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C3
N° RG 21/00183
N° Portalis DBVM-V-B7F-KWFL
N° Minute :
Notifié le :
Copie exécutoire délivrée le :
la SCP GERMAIN-PHION JACQUEMET
la CPAM DE L’ISÈRE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE SOCIALE – PROTECTION SOCIALE
ARRÊT DU LUNDI 09 JANVIER 2023
Ch.secu-fiva-cdas
Appel d’une décision (N° RG 17/01009)
rendue par le pôle social du tribunal judiciaire de GRENOBLE
en date du 27 novembre 2020
suivant déclaration d’appel du 07 janvier 2021
APPELANTE :
SARL [7], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 5]
[Localité 4]
représentée par Me Audrey GRANDGONNET de la SELARL BALESTAS-GRANDGONNET-MURIDI & ASSOCIES, avocat au barreau de GRENOBLE substituée par Me Perrine LEURENT, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIMES :
M. [C] [M]
né le 27 mai 1956
de nationalité Française
[Adresse 6]
[Localité 3]
représenté par Me Laure GERMAIN-PHION de la SCP GERMAIN-PHION JACQUEMET, avocat au barreau de GRENOBLE substituée par Me Laure JACQUEMET, avocat au barreau de GRENOBLE
La CPAM DE L’ISERE, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 2]
comparante en la personne de M. [I] [D] régulièrement muni d’un pouvoir
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DÉLIBÉRÉ :
M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président,
Mme Isabelle DEFARGE, Conseiller,
M. VERGUCHT Pascal, Conseiller,
DÉBATS :
A l’audience publique du 08 novembre 2022
M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président, en charge du rapport et Mme Isabelle DEFARGE, Conseiller, ont entendu les représentants des parties en leurs dépôts de conclusions, assistés de Mme Chrystel ROHRER, greffier, conformément aux dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, les parties ne s’y étant pas opposées ;
Puis l’affaire a été mise en délibéré au 09 janvier 2023, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.
L’arrêt a été rendu le 09 janvier 2023.
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Le 9 juillet 2013, M. [C] [M], employé en qualité de chauffeur livreur vendeur entre le 1er septembre 2011 et le 1er septembre 2015 par la société [7], a été victime d’un accident du travail lors de la livraison d’un matelas.
Le certificat médical initial établi le lendemain fait état d’un lumbago.
Cet accident a été pris en charge, au titre de la législation professionnelle, par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) de l’Isère.
L’état de santé de l’assuré a été déclaré consolidé avec séquelles indemnisables à la date du 1er août 2015. Un taux d’Incapacité Permanente Partielle (IPP) de 13 % a été attribué à l’assuré.
M. [M] a saisi la caisse primaire d’une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur à l’origine de son accident du travail.
Un procès-verbal de carence ayant été dressé, M. [M] a saisi aux mêmes fins le tribunal des affaires de sécurité sociale de Grenoble le 6 septembre 2017.
Par jugement avant dire droit du 27 novembre 2020, le pôle social du tribunal judiciaire de Grenoble a :
– rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action engagée par M. [M],
– déclaré recevable l’action entreprise par M. [M],
– dit que l’accident dont a été victime M. [M] le 9 juillet 2013 est dû à la faute inexcusable de son employeur, la société [7],
– fixé au maximum la rente versée à M. [M] en application des dispositions de l’article L.452-1 du code de la sécurité sociale,
Avant dire droit sur l’indemnisation des préjudices complémentaires de M. [M],
– ordonné une expertise médicale judiciaire avec mission d’évaluer ses préjudices indemnisables,
– dit que la CPAM de l’Isère fera l’avance des frais d’expertise,
– dit que la CPAM de l’Isère fera l’avance à M. [M] de la somme de 2 000 euros allouée au titre de l’indemnité provisionnelle,
– condamné la société [7] à rembourser à la CPAM de l’Isère l’ensemble des sommes dont elle aura fait l’avance, y compris les frais d’expertise et la provision, outre les intérêts au taux légal à compter de leur versement,
– condamné la société [7] à payer à M. [M] la somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– renvoyé M. [M] à faire valoir ses demandes indemnitaires devant la juridiction sociale après dépôt du rapport d’expertise,
– ordonné l’exécution provisoire du jugement,
– réservé les dépens.
Le 7 janvier 2021, la société [7] a interjeté appel de cette décision notifiée à elle le 15 décembre 2020.
Les débats ont eu lieu à l’audience du 8 novembre 2022 et les parties avisées de la mise à disposition au greffe de la présente décision le 9 janvier 2023.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Au terme de ses premières conclusions notifiées par voie électronique le 6 avril 2021 et reprises oralement à l’audience, la société [7] demande à la cour de :
– réformer le jugement déféré,
Par conséquent,
In limine litis,
– juger que l’action de M. [M] en reconnaissance de la faute inexcusable est prescrite, puisqu’aussi bien, plus de deux ans se sont écoulés entre la cessation du versement des indemnités journalières et le dépôt de la requête,
– débouter M. [M],
– le condamner à lui régler la somme de 1 600 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Au fond,
– juger que M. [M] ne rapporte pas la preuve de ce qu’elle a failli à son obligation de sécurité de résultat,
– le débouter de son action, fins et conclusions,
– le condamner à lui régler la somme de 1 600 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance,
Subsidiairement,
– réduire les demandes d’indemnisation dans de notables proportions.
In limine litis, la société [7] soutient que l’action de M. [M] est prescrite dès lors que ce dernier, licencié pour inaptitude le 1er septembre 2015, n’a plus perçu d’indemnités journalières pour accident du travail à compter de cette date et qu’en conséquence, son action en reconnaissance de faute inexcusable, introduite le 6 septembre 2017, est prescrite.
À titre subsidiaire sur la demande de reconnaissance de faute inexcusable elle fait valoir :
– que M. [M] avait une longue expérience dans la livraison ;
– qu’il disposait dans le camion d’aides à la manutention et pouvait se faire aider par un collègue pour les objets lourds et volumineux (diable, chariot et plate-forme roulante) ;
– qu’il avait bénéficié d’une formation interne pour le port de matelas et de sommiers.
Au terme de ses premières conclusions notifiées par voie électronique le 5 juillet 2021, déposées le 16 septembre 2022 et reprises oralement à l’audience, M. [C] [M] demande à la Cour de :
– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
– débouter la société [7] de l’intégralité de ses demandes,
– condamner la société [7] à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens.
M. [M] soutient que son action introduite le 6 septembre 2017 n’est pas prescrite dès lors qu’en l’absence de notification de la décision reconnaissant le caractère professionnel de son accident du travail, la date de notification de l’attribution d’une rente, en l’espèce le 15 octobre 2015 (date de l’examen médical pour l’attribution des séquelles), constitue le point de départ de l’action.
Il ajoute qu’en tout état de cause, son action n’est pas prescrite aux motifs d’une part, qu’il a saisi la caisse primaire le 27 mars 2017, dans le cadre d’une procédure amiable en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur et que, d’autre part, il a saisi le 26 novembre 2015, le Conseil de Prud’hommes en contestation de son licenciement pour inaptitude.
Sur la faute inexcusable il relève qu’aucun document unique d’évaluation des risques professionnels n’avait été établi par l’entreprise, qu’il n’a reçu aucune formation spécifique.
De plus le médecin du travail avait émis le 2 juillet 2013 des réserves pour le port de charges lourdes devant se faire aider et il soutient que cette aide ne lui était accordée que pour le port de charges de plus de 100 kilos et que le jour de l’accident il devait livrer seul un matelas de 51 kilos et s’est coincé le dos en le tirant, sans matériel adapté.
À ce titre il fait remarquer que la société [7] dispose de trois camions et que les factures de matériels produites dont certaines sont postérieures à son accident du travail ne permettent pas de garnir chaque camion de matériel de manutention.
Au terme de ses demandes soutenues oralement à l’audience, la caisse primaire d’assurance maladie de l’Isère demande à la cour de condamner l’employeur en cas de confirmation de la faute inexcusable à lui rembourser les sommes dont elle aura fait l’avance, y compris les frais d’expertise, outre intérêts à compter de leur versement.
Pour le surplus de l’exposé des moyens des parties au soutien de leurs prétentions il est renvoyé à leurs conclusions visées ci-dessus par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
1. M. [M] a été victime d’un accident du travail le 9 juillet 2013 dont il a été déclaré consolidé le 1er août 2015 selon notification du 28 septembre 2015.
L’article L. 431-2 du code de la sécurité sociale dispose que les droits de la victime ou de ses ayants droit aux prestations et indemnités prévues par le livre IV du code de la sécurité sociale se prescrivent par deux ans à dater du jour de l’accident ou de la cessation du paiement de l’indemnité journalière.
Le point de départ du délai de prescription de l’action de M. [M] en reconnaissance de faute inexcusable se situe donc au 1er août 2015, date de cessation du versement des indemnités journalières.
L’article L. 452-4 du code de la sécurité sociale dispose :
‘À défaut d’accord amiable entre la caisse et la victime ou ses ayants droit d’une part, et l’employeur d’autre part, sur l’existence de la faute inexcusable reprochée à ce dernier, ainsi que sur le montant de la majoration et des indemnités mentionnées à l’article L 452-3, il appartient à la juridiction de la sécurité sociale compétente, saisie par la victime ou ses ayants droit ou par la caisse primaire d’assurance maladie d’en décider’.
La saisine de la caisse primaire d’assurance maladie par le salarié équivaut à la citation en justice visée à l’article 2241 du code civil et interrompt le délai de prescription.
Il n’est pas contesté par la SARL [7] que M. [M] a entamé auprès de la caisse primaire d’assurance maladie la procédure en reconnaissance de faute inexcusable le 28 mars 2017, pour saisir ensuite l’ex tribunal des affaires de sécurité sociale après échec de la tentative de conciliation le 6 septembre 2017.
Le délai de prescription biennal de l’article L. 431-2 du code de la sécurité sociale a donc été valablement interrompu le 28 mars 2017, puis à nouveau le 6 septembre 2017, de sorte que l’action en reconnaissance de faute inexcusable introduite par M. [M] n’est pas prescrite comme soutenu par la SARL [7].
2. En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité, notamment en ce qui concerne les accidents du travail et maladies professionnelles. Le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable au sens de l’article L. 452-1 du Code de la Sécurité Sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
M. [M] était salarié depuis le 1er septembre 2011 en qualité de chauffeur livreur de la SARL [7] exploitant sous l’enseigne LITRIMARCHE. Son activité consistait donc principalement à livrer aux clients des sommiers, matelas, banquettes, lits convertibles (‘clic-clac’ ou ‘BZ’), canapés-lits à leurs domiciles, pas toujours commodément accessibles.
Le 2 juillet 2013, le médecin du travail a formulé la recommandation suivante : ‘laisser la possibilité de se faire aider pour le port de charges lourdes’ et il est constant que l’accident du travail est survenu quelques jours après, le 9 juillet 2013, en tirant un matelas pesant 51 kilos.
La conscience par l’employeur du risque qui s’est réalisé est donc établie tant par la nature même des fonctions confiées au salarié qu’en tant que de besoin par une recommandation toute récente du médecin du travail.
S’agissant des mesures mises en oeuvre pour prévenir ce risque, la SARL [7] ne justifie pas dans ses 5 pièces versées aux débats d’actions concrètes antérieures à l’accident du travail et particulièrement d’aucune dans la période comprise entre cette recommandation et l’accident survenu à son salarié :
– le document unique d’évaluation des risques professionnels dans l’entreprise n’a été établi que près de deux années après l’accident soit le 30 juin 2015 ;
– contrairement à ce qu’elle soutient, la SARL [7] ne démontre pas avoir dispensé à M. [M] une quelconque formation aux gestes et postures adaptés à ses fonctions ;
– en fonction des factures d’achats qu’elle a produites, la SARL [7] disposait à l’époque de l’accident pour la manutention de 4 ‘diables’ et seulement 2 plate formes roulantes, soit un nombre insuffisant de plate formes pour équiper un nombre de 3 camions comme soutenu par M. [M] et non contesté par l’appelante, plate-forme roulante qui précisément évitait de tirer en force un objet pesant sur le sol.
Ainsi, la SARL [7] a manqué à son obligation tirée de l’article R. 4541-8 du code du travail selon lequel l’employeur fait bénéficier les travailleurs dont l’activité comporte des manutentions manuelles d’une formation adéquate à la sécurité relative à ces opérations. Au cours de cette formation essentiellement à caractère pratique, les travailleurs sont informés sur les gestes et postures à adopter pour accomplir en sécurité les manutentions manuelles ce qui n’a pas été le cas.
D’autre part l’article R. 4541-9 du même code dispose que : ‘lorsque le recours à la manutention manuelle est inévitable et que les aides mécaniques prévues au 2° de l’article R 4541-5 ne peuvent pas être mises en oeuvre, un travailleur ne peut être admis à porter d’une façon habituelle des charges supérieures à 55 kilogrammes qu’à condition d’y avoir été reconnu apte par le médecin du travail, sans que ces charges puissent être supérieures à 105 kilogrammes’.
En l’espèce l’intimé dont la fragilité au port de charges lourdes a été signalée par le médecin du travail a été chargé de livrer un matelas de 51 kilos d’un poids très voisin de la limite prévue à l’article R. 4541-9 du code du travail précité, sans qu’il ait bénéficié d’une quelconque aide pour cette manutention.
À ce titre le témoignage versé aux débats par l’appelante de M. [H] [Z]., ancien salarié, selon lequel ‘le livreur ne faisait pas toutes les livraisons seul, je l’accompagnais régulièrement notamment pour les produits volumineux (…)’, ne permet pas d’établir que ce 9 juillet 2013 précisément, il accompagnait M. [M] en l’absence de documents justificatifs plus probants tels que tableaux de service et bulletins de livraison établis ce jour là.
En conséquence, l’existence d’une faute inexcusable de la SARL [7] en relation de causalité avec l’accident du travail survenu à M. [M] doit être retenue.
Le jugement sera donc confirmé, sauf à rectifier l’erreur matérielle qui l’affecte en ce que la condamnation de la SARL [7] figurant dans ses motifs en page 7, à rembourser à la caisse primaire d’assurance maladie toutes les sommes dont elle aura fait l’avance, y compris les frais d’expertise outre les intérêts à compter de leur versement, n’a pas été reprise au dispositif de ce jugement qui seul a force exécutoire.
La SARL [7] succombant supportera les dépens.
Il parait équitable d’allouer à M. [M] la somme de 1 500 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire, en dernier ressort après en avoir délibéré conformément à la loi.
Confirme le jugement n° RG 17/01009 rendu le 27 novembre 2020 par le pôle social du tribunal judiciaire de Grenoble.
Y ajoutant,
Condamne la SARL [7] à rembourser à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de l’Isère les sommes dont elle aura fait l’avance, y compris les frais d’expertise, outre les intérêts à compter de leur versement.
Condamne la SARL [7] aux dépens d’appel.
Condamne la SARL [7] à verser à M. [C] [M] la somme de 1 500 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour frais irrépétibles d’appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. DELAVENAY, Président et par M. OEUVRAY, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président