COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
19e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 14 DECEMBRE 2022
N° RG 21/00147
N° Portalis DBV3-V-B7F-UIGF
AFFAIRE :
S.A.S. PHENOMENE
C/
[J] [L]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 Décembre 2020 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE
N° Chambre :
N° Section : E
N° RG : F18/01468
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
la SELARL CABINET MONTMARTRE
Me Sophie ELIAS
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUATORZE DECEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
S.A.S. PHENOMENE
N° SIRET : 411 458 508
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Pascal WINTER de la SELARL CABINET MONTMARTRE, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J00
APPELANTE
****************
Madame [J] [L]
née le 05 Octobre 1961 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Sophie ELIAS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0074
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 19 Octobre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Isabelle MONTAGNE, Président,
Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,
Madame Laure TOUTENU, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Morgane BACHE,
Mme [J] [L] a été embauchée, à compter du 23 mai 2011, selon contrat de travail à durée indéterminée en qualité de ‘directrice du département digital’ (statut de cadre) par la société PHENOMENE, employant habituellement au moins onze salariés.
Par lettre du 17 octobre 2017, la société PHENOMENE a proposé à Mme [L] la modification de son contrat de travail pour motif économique au visa de l’article L. 1222-6 du code du travail.
Par lettre du 9 novembre 2017, Mme [L] a refusé cette modification.
Le 20 novembre 2017, la société PHENOMENE a convoqué Mme [L] à un entretien préalable à un licenciement pour motif économique qui s’est tenu le 28 novembre suivant et au cours duquel lui a été proposé le bénéfice d’un contrat de sécurisation professionnelle.
Le 12 décembre 2017, Mme [L] a accepté la proposition de contrat de sécurisation professionnelle.
Par lettre du 13 décembre 2017, la société PHENOMENE a notifié à Mme [L] son licenciement pour motif économique et impossibilité de reclassement.
La rupture du contrat de travail est intervenue le 19 décembre 2017 à la suite de l’acceptation du contrat de sécurisation professionnelle.
La rémunération de Mme [L] s’élevait alors à 5 000 euros brut.
Le 19 juin 2018, Mme [L] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre pour contester le bien-fondé de son licenciement et demander notamment la condamnation de la société PHENOMENE à lui payer des indemnités de rupture, un complément d’indemnité de licenciement ainsi que des dommages-intérêts.
Par un jugement du 15 décembre 2020, le conseil de prud’hommes (section encadrement) a :
– dit que la convention collective de la production audiovisuelle n’est pas applicable à Mme [L] et a en conséquence débouté Mme [L] de sa demande de complément d’indemnité de licenciement ;
– dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
– condamné la société PHENOMENE à payer à Mme [L] les sommes suivantes :
* 35 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts légaux à compter de la date de prononcé de la décision ;
* 15 000 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 1 500 euros brut au titre des congés payés afférents, avec intérêts légaux à compter de la date de convocation devant le conseil de prud’hommes ;
* 1 300 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– ordonné à la société PHENOMENE de remettre à Mme [L] les documents sociaux conformes à la décision ;
– dit que les intérêts seront capitalisés ;
– débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
– condamné la société PHENOMENE aux dépens.
Le 13 janvier 2021, la société PHENOMENE a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses conclusions du 24 septembre 2021, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé des moyens, la société PHENOMENE demande à la cour de :
1°) infirmer le jugement attaqué en ce qu’il dit le licenciement de Mme [L] dépourvu de cause réelle et sérieuse et en ce qu’il la condamne à lui payer diverses sommes et, statuant à nouveau sur les chefs infirmés, de :
– dire le licenciement de Mme [L] fondé sur une cause réelle et sérieuse ;
– débouter Mme [L] de l’ensemble de ses demandes ;
– à titre subsidiaire, réduire le montant des indemnités allouées ;
2°) confirmer le jugement sur le débouté de la demande d’application de la convention collective de la production audiovisuelle et de la demande de complément d’indemnité de licenciement afférente et sur le débouté de la demande de dommages-intérêts pour violation de l’article L. 6321-1 du code du travail ;
3°) condamner Mme [L] à lui payer une somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens avec application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile au profit de Me Pascal Winter.
Aux termes de conclusions du 24 juin 2021, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé des moyens, Mme [L] demande à la cour de :
1°) confirmer le jugement attaqué sur le licenciement et les sommes allouées ;
2°) infirmer le jugement sur le débouté de ses demandes et statuant à nouveau, condamner la société PHENOMENE à lui payer les sommes suivantes :
– 8 465,91 euros à titre d’indemnité de licenciement par application de la convention collective de la production audiovisuelle ;
– 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour violation de l’article L. 6321-1 du code du travail;
– 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Une ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 4 octobre 2022.
SUR CE :
Sur le bien-fondé du licenciement et l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
Considérant que la société PHENOMENE soutient que le licenciement de Mme [L] est fondé sur une cause réelle et sérieuse en ce que le motif économique invoqué, tiré de la réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité, est établi et en ce que l’obligation de reclassement a été remplie ; qu’elle conclut donc au débouté de la demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Que Mme [L] soutient que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse aux motifs que la réalité du motif économique n’est pas établie et que la société PHENOMENE a manqué à son obligation de reclassement ; qu’elle demande en conséquence l’allocation d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant de 35 000 euros ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 1233-3 du code du travail dans sa version applicable au litige : ‘Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :
1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.
Une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :
a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;
b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;
c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;
d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;
2° A des mutations technologiques ;
3° A une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;
4° A la cessation d’activité de l’entreprise (…) ‘ ;
Qu’en l’espèce, sur la réalité du motif économique invoqué, le lettre de licenciement notifiée à Mme [L] est ainsi rédigée : ‘(…) Vous avez été embauchée pour créer et développer un département digital dans notre société PHENOMENE, compte tenu de vos compétences en la matière. Votre poste de directrice du développement digital a été créé à cette occasion avec des caractéristiques spécifiques.
Or après plusieurs années, et malgré notre soutien, nous sommes au regret de constater que ce développement n’a pas été réalisé, qu’aucun chiffre d’affaires significatif n’a jamais vraiment été développé et qu’il est même nul actuellement. En outre, il n’y a pas de perspectives à court ou moyen terme.
Outre que le maintien de ce poste entraînerait un coût financier qui n’est plus supportable, il n’y a aucune raison économique et commerciale pour le maintenir dans sa spécificité.
Nous sommes donc dans l’obligation de supprimer ce poste de directeur du département digital (…) ‘ ;
Que la société PHENOMENE, au soutien de son allégation selon laquelle le licenciement est fondé sur un motif de réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité, se borne à verser aux débats un tableau censé retracé le ‘TOTAL’ de son chiffres d’affaires annuel, sur la période courant de 2011 à 2018, et portant la mention ‘certifié conforme’ accompagnée de la signature de son propre directeur administratif et financier ; que cette pièce, élaborée par l’employeur lui-même, ne présente ainsi aucune garantie de fiabilité, comme le soutient justement la salariée, et est donc insuffisante à établir la réalité du motif économique du licenciement ;
Que dans ces conditions, et sans qu’il soit besoin d’examiner le moyen tiré de la méconnaissance de l’obligation de reclassement, il y a lieu de dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Qu’en conséquence, Mme [L] est fondée, eu égard à son ancienneté de six années complètes et à l’effectif habituel de la société PHENOMENE au moment de la rupture, à réclamer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant compris entre trois et sept mois de salaire brut ; qu’eu égard à son âge (née en 1961), à sa rémunération, à sa situation postérieure au licenciement (bénéfice de l’allocation de sécurisation professionnelle puis de l’allocation d’aide au retour à l’emploi justifié jusqu’en juillet 2021), il y a lieu d’allouer une somme de 35 000 euros à ce titre ; que le jugement attaqué sera confirmé sur ce point ;
Sur l’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents :
Considérant qu’en l’absence de motif économique de licenciement, le contrat de sécurisation professionnelle n’a pas de cause et l’employeur est alors tenu à l’obligation du préavis et des congés payés afférents, sauf à tenir compte des sommes déjà versées au salarié à ce titre ;
Qu’en l’espèce, il est constant que la société PHENOMENE n’a versé aucune somme à Mme [L] au titre du préavis ; que le moyen soulevé par l’appelante tiré de ce qu’elle a versé des sommes à Pôle emploi en application du contrat de sécurisation professionnelle est inopérant pour l’exonérer du paiement de l’indemnité en litige ;
Qu’il y a donc lieu de confirmer le jugement en ce qu’il alloue à Mme [L] une somme de 15 000 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 1 500 euros brut au titre des congés payés afférents ;
Sur le complément d’indemnité de licenciement :
Considérant que Mme [L] soutient que l’activité principale de la société PHENOMENE consiste en la production de films institutionnels et publicitaires ; qu’elle réclame en conséquence l’application de la convention collective nationale de la production audiovisuelle pour le calcul de l’indemnité conventionnelle de licenciement et par suite un complément d’indemnité à ce titre ;
Que la société PHENOMENE conclut au débouté en faisant valoir que son activité principale est l’organisation d’événements pour les entreprises et qu’aucune convention collective n’est applicable ;
Considérant que la charge de la preuve de l’activité réelle d’une entreprise incombe à la partie qui invoque l’application d’une convention collective ;
Qu’en l’espèce, Mme [L] se borne à se référer à un extrait du site Internet de la société PHENOMENE qui mentionne, dans une optique publicitaire, que ‘avec plus de 300 films par an, produits et réalisés en interne, l’audiovisuel est, depuis 1997, le c’ur de métier de Phénomène’; qu’elle ne produit aucun autre élément tel que par exemple le code NAF de l’entreprise, le nombre de salariés affectés à la production de films ou le chiffre d’affaires généré par cette activité ; qu’en conséquence, Mme [L] n’établit pas que l’activité principale de la société PHENOMENE consiste en la production audiovisuelle et, partant, que la convention collective en litige est applicable à la relation de travail ; qu’il y a donc lieu de la débouter de sa demande de complément d’indemnité de licenciement à ce titre ; que le jugement attaqué sera confirmé sur ce point ;
Sur les dommages-intérêts pour violation de l’obligation d’adaptation à l’emploi prévue par l’article L. 6321-1 du code du travail :
Considérant en l’espèce que si la société PHENOMENE ne justifie pas avoir rempli son obligation d’adaptation à l’emploi prévue par les dispositions de l’article L. 6321-1 du code du travail, Mme [L], pour sa part, se borne à alléguer qu’elle en a subi un ‘préjudice certain’ sans en justifier; qu’il y a donc lieu de confirmer le débouté de cette demande de dommages-intérêts ;
Sur l’application de l’article L. 1235-4 du code du travail :
Considérant qu’en l’absence de motif économique, le contrat de sécurisation professionnelle devenant sans cause, l’employeur est tenu de rembourser les indemnités de chômage éventuellement versées au salarié, sous déduction de la contribution prévue à l’article L. 1233-69 du code du travail ;
Qu’eu égard à la solution du litige, il y a donc lieu d’ordonner d’office le remboursement par la société PHENOMENE, aux organismes concernés, des indemnités de chômage qu’ils ont versées le cas échéant à Mme [L] du jour de son licenciement au jour de l’arrêt et ce dans la limite de six mois d’indemnités et sous déduction de la contribution prévue à l’article L. 1233-69 du code du travail ;
Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens :
Considérant qu’eu égard à la solution du litige, il y a lieu de confirmer le jugement attaqué en ce qu’il statue sur ces deux points ; qu’en outre, la société PHENOMENE, qui succombe en appel, sera condamnée à payer à Mme [L] une somme de 2 700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en appel ainsi qu’aux dépens d’appel ;
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement attaqué,
Y ajoutant,
Ordonne d’office le remboursement par la société PHENOMENE, aux organismes concernés, des indemnités de chômage qu’ils ont versées le cas échéant à Mme [J] [L] du jour de son licenciement au jour du présent arrêt et ce dans la limite de six mois d’indemnités et sous déduction de la contribution prévue à l’article L. 1233-69 du code du travail,
Condamne la société PHENOMENE à payer à Mme [J] [L] une somme de 2 700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en appel,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne la société PHENOMENE aux dépens d’appel,
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Isabelle MONTAGNE, Président, et par Madame Morgane BACHE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,