Your cart is currently empty!
COUR D’APPEL D’ORLÉANS
CHAMBRE DES AFFAIRES DE SÉCURITÉ SOCIALE
GROSSE à :
[15]
SELAS [13]
CPAM DE LA NIEVRE
EXPÉDITION à :
[L] [R]
SOCIÉTÉ [10]
MINISTRE CHARGÉ DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Pôle social du Tribunal judiciaire de NEVERS
ARRÊT du : 17 JANVIER 2023
Minute n°07/2023
N° RG 20/01870 – N° Portalis DBVN-V-B7E-GGUZ
Décision de première instance : Pôle social du Tribunal judiciaire de NEVERS en date du 1er Septembre 2020
ENTRE
APPELANT :
Monsieur [L] [R]
[Adresse 7]
[Localité 6]
Représenté par M. [G] [N], de la [15], en vertu d’un pouvoir spécial
D’UNE PART,
ET
INTIMÉES :
SOCIÉTÉ [10]
[Adresse 11]
[Localité 6]
Représentée par Me Elodie BOSSUOT-QUIN de la SELAS CMS FRANCIS LEFEBVRE LYON AVOCATS, avocat au barreau de LYON, substituée par Me Fatou SARR, avocat au barreau de LYON
CPAM DE LA NIEVRE
[Adresse 4]
[Localité 5]
Dispensée de comparution à l’audience du 27 septembre 2022
PARTIE AVISÉE :
MONSIEUR LE MINISTRE CHARGE DE LA SECURITE SOCIALE
[Adresse 2]
[Localité 8]
Non comparant, ni représenté
D’AUTRE PART,
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats :
L’affaire a été débattue le 27 SEPTEMBRE 2022, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant la cour composée, en double rapporteur, de Madame Carole CHEGARAY, Président de chambre et Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller.
Lors du délibéré :
Madame Carole CHEGARAY, Président de chambre,
Madame Anabelle BRASSAT-LAPEYRIERE, Conseiller,
Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller.
Greffier :
Monsieur Alexis DOUET, Greffier lors des débats et du prononcé de l’arrêt.
DÉBATS :
A l’audience publique le 27 SEPTEMBRE 2022.
ARRÊT :
– Contradictoire, en dernier ressort.
– Prononcé le 17 JANVIER 2023 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
– signé par Madame Carole CHEGARAY, Président de chambre, et Monsieur Alexis DOUET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
M. [L] [R], né en 1958, a été embauché en 1976 par la société [14] spécialisée dans la sidérurgie, devenue la société [9] en 1981, puis la société [17] en 1989, enfin en dernier lieu la société [10] à compter de 2004.
Il a exercé en qualité de tourneur de 1976 à 1991, en qualité de technicien préparateur poudres et méthode qualité produits de 1992 à 2008, en qualité de contrôleur qualité de 2009 à 2012, en qualité de technicien de laboratoire de 2013 au 30 septembre 2016, puis reclassé à compter du 1er octobe 2016 sur un poste de magasinier.
Le 3 septembre 2015, M. [L] [R] a demandé la reconnaissance du caractère professionnel d’une ‘hypoacousie sévère bilatérale, troubles d’intelligibilité, acouphènes’. Le certificat médical intial établi le 3 septembre 2015 mentionne ‘hypoacousie sévère bilatérale, troubles d’intelligibilité’.
Après instruction médico-administrative de la maladie déclarée au titre du tableau n° 42 des maladies professionnelles, la caisse primaire d’assurance maladie de la Nièvre a, par décision du 1er décembre 2015, pris en charge la maladie au titre de la législation sur les risques professionnels.
Par décision du 3 décembre 2015, la caisse primaire d’assurance maladie de la Nièvre a attribué à M. [L] [R] un taux d’incapacité permanente partielle de 18 % porté, sur contestation de l’intéressé, à 23 % par jugement du tribunal du contentieux de l’incapacité du 6 octobre 2016.
M. [L] [R] a demandé la prise en charge d’une aggravation de son état au titre de sa maladie le 5 octobre 2016. Son taux d’incapacité permanente partielle a alors été fixé à 35 % par décision du 23 octobre 2017.
La société [10] a contesté l’opposabilité de la décision de prise en charge. Par jugement du 16 novembre 2018, le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Nièvre a fait droit à cette demande au motif que la caisse s’est abstenue de mettre à la disposition de l’employeur les audiogrammes qui constituent un élément constitutif de la pathologie déclarée.
Par courrier du 31 août 2017, M. [L] [R] a sollicité auprès de la caisse la mise en oeuvre de la procédure amiable en vue de la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur dans la survenance de sa maladie professionnelle. La tentative de conciliation n’ayant pas abouti, il a saisi aux mêmes fins le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Nièvre par requête du 9 janvier 2018.
L’instance a été reprise par le Pôle social du tribunal de grande instance de Nevers en application de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016.
Le tribunal de grande instance est devenu le tribunal judiciaire à compter du 1er janvier 2020.
Par jugement du 1er septembre 2020, le Pôle social du tribunal judiciaire de Nevers a :
– débouté M. [L] [R] de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société [10],
– débouté M. [L] [R] de sa demande d’expertise et d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,
– condamné la société [10] aux dépens de l’instance.
Suivant déclaration enregistrée au greffe le 29 septembre 2020, M. [L] [R] a interjeté appel de ce jugement.
Dans ses conclusions visées par le greffe le 27 septembre 2022 et soutenues oralement à l’audience du même jour, M. [L] [R] demande à la Cour de :
– déclarer recevable et bien fondé le recours de M. [L] [R],
– infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nevers le 1er septembre 2020 en ce qu’il a considéré que M. [R] ne démontrait pas l’insuffisancce des mesures prises par la société [10] pour le protéger du risque lié au bruit,
– dire et juger que la maladie professionnelle du 3 septembre 2015 dont a été victime M. [R] est due à une faute inexcusable de son employeur, la société [10],
– fixer la majoration de sa rente au maximum,
– ordonner une expertise médicale pour que soit évalué l’ensemble des préjudices subis par M. [R],
– dire que l’expert devra déposer son rapport définitif au greffe dans un délai de quatre mois suivant la décision ordonnant l’expertise,
– condamner la société [10] au paiement des frais d’expertise,
– dire que la caisse primaire d’assurance maladie fera l’avance des frais d’expertise à charge pour elle de récupérer ces sommes auprès de l’employeur,
– dire et juger qu’en vertu de l’article 1231-6 du Code civil, l’ensemble des sommes dues portera intérêt au taux légal à compter de la décision reconnaissant la faute inexcusable de l’employeur prise par la cour d’appel,
– condamner la société [10] au paiement d’une somme de 2 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,
– condamner la société [10] au paiement des éventuels dépens.
– renvoyer l’affaire et les parties à une audience ultérieure pour la fixation des préjudices.
Dans le corps de ses écritures, M. [L] [R] a également sollicité l’allocation d’une provision de 5 000 euros à valoir sur le montant de l’indemnité qui lui sera attribué en réparation de ses préjudices.
Dans ses conclusions visées par le greffe le 27 septembre 2022 et soutenues oralement à l’audience du même jour, la SAS [10] demande à la Cour de :
A titre principal,
– confirmer le jugement entrepris rendu le 1er septembre 2020 par le pôle social du tribunal judiciaire de Nevers des chefs du dispositif suivants :
* déboute M. [L] [R] de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société [10],
* déboute M. [L] [R] de sa demande d’expertise et d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,
A titre subsidiaire, statuant à nouveau,
– débouter M. [R] de sa demande de reconnaissance d’une faute inexcusable faute que le caractère professionnel de sa maladie soit établi,
A titre plus subsidiaire, statuant à nouveau,
– débouter M. [R] de sa demande de reconnaissance d’une faute inexcusable, faute pour lui de rapporter la preuve de la conscience qu’avait ou aurait dû avoir la société [10] du risque auquel il était exposé et de l’absence de mesures prises pour l’en préserver,
A titre encore plus subsidiaire, statuant à nouveau et y ajoutant,
– débouter M. [R] de sa demande tendant à voir ordonner une mesure d’expertise médicale judiciaire, faute pour lui de rapporter la preuve de l’existence des préjudices invoqués,
– limiter, en tout état de cause, la mesure d’expertise le cas échéant ordonnée aux préjudices qui ne sont pas d’ores et déjà indemnisés au titre du livre IV du Code de la sécurité sociale,
– débouter M. [R] de sa demande d’indemnisation provisionnelle,
– à titre subsidiaire, en ramener le montant à de plus justes proportions,
A titre infiniment subsidiaire, statuant à nouveau et y ajoutant,
– lui déclarer inopposables les conséquences financières de la faute inexcusable reconnue,
– débouter, en conséquence, la CPAM de la Nièvre de son action récursoire le cas échéant exercée au titre des articles L. 452-2 et L. 452-3 du Code de la sécurité sociale,
A titre infiniment plus subsidiaire, statuant à nouveau et y ajoutant,
– débouter, en l’état, la CPAM de la Nièvre de son action récursoire du chef de l’article L. 452-2 du Code de la sécurité sociale au titre de la majoration de la rente de M. [R],
– enjoindre à la CPAM de la Nièvre de communiquer la calcul de la majoration de rente de M. [R] afin que le montant puisse en être connu et les modalités de calcul le cas échéant discutées par l’employeur,
– limiter l’action récursoire de la CPAM de la Nièvre au titre de l’article L. 452-2 du Code de la sécurité sociale au taux d’IPP de 18 % fixé dans les rapports CPAM/employeur,
En tout état de cause,
– réduire la somme sollicitée par M. [R] sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
Dispensée de comparution à l’audience du 27 septembre 2022 en application des articles 446-1 du Code de procédure civile et R. 142-10-4 du Code de la sécurité sociale, la caisse primaire d’assurance maladie de la Nièvre demande à la cour, aux termes de conclusions parvenues au greffe le 23 septembre 2022 et adressées aux autres parties, de :
– noter que la caisse s’en remet à la sagesse de la juridiction sur la reconnaissance de la faute inexcusable demandée,
– dire et juger que dans l’hypothèse de l’existence d’une faute inexcusable, la société [10] devra rembourser à la caisse primaire d’assurance maladie de la Nièvre les sommes avancées par elle conformément aux articles L.452-2 et L.452-3 du Code de la sécurité sociale,
– dire que les montants payés par la caisse seront récupérés selon les dispositions des articles L. 452-2 et L. 452-3 du Code de la sécurité sociale,
– dire que les dispositions de l’article L. 452-3-1 s’appliquent au litige.
En application de l’article 455 du Code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.
MOTIFS
Sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur :
En application de l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l’accident, ou la maladie professionnelle, est dû à la faute inexcusable de l’employeur ou de ceux qu’il s’est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire.
Le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ainsi que l’a d’ailleurs jugé la Cour de cassation (Civ. 2e., 8 octobre 2020, pourvoi n° 18-25.021).
Il appartient au salarié ou à ses ayants droit de rapporter la preuve de la faute inexcusable de l’employeur.
1- le caractère professionnel de la maladie déclarée
La faute inexcusable ne peut être retenue que si l’accident ou la maladie revêt un caractère professionnel.
Si, en raison de l’indépendance des rapports entre la caisse et la victime et de ceux entre la caisse et l’employeur, le fait que le caractère professionnel de la maladie ne soit pas établi entre la caisse et l’employeur ne prive pas la victime du droit de faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur, il appartient toutefois à la juridiction saisie d’une telle demande de rechercher si la maladie a un caractère professionnel et si l’assuré a été exposé au risque dans des conditions constitutives d’une faute inexcusable.
En l’espèce, la décision de prise en charge de la maladie de M. [L] [R] par la caisse a été déclarée inopposable à l’employeur.
Celui-ci conteste le caractère professionnel de la maladie prise en charge au titre du tableau 42 des maladies professionnelles à raison de l’absence de preuve du respect des conditions médicales du tableau n° 42 et de l’absence de preuve de la réalisation des travaux entrant dans la liste limitative prévue par ledit tableau.
Selon le tableau 42 ‘atteinte auditive provoquée par des bruits lésionnels’, la maladie est désignée en ces termes :
‘Hypoacousie de perception par lésion cochléaire irréversible accompagnée ou non d’acouphènes.
Cette hypoacousie est caractérisée par un déficit audiométrique bilatéral, le plus souvent symétrique et affectant préférentiellement les fréquences élevées.
Le diagnostic de cette hypoacousie est établi :
– par une audiométrie tonale liminaire et une audiométrie vocale qui doivent être concordantes ;
– en cas de non-concordance : par une impédancemétrie et recherche du réflexe stapédien ou, à défaut, par l’étude du suivi audiométrique professionnel.
Ces examens doivent être réalisés en cabine insonorisée, avec un audiomètre calibré.
Cette audiométrie diagnostique est réalisée après une cessation d’exposition au bruit lésionnel d’au moins 3 jours et doit faire apparaître sur la meilleure oreille un déficit d’au moins 35dB. Ce déficit est la moyenne des déficits mesurés sur les fréquences 500, 1000, 2000 et 4000 Hertz.
Aucune agravation de cette surdité professionnelle ne peut être prise en compte, sauf en cas de nouvelle exposition au bruit lésionnel’.
Il résute des pièces du dossier que le diagnostic d’hypoacousie bilatérale a été posé dès le certificat médical initial établi le 3 septembre 2015 par le docteur [U] [K] [C], qu’un audiogramme tonal et vocal a été réalisé le 31 juillet 2015 par le docteur [E] (ORL) alors que M. [L] [R], en congé annuel à cette date, avait cessé son activité depuis le 27 juillet 2015, soit dans le respect du délai requis. Il n’est pas contesté que ces examens font apparaître un déficit d’au moins 35 dB sur la meilleure oreille. Il ressort de la fiche colloque médico-administratif du 10 novembre 2015 qu’au vu de cet audiogramme, le médecin conseil a considéré que M. [L] [R] était atteint précisément d’un ‘déficit audiométrique bilatéral par lésion cochléaire irréversible’ et que les conditions réglementaires du tableau 42 étaient remplies, y compris nécessairement celles relatives aux conditions de réalisation des tests. Il importe peu dès lors que la demande de reconnaissance de maladie professionnelle et le certificat médical initial ne portent pas le libellé complet de la maladie, l’examen prescrit par le tableau ayant permis au service médical de la caisse de constater que l’assuré était bien atteint de la pathologie visée.
S’agissant de l’exposition au risque, la société [10] fait valoir que M. [L] [R] a pu être exposé au risque sonore auprès de ses anciens employeurs lorqu’il occupait les postes de tourneur, de préparateur technicien poudre ainsi que de technicien étude de 1976 à 2003, mais qu’en revanche pour les postes occupés par celui-ci depuis 2004, les tâches décrites ne correspondent pas à la liste limitative des travaux prévue au tableau n° 42.
La liste limitative des travaux susceptibles de provoquer la maladie énonce : ‘Exposition aux bruits lésionnels provoqués par :
1- les travaux sur métaux par percussion, abrasion ou projection, tels que : le décolletage, l’emboutissage, l’estampage, le broyage, le fraisage, le martelage, le burinage, le rivetage, le laminage, l’étirage, le tréfilage, le découpage, le sciage, le cisaillage, le tronçonnage ; l’ébarbage, le grenaillage [C], le sablage [C], le meulage, le polissage, le gougeage et le découpage par procédé arc-air, la métallisation ;
2- le câblage, le toronnage, le bobinage de fils d’acier (…)
7- la mise au point, les esssais et l’utilisation des propulseurs, réacteurs, moteurs thermiques, groupes électrogènes, groupes hydrauliques, installations de compression ou de détente fonctionnant à des pressions différentes de la pression atmosphérique, ainsi que des moteurs électriques (…)
25- moulage par presse à injection de pièces en alliages métalliques’.
Le tableau n° 42 des maladies professionnelles subordonne la prise en charge des pathologies auditives qu’il décrit à l’exposition aux bruits lésionnels provoqués par les travaux qu’il énumère limitativement, sans exiger que la victime ait personnellement effectué ceux-ci (Civ. 2ème, 19 septembre 2019, n° 18-19.993).
En l’espèce, aux termes de la reconstitution de carrière de M. [L] [R], celui-ci indique -sans être démenti par la société [10]- pour la période litigieuse que du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2008, il a travaillé au bureau de fabrication métallurgie des poudres métalliques et a été exposé au risque bruit direct et environnemental de l’atelier poudres avec la présence des machines suivantes : tamiseuses de poudre métallique, fours d’atomisation haute fréquence à l’air et sous-vide, vibreur ; que du 1er janvier 2009 au 3 février 2013, il a travaillé pour la méthode qualité produit métallurgie des poudres sur les mêmes machines ; que du 4 février 2013 au 4 octobre 2016, il a travaillé au contrôle métallurgie des poudres, son environnement direct du travail étant une salle en surpression d’environ 18 m2 avec les machines suivantes : un bac à ultra-sons et une tamiseuse mesurée à 93 et 97 dB (A), une pompe avec air comprimé mesurée à 85 dB (A), une soufflette d’air comprimé non mesuré en dB et une étuve non mesurée et dans son environnement très proche (2 à 3 m) une deuxième tamiseuse mesurée à 95 dB (A).
Ces éléments sont corroborés par un relevé de bruit effectué en 2013 faisant apparaître des relevés supérieurs à 85 dB dans la salle d’élutriation, poste de travail habituel de M. [L] [R], ainsi que dans la zone de travail de celui-ci et par un rapport d’intervention de la société [16] effectué en 2016 avec des mesures de bruit comprises entre 81,8 dB et 97,5 dB lors du séchage à la soufflette après lavage du tamis, selon les constatations du premier juge.
Il en résulte que M. [L] [R] s’est trouvé habituellement exposé aux bruits de travaux sur métaux tels que décrits au tableau n° 42 des maladies professionnelles dans l’atelier dans lequel il était affecté au sein de la société, de sorte que la condition relative à l’exposition au risque est remplie, y compris depuis le 1er janvier 2013 au poste de technicien de laboratoire.
Le délai de prise en charge figurant au tableau n° 42 est de 1 an sous réserve d’une durée d’exposition d’un an.
Il s’avère que M. [L] [R] a continué à travailler en salle d’élutriation dans les mêmes conditions que celles décrites plus haut jusqu’au 23 septembre 2016, date à laquelle il a été déclaté inapte par le médecin du travail à un poste de travail en atelier et reclassé sur un poste de magasinier, si bien que cette condition est également satisfaite.
En application de l’article L. 461-1 alinéa 2 dans sa rédaction alors aplicable, l’affection de M. [L] [R] revêt donc un caractère professionnel, étant observé que le fait que celui-ci ait été reconnu travailleur handicapé le 17 juillet 2015 s’agissant de sa surdité, antérieurement à la date de première constatation médicale fixée au 31 juillet 2015, ne saurait militer en faveur d’une pathologie nécessairement d’origine non professionnelle, comme le soutient l’employeur, et ce au regard de la quasi-concomitance des dates et de la durée d’exposition au risque sonore de plusieurs années.
2- la conscience du danger et les mesures prises
Comme l’a justement relevé le premier juge, le lien entre exposition au bruit et atteinte auditive est connu depuis fort longtemps, le tableau n° 42 intitulé ‘atteinte auditive provoquée par les bruits lésionnels’ ayant été créé en 1963. Le risque relatif aux nuisances sonores a été codifié à l’article R. 232-9 du Code du travail en 1973 en ces termes : ‘les chefs d’établissement sont tenus de maintenir l’intensité des bruits supportés par les travailleurs à un niveau compatible avec leur santé par la réduction de l’intensité des bruits à leur source d’émission, l’isolement des ateliers bruyants, l’insonorisation des locaux ou la mise en oeuvre de techniques ou de tous autres appropriés (…). Dans le cas où l’exécution des mesures de protection collectives prévues au présent article serait reconnue impossible, des appareils de portection individuelle appropriés seront mis à la disposition des travailleurs. Le chef d’entreprise devra prendre toutes mesures utiles pour que ces appareils soient maintenus en bon état de fonctionnement et désinfectés avant d’être attribués à un nouveau titulaire’. La parution du décret n° 88/405 du 21 avril 1988 relatif à la protection des travailleurs contre le bruit puis celle du décret n° 2006-892 du 19 juillet 2006 relatif aux prescriptions de sécurité et de santé applicables en cas d’exposition des travailleurs aux risques dus au bruit ont nécessairement attiré l’attention des employeurs sur le danger de l’exposition au bruit sur le lieu de travail. La société [10] établit quant à elle qu’il a été procédé à des mesures de bruit : ‘reprise des mesures de bruit en 1996″ selon le compte-rendu du CHSCT de 1996.
Il en résulte que l’employeur ne pouvait qu’avoir conscience du risque auquel il exposait les salariés à raison du caractère bruyant de l’environnement de travail.
S’il ressort des compte-rendus des CHSCT de 1996, 1997, 1998 que l’employeur a évoqué le risque bruit en effectuant des mesures, en retenant qu’il ‘faudrait matérialiser ces mesures sur le terrain et prévenir les nouveaux embauchés’, peu de mesures de prévention en ressortent à l’exception de protections individuelles moulées (‘les essais effectués sur un certain nombre d’opérateurs ayant donné des résultats satisfaisants, l’équipement pourra s’étendre à d’autres personnes’).
A cet égard, le CHSCT du 2ème trimestres 1997 note qu”en ce qui concerne le bruit, le CHSCT souhaite que l’équipement individuel des opérateurs en bouchons d’oreilles moulés ne supprime pas les recherches de diminution du bruit à la source sur les installations’, celui du 3ème trimestre 1997 reprend de la même façon ‘les aspect bruits retiennent l’attention mais si la vidéo qui a été présentée au groupe de jeunes montre la nécessité dans certains cas de se protéger, les membres du CHSCT insistent sur l’intérêt de réduire le bruit à la source. Le docteur [B] confirme que c’est bien à ce niveau qu’il faut travailler en premier lieu’. Or si le plan d’action sécurité 1998 fait état de ‘trois axes principaux retenus avec le CHSCT : accidents aux mains, réduction du bruit à la source, environnement gestion des déchets’, l’entreprise ne justifie d’aucune réalisation au titre de la réduction du bruit à la source, le compte-rendu de réunion du CHSCT de 2000 ne faisant état que de ‘protection auditives personnalisées : 68 sont en place pour [17]’ et les documents postérieurs ne révélant que de timides réalisations, comme il est noté sur un compte-rendu de réunion de la société [10] : ‘des petites études ont commencé sur 2013 : étude sur une tamiseuse pneumatique ou autre à proximité de la salle élutriation’.
Selon le livret de sécurité [17] non daté, le paragraphe relatif à la protection de l’ouïe mentionne ‘la réduction du bruit fait partie de nos réflexions sur les améliorations des conditions de travail’. Il rappelle la cote d’alerte à 85 dB et se contente d’indiquer ‘casques ou coquilles auditifs, bouchons-mousses, bouchons moulés sont à votre disposition, demandez-les à votre responsable’. Ce n’est qu’en 2013 que la société [10] a systématiquement fourni des protections auditives et les a rendues obligatoires à compter du 1er octobre 2013 à la suite de la mise en place en 2012 d’un groupe de travail bruit.
Si M. [L] [R] a effectivement porté dès 2009 des dispositifs de protection auditive, l’étude de poste réalisée le 21 octobre 2015 par le service de santé au travail relève une ‘inadaptation de la taille du casque qui ne le protège pas du tout et génère même des gênes liées à l’appui des lunettes. Le problème d’une double protection si on arrive à la rendre efficace par l’adaptation du casque risque de renforcer l’isolement déjà important dans la pièce. Par ailleurs nécessité occasionnelle de répondre à des appels téléphoniques nécessitant la commmunication. Attention également à l’impossibiltié d’entendre les signaux d’alerte’. De surcroît, il n’est pas contesté qu’alors qu’un roulement entre salariés était prévu pour le contrôle qualité en salle d’élutriation afin de réduire le risque lié au bruit lésionnel, M. [L] [R] a été affecté seul à ce poste de travail, 30 heures par semaine, près de 3 années.
Si l’absence de mesures prises postérieurement à la déclaration de la maladie professionnelle ne peut caractériser l’existence d’une faute inexcusable, le fait que M. [L] [R] n’ait été reclassé à un poste de magasinier qu’au mois d’octobre 2016, alors que dès le 24 juillet 2015 le médecin du travail avait noté ‘contre-indication définitive à l’exposition au bruit’, est révélateur d’un certain manque de protection de la santé du salarié.
Il ressort de l’ensemble de ces éléments que l’employeur n’a pas mis en oeuvre assez tôt et de manière appropriée les mesures nécessaires pour préserver M. [L] [R] du risque auquel il était exposé. La faute inexcusable de la société [10] sera retenue et le jugement entrepris infirmé.
Sur les conséquences de la faute inexcusable de l’employeur :
1- la majoration de la rente
Conformément à l’article L. 452-2 du Code de la sécurité sociale, la faute inexcusable de l’employeur ouvre droit à la majoration de la rente ou du capital alloué à la victime, calculée en fonction de la réduction de capacité dont celle-ci est atteinte. Toutefois, la rente majorée ne peut pas dépasser soit le salaire annuel de la victime en cas d’incapacité totale, soit la fraction de salaire correspondant au taux d’incapacité s’il s’agit d’une incapacité permanente partielle. La majoration suit l’évolution du taux d’incapacité de la victime.
Il convient en l’espèce de dire que la majoration de la rente sera fixée au maximum dans la limite des plafonds précités et, pour ce qui concerne les rapports caisse/assuré, qu’elle suivra l’évolution du taux d’incapacité permanente partielle de M. [L] [R], lequel, fixé à 18 %, a été réévalué à 23 % par une décision du tribunal de contentieux de l’incapacité et, après aggravation, révisé à 35 %.
S’agissant des rapports caisse/employeur, il y a lieu de prévoir que l’action récursoire de la caisse primaire d’assurance maladie de la Nièvre ne pourra s’exercer à l’encontre de l’employeur que dans la limite du taux d’incapacité permanente de la victime qui lui est opposable, à savoir en l’espèce le taux de 18 %, la société [10] n’ayant pas été partie à l’instance devant le tribunal du contentieux de l’incapacité et le taux de 35 % ne lui ayant pas été notifié.
A cet égard, en application de l’article L. 452-3-1 du Code de la sécurité sociale, la société [10] dont la faute inexcusable a été retenue, ne peut se soustraire à l’action en remboursement exercée par la caisse primaire d’assurance maladie de la Nièvre en se retranchant derrière l’inopposabilité de la maladie professionnelle prononcée à son égard par le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Nièvre, dès lors que l’inopposabilité a été prononcée pour manquement à l’obligation d’information de l’employeur par la caisse, laquelle n’a pas mis à disposition de celui-ci les audiogrammes nécessaires et l’a ainsi privé de la possibilité de faire valoir ses observations et a violé le principe du contradictoire, et non pour une condition de fond contrairement à ce que soutient l’intimée.
Enfin, s’agissant du capital représentatif de la majoration de la rente dû par l’employeur en remboursement à la caisse, l’article D. 452-1 du Code de la sécurité sociale prévoit qu’il est calculé dans les conditions prévues à l’article R. 454-1 du même code, lequel renvoie à deux arrêtés successifs définissant le barème de capitalisation qui doit être utilisé par les caisses primaires d’assurance maladie, de sorte que cette demande de la caisse au titre de son action récursoire est déterminable.
En conséquence, la société [10] devra rembourser à la caisse primaire d’assurance maladie de la Nièvre les sommes avancées par elle conformément aux articles L. 452-2 et L. 452-3 du Code de la sécurité sociale,
2- l’indemnisation des préjudices de M. [L] [R] :
Indépendamment de la majoration de la rente, la victime peut aussi demander à l’employeur, conformément à l’article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale, la réparation des dommages subis en conséquence de la maladie professionnelle qui ne sont pas couverts par la législation professionnelle.
Dans une décision du 18 juin 2010 (n° 2010-8 QPC), le Conseil constitutionnel a précisé que la victime peut, devant la juridiction de sécurité sociale, demander à l’employeur la réparation de certains chefs de préjudice énumérés par l’article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale et qu’en présence d’une faute inexcusable de l’employeur, les dispositions de ce texte ne sauraient toutefois faire obstacle à ce que cette même personne, devant les mêmes juridictions, puisse demander à l’employeur réparation de l’ensemble des dommages non couverts par le livre IV du Code de la sécurité sociale.
En l’espèce, il convient de faire droit à la demande d’expertise présentée par M. [L] [R] afin de permettre l’évaluation des préjudices indemnisables résultant de la maladie professionnelle de celui-ci due à la faute inexcusable de l’employeur.
Il y a lieu de rappeler que l’expertise ne peut porter si sur les frais médicaux et assimilés, ni sur le déficit permanent ni sur la perte de gains professionnels qui sont déjà couverts par le livre IV du Code de la sécurité sociale mais seulement, outre les chefs de préjudices expressément énumérés par l’article L. 452-3, à savoir les souffrances endurées, le préjudice esthétique, le préjudice d’agrément et la perte des possibilités de promotion professionnelle, sur le préjudice sexuel, la nécessité de l’aménagement du logement et celle d’un véhicule adapté, et sur les préjudices non couverts par le livre IV du Code de la sécurité sociale en lien avec l’éventuelle nécessité de recourir à une tierce personne avant la consolidation et avec le déficit fonctionnel temporaire.
Les frais d’expertise seront avancés par la caisse qui en récupérera le montant auprès de l’employeur.
3- la demande de provision
M. [L] [R] formule une demande de provision de 5 000 euros à valoir sur le montant de l’indemnité qui lui sera attribuée en réparation de ses préjudices sans plus de motivation. En l’absence de tout élément, il ne sera pas fait droit à ce chef de demande.
Enfin, il convient de rappeler qu’au regard du caractère indemnitaire et non contractuel des sommes susceptibles d’être allouées au titre de la réparation des dommages subis, les intérêts légaux courent à compter du prononcé de la décision les fixant.
Sur les autres demandes :
Il convient de condamner la société [10], qui succombe, à payer d’ores et déjà à M. [L] [R] la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile et de réserver les dépens dans l’attente de l’issue du litige.
PAR CES MOTIFS:
Infirme le jugement du 1er septembre 2020 du Pôle social du tribunal judiciaire de Nevers ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que la maladie professionnelle dont M. [L] [R] est atteint est due à la faute inexcusable de son employeur, la société [10] ;
Fixe au maximum la majoration de la rente allouée à M. [L] [R] ;
Dit que cette majoration sera avancée par la caisse primaire d’assurance maladie de la Nièvre qui pourra récupérer auprès de l’employeur le montant de la majoration de la rente reçue par M. [L] [R] ;
Dit que s’agissant des rapports caisse/employeur, l’action récursoire de la caisse primaire d’assurance maladie de la Nièvre ne pourra s’exercer à l’encontre de la société [10] que dans la limite du taux d’incapacité permanente de la victime qui lui est opposable ;
Avant dire droit sur le montant de la réparation des préjudices causés par la faute inexcusable de l’employeur,
Ordonne une expertise médicale de M. [L] [R] ;
Commet pour y procéder le docteur [D] [S], expert inscrit sur la liste établie par la Cour d’appel d’Orléans, demeurant [Adresse 3]. : [XXXXXXXX01] Mèl : [Courriel 12], avec mission de :
– convoquer l’ensemble des parties et leurs avocats, recueillir les dires et doléances de la victime, se procurer tous documents médicaux ou autres relatifs à la présente affaire et procéder en présence des médecins mandatés par les parties, avec l’assentiment de la victime, à un examen clinique détaillé en fonction des lésions initiales et des doléances exprimées par la victime,
– décrire en détail les lésions initiales, les modalités de traitement, en précisant les durées exactes d’hospitalisation et pour chaque période d’hospitalisation la nature des soins,
– déterminer, décrire, qualifier et chiffrer :
* les chefs de préjudices expressément énumérés par l’article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale, à savoir :
¿ les souffrances endurées (sur une échelle de 1 à 7),
¿ le préjudice esthétique (sur une échelle de 1 à 7),
¿ le préjudice d’agrément défini comme l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs,
¿ la perte ou la diminution des possibilités de promotion professionnelle,
* le préjudice sexuel,
* la nécessité de l’aménagement du logement et celle d’un véhicule adapté,
* le préjudice d’établissement consistant en la perte d’espoir et de chance de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap,
* le déficit fonctionnel temporaire : indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a été, du fait de son déficit fonctionnel temporaire, dans l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle de poursuivre ses activités personnelles habituelles, préciser la durée des périodes d’incapacité totale ou partielle et le taux de celle-ci,
* s’il y a lieu, la nécessité de recourir à une tierce personne avant la consolidation ;
Rappelle que M. [L] [R] devra répondre aux convocations de l’expert et qu’à défaut de se présenter sans motif légitime et sans en avoir informé l’expert, l’expert est autorisé à dresser un procès-verbal de carence et à déposer son rapport après deux convocations restées infructueuses ;
Ordonne la consignation par la caisse primaire d’assurance maladie de la Nièvre auprès du régisseur de la Cour, dans les 60 jours à compter de la notification du présent arrêt, de la somme de 1 200 euros à valoir sur la rémunération de l’expert ;
Dit que la caisse primaire d’assurance maladie de la Nièvre qui en aura fait l’avance, pourra récupérer le montant de la provision pour frais d’expertise auprès de la société [10] ;
Dit que l’expert pourra en tant que de besoin être remplacé par simple ordonnance du président de la chambre de la sécurité sociale ;
Dit que l’expert devra donner connaissance de ses premières conclusions aux parties et répondre à toutes observations écrites de leur part dans le délai qu’il leur aura imparti avant d’établir son rapport définitif ;
Dit que l’expert déposera son rapport au greffe de la Cour dans les quatre mois après qu’il aura reçu confirmation du dépôt de la consignation ;
Déboute M. [L] [R] de sa demande de provision à valoir sur l’indemnisation de ses préjudices ;
Renvoie l’affaire à l’audience de la chambre de la sécurité sociale de la Cour d’appel d’Orléans du mardi 26 septembre 2023 à 9 heures ;
Dit que la notification du présent arrêt vaudra convocation régulière des parties à cette audience ;
Condamne la société [10] à verser à M. [L] [R] la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Réserve les dépens.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,