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République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 8 SECTION 4
ARRÊT DU 19/01/2023
N° de MINUTE : 23/47
N° RG 22/01209 – N° Portalis DBVT-V-B7G-UE7F
Jugement (N° 21/00003) rendu le 02 Mars 2022 par le Tribunal paritaire des baux ruraux d’Avesnes sur Helpe
APPELANTE
Madame [T] [J]
née le 05 Mars 1968 à [Localité 5] – de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentée par Me Philippe Meillier, avocat au barreau d’Arras
INTIMÉ
Monsieur [P] [X]
né le 13 Juin 1960 à [Localité 8] – de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représenté par Me Jean-Raphaël Doyer, avocat au barreau d’Avesnes sur Helpe
DÉBATS à l’audience publique du 17 novembre 2022 tenue par Véronique Dellelis et Emmanuelle Boutié, magistrats chargés d’instruire le dossier qui, après rapport oral de l’affaire, ont entendu les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en ont rendu compte à la cour dans leur délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS Ismérie Capiez
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Véronique Dellelis, président de chambre
Emmanuelle Boutié, conseiller
Catherine Ménegaire, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 19 janvier 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Véronique Dellelis, président et Ismérie Capiez, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
Par acte sous seing privé en date du 7 novembre 1980, M. et Mme [J]- [D] ont donné à bail à M. [V] [X] deux parcelles sises sur la commune d'[Localité 5] (Nord):
– lieudit [Localité 6], section A n°[Cadastre 2], d’une surface de 90 ares 66 centiares,
– lieudit [Localité 7], section A n°[Cadastre 1], d’une surface de 55 ares 60 centiares.
M. [P] [X] a succédé à son père, M. [V] [X], dans le cadre de ce bail.
Mme [T] [J] et Mme [W] [J] sont devenues propriétaires en indivision des parcelles objets du litige suite au décès des époux [J]-[D].
Par acte d’huissier de justice en date du 21 janvier 2021, Mme [T] [J] a fait délivrer à M. [P] [X] un congé pour âge de la retraite pour la date du 7 novembre 2022.
Par acte d’huissier de justice en date du 11 février 2021, Mme [J] a fait signifier à M. [X] un congé pour âge de la retraite pour la date du 30 septembre 2022.
Par requête en date du 18 février 2021, reçue au greffe le 19 février 2021, M. [X] a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux d’Avesnes-sur-Helpe d’une demande visant à solliciter l’annulation du congé délivré le 21 janvier 2021.
Il a été procédé à la tentative de conciliation lors de l’audience non publique du 10 mai 2021 et aucun accord n’a pu être trouvé. L’affaire a été renvoyée en audience de jugement.
Par jugement en date du 2 mars 2022,auquel il est expressément renvoyé pour un exposé complet de la procédure antérieure au jugement et des demandes et moyens des parties, le tribunal paritaire des baux ruraux d’Avesnes-sur-Helpe a :
– constaté l’absence d’identité de cause, d’objet et de parties avec le jugement rendu le 31 décembre 2020 par le tribunal paritaire des baux ruraux d’Avesnes-sur-Helpe,
– déclaré recevable l’opposition présentée par M. [P] [X] sur l’acte délivré le 21 janvier 2021, modifié par acte d’huissier délivré le 11 février 2021,
– prononcé l’annulation du congé délivré le 21 janvier 2021, modifié par acte d’huissier délivré le 11 février 2021 par Mme [T] [J] à M. [P] [X] aux fins de congé pour âge de la retraite,
– dit que le bail rural en date du 7 novembre 1980, conclu entre les époux [J]-[D] aux droits desquels viennent Mme [T] [J] et Mme [W] [J] et M. [V] [X] (aux droits duquel vient M. [P] [X]) sur les parcelles sises commune d'[Localité 5]:
*lieudit [Localité 6], section A n°[Cadastre 2], d’une surface de 90 ares 66 centiares,
* lieudit [Localité 7], section A n°[Cadastre 1], d’une surface de 55 ares 60 centiares,
continuera à se poursuivre dans les conditions fixées au contrat jusqu’au 30 septembre 2027,
– dit que chacune des parties conserve la charge de ses propres dépens,
– dit que chacune des parties conserve la charge de ses propres frais exposés au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Par déclaration en date du 10 mars 2022, Mme [T] [J] a interjeté appel de cette décision par l’intermédiaire de son conseil, la déclaration d’appel visant l’ensemble des dispositions du jugement entrepris.
Lors de l’audience devant cette cour, Mme [T] [J], représentée par son conseil, soutient ses conclusions déposées lors de l’audience par lesquelles elle demande à cette cour d’infirmer le jugement rendu par le tribunal paritaire des baux ruraux d’Avesnes-sur-Helpe le 2 mars 2022 en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, de :
– dire et juger M. [P] [X] irrecevable en son action comme étant dirigée contre un congé annulé et donc inexistant,
En conséquence,
– ordonner l’expulsion de M. [P] [X] et de tout occupant de son chef des parcelles A [Cadastre 1] et A [Cadastre 2] sises du le terroir de la commune d'[Localité 5], objets du congé, pour le 7 novembre 2022 à minuit,
– dire qu’à défaut de s’exécuter volontairement, il pourrait y être contraint par la force publique,
A titre subsidiaire,
– dire et juger M. [P] [X] infondé en sa contestation de son congé en date du 21 janvier 2021,
– valider le congé délivré le 11 février 2021 à M. [P] [X],
– condamner M. [P] [X] à payer à Mme [J] la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel.
Mme [J] soutient essentiellement qu’alors que le congé devait être délivré pour la date du 30 septembre 2022, elle a fait délivrer un nouveau congé par acte d’huissier en date du 11 février 2021, ce dernier précisant clairement en entête : ‘Cet acte annule et remplace celui délivré par exploit de notre ministère en date du 21 janvier 2021 et qui contenait une erreur matérielle sur la date du congé’. Elle précise que ce second congé ne fait l’objet d’aucune contestation et ne fait naître aucune ambiguïté, M. [X] étant en outre assisté par un professionnel du droit.
A titre subsidiaire, elle fait valoir qu’il ressort des pièces produites par M. [X] qu’il aura atteint le 1er juillet 2022, l’âge pour faire valoir une retraite à taux plein.
Lors de l’audience devant cette cour, M. [P] [X], représenté par son conseil, soutient ses conclusions déposées lors de l’audience par lesquelles il demande à cette cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ayant notamment prononcé l’annulation du congé délivré le 21 janvier 2021 modifié par acte d’huissier délivré le 11 février 2021 par Mme [T] [J] à M. [P] [X] aux fins de congé pour âge de retraite et dit que le bail rural en date du 7 novembre 1980, conclu entre les époux [J]-[D] aux droits desquels viennent Mmes [T] et [W] [J] et M. [P] [X] sur les parcelles sises commune d'[Localité 5] lieudit [Localité 6], section A n°[Cadastre 2], d’une surface de 90 ares 66 centiares et lieudit [Localité 7], section A n°[Cadastre 1], d’une surface de 55 ares 60 centiares, continuera à se poursuivre dans les conditions fixées au contrat du 7 novembre 1980 et ce jusqu’au 30 septembre 2027, et de:
– condamner Mme [J] à lui verser la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
M. [P] [X] fait essentiellement valoir qu’il ne peut lui être fait grief de ne pas avoir contesté le second congé alors que seule la date d’effet a été modifiée pour être ramenée du 7 novembre 2022 au 30 septembre 2022. En outre, il précise qu’il a la possibilité de poursuivre son activité agricole jusqu’à 67 ans, soit jusqu’au 30 septembre 2027, date à laquelle il percevra sa retraite à taux plein, et qu’il n’est pas nécessaire qu’il bénéficie d’une retraite à taux plein pour entendre conserver l’exploitation des parcelles litigieuses.
Il est pour le surplus renvoyé aux écritures des parties pour un exposé complet de leurs moyens et arguments.
SUR CE ,
Sur le congé et la constitution de parcelles de subsistance
Aux termes des dispositions de l’article L.411-64 du code rural et de la pêche maritime, le droit de reprise tel qu’il est prévu aux articles L.411-58 à L.411-63, L.411-66 et L.411-67 ne peut être exercé au profit d’une personne ayant atteint, à la date prévue pour la reprise, l’âge de la retraite retenu en matière d’assurance vieillesse des exploitants agricoles, sauf s’il s’agit, pour le bénéficiaire du droit de reprise, de constituer une exploitation ayant une superficie au plus égale à la surface fixée en application de l’article L.732-39. Si la superficie de l’exploitation ou des exploitations mises en valeur par le preneur est supérieure à cette limite, le bailleur peut, par dérogation aux articles L.411-5 et L.411-46 :
– soit refuser le renouvellement du bail au preneur ayant atteint l’âge de la retraite retenu en matière d’assurance vieillesse des exploitants agricoles,
– soit limiter le renouvellement à l’expiration de la période triennale au cours de laquelle le preneur atteindra cet âge.
Le preneur peut demander au bailleur le report de plein droit de la date d’effet du congé à la date de fin de l’année culturale où il aura atteint l’âge lui permettant de bénéficier d’une retraite à taux plein.
Dans les cas mentionnés aux deuxième et troisième alinéas, le bailleur doit prévenir le preneur de son intention de refuser le renouvellement du bail ou d’y mettre fin par acte extrajudiciaire signifié au moins dix-huit mois à l’avance.
Les dispositions du présent article sont applicables que le propriétaire entende aliéner ou donner à bail à un preneur dont l’âge est inférieur à l’âge de la retraite retenu en matière d’assurance vieillesse des exploitants agricoles ou exploiter en faire-valoir direct. Dans ce dernier cas, sauf s’il s’agit pour le bailleur de constituer une exploitation dans les conditions prévues au premier alinéa du présent article, il ne doit pas avoir atteint l’âge de la retraite retenu en matière d’assurance vieillesse des exploitants agricoles.
Le preneur évincé en raison de son âge peut céder son bail à son conjoint, ou à son partenaire avec lequel il est lié par un pacte civil de solidarité, participant à l’exploitation ou à l’un de ses descendants ayant atteint l’âge de la majorité ou ayant été émancipé, dans les conditions prévues à l’article L.411-35. Le bénéficiaire de la cession a droit au renouvellement de son bail.
A peine de nullité, le congé donné en vertu du présent article doit reproduire les termes de l’alinéa précédent.
En l’espèce, il n’est pas contesté qu’un bail rural a été consenti par les époux [J] à M. [X] pour une durée de neuf années entières et consécutives qui a commencé à courir le 1er octobre 1980 pour expirer le 30 septembre 1989, ce bail s’étant renouvelé par tacite reconduction.
Par acte d’huissier de justice en date du 21 janvier 2021, Mme [J] a fait signifier à M. [X] un congé motivé par l’âge de la retraite du preneur, visant les articles L.411-58 et L.411-64 du code rural et de la pêche maritime, pour le 7 novembre 2022.
Par acte d’huissier de justice en date du 11 février 2021, Mme [J] a fait signifier à M. [X] un congé motivé par l’âge de la retraite du preneur précisant que ‘cet acte annule et remplace celui délivré par exploit de notre ministère en date du 21 janvier 2021 et qui contenait une erreur matérielle sur la date du congé’, visant les mêmes parcelles, la date d’effet du congé étant fixée au 30 septembre 2022, date d’achèvement de la deuxième période triennale, période au cours de laquelle M. [X] a atteint l’âge légal de la retraite.
Alors que le second acte stipule expressément annuler et remplacer le congé précédent délivré par acte d’huissier de justice en date du 21 janvier 2021 en raison de l’existence d’une erreur matérielle concernant la date d’effet du congé, force est de constater que cet acte délivré le 11 février 2021, soit quelques jours après le congé délivré par acte d’huissier en date du 21 janvier 2021, ne comporte aucune ambiguïté de nature à induire le preneur en erreur quant à sa teneur et à son objet.
Ainsi, alors que la contestation formée le 18 février 2021, date à laquelle le preneur avait été destinataire des deux actes, par M. [X], par l’intermédiaire de son conseil, ne porte que sur le premier congé signifié le 21 janvier 2021 il y a lieu de déclarer la demande en annulation de cet acte du 21 janvier 2021 irrecevable pour défaut d’intérêt du preneur et même sans objet puisque c’est la bailleresse elle-même qui a indiqué de manière univoque dans le second acte délivré à son preneur que l’acte du 21 janvier 2021 devait être considéré comme nul et de nul effet.
Par ailleurs, la cour se doit de constater que le congé pour reprise fondé sur l’âge du preneur délivré le 11 février 2021 étant un acte dépourvu d’ambiguïté quant à ses motifs et à sa portée et qui n’a été contesté en aucune manière par le preneur, y compris pour faire valoir la notion de parcelle de subsistance dans le délai de 4 mois pour le contester (art L 411-54 et R 411-11 du code rural et de la pêche maritime), l’acte ainsi délivré sert de fondement légitime à la demande d’expulsion de M. [X].
En conséquence, il y a lieu d’ordonner l’expulsion de M. [X] des parcelles litigieuses situées sur la commune d'[Localité 5] pour le 30 septembre 2022 à minuit et d’autoriser, au besoin, le recours à la force publique.
Le jugement entrepris sera donc infirmé en toutes ses dispositions.
M. [X], partie perdante, sera condamné à supporter les entiers dépens de première instance et d’appel en application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.
Il n’apparaît pas inéquitable de le condamner à verser à Mme [J] la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Déclare irrecevables et sans objet les demandes formées par M. [P] [X] à l’encontre du congé délivré par acte d’huissier de justice en date du 21 janvier 2021,
En conséquence,
Ordonne sur la base du congé délivré le 11 février 2021 l’expulsion de M. [P] [X] et de tout occupant de son chef des parcelles A [Cadastre 1] et A [Cadastre 2] sur le territoire de la commune d'[Localité 5] (Nord), objets du congé, pour le 30 septembre 2022 à minuit,
Dit qu’à défaut de s’exécuter volontairement, il pourra y être contraint par la force publique,
Condamne M. [P] [X] à payer à Mme [T] [J] la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [P] [X] aux entiers dépens.
Le greffier
Ismérie CAPIEZ
Le président
Véronique DELLELIS