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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 12
ARRÊT DU 03 Février 2023
(n° , 2 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 19/09310 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CASXY
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 Juillet 2019 par le Tribunal de Grande Instance de MELUN RG n° 17/00796
APPELANTE
Société [6]
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 4]
représentée par Me Claude-Marc BENOIT, avocat au barreau de PARIS, toque : C1953 substitué par Me Françoise LEMIRE, avocat au barreau de PARIS, toque : E0217
INTIMES
Monsieur [E] [S]
[Adresse 2]
[Localité 1]
comparant en personne, assisté de Me Stéphanie LAMY, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 372 substitué par Me Mélanie ADRIEN, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE
CPAM 77 – SEINE ET MARNE
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 3]
représentée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 01 Décembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Raoul CARBONARO, Président de chambre
M. Gilles REVELLES, Conseiller
M. Gilles BUFFET, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Claire BECCAVIN, lors des débats
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
-signé par M. Raoul CARBONARO, Président de chambre et Mme Claire BECCAVIN, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l’appel interjeté par la S.A.S. [6] (la société) d’un jugement rendu le 26 juillet 2019 par le tribunal de grande instance de Melun dans un litige l’opposant à [E] [S] (l’assuré), en présence de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de la Seine-et-Marne (la caisse).
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Les faits de la cause ayant été correctement rapportés par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que l’assuré, salarié de la société en qualité d’« opérateur élaboration » au service aciérie, a été victime le 8 décembre 2014 d’un accident du travail, subissant au terme du certificat médical initial une « fracture vertébrale du plateau supérieur de L3 avec recul du mur postérieur et rétrécissement du canal central. Hospitalisation en UHCD jusqu’au 10/12/14 puis transfert au Val-de-Grâce le 10/12/14 + Fracture dent 37 » ; que cet accident a le 9 janvier 2015 été pris en charge par la caisse au titre de la législation professionnelle ; que l’état de santé de l’assuré a été déclaré consolidé le 8 septembre 2017 avec un taux d’IPP de 3% ; qu’à la suite de la contestation de l’assuré, le taux d’IPP a été porté à 7% par le tribunal du contentieux de l’incapacité (TCI) par jugement du 25 septembre 2018 et confirmé par l’arrêt du 26 avril 2022 rendu par la Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail (CNITAAT) ; qu’après vaine tentative de conciliation, l’assuré a intenté le 30 novembre 2017 une action en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Melun ; que le dossier a été transmis au tribunal de grande instance de Melun le 1er janvier 2019.
Par jugement du 26 juillet 2019, le tribunal a :
– Dit que l’accident du travail dont a été victime l’assuré le 8 décembre 2014, pris en charge par la caisse, était imputable à la faute inexcusable de la société ;
– Ordonné une expertise médicale judiciaire comprenant la mission habituelle ;
– Dit que la caisse fera l’avance des frais d’expertise ainsi ordonnée et que celle-ci devra verser une avance de 800 euros à l’expert désigné ;
– Fixé au taux maximum la majoration de l’indemnité en capital, ou le cas échéant de la rente servie à l’assuré ;
– Dit que la majoration du capital sera toujours fixée au maximum légal quel que soit le taux d’incapacité permanente partielle dont elle suivra l’évolution ;
– Dit que la rente sera versée par la caisse ;
– Dit que la caisse pourra recouvrer le montant des frais d’expertise à l’encontre de la société ;
– Déclaré le jugement commun et opposable à la caisse et la société ;
– Condamné la société au paiement à l’assuré de la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Réservé les dépens.
Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu que l’assuré avait été projeté au sol par la chute d’une pièce métallique lors de la découpe d’un cuvier au moyen d’un chalumeau, la société l’ayant chargé de poursuivre l’oxycoupage d’un cuvier commencé par un de ses collègues. Il a écarté l’argumentation de la société selon laquelle la faute du salarié qui était mal positionné était la cause exclusive de l’accident et présentait un caractère imprévisible, tout en retenant que la société avait conscience du danger auquel son salarié était exposé notamment au regard des énumérations du document unique d’évaluation des risques et des équipements de sécurité confiés au salarié. Il a notamment précisé que l’assuré avait procédé à une méthode de découpe différente de celle utilisée par son prédécesseur, en procédant à des découpes de 1 mètre par 1 mètre, ce que l’enquête sur les risques professionnels rédigée par la Caisse Régionale d’Assurance Maladie d’Île-de-France indiquait être la méthode préconisée pour permettre le recyclage. Il a retenu qu’il appartenait à l’employeur de donner des directives précises lorsqu’un opérateur succédait à un autre sur une même tâche afin d’éviter tout danger. Il a constaté en l’espèce que l’employeur n’avait pris aucune mesure pour préserver son salarié du danger dont il était pourtant conscient et alors qu’il était établi que l’assuré avait bénéficié d’une formation spécifique à l’oxycoupage des cuviers.
La société a interjeté appel le 13 septembre 2019 de ce jugement qui lui avait été notifié le 10 septembre 2019.
Par ses conclusions écrites soutenues oralement et déposées à l’audience par son conseil, la société demande à la cour de :
– Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 26 juillet 2019 par le tribunal de grande instance de Melun ;
– Juger qu’elle n’a pas commis de faute inexcusable ;
– Débouter en conséquence l’assuré de la totalité de ses demandes.
La société expose en substance que :
– L’assuré est un salarié expérimenté disposant de toutes les formations et capacités nécessaires pour appréhender les dangers des tâches relevant de sa fiche de poste ;
– En tant que membre du CHSCT, il dispose d’une compétence spécifique sur les questions de sécurité au sein de l’entreprise ;
– Il n’a jamais fait l’objet d’un changement de poste avant l’accident dont il a été victime ;
– Il connaissait parfaitement la technique employée ;
– Il dispose d’une formation complète en tant que conducteur d’engins, concernant notamment la manipulation des cuviers, de sorte qu’il a une parfaite connaissance de ces appareils ;
– Il connaît le poids de ces outils et les précautions à prendre pour toute manipulation de ces derniers ;
– À aucun moment lors de l’enquête du CHSCT, ni même lors de la visite de l’inspecteur du travail, l’absence de formation n’a été mise en évidence ;
– Il a été spécifiquement formé à la technique de l’oxycoupage décrite dans la méthode opératoire 2721 ;
– Ainsi, il a reçu une formation sur les modes opératoires généraux de sécurité ACI 2701 à 2723, en date du 28 janvier 2000 ;
– Cette formation a été vérifiée le 31 mars 2014, soit quelques mois seulement avant l’accident ;
– Il connaît les risques liés à la chute des morceaux ;
– Il a donc parfaitement conscience de la nécessité de prévoir la chute des morceaux en réalisant des découpes appropriées et en conservant une distance de sécurité suffisante, ce que lui permettait le chalumeau utilisé, d’une longueur de 1,20 m ;
– Elle a prévu des consignes de sécurité particulières pour effectuer la découpe par oxycoupage avec un mode opératoire spécifique ;
– Par ailleurs, l’assuré a reçu des consignes précises pour terminer la découpe du cuvier commencée sans difficulté par un collègue ;
– Elle dispose qu’une analyse générique pour la découpe à l’oxycoupage ainsi qu’un mode opératoire ;
– Il est impossible de prévoir une analyse spécifique à chaque pièce à découper, seules les conditions d’utilisation du chalumeau et la technique de l’oxycoupage peuvent faire l’objet d’une prévision par l’employeur ;
– La technique appliquée à chaque pièce résulte d’une analyse de l’opérateur aidé par son supérieur ;
– L’assuré reconnaît qu’il avait reçu des instructions de son supérieur avant d’entamer le travail et qu’il n’a soulevé aucun problème avant l’accident ;
– Ainsi son supérieur lui a demandé de faire des découpes de 50 cm de côté et c’est ce qu’il a fait en débutant son intervention et pendant 1h30 ;
– L’assuré a oublié qu’il venait de réaliser une coupe complète du cuvier (partie inférieure droite) lorsqu’il a entamé la découpe de la partie de gauche ;
– À ce stade les deux parties du cuvier n’étaient plus maintenues ;
– Il s’est placé sur la zone de chute de la partie qu’il découpait et non sur le côté comme il l’avait fait pour le premier carré ;
– Il réalisait l’opération à proximité d’une allée de circulation ou un collègue de son équipe passe régulièrement.
Par ses conclusions écrites soutenues oralement et déposées à l’audience par son conseil, l’assuré demande à la cour de :
– Confirmer la décision dont appel en ce qu’elle l’a :
* Jugé que l’accident dont il a été victime le 8 décembre 2014 est imputable à la faute inexcusable de la société ;
* Ordonné une expertise médicale judiciaire ;
* Dit que la caisse fera l’avance des frais d’expertise ;
* Fixé au taux maximum la majoration de l’indemnité en capital ou le cas échéant de la rente ;
* Condamné la société à lui verser au titre de l’article 700 la somme de 1 500 euros ;
– Renvoyer, pour le surplus et pour l’appréciation des préjudices du concluant, devant le pôle social du tribunal judiciaire de Melun ;
– Condamner la société à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Déclarer l’arrêt commun et opposable à la caisse.
L’assuré fait valoir pour l’essentiel que :
– La société a été déclarée coupable des faits de « blessures involontaires par personne morale avec incapacité n’excédant pas 3 mois par la violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence dans le cadre de du travail » ;
– Le jugement, non frappé d’appel, est devenu définitif ;
– Le document « mode opératoire intervention par oxycoupage » révisé le 21 octobre 2009 rappelait les consignes de sécurité usuelles, sans décrire aucun mode opératoire s’agissant de la découpe d’un cuvier ;
– C’est après l’accident que la société a révisé le mode opératoire en date du 30 décembre 2014, en ajoutant un paragraphe sur les « précautions à prendre » et un autre concernant le « cas particulier : découpe d’un cuvier » ;
– La tâche confiée ne figurait pas sur le document unique d’évaluation des risques, aucune analyse de risque n’ayant été effectuée comme l’a relevé le CHSCT dans son enquête, conseillant de « compléter l’analyse de risque » de l’intervention par oxycoupage « pour la découpe d’un cuvier » ;
– La société n’a d’ailleurs jamais justifié de la formation sur les risques, de la formation en matière de sécurité sur les conditions d’exécution du travail, et des actions particulières en fonction des risques constatés dans les établissements à haut risque ;
– Il s’agit d’une violation flagrante des articles L. 4121-2 et L. 4141-1 et suivants du code du travail ;
– D’autre part, il travaillait, sur un lieu isolé et sans aucun collègue à portée d’yeux ou de voix ;
– Ainsi, il n’a pas été secouru dans des délais rapides.
Par ses conclusions écrites déposées à l’audience par son conseil qui les a développées oralement à l’audience, la caisse, au visa des articles L. 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale, de :
– Statuer ce que de droit sur les mérites de l’appel interjeté par la société ;
Dans l’hypothèse où la cour retiendrait la faute inexcusable de l’employeur,
– Rappeler qu’elle avancera les sommes éventuellement allouées à l’assuré dont elle récupèrera le montant sur l’employeur ;
En tout état de cause,
– Condamner tout succombant aux entiers dépens.
La caisse fait valoir que compte tenu de la nature du litige elle s’en rapporte à l’appréciation de la cour sur les mérites de l’appel.
Il est expressément renvoyé aux écritures des parties reprises oralement et déposées à l’audience du 1er décembre 2022, et qui ont visées par le greffe, pour un exposé complet de leurs moyens et arguments développés au soutien de leurs prétentions respectives.
SUR CE,
Sur la faute inexcusable
Il résulte de l’application combinée des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail que le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident survenu au salarié ou de la maladie l’affectant. Il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire, même non exclusive ou indirecte, pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, étant précisé que la faute de la victime, dès lors qu’elle ne revêt pas le caractère d’une faute intentionnelle, n’a pas pour effet d’exonérer l’employeur de la responsabilité qu’il encourt en raison de sa faute inexcusable.
En l’espèce, il est constant que l’assuré travaillant en qualité d’opérateur polyvalent en aciérie depuis 2001 pour la société a été victime d’un accident du travail le 8 décembre 2014 alors qu’ayant pris le relais d’un collègue à la demande de son supérieur, il réalisait une opération de découpe par oxycoupage d’un cuvier à laitier. L’assuré a été percuté par une plaque métallique qui s’est détachée et l’a entraîné dans sa chute. L’assuré s’est retrouvé coincé sous un morceau du cuvier.
Il a subi une fracture vertébrale du plateau supérieur de L3 avec recul du mur postérieur et rétrécissement du canal central et une fracture de la dent 37. Il a été hospitalisé en UHCD (unité d’hospitalisation de courte durée) jusqu’au 10 décembre 2014 puis transféré au Val-de-Grâce à cette dernière date jusqu’au 17 décembre 2014.
Il a été déclaré consolidé au 8 septembre 2017 avec un taux d’IPP de 3%, lequel a été porté à 7% par le TCI le 25 septembre 2018, taux qui a été confirmé par la CNITAAT le 26 avril 2022.
La réalité du fait accidentel et sa prise en charge au titre de la législation professionnelle ne sont pas contestées.
En substance, la société prétend que s’il avait reçu la consigne de procéder par découpe de pièces de 50 cm de côté au moyen de son chalumeau d’une longueur de 1m20 afin de rester à une distance de sécurité suffisante, l’assuré, après 1h30 de travail sur la partie droite du cuvier, avait pris l’initiative de découper la partie gauche par pièces plus importantes sans tenir compte de la désolidarisation intervenue entre les deux côtés du cuvier et sans se placer de telle sorte de rester en sécurité pendant l’opération par rapport au point de chute de la pièce découpée. Elle considère dès lors que l’assuré a commis deux fautes imprévisibles à l’origine exclusive de l’accident, à savoir l’oubli que le côté droit avait été entièrement découpé et le positionnement sur la zone de chute de la partie à gauche en train d’être découpée.
Néanmoins, par jugement du 14 septembre 2020, devenu définitif, le tribunal correctionnel de Fontainebleau a reconnu la société coupable des faits de blessures involontaires par personne morale avec incapacité n’excédant pas 3 mois par la violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence dans le cadre du travail commis le 8 décembre 2014.
Il ressort du jugement correctionnel qu’une main courante a été rédigée le jour de l’accident comme suit : « Un employé de la société et pompier volontaire était occupé, seul sur son poste, à découper avec une lance à oxygène un cuvier en acier voué à la destruction. Un morceau de ce cuvier, morceau mesurant environ 1,80 mètre de long par 1,20 mètre de large et une dizaine de centimètres d’épaisseur et d’un poids d’environ 800 kg s’est détaché et a basculé sur l’ouvrier qui a pivoté sur lui-même pour se protéger et a été projeté au sol sous le choc. L’ouvrier dont les jours ne sont pas en danger portait lunettes et casque. Transporté par SP au CH [Localité 4]. Les examens révèlent notamment l’écrasement d’une vertèbre qui pousserait sur la moelle épinière. »
L’assuré a pu expliquer aux services d’enquête le 3 juin 2016 (pièce n°28 de l’assuré) qu’il était représentant syndical et n’exerçait plus réellement la fonction pour laquelle il avait été embauché. Il a indiqué que le jour de l’accident son bon de délégation mentionnait un temps de délégation syndicale de 18h00 à 22h00. Avant cette délégation, à 14h00, il avait été chargé de découper une cuve métallique. Il a indiqué : « Celle-ci se trouve à même le sol. Quand je suis arrivé, celle-ci avait déjà été en partie découpée. Je me suis équipé d’un casque, d’une voilette, de gants aluminisés et veste aluminisée couvrant le corps jusqu’aux chevilles, ensuite je portais des bottes équipées de coques au bout (‘) Il y avait déjà un jeune en train de découper [[J] [V]], il n’était pas équipé. Faisant partie du CHSCT je lui ai demandé plusieurs fois de baisser sa voilette qu’il avait relevée. Il faut préciser que ce jour, il pleuvait. Du coup, il s’est fâché et il est parti. Là mon responsable [Monsieur [X]] est arrivé, je lui ai expliqué la situation et nous avons convenu de la manière de découper cette cuve au chalumeau. Je n’avais pas avec moi d’allume-gaz alors que c’est obligatoire pour allumer le chalumeau. C’est donc mon responsable qu’il l’a allumé avec un briquet. J’aurais dû exercer mon droit de retrait à ce moment-là. Il est parti, je me suis retrouvé seul à la découpe jusqu’à l’accident. » Il a également affirmé aux enquêteurs n’avoir jamais effectué ce travail auparavant et qu’aucun protocole de découpe n’avait été prévu.
Étant seul sur les lieux, l’assuré a contacté lui-même les pompiers au moyen de son téléphone mobile.
Également entendu, le responsable production de la société a expliqué aux services d’enquête le 23 juin 2016 qu’un salarié [[J] [V]], formé, avait commencé la découpe en attendant que l’assuré s’équipe. L’assuré était également formé à ce poste qu’il pratiquait depuis 2001. Ce responsable a contesté avoir utilisé un briquet pour allumer le chalumeau.
[J] [V], le salarié ayant commencé à découper le cuvier, a été entendu le 10 octobre 2016 par les services de police et a confirmé qu’il n’avait pas mis sa voilette en raison de la pluie et que l’assuré lui avait demandé de la baisser. N’étant pas d’accord, il avait arrêté la découpe. Il a expliqué : « J’ai commencé une saignée dans le cuvier, je ne sais pas s’il a continué de la même manière que moi car personne ne travaille de la même façon. (‘) J’ai commencé à découper ce cuvier de haut vers le bas. Je ne comprends toujours pas pourquoi ce cuvier était dans ce sens-là. Généralement il est retourné ou sur le côté. C’est une des premières fois que je le voyais comme cela. » Ce salarié ajoutait que l’assuré était un « pro de la découpe » et que personne n’avait compris comment l’accident avait pu survenir.
Il ressort également du jugement correctionnel que la DIRECCTE a dressé un procès-verbal le 30 novembre 2015 relevant que l’accident était la conséquence de deux manquements de la société aux règles du code de travail :
– Le changement de poste d’un travailleur sans organisation de la formation pratique et appropriée à la sécurité ;
– L’absence de mise à disposition du salarié d’équipement de travail garantissant la stabilité du cuvier lors de sa découpe et garantissant de ce fait la sécurité des travailleurs.
La société a contesté les infractions relevées par la DIRECCTE remettant en cause l’ensemble des observations de ce service.
Néanmoins, les inspecteurs du travail avaient également constaté le 9 décembre 2014 que :
– Le cuvier était posé à même le sol, maintenu partiellement en équilibre sur des briques en ciment ;
– Aucun document définissant précisément la découpe des cuviers ne leur avait été remis ;
– L’assuré avait bénéficié de diverses formations mais aucune spécifique à la découpe des cuviers.
La cour relève ainsi qu’il est établi que le travail a été commencé par un salarié qui a procédé à la découpe d’un côté du cuvier avant d’être repris et fini par l’assuré pour ce côté du cuvier puis continué sur l’autre côté du cuvier, étant observé que la découpe d’un côté entraînait la désolidarisation des deux côtés et que des directives précises ont été données sur la méthode à suivre, l’assuré ayant convenu avec son supérieur hiérarchique « la manière de découper cette cuve au chalumeau ».
Ce point est corroboré non seulement par le témoignage du salarié ayant commencé à découper le cuvier, selon lequel chacun travaillait différemment, mais aussi par le document « Mode opératoire ACI 2721 – Interventions par oxycoupage » établi le 21 octobre 2009 (pièce n°31 de l’assuré) qui rappelle les consignes de sécurité pour l’usage du chalumeau mais ne décrit pas le mode opératoire de la découpe d’un cuvier.
L’analyse du Document unique du service aciérie (pièce n°33 de l’assuré) ne permet pas de retrouver la tâche confiée à l’assuré le 8 décembre 2014 avec une description des risques y afférents.
Ensuite, le document émanant du « service sécurité environnement » de la société, établi le 10 décembre 2014 (pièce n°34 de l’assuré), indique que la découpe du cuvier devait se faire par morceaux « d’un mètre sur un mètre », ce que les images de la vidéosurveillance reprises par cette enquête interne de la société confirment. Toutefois, la taille des pièces découpées le jour de l’accident avant et après l’intervention de l’assuré n’est pas en cause puisque l’assuré a été blessé par la chute d’un morceau dont la dimension était supérieure à la rallonge du chalumeau et, selon la main courante, mesurait 1m80 sur 1m20. En outre, si la société soutient que la taille des pièces devait être de 50 cm et que le premier salarié avait procédé de la sorte, il résulte des éléments de l’enquête que l’assuré a reçu la consigne de son supérieur de découper des morceaux de 1 m contrairement à ce que prétend la société en soutenant que son salarié s’était affranchi de la consigne de découper des morceaux de 50 cm pour adopter un autre procédé de sa seule initiative.
Le 12 décembre 2014, le CHSCT, a ainsi préconisé, à la suite immédiate de l’accident (pièce n°35 de l’assuré), de :
« – Compléter l’analyse de risque “intervention par oxycoupage” pour la découpe d’un cuvier pour les 2 méthodes pouvant être envisagées en fonction des besoins du service ;
« – Mettre à jour le mode opératoire “intervention par oxycoupage” en précisant la manière d’opérer pour un cuvier pour les 2 méthodes pouvant être envisagées en fonction des besoins du service ;
« – Faire un stop discussion QSE avec toutes les personnes autorisées à faire des interventions par oxycoupage afin de présenter la mise à jour du mode opératoire. »
À la suite de cet avis du CHSCT, le document « Mode opératoire ACI 2721 – Interventions par oxycoupage » établi le 21 octobre 2009 a été révisé le 30 décembre 2014 (pièce n°32 de l’assuré) par l’adjonction de deux paragraphes, à savoir « précautions à prendre » et « cas particulier : découpe d’un cuvier », lequel dernier paragraphe décrit précisément la procédure à suivre dans ce cas depuis la pose du cuvier au sol jusqu’à l’évacuation des morceaux découpés.
La découpe par oxycoupage en hauteur d’une cuve en acier destinée au recyclage en morceaux de tailles nécessairement suffisantes pour permettre d’une part le recyclage, d’autre part de réaliser le travail dans un délai raisonnable (le seul morceau ayant provoqué l’accident mesurant 1m80 sur 1m20 pesait environ 800 kg) présente nécessairement un danger dont la société avait connaissance ou aurait dû avoir conscience. La société l’admet d’ailleurs en soulignant le fait que le chalumeau est d’une longueur de 1m20 précisément pour permettre à l’ouvrier de se ménager une distance de sécurité avec la pièce sur laquelle il travaille.
Cependant la société avant l’accident n’avait envisagé ce danger que sous l’angle du chalumeau utilisé et non de l’objet à découper. Et précisément l’accident ne s’est pas produit du fait du chalumeau, ni d’une défection ni d’un mauvais usage de ce dernier, mais du fait de la réaction de l’objet découpé et de la modification de son équilibre au cours de l’opération.
Ainsi, malgré la conscience du danger qu’elle avait ou aurait dû avoir, la société n’a pas en l’espèce déterminé un mode opératoire précis pour l’oxycoupage d’un cuvier (le CHSCT indique lui-même que deux modes peuvent être envisagés), et n’a pas ainsi pris de mesures efficaces pour y remédier.
Il importe peu que l’assuré ait pu suivre par ailleurs une formation sur les modes opératoires généraux de sécurité ACI 2701 à 2723, le 28 janvier 2000, ou ait été un travailleur qualifié dès lors que l’opération à laquelle il était affecté n’avait pas été analysée en termes de dangers et de mesures de sécurité spécifiques à mettre en ‘uvre lors du découpage d’un cuvier et n’était pas décrite et analysée dans les documents visés par la société (ses pièces n°50 et 51) et que par ailleurs la société n’établit pas avoir assuré à l’intéressé une formation propre à la découpe particulière des cuviers.
Le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité exposant son salarié à un danger dont il avait ou aurait dû avoir conscience est ainsi établi, tout comme le fait et qu’il n’a pas pris toutes les mesures nécessaires pour le préserver efficacement de ce danger.
La faute inexcusable de l’employeur participant à l’accident est ainsi caractérisée, peu important que le salarié ait pu commettre une faute également causale en « oubliant » qu’un côté avait déjà été entièrement découpé ou en ne se mettant pas à une distance suffisante de la pièce qu’il découpait, étant observé d’ailleurs qu’il n’est pas établi que c’est cette pièce qui soit la cause de l’accident et non une autre partie du cuvier, dès lors que l’employeur n’établit pas, ni même n’allègue, qu’un tel manquement, même imprévisible, constituerait une faute intentionnelle.
Le jugement sera en conséquence confirmé.
Sur les conséquences de la faute inexcusable
L’assuré demande le renvoi du dossier devant la juridiction de première instance. Ni la société ni la caisse ne s’y opposent. Aucun débat n’a eu lieu devant la cour sur la liquidation du préjudice de la victime. Les parties seront renvoyées devant la juridiction de première instance.
La société, succombant en appel, sera condamnée aux dépens et à payer à l’assuré une somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par celui-ci.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
DÉCLARE l’appel recevable ;
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Et y ajoutant,
RENVOIE devant le tribunal judiciaire de Melun les parties pour l’appréciation des préjudices de [E] [S] ;
CONDAMNE la S.A.S. [6] à payer à [E] [S] une somme de 2 000 euros en remboursement des frais irrépétibles qu’il a exposés ;
CONDAMNE la S.A.S. [6] aux dépens d’appel.
La greffière Le président