Tentative de conciliation : 10 janvier 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/09460

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Tentative de conciliation : 10 janvier 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/09460
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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Chambre commerciale internationale

PÔLE 5 – CHAMBRE 16

ARRET DU 10 JANVIER 2023

(n° 6 /2023 , 15 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/09460 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDWER

Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Mars 2021 – Tribunal de Commerce de Paris RG n° 2019044220

APPELANTE

Société ECONOVA EUROPE, S.L.

société limitée (sociedad limitada) de droit espagnol , immatriculée au RCS de BARCELONE sous le numéro Tome 44450, Feuillet 97, Feuille B 456371 Inscription 1,

ayant son siège social : [Adresse 1] (ESPAGNE)

Ayant pour avocat postulant : Me Harold HERMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

Ayant pour avocats plaidants : Me Gabriel HANNOTIN et Me Bruno QUENTIN, de l’AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL, avocats au barreau de PARIS, toque : T03

INTIMEE

Société GAZEL ENERGIE GENERATION

anciennement UNIPER POWER et encore anciennement E.ON POWER

immatriculée au RCS de NANTERRE sous le n° 399 361 468

ayant son siège social : [Adresse 2]

prise en la personne de son représentant légal,

Ayant pour avocat constitué : Me Eric ALLERIT de la SELARL TAZE-BERNARD ALLERIT, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : P0241

Ayant pour avocat plaidant : Me Marie SONNIER-POQUILLON, du cabinet MSP AVOCATS, avocat plaidant du barreau de MONTPELLIER

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 10 Octobre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Daniel BARLOW, Président

Mme Fabienne SCHALLER, Conseillère

Mme Laure ALDEBERT, Conseillère

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l’audience par Mme Fabienne SCHALLER, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Najma EL FARISSI

ARRET :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– Daniel BARLOW, président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* *

*

I/ FAITS ET PROCEDURE

1. La cour d’appel est saisie de l’appel d’un jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris en date du 30 mars 2021 entre la société Econova Europe SL (ci-après « Econova »), société de droit espagnol, fournisseur de biomasse, combustible provenant de déchets végétaux, et la société Gazel Energie Génération (anciennement Uniper France Power, ci-après « Uniper »), producteur d’énergie exploitant la centrale de production d’énergie électrique de Gardanne (Provence), autrefois au charbon et reconvertie aux énergies renouvelables et notamment en unité de biomasse.

2. Les sociétés Econova et Uniper ont conclu le 20 mai 2015 un contrat d’approvisionnement et de fourniture en biomasse pour une durée de cinq ans soumis au droit français, qui a donné lieu à plusieurs renégociations, conduisant à la signature de quatre avenants successifs, portant à la fois sur les quantités de biomasse commandées mais aussi sur les quantités reportées ou annulées et sur les pénalités. Ce contrat comportait une annexe A qui prévoyait les quantités prévisionnelles annuelles que les parties s’engageaient à commander, et une annexe B qui fixait le prix à la tonne.

3.Il contenait une clause de résolution à l’amiable des litiges préalable à la saisine du tribunal de commerce de Paris.

4.A la suite de l’annonce du gouvernement faite le 27 novembre 2018 de la fermeture des centrales à charbon à échéance au 1er janvier 2022 et de la grève du personnel de la centrale de [Localité 3] à partir de décembre 2018, Uniper a indiqué à Econova le 14 février 2019 qu’en raison d’un cas de force majeure, elle suspendait sa production d’énergie renouvelable entre janvier et juillet 2019 et ne commandait pas la biomasse qu’elle s’était engagée à acquérir auprès d’Econova, ce que cette dernière a contesté par lettre du 11 mars 2019, exigeant le paiement des factures de commandes annulées. La société Uniper a réitéré la déclaration de force majeure par courriel du 22 mars 2019.

5.C’est dans ce contexte que la société Econova a fait assigner la société Uniper devant le tribunal de commerce de Paris, le 11 juin 2019, afin « d’acter la résiliation aux torts exclusifs d’UNIPER du contrat et demander le paiement des factures d’Econova et d’une indemnité de résiliation ».

6. Par jugement rendu le 30 mars 2021, le tribunal de commerce de Paris a déclaré l’action d’Econova recevable, rejeté la demande de communication de pièce d’Uniper et débouté la société Econova de sa demande d’exécution forcée de l’avenant n°4 au contrat de fourniture de biomasse par la société Uniper. Il a :

– prononcé la résiliation du contrat d’approvisionnement de biomasse du 20 mai 2015 au 14 septembre 2019 (sic);

– débouté la société ECONOVA EUROPE SL de toutes ses demandes d’indemnités ou autres ;

– débouté la société UNIPER FRANCE POWER devenue GAZEL ENERGIE GENERATION de ses demandes reconventionnelles ou autres ;

– condamné la société ECONOVA EUROPE SL à payer à la société UNIPER FRANCE POWER devenue GAZEL ENERGIE GENERATION la somme de 35.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– ordonné l’exécution provisoire de la décision ;

– condamné la société ECONOVA EUROPE SL aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 109,22 € dont 17,99 € de TVA.

7. La société Econova a interjeté appel de ce jugement par déclaration d’appel enregistrée le 19 mai 2021.

8. La clôture a été prononcée le 27 septembre 2022 en vue de l’audience de plaidoiries du 10 octobre 2022.

II/ PRETENTIONS DES PARTIES

9. Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 5 septembre 2022, (conclusions n°4) la société Econova demande à la cour, au visa des articles 1134, 1142, 1148 et 1315 du code civil ancien, des articles 1217, 1218, 1221 et 1353 du code civil en vigueur, de bien vouloir :

‘ JUGER Econova recevable et bien fondée en son appel ;

‘ CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a :

– «Débouté la société UNIPER FRANCE POWER devenue GAZEL ENERGIE GENERATION de sa demande de communication de pièces ;

– Débouté la société UNIPER FRANCE POWER devenue GAZEL ENERGIE GENERATION de sa demande d’irrecevabilité de l’action de la société ECONOVA EUROPE SL ;

– Jugé recevable la demande de la société ECONOVA EUROPE SL d’ordonner l’exécution forcée de l’avenant n°4 au contrat de fourniture de biomasse par la société UNIPER FRANCE POWER devenue GAZEL ENERGIE GENERATION ;

– Débouté la société UNIPER FRANCE POWER devenue GAZEL ENERGIE GENERATION de ses demandes reconventionnelles ou autres »

‘ L’INFIRMER pour le surplus ;

Statuant à nouveau,

1) À titre principal, sur l’exécution forcée des obligations pesant sur GazelEnergie Generation

‘ JUGER que GazelEnergie Generation a méconnu ses obligations au titre de l’Avenant n°4 ;

‘ JUGER que GazelEnergie Generation ne rapporte pas la preuve d’un événement de force majeure susceptible de l’affranchir de l’obligation de se conformer à ses obligations contractuelles.

En conséquence,

‘ CONDAMNER GazelEnergie Generation à exécuter ses obligations au titre de l’Avenant n°4 ;

‘ CONDAMNER ainsi GazelEnergie Generation à verser à Econova la somme de 4.939.000 euros, outre intérêts à parfaire selon les termes prévus par le Contrat.

2) À titre subsidiaire, sur l’application de « l’exit fee »

‘ JUGER que GazelEnergie Generation a manqué à ses obligations contractuelles de manière délibérée et répétée depuis le début du Contrat et plus particulièrement en 2018 et 2019 ;

‘ JUGER que les manquements contractuels de GazelEnergie Generation caractérisent une résiliation unilatérale de fait du Contrat conclu le 20 mai 2015, et de ses avenants, par GazelEnergie Generation ;

En conséquence,

‘ CONDAMNER GazelEnergie Generation à verser à Econova le montant dû au titre de l’exit fee, contractuellement prévu en cas de résiliation unilatérale du contrat par GazelEnergie Generation, soit 2.500.000 euros.

3) À titre infiniment subsidiaire, sur la demande de résiliation du Contrat aux torts de GazelEnergie Generation

‘ JUGER que GazelEnergie Generation a manqué à son obligation contractuelle de payer les sommes qu’elle doit à Econova ;

En conséquence,

‘ PRONONCER la résiliation du contrat à la demande d’Econova du fait des manquements contractuels de GazelEnergie Generation ;

‘ CONDAMNER GazelEnergie Generation à verser à Econova la somme de 4.939.000 euros au titre de l’indemnisation du préjudice résultant des manquements contractuels de GazelEnergie Generation.

4) En tout état de cause

‘ DEBOUTER GazelEnergie Generation de son appel incident ;

‘ DEBOUTER GazelEnergie Generation de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

‘ CONDAMNER GazelEnergie Generation à payer à Econova la somme de 75.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

‘ CONDAMNER GazelEnergie Generation aux entiers dépens, de première instance et d’appel.

10. Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 29 juillet 2022, (conclusions d’intimée n°3) la société GazelEnergie demande à la cour, au visa des articles 9, 32-1 et 122 du code de procédure civile, des articles 1131, 1134, 1152, 1142, 1147, 1148, 1184, 1315 (nouvellement 1103, 1218, 1224, 1228, 1231-1, 1231-5 et 1353) du code civil et du principe de l’estoppel, de bien vouloir :

‘ CONFIRMER Le jugement entrepris en ce qu’il a :

– PRONONCE la résiliation du contrat d’approvisionnement de biomasse du 20 mai 2015 avec effet au 14 février 2019.

– DEBOUTE la société ECONOVA EUROPE de l’ensemble de ses demandes.

– CONDAMNE la société ECONOVA EUROPE à payer à la société GAZELENERGIE GENERATION une indemnité d’un montant de 35 000 euros en couverture de ses frais irrépétibles et aux dépens.

” L’INFIRMER pour le surplus et, statuant a nouveau :

A titre prealable sur les fins de non recevoir :

‘ RECEVOIR les fins de non-recevoir opposées par la société GAZELENERGIE GENERATION.

‘ PRONONCER l’irrecevabilité de l’ensemble des demandes de la société ECONOVA EUROPE, faute pour cette dernière d’avoir respecté la procédure de conciliation prévue au contrat.

‘ PRONONCER l’irrecevabilité de l’ensemble des demandes de la société ECONOVA EUROPE, car empreintes de contradictions et de mauvaise foi.

Sur le fond :

Sur les demandes de la société ECONOVA EUROPE :

A titre principal :

‘ DEBOUTER la société ECONOVA EUROPE de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions en toutes fins qu’elles comportent.

A titre subsidiaire :

‘ RAMENER les demandes de la société ECONOVA EUROPE à de plus justes proportions et raisonnablement à l’euro symbolique.

Sur les demandes de la societe gazelenergie generation :

‘ CONDAMNER la société ECONOVA EUROPE à payer à la société GAZELENERGIE GENERATION la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en raison des manquements commis à ses obligations contractuelles.

‘ CONDAMNER la société ECONOVA EUROPE à payer à la société GAZELENERGIE GENERATION une indemnité d’un montant de 15 000 euros pour procédure abusive.

En toute hypothèse :

‘ CONDAMNER la société ECONOVA EUROPE à payer à la société GAZELENERGIE GENERATION la somme de 50 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile en cause d’appel.

‘ CONDAMNER la société ECONOVA EUROPE aux entiers dépens de première instance et d’appel dont le recouvrement sera poursuivi par la SELARL TAZE-BERNARD ALLERIT, conformément à l’article 699 du Code de procédure civile.

III/ MOTIFS DE LA DECISION

– Sur les fins de non-recevoir

11. GazelEnergie (Uniper) soutient que les demandes de la société Econova sont irrecevables pour non-respect de la clause obligatoire de conciliation préalable contenue à l’article 29 du contrat.

12. Elle indique que la société Econova a délivré une assignation le 11 juin 2019, sans notification du litige et sans mise en demeure préalable, sollicitant « d’acter la résiliation du contrat » avec effet immédiat et demandant le paiement des factures et indemnités de retard. Elle soutient qu’en l’absence de notification préalable du litige, et notamment de tentatives de négociations pendant une durée d’au moins 30 jours avant d’engager toute démarche judiciaire, l’action d’Econova est irrecevable.

13. Elle indique que la clause est suffisamment précise et prévoit bien des conditions particulières de mise en ‘uvre pour caractériser un préalable de conciliation obligatoire, conditions qui n’ont pas été respectées, la lettre du 11 mars 2019 envoyée par Econova en réponse à la déclaration de force majeure ne constituant pas un engagement de possibles négociations, ni les messages échangés par WhatsApp en janvier avec un salarié d’Uniper, ces échanges portant uniquement sur la demande d’Uniper de réduire le montant de ses commandes par rapport à son obligation contractuelle et non sur la résiliation du contrat, le salarié n’ayant en outre aucun pouvoir de négocier.

14. Elle soutient qu’il s’agit d’une clause de conciliation obligatoire, peu important qu’un tiers soit impliqué ou non et que l’objet de la tentative d’accord amiable et l’objet du litige doivent être les mêmes pour que la clause de conciliation préalable soit respectée.

15. GazelEnergie fait en outre valoir que la société Econova s’est contredite de façon flagrante et déloyale en cours de procédure, puisqu’elle a dans un premier temps pris l’initiative de résilier le contrat avec effet immédiat en application de la clause résolutoire et a demandé au tribunal « d’acter cette résiliation » et de lui allouer une indemnisation de sortie au titre des conséquences de la résiliation, alors qu’elle a ensuite radicalement changé de position, formulant une demande d’exécution forcée du contrat en soutenant que celui-ci serait toujours en vigueur alors que le contrat était résilié, et modifiant ses demandes en paiement de factures et d’indemnisation, ce qui est une contradiction flagrante au détriment d’Uniper, constitutive d’un estoppel.

16. Elle considère en effet que ce changement de position d’Econova fait de mauvaise foi l’a induite en erreur sur ses intentions et lui a nuit, car dès l’assignation, la société Econova a, de fait, arrêté de respecter ses propres obligations, considérant le contrat comme rompu et demandé le paiement de l’indemnité de sortie « exit fee ». Elle en conclut que les demandes résultant d’une telle contradiction sont irrecevables par application du principe de l’estoppel.

17. En réponse, Econova considère que l’article 29 du contrat ne constitue pas une obligation de conciliation préalable obligatoire mais une clause de règlement amiable, dès lors qu’elle ne prévoit pas les conditions et modalités de sa mise en ‘uvre, qu’elle ne prévoit pas l’implication d’un tiers et qu’elle ne prévoit pas de sanction, sa méconnaissance ne pouvant être sanctionnée par une fin de non-recevoir.

18. Elle affirme en outre avoir respecté les termes de cette clause, le différend opposant les parties sur l’exécution du contrat ayant été notifié à plusieurs reprises et ce dès janvier 2019 et fait l’objet d’une recherche de résolution amiable à travers de multiples échanges écrits et oraux avant l’introduction de l’instance, comme cela résulte d’échanges par Whatsapp en janvier 2019. Elle indique avoir fait une notification formelle du litige le 11 mars 2019, contestant la force majeure invoquée et invitant Uniper à reconsidérer sa position, et l’avoir mise en demeure d’exécuter ses obligations et de lui régler sa dernière facture, tout en indiquant qu’elle se verrait contrainte d’agir en justice si elle persistait à méconnaitre ses obligations, ce qui justifie suffisamment la mise en ‘uvre de l’article 29 du contrat.

19. Elle conteste toute contradiction de sa part dans ses demandes et rejette l’application du principe de l’estoppel à son égard. Elle rappelle que l’objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant et fait valoir que la résiliation judiciaire d’un contrat et son exécution forcée sont nécessairement liées.

20. Elle affirme que sa demande principale en exécution forcée est recevable en ce qu’elle constitue une demande additionnelle se rattachant à sa demande originaire d’acter la résolution du contrat.

21. Elle indique que toutes ses demandes ont toujours eu pour objet de sanctionner l’inexécution de ses obligations par Uniper et qu’elle n’a fait qu’exercer l’option qui lui est offerte par l’article 1217 du code civil, sa demande principale étant simplement devenue subsidiaire. Elle conteste avoir jamais mis en ‘uvre la clause résolutoire stipulée au contrat dont l’effet n’est pas automatique, nécessitant d’être demandée et prononcée. Elle soutient que le contrat était donc toujours en vigueur aussi longtemps que la résiliation n’avait pas été prononcée par le tribunal et qu’Uniper n’a pas été induite en erreur à son détriment du fait des demandes successivement formées par Econova qui ne se contredisent pas mais se succèdent.

Sur ce,

22. Conformément à l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée, cette liste n’étant pas limitative.

Sur l’obligation de conciliation préalable

23. Il est constant que la clause d’un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge constitue une fin de non-recevoir qui s’impose au juge si les parties l’invoquent.

24. En l’espèce, les parties étaient convenues d’une clause contenue à l’article 29 du contrat aux termes de laquelle :

« Les Parties poursuivront une résolution à l’amiable de tout litige concernant la formation, l’exécution ou l’interprétation du Contrat. En l’absence d’un accord à l’amiable dans les trente (30) jours ouvrables suivant la notification du litige envoyée par l’une des Parties à l’autre Partie, le litige sera porté devant la juridiction du Tribunal de Commerce de Paris par la première partie qui le ferait ».

25. Il résulte des termes de ladite clause que les parties sont convenues d’une phase préalable de résolution à l’amiable du litige, cette phase amiable étant rendue impérative par le terme « poursuivront » qui ne laisse pas de marge d’appréciation, et que ce n’est qu’en l’absence d’accord amiable dans les « 30 jours ouvrables suivant la notification du litige envoyée par l’une des parties à l’autre partie », que le litige pourra être porté devant la juridiction du tribunal de commerce de Paris.

26. Selon la clause, la notification du litige doit être « envoyée », ce qui écarte les notifications orales, mais permet toute forme de correspondance entre les parties telle que des courriels, messages par WhatsApp ou Sms, dès lors qu’ils contiennent une « notification du litige » et ouvrent la phase de résolution amiable de 30 jours.

27. Il y a lieu par conséquent de retenir que la clause litigieuse institue une procédure de résolution à l’amiable obligatoire et préalable à la saisine du juge dont le non-respect est sanctionné par l’article 122 du code de procédure civile.

28. S’agissant du champ d’application de la clause, il résulte de ses termes que « Les Parties poursuivront une résolution à l’amiable de tout litige concernant la formation, l’exécution ou l’interprétation du Contrat ».

29. Selon les termes de l’assignation, le litige porté le 11 juin 2019 devant le tribunal de commerce a pour objet, selon la déclaration de force majeure d’Uniper en date du 14 février 2019, d’ « acter la résiliation immédiate du Contrat signé le 20 mai 2015 aux torts exclusifs d’Uniper » et de « condamner Uniper à payer à Econova une somme de 2.500.000 euros en application de la clause de droit de sortie (« exit fee ») » outre « une somme de 467.659 € au titre de quatre factures impayées » et des pénalités de retard.

30. Il appartenait par conséquent à la société Econova de notifier ledit litige à la société Uniper aux fins d’engager la phase amiable convenue par les parties.

31. Il résulte des pièces versées aux débats que :

– La société Uniper a par un courrier daté du 14 février 2019, indiqué à la société Econova qu’elle l’informait « qu’en raison de circonstances au-delà de notre contrôle découlant d’une grande grève dans la centrale électrique Provence d’Uniper en France, Uniper France Power SAS doit déclarer une situation de Force Majeure dans le cadre du contrat de fourniture de copeaux existant, daté du 20 mai 2015 (tel que modifié ou complété périodiquement), «le Contrat », indiquant qu’en raison de cette situation de force majeure elle devait « annuler les prochaines fournitures de biomasse planifiées dans le cadre du Contrat ».

– Par lettre RAR du 11 mars 2019, la société Econova a contesté la force majeure invoquée par la société Uniper rappelant l’article 24.3 du contrat concernant les circonstances prévues contractuellement pour la force majeure. Par ce même courrier, elle a indiqué « en envoyant cette fausse déclaration de force majeure à Econova, il nous semble qu’Uniper France agit à nouveau en mauvaise foi » et elle a mis en demeure la société Uniper de payer la somme de 92.000 € correspondant aux factures de commandes annulées pour janvier et février 2019 telles que renégociées par l’avenant n°4, précisant qu’en cas de non-paiement ou de violation de ses obligations contractuelles, elle mandaterait ses avocats en France « pour engager à nouveau des actions judiciaires immédiates » (la société Econova rappelant dans ce même courrier qu’elle avait engagé en 2018 deux actions en référé contre la société Uniper lui permettant d’obtenir des paiements partiels).

– Par courriel en date du 22 mars 2019, la société Uniper a réitéré qu’elle se trouvait dans une situation de force majeure en raison de la grève de la centrale de [Localité 3].

– Par courrier en date du 5 avril 2019, la société Econova a indiqué devoir demander restitution de sa garantie à première demande pour le paiement de la somme de 450.000 €, compte tenu de la résiliation du contrat.

32. Il résulte en outre des échanges par WhatsApp entre un salarié d’Uniper, M. [D] [C], et un représentant d’Econova, M. [W] [I], courant janvier 2019, et d’un courriel envoyé par Econova à M. [C] le 24 janvier 2019, qu’une réunion s’est tenue avec ce dernier à [Localité 4] le 22 janvier 2019 au cours de laquelle ont été évoquées « trois options pour faire face à la situation d’incertitude qui se présente autour de la PB4 » (suite à l’arrêt de l’unité de biomasse Provence 4), la société Econova résumant ces options et demandant à M. [C] de lui transmettre les commentaires de la société Uniper entre les trois options soit :

1. « la continuation de l’avenant n°4 tel quel »,

2. « la suspension temporaire de 6 mois », et

3. « la résiliation du contrat» et le paiement d’un « exit fee ».

33. Il résulte de ces échanges que les options qui ont été évoquées oralement au cours de la réunion le 22 janvier 2019 et confirmées par courriel du 24 janvier 2019 ont cristallisé le litige entre les parties sur ces points et que ce courriel peut être considéré comme une notification de litige au sens de la clause litigieuse, ouvrant une période de négociation pour solliciter les commentaires d’Uniper, ce qui permet de considérer que la phase de conciliation préalable a commencé à courir à partir du 24 janvier 2019, même avant la déclaration de force majeure, les échanges postérieurs ne venant que compléter cette notification et caractérisant la tentative de conciliation préalable relative à une éventuelle rupture du contrat, les parties ayant expressément envisagé la résiliation du contrat, et la société Uniper refusant de payer une indemnité de sortie.

34. S’agissant des demandes en paiement des factures et pénalités, et des demandes reconventionnelles de la société Uniper au titre de la force majeure, celles-ci font partie du courrier d’Econova du 11 mars 2019 en réponse à la déclaration de Force majeure d’Uniper.

35. Les conditions de la clause de conciliation préalable fixées conventionnellement étant remplies, la fin de non-recevoir devra dès lors être rejetée.

36. La décision des premiers juges sera dès lors confirmée sur ce point, par motifs propres.

Sur l’estoppel

37. Il est constant que nul ne peut se contredire au détriment d’autrui (principe de l’estoppel). Il faut toutefois que le comportement procédural d’une partie à laquelle la fin de non-recevoir est opposée au titre du principe de l’estoppel soit constitutif d’un changement de position, en droit, de nature à induire l’adversaire en erreur sur ses intentions, et que ce comportement ou cette déclaration par l’autre partie, s’accompagne d’un détriment pour la seconde partie ou d’un avantage pour la première.

38. En l’espèce, il résulte de la procédure, que la société Econova a modifié ses demandes après avoir pris connaissance des moyens d’irrecevabilité soulevés par Uniper, qu’elle a par conclusions du 9 décembre 2019 demandé à titre principal l’exécution forcée du contrat au titre de l’avenant n°4 et contesté l’exception de force majeure invoquée, demandant la condamnation d’Uniper à exécuter ses obligations en payant la somme de 4.795.000 euros, outre intérêts à parfaire.

39. Elle a demandé à titre subsidiaire la résiliation du contrat aux torts exclusifs d’Uniper et le paiement de l’indemnité de sortie (« exit fee ») à hauteur de 2.500.000 €. A titre très subsidiaire, elle a demandé la résiliation du contrat du fait des manquements contractuels d’Uniper et sa condamnation à lui payer une somme de 4.795.000 euros au titre de l’indemnisation de son préjudice.

40. Il résulte des articles 4 et 70 du code civil qu’une partie peut modifier ses prétentions originaires et formuler des demandes incidentes ou reconventionnelles. En l’espèce, la société Econova a clairement utilisé les options qui sont désormais prévues à l’article 1217 du code civil lui permettant de choisir entre l’exécution forcée et la demande de résolution avec dommages et intérêts, ces demandes n’étant pas par nature contradictoires, quand bien même il en résulterait un changement de posture

41. Il y a lieu par conséquent de rejeter la fin de non-recevoir invoquée par application du principe de l’estoppel.

42. La décision des premiers juges sera par conséquent confirmée sur ce point.

Sur le fond

– Sur la rupture du contrat et la force majeure

43. Econova soutient qu’Uniper n’a jamais respecté son engagement de commander 100.000 tonnes de biomasse annuelles comme prévu, que l’avenant n°4, signé le 27 novembre 2018, avait pour objet d’aménager les modalités d’exécution de cet engagement et précisait l’indemnisation due par Uniper en cas d’inexécution de ses obligations. Elle indique que peu de temps après avoir signé cet avenant, Uniper a annoncé qu’elle n’exécuterait pas ses obligations au premier semestre, et ce en raison de la perte de son tarif de rachat très avantageux subventionné par l’Etat et de l’arrêt de la centrale pour travaux ou pour des problèmes techniques et que ce n’est que très opportunément qu’Uniper a invoqué en février 2019 la force majeure due à la grève sur le site de [Localité 3], ce qu’Econova a contesté, dès lors qu’il y avait déjà eu de multiples mouvements de grève qui se sont succédés et accélérés à compter de l’annonce en 2017 de la fermeture des centrales à charbon.

44. Elle ajoute que l’article 23.1 du contrat ne permet pas à Uniper de justifier l’inexécution pour force majeure de ses obligations tirées de l’Avenant n°4, que la grève invoquée par Uniper était prévisible et qu’elle ne l’empêchait pas d’exécuter ses obligations.

45. Par ailleurs, Econova soutient qu’Uniper ne rapporte par la preuve de la force majeure invoquée, qu’elle s’est engagée en signant l’avenant n°4 en connaissance de cause et que la grève du site de [Localité 3] n’était pas la cause directe de l’inexécution de ses obligations.

46. Elle en a conclu tout d’abord qu’une résiliation unilatérale du Contrat est intervenue aux torts exclusifs d’Uniper du fait de la cessation par Uniper de l’exécution de ses obligations, de sorte que doit être allouée à Econova l’indemnité de sortie du contrat figurant à la clause d’exit fee, clause de dédit prévue à l’article 27 du Contrat. Elle a ensuite demandé à titre principal d’ordonner l’exécution forcée du contrat, sur le fondement de l’article 1217 nouveau du code civil.

47. A titre infiniment subsidiaire, Econova fait valoir qu’elle est fondée à solliciter de la cour la résiliation judiciaire du Contrat en raison de la violation par Uniper de ses obligations et en application de l’article 20.2 du Contrat, et l’indemnisation de son préjudice en résultant.

48. En réponse, Uniper affirme que la grève du site de [Localité 3] constitue un cas de force majeure tel que défini par les parties à l’article 23.1 du contrat, l’irrésistibilité étant totale. Elle indique que la grève avait une ampleur et une durée qui n’avait rien à voir avec les précédentes, le site ayant été bloqué pendant presque deux ans. Elle soutient que le critère de l’imprévisibilité n’a pas vocation à s’appliquer, dès lors que les parties ne l’ont pas repris comme condition contractuelle, indépendamment du fait que l’avenant n°4 ne prévoit aucun aménagement particulier pour la force majeure.

49. Uniper soutient que quels que soient les critères retenus pour l’appréciation de la force majeure, la grève des salariés de la Centrale Provence constitue incontestablement en l’espèce un cas de force majeure et qu’il s’agit de l’évènement à l’origine de son empêchement d’exécuter ses obligations. Elle indique que c’est bien l’obligation de passer les commandes et réceptionner la matière qui n’a pas pu être réalisée par Uniper en raison de la grève et du blocage consécutif total de la centrale, ses stocks étant par ailleurs déjà pleins.

50. Elle indique qu’elle n’a jamais perdu ses tarifs de rachat et qu’elle bénéficie toujours du contrat d’obligation d’achat conclu avec EDF et que la réalisation de travaux, courante dans la vie d’une centrale, ne permet pas d’occulter la réalité de la grève et de la force majeure. Par ailleurs, Uniper affirme avoir respecté la procédure de déclaration de force majeure. Elle a informé la société Econova par lettre du 14 février 2019.

51. En conséquence, Uniper demande que la résiliation du contrat soit prononcée à l’initiative de la société Econova avec effet à la date de déclaration de la force majeure soit le 14 février 2019. Elle s’oppose à la demande d’exécution forcée qui est rendue impossible par l’effet de la force majeure.

52. Sur la demande subsidiaire de résiliation unilatérale du contrat, Uniper soutient que la résiliation du contrat est intervenue du fait de l’assignation d’Econova en date du 11 juin 2019 et que la clause d’exit fee prévue à l’article 27 du contrat est une clause de dédit, qui n’a donc pas vocation à s’appliquer au présent litige, dès lors qu’Uniper n’est pas à l’initiative de la résiliation du contrat. Par ailleurs, elle affirme que cette clause n’est à tout le moins pas applicable en cas de force majeure.

53. S’agissant de la demande de résiliation du contrat aux torts d’Uniper formulée par Econova à titre infiniment subsidiaire, Uniper conteste le caractère sérieux des moyens d’Econova et relève que cette demande est de toute façon inopportune en raison de l’existence d’un cas de force majeure.

54. Elle sollicite la condamnation de la société Econova à des dommages intérêts pour procédure abusive.

Sur ce,

55. En matière contractuelle, selon l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, applicable en l’espèce, le débiteur est condamné au paiement de dommages-intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.

56. Aux termes de l’article 1148 du code civil ancien applicable au litige (remplacé aujourd’hui par l’article 1218 du code civil), il n’y a lieu à aucun dommage et intérêt lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit.

57. Selon les critères retenus par la jurisprudence antérieure à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, seul un événement présentant un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution est constitutif d’un cas de force majeure.

58. Les parties peuvent toutefois aménager ces critères qui doivent dès lors être appréciés à la date à laquelle ils ont été aménagés.

59. En l’espèce, il résulte de l’article 23.1 du contrat signé le 20 mai 2015:

« 23.1 Cas de Force Majeure

« Les Parties seront libérées de leurs obligations en vertu du présent Contrat si, dans la mesure et tant qu’un événement ou un cas de Force Majeure existe. Un cas de « Force Majeure » se réfère à un événement au-delà du contrôle raisonnable de la Partie qui l’invoque (la « Partie Affectée »), qu’elle n’aurait pu éviter ou contourner raisonnablement en respectant les Bonnes Pratiques couramment utilisées dans le secteur, et qui empêche la Partie Affectée de remplir totalement ou partiellement ses obligations en vertu du présent Contrat.

Par exemple, un cas de Force Majeure peut inclure mais n’est aucunement limité aux événements suivants :

(‘) iv) Grève, lock-out ou toute action ou perturbation similaire. »

60. Contrairement à ce que soutient la société Econova, l’imprévisibilité n’est pas retenue par les parties comme condition pour pouvoir invoquer la force majeure, les parties ayant expressément défini la force majeure comme un « événement au-delà du contrôle raisonnable de la partie qui l’invoque, qu’elle n’aurait pu éviter ou contourner raisonnablement en respectant les bonnes pratiques couramment utilisées dans le secteur », ce qui correspond au critère de l’irrésistibilité. Ce faisant, elles ont donc renoncé à exiger que l’événement allégué soit imprévisible, la grève étant expressément listée parmi les cas possibles de force majeure sans aucune autre condition.

61. Dès lors, le fait qu’il était probable que des grèves aient lieu lors de la négociation de l’avenant n°4 n’est pas exclusif de la force majeure, mais fait partie des éléments pris en considération par les parties pour ne pas exclure les grèves de la définition de la force majeure.

62. Cela est d’autant plus vrai que les parties ont renégocié auparavant un avenant n°3 le 17 août 2016 par lequel elles avaient expressément écarté la possibilité de retenir la grève comme une cause de force majeure pour une durée limitée à quelques mois, entre la signature de l’avenant et la fin novembre 2016.

63. Les parties n’ont jamais modifié l’article du contrat relatif à la force majeure dans les autres avenants, et elles ont rappelé que pour toutes les dispositions du contrat qui n’étaient pas modifiées, celles-ci demeuraient inchangées. L’article 23.1 du contrat est donc resté applicable pendant toute la durée du contrat, à l’exception de la période visée par l’avenant n°3.

64. C’est dès lors vainement que la société Econova s’oppose à la qualification de force majeure retenue en indiquant que la grève était prévisible, ce critère étant inopérant en l’espèce.

65. S’agissant de l’irrésistibilité, il y a lieu d’appliquer la définition retenue par les parties et rappelée ci-dessus.

66. En l’espèce, il résulte des pièces versées aux débats que même si la grève était annoncée, suite aux déclarations du Gouvernement sur la fermeture des centrales à charbon, la société Uniper n’avait aucun moyen de l’éviter, de la retarder ou de l’empêcher, indépendamment des bonnes pratiques du secteur, la décision à l’origine de la grève appartenant aux syndicats et résultant d’une décision politique. Il ne peut être soutenu qu’Uniper aurait pu se libérer de ses obligations de commande, de report ou de stockage en s’acquittant des indemnités convenues entre les mains d’Econova, alors qu’elle était empêchée de commander en raison de l’arrêt de la centrale du fait de la grève. La grève annoncée allait par conséquent au-delà du contrôle que pouvait raisonnablement faire Uniper et ne pouvait être évité par des compensations économiques.

67. Il ne peut en outre être valablement opposé pour contester la force majeure que la grève n’aurait pas totalement paralysé le site, cette condition n’étant pas un des éléments constitutifs de la force majeure, l’empêchement de remplir ses obligations suffisant, ce qui était le cas en l’espèce, ainsi que cela résulte suffisamment des pièces versées aux débats et notamment des constats d’huissier et des articles de presse, la grève ayant duré au-delà du terme prévu par le contrat.

68. C’est dès lors par des motifs précis et circonstanciés que la cour adopte que les premiers juges ont retenu que la force majeure était caractérisée.

69. La société Econova soutient encore que la force majeure aurait été instrumentalisée par Uniper qui, en réalité, aurait profité de la grève pour dissimuler ses propres difficultés, et notamment le fait qu’elle aurait perdu le bénéfice du tarif subventionné dont elle bénéficiait et qu’elle produisait à perte, ce qui serait à l’origine de l’inexécution par Uniper de son obligation contractuelle de commande et de paiement.

70. Or, quand bien même d’autres éléments auraient pu intervenir dans la décision d’Uniper de suspendre les commandes, le rôle causal et la réalité de tels éléments ne sont pas établis, la perte des tarifs n’étant pas justifiée et les échanges par WhatsApp entre deux salariés en janvier 2019 étant insuffisants pour rapporter la preuve d’une autre cause que la grève, le fait qu’Uniper ait fait des travaux faisant partie de son fonctionnement normal. De plus, la situation de force majeure a perduré et a été expressément reconnue par une lettre du ministère de la transition énergétique en date du 23 juin 2022 qui rappelle l’antériorité de la grève et lui reconnait le caractère de force majeure, confirmant l’annulation des pénalités pour la période du 1er juillet 2020 au 14 avril 2022.

71. Compte tenu de l’environnement politique extrêmement tendu et justifié par les pièces versées aux débats, et compte tenu de la durée particulièrement longue de la grève, c’est à tort que la société Econova soutient qu’aucune grève ne serait intervenue si Uniper était parvenue à faire fonctionner l’unité biomasse correctement, si elle n’avait pas eu à faire de travaux et si elle n’avait pas perdu son tarif de rachat.

72. La déclaration de force majeure du 14 février 2019 ne peut être considérée comme tardive au regard de l’ensemble de ces éléments, et notamment de l’absence de durée prévisible de la grève. Il ne peut être reproché à la société Uniper d’avoir attendu pour prendre en compte la réalité de la situation sociale après les annonces du gouvernement.

73. La preuve de la force majeure étant rapportée, c’est à juste titre que les premiers juges ont retenu son caractère libératoire, au regard de l’ensemble des obligations contractuelles de la société Uniper, cette dernière étant exonérée de toutes ses obligations contractuelles à compter de la date de prise d’effet de la déclaration de force majeure.

74. Il y a lieu par conséquent de confirmer la décision des premiers juges sur ce point et de débouter la société Econova de toutes ses demandes.

– Sur la demande reconventionnelle de résiliation pour force majeure

75. La société Uniper demande que la cour prononce la résiliation du contrat, sans indemnité ni pénalité, ce dernier n’ayant pu se poursuivre jusqu’à son terme pour cause de force majeure.

76. La société Econova conteste la force majeure invoquée pour solliciter une telle résiliation.

77. Compte tenu des motifs susénoncés et de ceux des premiers juges que la cour adopte, il y a lieu d’y faire droit, la grève étant avérée et reconnue comme ayant empêché la société Uniper d’exécuter ses obligations à compter de la déclaration de force majeure et la grève s’étant poursuivie au-delà du terme qui était fixé au 24 septembre 2020.

78. La résiliation du contrat sera dès lors prononcée à la date de la déclaration de force majeure, soit le 14 février 2019.

79. La décision des premiers juges sera confirmée sur ce point, mais rectifiée en mentionnant la date du 14 février 2019 et non celle, erronée par l’effet d’une erreur matérielle, du 14 septembre 2019.

– Sur les autres demandes reconventionnelles d’Uniper

80. La société Uniper demande en outre une indemnité pour manquement, par la société Econova, à son obligation de loyauté dans l’exécution du contrat. Elle soutient qu’en refusant de renégocier le montant des quantités annuelles alors qu’il a été avéré dès les premiers mois d’exécution du contrat qu’elles n’étaient pas tenables, qu’en faisant pression sur Uniper pour la forcer à consentir à des solutions peu avantageuses pour elle et en réclamant diverses indemnités, elle avait manqué à son devoir de loyauté. Elle demande également une indemnisation pour procédure abusive.

81. La société Econova fait valoir que les avenants ont tous été renégociés librement, et qu’aucune obligation de renégociation ne pesait sur Econova. Elle soutient que c’est Uniper qui n’a cessé de méconnaître ses obligations contractuelles, alors qu’elle avait une surface financière supérieure à celle d’Econova. Elle fait enfin valoir qu’elle n’était pas le seul fournisseur à avoir engagé une action judiciaire à l’égard d’Uniper, cette dernière ayant provisionné une somme de 26 M € pour couvrir les risques pécuniaires résultant des litiges qu’elle avait en cours. Elle indique qu’elle n’a fait que défendre ses droits face aux violation répétées du contrat commises par Uniper.

82. Mais outre qu’il n’est pas établi que les avenants signés depuis la conclusion du contrat aient fait l’objet de pressions de la part de la société Econova, les échanges de courriels ou les échanges par WhatsApp ainsi que la réunion de janvier 2019 démontrant au contraire un dialogue entre les parties, Uniper ne justifie pas que l’équilibre des négociations ait été rompu, ce d’autant que chaque avenant permettait au contraire de mettre un terme aux difficultés précédentes rencontrées par les parties et qu’à plusieurs reprises Uniper a déjà pu faire valoir ponctuellement des difficultés liées à des grèves précédentes ou à des circonstances particulières. De plus, le manque de loyauté allégué n’a fait l’objet d’aucune mention ni contestation jusqu’à la présente procédure. Il y a lieu de débouter la société Uniper de ses demandes à ce titre.

83. Enfin, il ne résulte d’aucun élément que la procédure engagée par la société Econova serait constitutive d’un abus dans l’exercice du droit d’agir en justice ou procèderait d’une intention de nuire.

84. La procédure ne saurait dans ces conditions être regardée comme abusive, de sorte que les demandes à ce titre doivent être rejetées.

85. La décision des premiers juges sera confirmée sur ces points.

Sur les frais et dépens

86. La société Econova qui succombe, sera condamnée aux dépens, conformément à l’article 696 du code de procédure civile.

87. L’équité commande de faire droit à la demande de la société Uniper au titre de l’article 700 du code de procédure civile et de lui allouer à ce titre la somme de 50.000 euros.

IV/

PAR CES MOTIFS

1.Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris en date du 30 mars 2021, en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a, par l’effet d’une erreur matérielle, mentionné la date de prise d’effet de la résiliation au 14 septembre 2019.

Statuant à nouveau sur ce point,

2. Fixe la résiliation du contrat d’approvisionnement de biomasse du 10 mai 2015 au 14 février 2019 ;

3.Condamne la société Econova au entiers dépens et à payer à la société GazelEnergie (Uniper) la somme de 50.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE, LE PRÉSIDENT,

 


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