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AFFAIRE DU CONTENTIEUX DE LA PROTECTION SOCIALE
DOUBLE RAPPORTEURS
R.G : N° RG 21/04902 – N° Portalis DBVX-V-B7F-NVPH
S.A.R.L. [10]
C/
[I]
CPAM DU RHONE
[T]
Arrêt COUR DE CASSATION DU 08 /04/2021 N° 309 F-D
Arrêt cour d’Appel de Lyon du 10/09/2019 RG 17/7513
Jugement du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de LYON du 26 Septembre 2017
RG : 20142071
AU NOM DU PEUPLE FRAN’AIS
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE D
PROTECTION SOCIALE
ARRÊT DU 24 JANVIER 2023
SUR RENVOI APRES CASSATION
DEMANDERESSE A LA SAISINE:
S.A.R.L. [10]
[Adresse 1]
[Localité 6]
représentée par Me Sylvain THOURET de la SCP D’AVOCATS CHAVRIER-MOUISSET- THOURET-TOURNE, avocat au barreau de LYON
DEFENDEUR A LA SAISINE :
[V] [I]
né le 09 Mai 1972 à [Localité 7]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représenté par M. [E] [J] ( [9]) [12] , juriste muni d’un pouvoir
CPAM DU RHONE
[Localité 11]
rerpésentée par madame [K] [N], munie d’un pouvoir
[Z] [T], ès qualité de liquidateur de la sté [8] SARL [T]
[Adresse 2]
[Localité 5]
représenté par Me François CORNUT, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 25 Octobre 2022
Présidée par Joëlle DOAT, présidente de chambre et Vincent CASTELLI, conseiller, magistrats rapporteurs (sans opposition des parties dûment avisées) qui en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistés pendant les débats de Malika CHINOUNE, greffier
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
– Nathalie PALLE, présidente de chambre
– Joëlle DOAT, Présidente de chambre
– Vincent CASTELLI, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 24 Janvier 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Nathalie PALLE, Présidente de chambre , et par Malika CHINOUNE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [I] (le salarié), employé de la société [8] depuis 2000 puis de société [10], en raison de la cession par la première de son fonds de commerce le 2 octobre 2006 à la seconde, a déclaré le 20 octobre 2010 une maladie, prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels au titre du tableau n° 47 des maladies professionnelles par la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône (la caisse).
Après avoir saisi la caisse le 22 juillet 2013 d’une tentative de conciliation préalable aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, qui a échoué, le salarié a saisi le 29 septembre 2014, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Lyon.
Par jugement du 26 septembre 2017, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Lyon a :
– dit que la société [10] a commis une faute inexcusable responsable de la maladie présentée le 19 juillet 2007 par le salarié ;
– dit que la rente dont le salarié bénéficie sera fixée au taux maximal légal,
– dit que la majoration de rente devra suivre l’évolution du taux d’incapacité permanente du salarié et que les préjudices personnels seront réévalués en cas de rechute ou d’aggravation des séquelles ,
– déclaré opposable à la société [10] la fixation du taux d’IPP de 15 % tel que révisé par le tribunal du contentieux de l’incapacité de Villeurbanne par jugement du 15 janvier 2013,
– dit que la société [8] a commis une faute inexcusable à l’origine de la maladie professionnelle du salarié et qu’elle devra en conséquence garantir la société [10] des conséquences financières en résultant à proportion du temps d’exposition du salarié au sein
de la société [8], soit du 2 juin 2000 au 2 octobre 2006,
– ordonné, avant dire droit sur l’indemnisation, une expertise médicale.
Par arrêt contradictoire du 10 septembre 2019, la cour d’appel de Lyon a :
– infirmé le jugement dans toutes ses dispositions,
Statuantàa nouveau,
– rejeté la demande du salarié formée à l’encontre de la société [10] ;
– déclaré sans objet le recours de l’employeur à l’encontre de la société [8];
– rejeté les demandes des sociétés [8], [10] et du salarié formées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné le salarié aux dépens d’appel.
Par arrêt du 8 avril 2021, rendu sur le pourvoi n° 19-24.213, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a :
– cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 10 septembre 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Lyon ;
– remis l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d’appel de Lyon, autrement composée.
Aux motifs suivants :
« Vu les articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail :
5. Le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
6. Pour dire que l’employeur n’a pas commis de faute inexcusable, l’arrêt relève que la victime a été déclarée apte à son poste de menuisier le 7 avril 2009 et le 19 janvier 2010, et que ce n’est que le 18 juillet 2011 que l’employeur a eu connaissance d’une demande de reconnaissance de sa maladie professionnelle au titre du tableau n°47 faisant mention d’une première constatation médicale le 19 juillet 2007. Il ajoute que le salarié ne justifiant pas de la tardiveté de sa déclaration survenue trois ans après la première constatation médicale, il ne peut être reproché à l’employeur de ne pas avoir été informé des problèmes de santé de son salarié. Il retient qu’en reprenant le fonds de commerce d’une autre société et le personnel dont faisait partie la victime, l’employeur ne pouvait pas avoir conscience du danger auquel celle-ci était exposée car elle occupait déjà son poste de menuisier depuis juin 2000 sans manifestation d’une quelconque maladie antérieurement au 18 juillet 2011.
7. En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du risque encouru, à la date de la première constatation médicale, par la victime exposée à l’agent nocif mentionné par le tableau comme susceptible d’entraîner l’affection considérée, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »
Le 1er juin 2021, la société [10] a saisi la présente cour, autrement composée.
Dans ses conclusions n° 3 déposées le 25 octobre 2022, la société [10], employeur, demande à la cour de :
A titre principal :
– dire et juger que le salarié ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, que sa maladie professionnelle aurait été provoquée par sa faute inexcusable ;
– dire et juger que l’employeur ne peut être tenue pour responsable de l’éventuelle faute inexcusable commise par la société [8] ;
A titre subsidiaire :
– réformer le jugement déféré en ce qu°il lui a déclaré opposable la fixation du taux d’incapacité permanente partielle de 15 % tel qu’il a été révisé par jugement du tribunal du contentieux de l’incapacité du 15 janvier 2013 ;
– dire et juger au contraire que la majoration de rente ne pourra s’opérer, dans les rapports entre la caisse et lui, que sur la base du taux d’IPP de 3 % retenu par la caisse ;
– condamner M. [T], en qualité de liquidateur de la société [8], à la relever et garantir des conséquences financières résultant de la faute inexcusable de l’employeur, à proportion du temps d’exposition du salarié au risque lésionnel au sein de la société [8], soit du 2 juin 2000 au 2 octobre 2006 ;
– pour le surplus : confirmer le jugement déféré.
En tout état de cause :
– réformer le jugement déféré en ce qu’il a condamné l’employeur à payer au salarié une indemnité de 800 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– dire et juger que le salarié devra conserver la charge des frais et dépens exposés pour son compte en première instance et en cause d’appel ;
– condamner le salarié à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Dans ses conclusions déposées le 4 septembre 2022 et après rectification de ses demandes à l’audience, le salarié sollicite de la cour de :
– déclarer recevable et bien fondé son recours ;
– confirmer le jugement en ce qu’il a :
– dit et jugé que la maladie professionnelle dont il a été victime est dû à une faute inexcusable de la société [10] ,
– fixé au maximum la majoration de sa rente versée par caisse ;
– ordonné une expertise médicale ;
– infirmer le jugement en ce qu’il a refusé la demande de provision à valoir sur le montant de son indemnisation ;
– condamner la société [10], au paiement d’une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions déposées le 24 octobre 2022, M. [Z] [T], en qualité de liquidateur de la société [8] (la société [T]), demande à la cour de :
– réformer la décision entreprise en ce qu’elle a condamnée la société [8] à relever et garantir la société [10] des condamnations prononcées à son encontre ;
– déclarer comme irrecevables et prescrites les demandes formées par la société [10] à son encontre ;
– dire et juger dénué de tout fondement les demandes de la société [10] à son encontre;
– débouter la société [10] de son appel en cause,
– condamner la société [10] à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages- intérêts pour procédure abusive,
– condamner la société [10] à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du du code de procédure civile,
– condamner la société [10] aux dépens de l’instance.
Dans ses conclusions déposées le 21 septembre 2022, la caisse indique ne pas souhaiter formuler d’observations particulières sur l’existence de la faute inexcusable commise par l’employeur mais, dans l’hypothèse où celle-ci serait reconnue, qu’elle demande à la cour de prendre acte de ce qu’elle fera l’avance des sommes allouées à la victime et procédera au recouvrement de l’intégralité des sommes dont elle serait amenée à faire l’avance, auprès de l’employeur, soit la majoration de la rente, le montant des préjudices, y compris des frais d’expertise.
Conformément aux dispositions de l’article 446-1 du code de procédure civile, les parties ont oralement soutenu à l’audience les écritures qu’elles ont déposées au greffe ou fait viser par le greffier lors de l’audience de plaidoirie et qu’elles indiquent maintenir, sans rien y ajouter ou retrancher.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se référer, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, aux écritures ci-dessus visées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de la demande en reconnaissance de faute inexcusable
M. [T], ès- qualités, soutient que l’action du salarié en reconnaissance de faute inexcusable est prescrite puisqu’il a été informé du lien possible entre sa maladie et son activité professionnelle par certificat médical du 19 juillet 2007.
La caisse indique que le salarié a été indemnisé jusqu’au 15 octobre 2011 au titre de la maladie professionnelle, prise en charge par décision notifiée le 14 avril 2011, et qu’il a saisi la caisse d’une demande en reconnaissance de faute inexcusable le 22 juillet 2013, à la suite de laquelle un procès-verbal de non-conciliation a été établi le 19 novembre 2013, de sorte qu’il avait jusqu’au 19 novembre 2015 pour formuler sa demande en reconnaissance de la faute inexcusable devant le tribunal des affaires de sécurité sociale, ce qu’il a fait le 29 septembre 2014.
La cour, comme le tribunal, rappelle qu’en application de l’article L. 431-2 du code de la sécurité sociale, en sa rédaction applicable au litige, la victime peut agir dans les deux ans à compter « 2°) dans les cas prévus respectivement au premier alinéa de l’article L. 443-1 et à l’article L. 443-2, de la date de la première constatation par le médecin traitant de la modification survenue dans l’état de la victime, sous réserve, en cas de contestation, de l’avis émis par l’expert ou de la date de cessation du paiement de l’indemnité journalière allouée en raison de la rechute ».
Or, comme l’ont relevé les premiers juges, la caisse a justifié avoir versé des indemnités journalières au titre de la maladie professionnelle jusqu’au 15 octobre 2011.
La demande de reconnaissance de faute inexcusable ayant été présentée à la caisse le 22 juillet 2013, la saisine du tribunal des affaires de sécurité sociale le 29 septembre 2014 n’est pas atteinte de forclusion. La demande en reconnaissance de faute inexcusable est dès lors recevable.
Sur la demande en reconnaissance de faute inexcusable contre la société [10]
Préalablement, il y a lieu de noter que le salarié ne dirige ses demandes au titre de la faute inexcusable que contre la société [10].
La société [10], employeur, soutient qu’aucune faute inexcusable ne peut être retenue contre elle, faisant valoir avoir pris des mesures, notamment en remplaçant totalement le système d’aspiration en place, en modifiant et en complétant le réseau existant en 2007 pour distribuer l’ensemble des machines de l’atelier, avant même que soit déclarée la maladie professionnelle du salarié, le 19 juillet 2007. Elle soutient que le salarié a bénéficié d’un nouveau système d’aspiration, d’un casque anti-bruit et d’un masque à poussières pour le ponçage et le défonçage électroportatif. Elle considère que le salarié ne démontre que ces mesures ont été insuffisantes pour préserver sa santé.
Le salarié soutient que la société [10] avait nécessairement conscience du danger auquel étaient exposés ses salariés et qu’il n’a bénéficié d’aucune protection efficace contre les poussières.
Il soutient que la société [10] n’a mis en ‘uvre aucune des mesures préconisées en matière d’exposition aux poussières de bois par l’INRS et que le remplacement de l’aspiration en mars 2007 est tardif. Il fait valoir que le certificat du Dr. [R] établit le lien indéniable entre l’absence de mesures d’hygiène et de sécurité et ses troubles respiratoires. Il indique que les appareils portatifs n’étaient dotés d’aucune aspiration efficace, ce dont attestent ses collègues.
M. [T], ès-qualités, soutient que la société [T] a respecté les prescriptions en termes de santé et de droit du travail et que la cession du fonds de commerce a été signée après que la société [10] a vérifié les installations et le respect de la réglementation. Elle fait valoir que le certificat produit par le salarié date de 2007 (n° 8) est postérieur à la cession.
La cour rappelle qu’en application des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale et L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident ou de la maladie professionnelle. Il suffit qu’elle soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes auraient concouru à la survenance du dommage. De même, la faute de la victime n’a pas pour effet d’exonérer l’employeur de la responsabilité qu’il encourt en raison de sa faute inexcusable.
Sur le fondement des textes susvisés, la faute inexcusable ne se présume pas et il incombe au salarié ou à ses ayants droit d’en rapporter la preuve.
En l’espèce, il est constant et non débattu que le salarié souffre d’une maladie dont le caractère professionnel a été reconnu le 14 avril 2011 par la caisse (pièce n° 1 du salarié), au titre du tableau des maladies professionnelles n° 47, consistant dans une « rhinite allergique et vasomatrice », selon la notification de décision relative au taux d’incapacité permanente produite par la caisse (pièce n° 8).
La date de première constatation médicale retenue par le service médical de la caisse, selon le rapport d’évaluation des séquelles produit par la salarié, est le 19 juillet 2007.
Il sera noté que le délai de prise en charge prévu par le tableau est de 7 jours.
Il y a lieu de retenir que, depuis le 14 février 1967, le tableau n°47 des maladies professionnelles auquel se réfère, depuis le 21 décembre 1985, l’article R. 461-3 du code de la sécurité sociale, est consacré aux « affections professionnelles provoquées par les poussières de bois » et indique au titre de la liste limitative des travaux susceptibles de provoquer les maladies visées :
En son A :
«Manipulation, traitement et usinage des bois et tous travaux exposant aux poussières de bois »,
En son B :
« Travaux exposant à l’inhalation des poussières de bois notamment :
Travaux d’usinage des bois tels que sciage, fraisage, rabotage, perçage et ponçage;
Travaux effectués dans les locaux où sont usinés les bois ».
Dès lors, la société [10] dont, selon les termes du contrat de cession de fonds de commerce du 2 octobre 2006 (produit au dossier : pièce n° 1 de la société [10]), l’activité était la fabrication charpentes et menuiseries, en sa qualité de professionnelle tenue d’une obligation légale de sécurité vis-à-vis de ses salariés, avait ou aurait dû avoir conscience du risque encouru par ceux-ci dans le cadre de son activité professionnelle, lié à l’exposition aux poussières de bois.
En ce qui concerne les mesures de prévention, le salarié soutient principalement que les mesures d’aspiration étaient insuffisantes, en particulier pour ce qui concerne les ponceuses portatives, pour les opérations de ponçage et défonçage, et les postes avec application de vernis, solvant et colle. Il considère en outre que les masques de protection fournis étaient insuffisants.
S’il est exact, comme le soutient la société [10], que la lettre du 20 juillet 2007 du service des maladies professionnelles et de la médecine du travail du Centre hospitaliser [Localité 11] Sud que le salarié verse à son dossier (pièce n° 8), en ce qu’il décrit les conditions de travail du salarié, repose sur les déclarations de celui-ci, elle indique néanmoins que le salarié a déclaré présenter des éternuements dans les deux minutes suivant le début du ponçage ou de l’exposition à la poussière du bois, le médecin en déduisant que ces manifestations étaient « rythmées par l’exposition à la poussière du bois ».
Par ailleurs, le salarié fournit des attestations de salariés de l’entreprise (MM. [M] et [G], pièces n° 9 et 10 du salarié) qui font état de l’insuffisance des mesures d’aspiration. A cet égard, il résulte des affirmations mêmes de la société [10] que ces salariés ont travaillé pour elle, jusqu’en juin 2009 pour le premier, et 2010 pour le second, de sorte qu’il ne peut être retenu que leurs déclarations ne concernent que le précédent employeur.
La société [10] indique avoir modifié et complété le dispositif d’aspiration pour les machines de l’atelier à partir de mars 2007, produisant diverses factures (pièces n° 17 à 20 de la société).
Ainsi, il résulte de ce qui précède que le salarié a été exposé aux poussières de bois en raison d’un système d’aspiration que la société [10] considérerait elle-même comme défectueux entre le 2 octobre 2006, date à laquelle la société [10] est devenue l’employeur du salarié par la cession du fonds de commerce, et fin mars à juin 2007, période d’installation du nouveau dispositif d’aspiration dont il se prévaut.
En outre, si la société [10] justifie de l’installation de nouveaux systèmes d’aspiration, à partir de fin mars 2007 jusqu’en juin 2007, elle n’apporte aucun élément concernant les effets d’une telle installation sur le poste tenu par le salarié, lorsqu’il était exposé aux poussières de bois, fût-ce, comme il le soutient, en dehors de l’activité de montage qui occupait 40 % de son temps de travail.
Par ailleurs, indiquant qu’elle a fourni au salarié un casque anti-bruit et un masque anti-poussière lorsqu’il effectuait des activités de ponçage et de défonçage en électroportatif, la société [10] confirme implicitement que ces machines n’étaient pas dotées, comme le soutient le salarié, de dispositifs propres d’aspiration.
A cet égard, l’absence de dispositif d’aspiration sur le matériel électroportatif indique que l’employeur n’a pas pris des mesures de protection collective, qui doivent avoir priorité sur les mesures de protections individuelles, telles que les masques anti-poussière dont il se prévaut.
Par ailleurs, l’employeur ne justifie d’aucune évaluation du risque d’exposition à la poussière de bois, telle que l’impose l’article L. 4121-2 du code du travail, ou encore d’actions d’information et de formation, mesures prévues par l’article L. 4121-1 du code du travail.
Il sera noté en outre que le salarié a été déclaré inapte à son poste le 17 octobre 2011, de sorte qu’il a été susceptible d’être exposé aux poussières de bois, dans les conditions de travail que lui procurait la société [10], durant près de cinq années tandis que la date de première constatation médicale date du 19 juillet 2007.
Dès lors, il y a lieu de considérer qu’il n’est pas établi par la société [10] qu’elle a pris les mesures nécessaires pour prévenir l’exposition aux poussières de bois du salarié, risque dont elle avait conscience.
Ainsi, la faute inexcusable de la société [10] est établie et le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les conséquences de la faute inexcusable à l’égard de la société [10]
Il convient de relever que la responsabilité de la société [10] n’est pas retenue à raison de la faute inexcusable commise par des employeurs précédents mais consécutivement à la reconnaissance de la faute inexcusable qu’elle a elle-même commise à l’égard du salarié dans le cadre de la présente instance.
Sur le taux de rente majoré et le recouvrement des sommes avancées par la caisse auprès de l’employeur
Le salarié demande la majoration de sa rente au taux maximum prévu par la loi, qui devra suivre l’évolution du taux d’incapacité de la victime en cas d’aggravation de son état de santé en rapport avec son accident du travail.
La société [10] soutient, à titre subsidiaire qu’elle n’a jamais reçu les notifications d’incapacité de 3 %, arrêté le 15 octobre 2011, ni n’a été partie à l’instance ayant fixé ce taux à 15 %, par jugement du 15 janvier 2013.
Elle précise que la caisse ne lui a demandé que le 12 avril 2016 des attestations de salaires pour la fixation d’un taux d’IPP.
Elle en déduit ainsi qu’en raison du principe d’indépendance des rapports, la caisse ne peut se prévaloir à son égard du taux de 15 %, résultant d’une instance à laquelle elle n’a pas été partie et en déduit que seul le taux de 3 % lui est opposable.
La cour retient qu’en raison de la reconnaissance de la faute inexcusable commise par la société [10], le salarié est en droit de demander la majoration de son capital ou de sa rente à son taux maximum, conformément aux dispositions de l’article L. 452-2 du code de la sécurité sociale.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Il résulte des dispositions de l’article L. 452-3, alinéa 3, du code de la sécurité sociale, que l’indemnisation complémentaire due à la victime d’un accident du travail en cas de faute inexcusable de son employeur est versée au bénéficiaire par la caisse qui en récupère le montant auprès de l’employeur.
Concernant le taux d’incapacité permanente partielle de la victime opposable à la société [10], la caisse convient de ce que, seul, le taux de 3 % a été notifié à l’employeur, de sorte que ce seul taux lui est opposable.
La caisse pourra ainsi procéder au recouvrement auprès de la société [10] des sommes dont elle aura fait l’avance, au regard de ce seul taux de 3%.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Et la caisse pourra recouvrer à l’encontre de la société [10], employeur, le montant de la provision allouée, l’indemnisation complémentaire qui sera allouée au salarié dans le cadre de la liquidation de ses préjudices complémentaires, ainsi que les frais d’expertise, dont elle aura fait l’avance.
Il est ajouté au jugement en ce sens.
Sur la provision
La société [10] considère que, étant établi que le salarié a pu s’installer postérieurement à son propre compte en qualité d’artisan en exerçant pour activité principale des travaux de menuiserie, bois et PVC, la réalité du préjudice subi par le salarié n’est pas démontrée.
La cour retient que le préjudice du salarié résultant d’une faute inexcusable de l’employeur à l’origine de sa maladie professionnelle, en raison de son exposition aux poussières de bois, le fait qu’il ait pu reprendre une activité de menuiserie en qualité d’indépendant à compter de 2014, en tant que de besoin en adoptant les mesures nécessaires à se préserver des poussières de bois, ne saurait exclure l’existence d’un préjudice et le caractère fondé d’une provision à ce titre.
Le montant de provision à valoir sur l’indemnisation des préjudices sera ainsi fixé à la somme de 1 000 euros, dont la caisse fera l’avance.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur la mesure d’expertise
Il sera noté que le tribunal a ordonné une telle mesure et que le salarié a oralement indiqué à l’audience qu’il demandait, contrairement à ce qu’il indiquait dans ses écritures, la seule confirmation de la décision attaquée à ce titre.
Le jugement est confirmé en ce qu’il a ordonné avant dire droit une expertise médicale, sauf à préciser que l’expertise médicale judiciaire ne sera pas menée au contradictoire de la société [8], représentée par M. [T] en qualité de liquidateur.
Sur la recevabilité de la demande de la société [10] contre la société [T]
La cour a soulevé d’office la question de la recevabilité de la demande de la société [10] visant à ce que M. [T], en qualité de liquidateur de la société [8], la relève et la garantisse des conséquences financières résultant de la faute inexcusable de l’employeur, à proportion du temps d’exposition du salarié au risque lésionnel au sein de la société [T], soit du 2 juin 2000 au 2 octobre 2006.
Il sera rappelé qu’aucune demande n’est formulée par le salarié contre la société [T], à l’égard de laquelle il n’y a dès lors pas lieu de rechercher l’existence d’une faute inexcusable.
La cour rappelle que la compétence donnée par l’article L. 452-4 du code de la sécurité sociale à la juridiction du contentieux général de la sécurité sociale pour connaître de l’existence de la faute inexcusable reprochée à l’employeur ainsi que du montant de la majoration et des indemnités mentionnées à l’article L. 452-3 ne s’étend pas à la demande de garantie fondée sur un contrat de cession formée par l’auteur d’une faute inexcusable contre un autre.
Etant rappelé que le fonds de commerce a été cédé par la société [8] à la société [10], le 2 octobre 2006, et que l’action en reconnaissance de la faute inexcusable commise par l’employeur n’est dirigée par le salarié que contre la société [10], il n’y a pas lieu, comme l’ont fait les premiers juges, de déterminer si M. [T], ès qualités, est tenu de relever et garantir la société [10] à raison de la faute inexcusable qu’aurait commise la société [T], fût-ce à proportion de la période durant laquelle celle-ci a employé le salarié.
Ainsi, et sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen d’irrecevabilité soulevé par M. [T], è-qualités, la demande de la société [10] doit être déclarée irrecevable et le jugement doit être infirmé de ce chef.
Sur les autres demandes
M. [T], ès qualités, sollicite la condamnation de la société [10] à lui verser une indemnité pour procédure abusive sans caractériser suffisamment l’existence d’un abus commis par la société dans son droit d’agir en justice. Il ne précise en outre pas la nature du préjudice qu’il aurait subi, dont il ne justifie pas l’existence. Sa demande doit en conséquence être rejetée.
Au vu de l’équité, il y a lieu de rejeter la demande de la société [10] au titre de l’article 700 du code de procédure civile et de la condamner à ce titre à payer au salarié la somme de 2 000 euros et celle de 2 000 euros à M. [T], ès-qualités.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,
DECLARE recevable la demande de M. [I] en reconnaissance de faute inexcusable ;
INFIRME le jugement, en ce qu’il a :
– dit que la société [8] a commis une faute inexcusable à l’origine de la maladie professionnelle présentée le 19 juillet 2007 par M. [V] [I] et qu’elle devra en conséquence garantir la société [10] des conséquences financières résultant de la faute inexcusable de l’employeur, à proportion du temps d’exposition du salarié au risque lésionnel au sein de la société [8], soit du 2 juin 2000 au 2 octobre 2006 ;
– déclaré opposable à la société [10] la fixation du taux d’incapacité permanente partielle de 15 %, tel que révisé par jugement du tribunal du contentieux de l’incapacité du 15 janvier 2013 ;
– rejeté la demande de provision sur dommages-intérêts de M. [V] [I] ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
DÉCLARE la société [10] irrecevable en sa demande en condamnation de M. [T], en qualité de liquidateur de la société [8], à la relever et garantir des conséquences financières résultant de la faute inexcusable de l’employeur, à proportion du temps d’exposition du salarié au risque lésionnel au sein de la société [T], soit du 2 juin 2000 au 2 octobre 2006 ;
CONSTATE que le taux d’incapacité permanente partielle fixé par jugement du tribunal du contentieux de l’incapacité du 15 janvier 2013 est inopposable à la société [10] ;
FIXE à 1 000 euros la somme due à M. [V] [I] à titre de provision à valoir sur l’indemnisation des préjudices causés par la faute inexcusable de la société [10] à l’origine de sa maladie professionnelle ;
DIT que la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône fera l’avance de la provision allouée à M. [V] [I] à valoir sur l’indemnisation de ses préjudices,
DIT que la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône procédera auprès de la société [10] au recouvrement des sommes dont elle sera amenée à faire l’avance, y compris les frais de l’expertise, dans les limites découlant de l’application du taux initial d’incapacité permanente partielle de 3 %,
CONFIRME le jugement en ce qu’il a ordonné avant dire droit une expertise médicale, sauf à préciser que l’expertise médicale judiciaire ne sera pas menée au contradictoire de la société [8], représentée par M. [T] en qualité de liquidateur.
CONFIRME le jugement en ses autres dispositions,
Y ajoutant,
REJETTE la demande de M. [T], en qualité de liquidateur de la société [8], en paiement par la société [10] d’une indemnité pour procédure abusive,
REJETTE la demande de la société [10] au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société [10] aux dépens de la présente instance d’appel ainsi qu’à ceux de l’instance ayant donné lieu à l’arrêt de la cour d’appel de Lyon du 10 septembre 2019, cassé par arrêt de la Cour de cassation du 8 avril 2021,
CONDAMNE la société [10] à verser au titre de l’article 700 du code de procédure civile la somme de 2 000 euros à M. [Z] [T], en qualité de liquidateur de la société [8], et celle de 2 000 euros à M. [V] [I].
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE