Tentative de conciliation : 12 janvier 2023 Cour d’appel de Poitiers RG n° 21/00262

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Tentative de conciliation : 12 janvier 2023 Cour d’appel de Poitiers RG n° 21/00262
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PC/LD

ARRET N° 06

N° RG 21/00262

N° Portalis DBV5-V-B7F-GFTT

[J]

C/

CPAM DE LA CORREZE

Société [7]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE POITIERS

Chambre Sociale

ARRÊT DU 12 JANVIER 2023

Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 décembre 2020 rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de TULLE

APPELANT :

Monsieur [P] [J]

né le 07 Septembre 1984 à [Localité 10] (19)

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Franck DELEAGE de la SELARL Franck DELAGE, avocat au barreau de BRIVE

INTIMÉES :

CPAM DE LA CORREZE

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représentée par Mme [K] [T], munie d’un pouvoir

Société [7]

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentée par Me Philippe PASTAUD de la SELARL PASTAUD – WILD PASTAUD – ASTIER, avocat au barreau de LIMOGES

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de Procédure Civile, les parties ou leurs conseils ne s’y étant pas opposés, l’affaire a été débattue le 11 Octobre 2022, en audience publique, devant :

Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président qui a présenté son rapport

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président

Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente

Monsieur Jean-Michel AUGUSTIN, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lionel DUCASSE

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– Signé par Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, et par Monsieur Lionel DUCASSE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LES FAITS – LA PROCEDURE

Le 26 décembre 2012, M. [P] [J], salarié (préparateur de commandes) de la S.A. [9] a été victime d’un accident du travail dont la déclaration, établie le 27 décembre 2012 précisant qu’il est survenu sur le quai d’un client, M. [J], en voulant dégerber une machine à laver, ayant ressenti une douleur dans le dos.

Cet accident a été pris en charge par la CPAM de Corrèze au titre de la législation sur les risques professionnels, la date de consolidation ayant été fixée au 25 septembre 2019 avec reconnaissance d’un taux d’incapacité permanente de 25 %.

M. [J] a par ailleurs fait l’objet d’un licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement notifié le 26 juillet 2019.

A l’issue d’une tentative de conciliation infructueuse, M. [J] a, par acte du 27 janvier 2020, saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Tulle d’une action en reconnaissance de l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur et en indemnisation des préjudices non couverts au titre de la législation professionnelle.

Par jugement du 16 décembre 2020, le pôle social du tribunal judiciaire de Tulle a débouté M. [J] de sa demande en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur et de ses demandes subséquentes et l’a condamné aux dépens.

Au soutien de sa décision, le tribunal a considéré, en substance qu’il n’est pas établi que M. [J], comme il le soutient, devait décharger seul une machine à laver se trouvant en hauteur et que c’est en tentant de la porter qu’il s’est blessé, ni qu’il ait été contraint, le jour de l’accident, de porter, sans le matériel nécessaire, des charges lourdes, qu’aucun des éléments par lui produits ne permet d’établir les circonstances de l’accident et les causes exactes de ses blessures.

M. [J] a interjeté appel de cette décision par LRAR du 14 janvier 2021 en intimant la CPAM de Corrèze et la société [7].

L’affaire a été fixée à l’audience du 11 octobre 2022 à laquelle les parties ont développé oralement leurs conclusions transmises les 25 mars 2021 (M. [J]), 18 août 2022 (S.A.S. [7]) et 31 août 2022 (CPAM de Corrèze).

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

M. [J] demande à la cour, réformant le jugement entrepris et statuant à nouveau :

– de juger que l’accident du travail dont il a été victime le 26 décembre 2012 est lié à la faute inexcusable de la société [9],

– de fixer au maximum prévu par la loi la majoration de la rente servie par la CPAM de Corrèze,

– d’ordonner une expertise médicale avec mission habituelle en la matière (détaillée dans le dispositif de ses conclusions auquel il convient à ce stade de se référer),

– de condamner la société [9] à lui payer une provision de 10 000 € à valoir sur la réparation de son préjudice,

– de dire que la CPAM de Corrèze fera l’avance de cette somme conformément aux articles L452-2 et L452-3 du code de la sécurité sociale et, au besoin de la condamner à verser cette somme,

– de condamner la société [9] à lui payer la somme de 3 500 € en application de l’article 700 du C.P.C.

Au soutien de ses prétentions, M. [J] expose en substance :

1 – sur les circonstances de l’accident :

– que les circonstances de l’accident sont clairement détaillées dans la déclaration du 27 décembre 2017, la réponse au questionnaire de la CPAM (pièce 4) et un courrier adressé à celle-ci le 9 juillet 2019 (pièce 10), que l’employeur n’a émis aucune réserve à ce titre,

– qu’il n’est pas titulaire du CACES et ne pouvait utiliser les chariots élévateurs pour manipuler la marchandise,

2 – sur la faute inexcusable de l’employeur :

– absence de formation et moyens appropriés pour préserver la santé et la sécurité du salarié (articles L6321-1, R 4141-1 et suivants, R4541-8 du code du travail),

> que l’employeur ne l’a fait bénéficier d’aucune formation à la sécurité notamment pour prévenir les risques de blessures liées au poids des marchandises qu’il devait fréquemment manipuler en sa qualité de manutentionnaire,

> que l’attestation produite par l’employeur concerne une formation (conducteur de transport routier avec manutention messagerie) sans rapport avec les travaux de manutention lourds sur quai qu’il effectuait, à la demande de son employeur, au moment de l’accident, qui nécessitaient une formation pratique spécifique,

> qu’il n’est pas justifié que dans l’unité de travail à laquelle il avait été affecté, il avait été prévu dans le D.U.E.R. une partie relative à la manutention des charges lourdes,

> qu’il n’est pas plus justifié de démarches de l’employeur pour s’informer sur les dangers encourus par son salarié travaillant dans les locaux d’une autre entreprise (articles R4115-1, R4511-5 et R4512-2 du code du travail),

– absence d’information du salarié sur les risques pour la sécurité et la santé (article L4141-1 du code du travail) :

> que l’employeur ne justifie pas du respect de son obligation d’information lequel ne peut se déduire de la formation dispensée en 2012 qui concernait des fonctions totalement différentes de conducteurs-livreur de messagerie et, non de manutentionnaire de quai,

– absence d’équipements et de matériels pour préserver la santé et la sécurité du salarié (article R4321-1 du code du travail) :

> qu’il appartenait à l’employeur de mettre à sa disposition les équipements adaptés à l’activité de manutention afin de lui éviter autant que possible les efforts et notamment pour permettre la manipulation de marchandises dont le poids pouvait excéder 80 kgs ainsi que de s’assurer que la société à la disposition de laquelle il avait été mis disposait de moyens de manutention permettant de manipuler en toute sécurité les marchandises,

> que le manquement à cette obligation implique que l’employeur avait conscience du danger auquel il exposait son salarié,

> qu’en l’espèce, aucun gerbeur n’était disponible dans l’entreprise d’accueil et qu’en toute hypothèse son utilisation nécessitait un CACES qu’il ne possédait pas,

> qu’outre le fait de n’avoir pas prévu des moyens de manutention mécaniques auprès de sa cliente avant d’envoyer son salarié, la société [9] ne lui avait jamais fait bénéficier d’une formation à leur

conduite, de sorte qu’elle l’exposait à manipuler des charges très lourdes et volumineuses,

> qu’il ne bénéficiait même pas d’une ceinture lombaire,

> qu’en le laissant sans moyens adaptés descendre seul manuellement des machines à laver empilées les unes sur les autres dont le poids unitaire dépassait les 80 kgs, la société [9] a gravement manqué à son obligation de sécurité,

> que l’employeur ne justifie pas à son égard de la délivrance par la médecine du travail d’un avis d’aptitude au port de charges supérieures à 55 kgs tel que prévu à l’article R4541-9 du code du travail,

> que l’attestation complaisante de M. [O], salarié subordonné, embauché depuis l’accident en contrat à durée indéterminée, ne permet pas à l’employeur de justifier qu’il avait bien demandé à la société utilisatrice de mettre à la disposition des salariés des moyens mécanisés permettant de dégerber les machines lourdes et en particulier les machines à laver qui étaient empilées sur le quai, étant considéré que les chariots élévateurs à pinces auxquels se réfère M. [O] nécessitent obligatoirement pour être manipulés de disposer d’un CACES,

> que la faute de l’employeur se déduit ainsi de l’absence de production des CACES des salariés mis à disposition, de l’absence d’avis de la médecine du travail sur la manipulation de charges lourdes en l’absence de moyens mécanisés, de l’absence de toute identification par l’employeur des risques encourus par son salarié au sein de l’entreprise utilisatrice, de l’absence de production du D.U.E.R. pour les manutentionnaires de quai lorsqu’ils interviennent chez des prestataires extérieurs, de l’absence de fourniture de ceinture dorsale.

La S.A.S. [7] demande à la cour de confirmer le jugement déféré et de condamner M. [J] à lui payer la somme de 4 000 € en application de l’article 700 du C.P.C., outre les dépens.

Elle soutient, pour l’essentiel :

– que l’affirmation des circonstances exactes de l’accident ne repose que sur les seules affirmations de M. [J] qu’il convient d’apprécier au regard des attestations :

> de M. [O], témoin : je lui ai présenté le travail qu’on allait effectuer : tri, palettisation, filmage de palettes d’électro-ménager. Il est parti au milieu des pièces d’électro-ménager pendant que je commençais à rentrer et filmer les palettes. Il n’était plus dans mon champ de vision. Au bout de deux minutes, il est venu me voir et il m’a dit : Est-ce que je peux fumer’ Je me suis fait mal au dos. Après avoir fumé sa cigarette il est revenu me voir et m’a dit ‘vu que j’ai mal au dos, on procède comment’ Et moi de lui répondre : Vu que c’est un travail physique, il vaut mieux que tu ne restes pas et que tu appelles [9], si tu as mal au dos. A Findis, je disposais d’un diable, d’un chariot électrique et pour les pièces les plus volumineuses, notre client, [8], a des chariots élévateurs à pinces pour les soulever.

> de l’attestation de la société [8] : sur notre site, les salariés des transports [9] peuvent et ont le devoir de solliciter du personnel de [8] et ses moyens de manutention spécifiques tels que les chariots élévateurs équipés de pinces pour électro-ménager, pour les opérations de chargement et déchargement nécessitant une manutention en hauteur ou de charge lourde,

– qu’elle n’a jamais donné instruction à M. [J] de procéder à un déchargement d’appareils électroménagers lourds et que s’il était apparu à celui-ci, à l’occasion de la mission de tri, palettisation, filmage de palettes d’électroménager dont M. [O] et lui-même étaient en charge, qu’il devait manipuler des charges lourdes, il lui appartenait de ne pas prendre l’initiative de procéder lui-même au déchargement d’un matériel dont le bon sens et l’évidence commandaient de ne pas procéder sans risques évidents alors qu’il pouvait solliciter le personnel de [8] qui bénéficiait des moyens de manutention spécifiques,

– que M. [J] bénéficiait d’une expérience professionnelle certaine dans le secteur de la manutention et avait bénéficié de février à mai 2012 d’une formation professionnelle de 385 heures notamment au titre de la sécurité dans la manutention, dont 28 heures dédiées à la prise en charge et la livraison des marchandises,

– qu’elle ne pouvait avoir conscience qu’en accompagnant M. [J] chez sa cliente, elle l’exposait à un danger, vu sa formation précédente de manutentionnaire et la circonstance qu’il ne devait prendre l’initiative de décharger du matériel lourd sans recours au service du personnel et du matériel de la société [8],

– que ni M. [J] ni le comité d’hygiène et de sécurité ne l’avaient alertée sur les risques qui pouvaient résulter de l’intervention au siège de la société [8].

La CPAM de Corrèze demande à la cour, s’il est jugé que l’accident du 26 décembre 2012 est dû à la faute inexcusable de l’employeur :

– de fixer le montant des indemnités devant revenir à M. [J] conformément aux dispositions des articles L45261 à 3 du code de la sécurité sociale,

– de condamner expressément l’employeur à lui rembourser les sommes dont elle devra faire l’avance,

– de condamner l’employeur aux dépens, dont les frais d’expertise.

MOTIFS

Il doit être rappelé :

– qu’en application des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, l’employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs en veillant à éviter les risques, à évaluer ceux qui ne peuvent pas être évités et à adapter le travail de l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail, le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production,

– que les articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 précités prévoient que le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

– que les deux critères qui permettent de définir la faute inexcusable de l’employeur, à savoir la conscience du danger auquel le salarié était exposé et l’absence de mesures nécessaires pour l’en protéger, sont cumulatifs,

– qu’il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident ou de la maladie survenu au salarié ; il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée alors même que d’autres fautes auraient concouru au dommage,

– que la faute de la victime n’est pas de nature à exonérer l’employeur de sa responsabilité, sauf si elle est la cause exclusive de l’accident du travail,

– qu’il appartient au salarié de rapporter la preuve que c’est la faute inexcusable de son employeur qui est à l’origine de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle dont il est victime et d’établir en conséquence la preuve de la connaissance par l’employeur du danger et de l’absence de mesures suffisantes prises par lui,

– que la conscience du danger – qui ne vise pas une connaissance effective par l’employeur du danger – s’apprécie, au moment ou pendant la période d’exposition au risque, in abstracto par rapport à ce que doit savoir, dans son secteur d’activité, un employeur conscient de ses devoirs et obligations.

– qu’en raison de l’indépendance des rapports entre la caisse et l’assuré, la caisse et l’employeur et le salarié et l’employeur, le fait que le caractère professionnel de la maladie ne soit pas établi définitivement entre la caisse et l’employeur ne prive pas la victime du droit de faire reconnaître la faute inexcusable de l’employeur, le juge étant en mesure, après débat contradictoire, de rechercher si la maladie a un caractère professionnel et si l’assuré a été exposé au risque dans des conditions constitutives d’une faute.

En l’espèce, s’il est constant que l’employeur ne pouvait ignorer les risques de blessures lombaires inhérents à la manutention d’objets volumineux et de charges lourdes, il doit être considéré qu’il a pris les mesures normalement et raisonnablement nécessaires pour en préserver le salarié, dès lors :

– que M. [J] avait bénéficié, du 10 février au 27 avril 2012, d’une formation de perfectionnement professionnel des conducteurs livreurs dont un module de 28 heures consacré à la prise en charge et livraison de marchandise (quais de messagerie et équipements de manutention, (ponts, outils de manutention : limites d’utilisation, supports de charges et utilisation (palettes, rolls, caisses-palettes), règles de chargement et de manutention, filmage, sécurité dans la manutention : gestes et postures, exercices de chargement, déchargement sur quai),

– que M. [J] travaillait sur le site de Findis en binôme, avec un collègue expérimenté,

– qu’il résulte de l’attestation de M. [O], précise, circonstanciée et détaillée dont aucun élément objectif ne permet de douter de la fiabilité et de celle du responsable logistique de la société [8] que cette dernière mettait à la disposition des salariés de la société [9] intervenant sur son site son propre personnel et ses moyens de manutention spécifiques pour les opérations de chargement/déchargement nécessitant une manutention en hauteur ou de charges lourdes, de sorte que M. [J], non titulaire du CACES, n’était pas contraint, de fait, de procéder manuellement à la manutention de charges lourdes.

Le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté M. [J] de sa demande en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur et de ses demandes subséquentes.

L’équité ne commande pas de faire application de l’article 700 du C.P.C. en cause d’appel.

M. [J] sera condamné aux dépens de première instance et d’appel.

PAR ES MOTIFS,

LA COUR,

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

Vu le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Tulle en date du 16 décembre 2020,

Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions,

Y ajoutant :

– Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du C.P.C. en faveur de l’une quelconque des parties en cause d’appel,

– Condamne M. [J] aux dépens d’appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 


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