationalité française
Réalisatrice de documentaires
Demeurant [Adresse 4]
[Adresse 4]
Représentée et assistée de Me Laurence LEMOINE, avocat au barreau de PARIS, toque : C1231
Monsieur [L] [U]
Né le [Date naissance 2] 1974 à [Localité 6]
De nationalité française
Réalisateur de documentaires
[Adresse 4]
[Adresse 4]
Représenté et assisté de Me Laurence LEMOINE, avocat au barreau de PARIS, toque : C1231
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 08 Janvier 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur David PEYRON, Président de chambre
Mme Isabelle DOUILLET, Conseillère
M. François THOMAS, Conseiller
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions prévues à l’article 785 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON
ARRET :
Contradictoire
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
signé par David PEYRON, Président de chambre et par Karine ABELKALON, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DES FAITS
La Société Civile des Auteurs Multimédia (dite « SCAM ») est un organisme de gestion collective des droits d’auteurs régi par les articles L321-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle qui regroupe des auteurs d’oeuvres notamment audiovisuelles autres que dramatiques ou musicales.
Monsieur [L] [U] et Madame [C] [V], adhérents à la SCAM, sont réalisateurs de documentaires.
Ils ont notamment réalisé plusieurs ‘uvres audiovisuelles, d’une durée de 26 minutes, diffusées dans le cadre de l’émission « A vous de voir » sur France 5 :
« La cécité en héritage » ([L] [U] / [C] [V])
« Le système Aravind » ([L] [U] / [C] [V])
« Rêves aveugles » ([C] [V])
« Imagine » ([L] [U] / [C] [V])
Ces quatre ‘uvres audiovisuelles ont été classées par la SCAM dans la catégorie D « reportage » et non dans la catégorie A « documentaire unitaire et grand reportage unitaire », ce qui réduit la rémunération des droits d’auteur des réalisateurs de 35%.
Par courriel du 13 décembre 2016, monsieur [U] a contesté le classement de ces films en reportage auprès de la SCAM.
Par courriel du 14 décembre 2016, la SCAM lui répondait que les ‘uvres litigieuses avaient été classées en reportage en raison de leur diffusion dans l’émission « A vous de voir » qu’elle qualifiait de « magazine ».
Le même jour, monsieur [U] répondait en sollicitant pour madame [V] et lui-même, le reclassement des ‘uvres et le paiement des sommes inhérentes au reclassement.
Par courriel du 11 janvier 2017, la SCAM faisait état de l’irrecevabilité de la demande de monsieur [U], au vu de l’article 23 de son Règlement général selon lequel « toute contestation du classement d’une ‘uvre déclarée doit être adressée dans les trois mois suivants la date du premier règlement des droits de diffusion opéré par la société…. Passé ce délai, aucune réclamation ne sera recevable ».
Par courriel du 15 janvier 2017, monsieur [U] réitérait sa demande de reclassement pour l »uvre « Imagine », diffusée en décembre 2016, pour laquelle les droits n’avaient pas encore été répartis.
Par courriel du 23 janvier 2017, la SCAM répétait que les ‘uvres diffusées dans le magazine « A vous de voir » étaient considérées comme des reportages et non des documentaires, indiquant à monsieur [U] la possibilité qui lui était offerte d’adresser une demande de reclassement dans le délai de trois mois suivant la première date de règlement.
Par lettre recommandée du 31 janvier 2017, le conseil de madame [V] et monsieur [U] mettait en demeure la SCAM de modifier le classement des ‘uvres « La cécité en héritage », « Le système Aravind », « Rêves aveugles » et « Imagine » en ‘uvres documentaires, et de rectifier les répartitions des droits effectuées suite aux diffusions de ces ‘uvres, demande à laquelle la SCAM répondait négativement, par lettre recommandée du 6 février 2017.
Après une nouvelle mise en demeure du 7 février 2017, madame [V] et monsieur [U] ont, par acte du 1er mars 2017, fait assigner la SCAM devant le tribunal de grande instance de Paris afin d’obtenir le reclassement des quatre ‘uvres documentaires susvisées et le paiement des droits d’auteur afférents.
Par jugement du 5 avril 2018, le tribunal de grande instance de Paris a :
dit que la demande de monsieur [L] [U] et madame [C] [V] tendant à leur voir déclarer inopposable l’article 23 du règlement de la SCAM est sans objet,
dit que les quatre oeuvres suivantes : La cécité en héritage, Le système Aravind, Rêves aveugles et Imagine doivent être classées en catégorie 5 ‘documentaire unitaire et grand reportage unitaire’ et non en catégorie 2 ‘reportages’ du règlement 2005 de la SCAM,
En conséquence,
enjoint à la SCAM de procéder au reclassement des ‘uvres : La cécité en héritage, Le système Aravind, Rêves aveugles et Imagine en catégorie 5 ‘documentaire unitaire et grand reportage unitaire’,
enjoint à la SCAM de rectifier la répartition des droits d’auteurs de madame [V] et monsieur [U] à hauteur de 100 %,
condamné la SCAM à payer à monsieur [L] [U] la somme de 1.864,55 € et à madame [C] [V] la somme de 4.037,30 €.
condamné la SCAM à payer à madame [C] [V] et monsieur [L] [U] la somme de 3.000 euros à chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
condamné la SCAM aux entiers dépens, dont distraction au pro’t de l’AARPI PHI AVOCATS, avocat au barreau de Paris, conformément à l’article 699 du code de procédure civile,
ordonné l’exécution provisoire du jugement.
La SCAM a fait appel de ce jugement, par déclaration du 18 mai 2018 et, par conclusions du 21 octobre 2019, elle demande à la Cour de :
dire la SCAM recevable et bien fondée en son appel ;
A titre principal, dire qu’en statuant sur la qualification de l’émission ‘A vous de voir’ au regard du barème de la SCAM, et en procédant au reclassement des ‘uvres des requérants dans le genre ‘documentaire unitaire’, le tribunal a outrepassé ses prérogatives,
A titre subsidiaire, dire que c’est à tort que le tribunal a :
/ dit que les quatre ‘uvres suivantes : La cécité en héritage, Le système Aravind, Rêves aveugles et Imagine doivent être classées en catégorie 5 ‘documentaire unitaire et grand reportage unitaire’ et non en catégorie 2 ‘reportages’ du règlement 2005 de la SCAM,
/ en conséquence, enjoint à la SCAM de procéder au reclassement des ‘uvres : La cécité en héritage, Le système Aravind, Rêves aveugles et Imagine en catégorie 5 ‘documentaire unitaire et grand reportage unitaire’,
/ enjoint à la SCAM de rectifier la répartition des droits d’auteurs de madame [V] et monsieur [U] à hauteur de 100 %,
/ condamné la SCAM à payer à monsieur [L] [U] la somme de 1.864,55 € et à madame [C] [V] la somme de 4.037,30 €,
/condamné la SCAM à payer à madame [C] [V] et monsieur [L] [U] la somme de 3.000 euros à chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
/condamné la SCAM aux entiers dépens, dont distraction au profit de l’AARPI PHI AVOCATS, avocat au barreau de Paris, conformément à l’article 699 du code de procédure civile,
/ordonné l’exécution provisoire du présent jugement,
En conséquence, et dans les deux cas :
confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit que la demande de Monsieur [L] [U] et Madame [C] [V] tendant à leur voir déclarer inopposable l’article 23 du règlement de la SCAM est sans objet ;
Pour le surplus
réformer le jugement entrepris en ses autres dispositions, et statuant à nouveau,
débouter Monsieur [L] [U] et Madame [C] [V] de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
les condamner in solidum à payer à la SCAM la somme de 8.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,
les condamner en tous les dépens, dont distraction au profit de Me Francine HAVET, conformément à l’article 699 du même code.
Par conclusions du 18 octobre 2019, les intimés demandent à la Cour de :
dire recevable mais mal fondée la SCAM en l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions,
confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant :
condamner la SCAM à verser à Madame [V] et Monsieur [U] la somme de 5.000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
condamner la SCAM aux entiers dépens d’appel avec distraction au profit de Maître Laurence LEMOINE sur le fondement de l’article 699 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 29 octobre 2019.
MOTIVATION
Le jugement, qui n’est pas contesté sur ce point, sera confirmé en ce qu’il a retenu que les demandes relatives à l’opposabilité de l’article 23 du règlement de la SCAM étaient sans objet.
Sur la demande principale
La SCAM invoque le principe de non-immixtion du juge dans le fonctionnement des sociétés civiles et commerciales, celui-ci ne pouvant se substituer aux organes sociaux pour apprécier l’opportunité de leurs décisions ou les modifier. Elle fait état de l’application de ce principe aux sociétés de perception et de répartition des droits, et au classement des oeuvres par la SCAM, au sein de barèmes élaborés par les auteurs-associés.
Elle cite un précédent dans lequel la Cour de cassation a réformé un arrêt, en retenant que la classification des oeuvres prévue par le barème de rémunération était autonome et ne se référait pas à la qualification des oeuvres au sens du code de la propriété intellectuelle.
Elle en déduit qu’il ne relève pas du juge d’interpréter les critères de classification des oeuvres élaborés et approuvés par les organes sociaux compétents, ni d’apprécier la pertinence de cette classification pour une oeuvre précise, le contrôle du juge ne pouvant porter que sur la régularité des décisions, le respect de l’objet social et l’absence d’abus, de discriminations ou de fraude.
Elle affirme que l’émission ‘A vous de voir’ a été classée dans la catégorie magazine, et que le tribunal a substitué sa propre conception des magazines et reportages à celles arrêtées par les auteurs réunis au sein de la SCAM, alors qu’il aurait dû s’assurer que les critères de la SCAM avaient été régulièrement mis en oeuvre. Ce faisant, il s’est substitué aux organes de la SCAM et a pris une décision valant résolution devant s’imposer aux organes de la SCAM.
Les intimés indiquent ne pas remettre en cause le caractère autonome et les statuts du barème de la SCAM, mais souhaiter en obtenir une stricte application. Ils ajoutent que le caractère autonome de ce barème ne fait pas obstacle à la vérification de sa bonne application, notamment à l’occasion d’un litige. Ils relèvent que la SCAM se fonde sur le droit commun des contrats, ce qui induit de se fonder sur la commune intention des parties. Ils allèguent que l’affaire citée par la SCAM porte sur un point de droit différent, et a retenu l’examen par le juge du fond du changement de nomenclature dont les critères d’application étaient contestés. Ils en déduisent qu’il est inexact de soutenir que l’institution judiciaire ne peut vérifier la bonne application des statuts. Ils précisent ne pas remettre en cause l’indépendance ou l’autonomie de la nomenclature, ni le choix des critères de classification existant, ni l’existence de la nomenclature elle-même, mais solliciter seulement sa stricte application afin de percevoir l’exacte rémunération qui leur est due.
Ils font état des règles d’interprétation des critères de classification et soutiennent que les contrats d’adhésion doivent être interprétés en faveur des adhérents, étant donné que le barème a été adopté par le conseil d’administration sans négociation possible au bénéfice des adhérents, alors même que le caractère lacunaire du barème les place dans une situation inconfortable.
Sur ce
C’est à juste titre que le jugement reconnaît l’autonomie de la classification des oeuvres prévue par le barème de rémunération de la SCAM quant à la définition qu’ils donnent des oeuvres que cette société de gestion collective gère, et précise que cette classification ne se réfère pas à la qualification des ‘uvres prévue par le code de propriété intellectuelle.
Pour autant, la question du classement des oeuvres étant au coeur du litige, il relève notamment du rôle du juge de s’assurer de la bonne application, par les organes d’une société de perception et de répartition des droits, des procédures et dispositions statutaires, en ce compris le barème de classement des oeuvres audiovisuelles, ce qui ne remet pas en cause l’autonomie de ce barème.
L’article 1134 du code civil, applicable au moment des faits, prévoit notamment que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites, et doivent être exécutées de bonne foi.
En l’espèce, madame [V] et monsieur [U] ont sollicité que leurs quatre oeuvres audio-visuelles précitées soient classées, non dans la catégorie D « reportage » retenue par la SCAM, mais dans la catégorie A « documentaire unitaire et grand reportage unitaire », dans laquelle la rémunération des droits d’auteur des réalisateurs est plus importante.
Il ressort des statuts de la SCAM que tout auteur admis à adhérer à la SCAM fait apport en propriété à la société… ‘- du droit d’autoriser ou d’interdire la reproduction ou représentation totale ou partielle, texte écrit ou parlé et / ou images, par le moyen de réseaux et supports numériques ou analogiques, de phonogrammes, de la radiodiffusion, du cinéma, de la télévision, de vidéogrammes (vidéocassettes ou vidéodisques notamment) ou par tout autre moyen audiovisuel connu ou inconnu à ce jour, de ses ‘uvres autres que dramatiques ou musicales, dont la première diffusion a été ou sera réalisée par l’un de ces moyens.’…
L’article 7 précise que la SCAM a notamment pour objet ‘L’exercice et l’administration, dans tous pays, de tous les droits relatifs à la reproduction ou la représentation, sous quelque forme que ce soit, des ‘uvres de ses associés, et notamment la perception et la répartition des redevances provenant de l’exercice desdits droits’.
Enfin, l’article 20 énonce que le conseil d’administration…’surveille la perception, l’encaissement et la répartition des droits d’auteur de toute nature et de toute origine’.
La répartition de droits d’auteur s’effectue selon le barème de classement des oeuvres audiovisuelles diffusées suivant :
Il revient à la juridiction judiciaire de vérifier la mise en oeuvre des critères de classification retenus afin de s’assurer du respect des dispositions statutaires applicables, ce qui ne saurait s’analyser en une substitution aux organes de la SCAM, et le caractère autonome de ce barème ne peut empêcher la juridiction judiciaire de veiller à leur bonne application dans les rapports entre la SCAM et ses adhérents.
Enfin, un contrat s’interprète d’après les termes de la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral des mots, et il revient au juge d’examiner si les dispositions statutaires ont été interprétées par la SCAM conformément à cette commune intention.
Aussi, le contrôle de l’application du barème ne constitue pas une immixtion dans le fonctionnement de la SCAM commise par le tribunal, et le jugement n’encourt pas la réformation de ce chef.
Sur la classification des oeuvres en cause dans le genre documentaire
Le jugement, relevant que le barème contenait une définition du reportage mais pas du magazine,
a estimé qu’il devait apprécier si l’émission dans laquelle ont été diffusées les oeuvres en cause pouvait être qualifiée de magazine. Considérant que cette émission n’en était pas un, les ‘uvres audiovisuelles qui y sont présentées ne sont pas des reportages insérés dans un magazine, et doivent être reclassées dans la catégorie 5 ‘documentaire unitaire et grand reportage unitaire’, les réalisateurs devant percevoir 100%, et non 35%, des droits résultant de cette exploitation.
Il a ensuite procédé au calcul des droits qu’auraient dus percevoir les intimés sur cette base.
La SCAM soutient que la classification de l’émission A VOUS DE VOIR en magazine et des oeuvres la composant en reportages est justifiée, rappelle la réforme en 2005 de son barème de classification des oeuvres et qu’ainsi il a été décidé que les oeuvres diffusées dans le cadre de magazines relèveraient désormais du genre ‘reportages’. Elle expose qu’au terme du barème, constitue un ‘magazine’ une émission consacrée à un thème donné, diffusée de façon périodique et pendant une durée non fixée, la présence ou non d’un présentateur ou d’un plateau étant indifférente. Elle fait état des nombreuses émissions qualifiées de magazines, au vu du barème, et précise que toute oeuvre diffusée dans une telle émission est présumée être un reportage, à charge pour l’auteur, si son oeuvre est ainsi classée, de démontrer qu’elle n’a pas été conçue pour être diffusée dans le cadre d’un magazine et ne suit pas une ligne éditoriale.
Elle conteste avoir commis une irrégularité dans le classement des oeuvres, tout comme l’appréciation par le tribunal de ce qu’est un magazine audiovisuel, et souligne la distinction, au terme de son barème, entre ‘magazine’ et ‘plateau’, l’oeuvre diffusée dans les deux cas relevant du ‘reportage’. Elle estime que la classification de l’émission A VOUS DE VOIR en magazine est justifiée. Elle relève que les oeuvres litigieuses ont été spécialement commandées et obéissent à une ligne éditoriale, que la structure des oeuvres diffusées dans le magazine est la même, que la liberté des réalisateurs est contrainte par les demandes du producteur, comme le montrent les contrats. Elle conteste les attestations versées par les intimés, émanant de personnes placées sous leur autorité, et ajoute qu’ils ne démontrent pas que leurs oeuvres ne sont pas des reportages.
Madame [V] et monsieur [U] relèvent l’absence de toute définition du ‘documentaire unitaire et grands reportages unitaires’, alors que la définition du genre ‘reportage’ est établie sur la base d’une présomption selon laquelle elle couvre tous les documentaires insérés dans un magazine ou dans un plateau télévisé, sont supposés être soumis à la ligne éditoriale et avoir été conçus pour l’émission. Ils soutiennent qu’il s’agit d’une présomption réfragable, s’il est démontré que les oeuvres ne se conforment pas à une ligne éditoriale, ce qu’ils démontrent.
Ils approuvent la motivation du jugement qui retient l’importance d’une ligne éditoriale, déduisent de l’absence d’une telle ligne que l’émission A VOUS DE VOIR n’est pas un magazine, et avancent que leurs oeuvres se distinguent des autres films diffusés dans cette émission. Ils soulignent que les films illustrent seulement le thème de la mal voyance, ce qui n’est pas une ligne éditoriale, font état de l’absence de plateau, d’interview, de présentateur ou d’invité, et revendiquent une indépendance dans la réalisation de leurs oeuvres exclusive d’un cadre éditorial. Ils versent au débat leurs contrats sur les oeuvres sur lesquels ils sont expressément qualifiés de ‘documentaires’, le site de l’UNADEV (association nationale d’aide aux personnes aveugles et malvoyantes) les qualifiant de la même façon. Ils déclarent que la SCAM ne peut tirer argument du classement d’émissions en magazines, ce qui revient à se constituer une preuve à soi-même, et déduisent de la diversité de ces émissions l’absence de définition d’un magazine. Enfin, ils excluent la réunion des conditions nécessaires pour établir l’existence d’une commande.
Sur ce
Dans les règles de répartition des droits d’auteur de la SCAM, un reportage est défini ainsi
‘toute oeuvre audiovisuelle intégrée dans un magazine ou insérée à un plateau, qu’elle soit ou non accompagnée d’autres oeuvres, est présumée obéir à une ligne éditoriale et être conçue en vue du magazine ou du plateau dans le cadre duquel elle a été diffusée ; elle relève en conséquence du genre ‘reportages’, sauf à ce que son (ses) auteur(s) apporte(nt) la preuve contraire’.
Ces règles ne définissent pas le documentaire unitaire ou grand reportage unitaire, catégorie dans laquelle les intimés ont voulu voir classer leurs oeuvres, ni le magazine, de sorte que la SCAM ne peut reprocher utilement au jugement d’avoir substitué sa conception du magazine à la sienne, laquelle n’est pas définie.
Au vu de la définition qui précède, toute oeuvre, intégrée dans un magazine ou insérée dans un plateau, est présumée obéir à une ligne éditoriale et être conçue en vue de cette émission, et relever du ‘reportage’, sauf si la preuve contraire est rapportée.
Si la SCAM indique que constitue un ‘magazine’ au sens de son barème une émission consacrée à un thème donné, diffusée de façon périodique et pendant une durée non fixée, qu’il y ait ou non présentateur et plateau, une telle définition ne figure pas dans les règles de répartition des droits d’auteur.
En l’espèce, l’émission A VOUS DE VOIR ne contient pas de plateau de télévision, ce que reconnaît la SCAM (sa pièce 18).
La présentation de cette émission sur le site internet de la chaîne France 5 indique que ‘chaque documentaire d’une durée de 26 minutes est consacré à un thème ; il est suivi d’une courte séquence d’une minute qui donne des informations précises sur le sujet. Ils sont diffusés le premier lundi de chaque mois et rediffusés le samedi su
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ivant sur France 5’.
Ainsi, la chaîne France 5 vise expressément des documentaires, et non des reportages ; il peut être relevé que l’UNADEV (Union Nationale des Aveugles et Déficients Visuels), partenaire et soutien de l’émission ‘A vous de voir’, la présente aussi comme une série de documentaires.
Si la SCAM avance que le site internet de France 5 présente l’émission ainsi :
« il s’agit toujours de faire découvrir, partager, sensibiliser, informer le public des voyants à la vie quotidienne des personnes malvoyantes et aveugles, mais aussi de donner à ces derniers des informations utiles pour une meilleure insertion, de favoriser leur développement personnel, de toucher particulièrement les personnes isolées, d’offrir un espace d’expression. …
Les films ont l’ambition d’ouvrir une fenêtre sur un monde méconnu des personnes voyantes, de montrer que l’autonomie des personnes mal et non-voyantes est possible dès lors que leurs différences sont prises en compte’ »,
cette présentation sur le site de la chaîne diffusant l’émission ne peut établir qu’il existe ainsi une ligne éditoriale précise à laquelle doivent obéir les oeuvres audio-visuelles en cause.
La thématique de l’émission, qui est le traitement de sujets portant sur la vie des personnes aveugles et déficientes visuelles, ne peut suffire à constituer une ligne éditoriale.
Les contrats conclus entre la société BLEU KRYSTAL MEDIA, productrice, et madame [V], réalisatrice, portant sur les oeuvres en question, indiquent notamment
‘que le producteur a conçu une série de films documentaires intitulée ‘A vous de voir’ ayant pour thème la déficience visuelle, dont le titre appartient au Producteur. …
Que le Producteur souhaite confier au Réalisateur en relation avec monsieur [U], également co-Réalisateur, l’écriture du synopsis et des commentaires d’un des films documentaires de la série de films documentaires ainsi que la réalisation du film documentaire pour les personnes aveugles et malvoyantes, intitulé provisoirement …’.
Ces contrats précisent le thème de chaque film ;
ainsi, pour l »uvre ‘intitulée provisoirement « Imagine » : « la compréhension du rôle de l’imagination dans la construction psychique des enfants déficients visuels, les difficultés rencontrées et les pistes à explorer pour les amener à construire leur propre monde imaginaire»;
pour l »uvre ‘intitulée provisoirement « La cécité en héritage », …« La transmission générationnelle de la déficience visuelle » ;
-pour l »uvre ‘intitulée provisoirement « Le système ARAVIND », …« Une campagne médicale de traitement de la cataracte en Inde qui repose sur un modèle économique de développement équitable spécifique : le système ARAVIND » ;
pour l »uvre ‘intitulée provisoirement « Les aveugles rêvent comme tout le monde» :….’L’exploration de l’activité onirique des personnes déficientes visuelles’.
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Ils indiquent aussi que
‘Le Producteur commande au co-Réalisateur l’écriture du synopsis, de la partie info et des commentaires – ci-après désignés sous le terme ‘les textes’ – du documentaire intitulé provisoirement ou définitivement ‘…’ ci-après dénommé ‘l’oeuvre’, de la série de films documentaires intitulée ‘A vous de voir’ conçue par le Producteur’.
Si la SCAM souligne que le producteur ‘commande’ au réalisateur et en déduit que les oeuvres étaient conçues en vue du magazine ‘A vous de voir’, ‘A vous de voir’ n’est pas citée par ces contrats comme une émission mais comme une série de films documentaires.
Ces contrats évoquent les oeuvres comme des documentaires, et non comme des reportages.
S’agissant de la réalisation, ils précisent notamment qu’en cas de mise en production, le Producteur engage le Co-réalisateur pour l’exécution des services artistiques, notamment pour ‘assurer le tournage, la réalisation artistique, diriger le montage, le mixage, la conformation aux chartes graphiques des diffuseurs, et plus généralement tous travaux de finition de l’oeuvre..’.
Il est notamment précisé que
‘le co-Réalisateur accepte, pendant la phase d’élaboration de l’oeuvre, de procéder aux remaniements et modifications de sa contribution qui pourraient être demandés par le Producteur en considération des caractéristiques et objectifs de création et de la production, des impératifs des partenaires et de l’exploitation commerciale. …
Le Co-Réalisateur s’engage à prendre en considération les caractéristiques et objectifs de la production, notamment éviter toutes scènes ou propos que les organismes de télévision et/ou coproducteurs éventuels considéreraient ne pas pouvoir diffuser sur les antennes, et permettre au Producteur de ne pas excéder les limites du budget.’
Si la SCAM soutient que la liberté des réalisateurs est ainsi encadrée, ces contrats ne définissent ni ne font référence à une ligne éditoriale devant être respectée par les co-réalisateurs, la seule indication du sujet de l’oeuvre ne constituant pas une ligne éditoriale.
Les intimés produisent plusieurs attestations de comédien, ingénieur du son, techniciens intervenus sur la réalisation des oeuvres en cause, qui témoignent de l’absence de toute demande de respect d’une ligne éditoriale ou d’un traitement particulier par le producteur, et font état de la démarche personnelle et originale des intimés, qui bénéficiaient d’une liberté de création.
Si la SCAM, dont il est à titre surabondant relevé qu’elle reconnaît l’originalité des oeuvres, soutient que les auteurs de ces attestations n’étaient pas en relation avec le producteur, elle ne verse pas le contrat entre le diffuseur et le producteur qui témoignerait de l’existence d’une ligne éditoriale à laquelle les oeuvres devraient obéir.
Au vu de ce qui précède, il n’est pas établi qu’il existait une ligne éditoriale à laquelle les oeuvres ont obéi et qu’elles entraient dans la catégorie ‘reportage’, de sorte que madame [V] et monsieur [U] étaient fondés à contester ce classement.
En conséquence, il convient de confirmer le jugement qui en a déduit que les oeuvres entrant dans la catégorie ‘documentaire unitaire et grand reportage unitaire’, la SCAM devait être condamnée à verser à madame [V] et monsieur [U] la différence des droits auxquels ils ont droit du fait de cette requalification.
Sur les autres demandes
La SCAM succombant au principal, elle sera condamnée au paiement des dépens.
Elle sera également condamnée à verser à madame [V] et monsieur [U] la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Dit recevable mais mal fondée la SCAM en toutes ses demandes,
Confirme le jugement du 5 avril 2018 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la SCAM à verser à Madame [V] et Monsieur [U] la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SCAM aux entiers dépens d’appel avec distraction au profit de Maître Laurence LEMOINE sur le fondement de l’article 699 du code de procédure civile.
LE PRÉSIDENTLE GREFFIER