Tentative de conciliation : 13 février 2023 Cour d’appel de Metz RG n° 21/01692

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Tentative de conciliation : 13 février 2023 Cour d’appel de Metz RG n° 21/01692
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Arrêt n° 23/00048

13 Février 2023

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N° RG 21/01692 – N° Portalis DBVS-V-B7F-FREL

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Tribunal Judiciaire de METZ- Pôle social

21 Mai 2021

18/1930

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE METZ

CHAMBRE SOCIALE

Section 3 – Sécurité Sociale

ARRÊT DU

treize Février deux mille vingt trois

APPELANT :

Monsieur [Y] [F]

[Adresse 3]

[Localité 5]

représenté par Me Guillaume DELORD, avocat au barreau de STRASBOURG

INTIMÉS :

Société [15]

ayant siège social

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 7]

prise en son établissement [Adresse 11]

[Adresse 11]

[Localité 4]

représentée par Me Christophe BIDAL, avocat au barreau de LYON

substitué par Me ANTONIAZZI, avocat au barreau de METZ

CAISSE AUTONOME NATIONALE DE LA SECURITE SOCIALE DANS LES MINES – CANSSM

ayant pour mandataire de gestion la CPAM de Moselle prise en la personne de son directeur

et pour adresse postale

L’Assurance Maladie des Mines

[Adresse 16]

[Localité 6]

représentée par Mme [S], munie d’un pouvoir général

FONDS D’INDEMNISATION DES VICTIMES DE L’AMIANTE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 8]

représenté par Me BONHOMME, avocat au barreau de METZ

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 Novembre 2022, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme Carole PAUTREL, Conseillère, magistrat chargé d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Clarisse SCHIRER, Présidente de Chambre

Mme Carole PAUTREL, Conseillère

Mme Anne FABERT, Conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MATHIS, Greffier

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement après prorogation du 19.01.2022

par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Madame Clarisse SCHIRER, Présidente de Chambre, et par Madame Sylvie MATHIS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Né le 28 décembre 1929, Monsieur [Y] [F] a travaillé, du 10 décembre 1951 au 16 octobre 1987, pour le compte de la société [15], venant aux droits des sociétés [12], [14], [13] et [9].

II a occupé successivement les emplois suivants :

– Surveillant de construction ;

– Piqueur ;

– Chef de fabrication ;

– Chef de fabrication ‘ expéditions engrais ;

– Responsable de section ‘ transport et logistique.

Par formulaire du 24 novembre 2016, accompagné d’un certificat médical initial du Docteur [M] du 17 mai 2016, précisant « le cliché scannographique montre des images compatibles avec une maladie professionnelle suite à l’exposition à l’amiante. Les EFR montrent un syndrome obstructif d’après Gold 1. Une procédure de reconnaissance de maladie professionnelle selon le tableau 30B me semble nécessaire », il a déclaré à l’Assurance Maladie des Mines (ci-après la caisse) cette maladie professionnelle.

La caisse a diligenté une instruction.

Par courrier du 10 mars 2017, la société [15] a émis des réserves quant au caractère professionnel de la maladie de monsieur [F] et à son exposition à l’amiante.

Par courrier du 11 avril 2017, la caisse a notifié aux parties son refus de prise en charge de la pathologie de Monsieur [F] au titre de la législation sur les risques professionnels.

Suite à la contestation de cette décision par Monsieur [F] et après expertise médicale du 31 août 2017, la caisse a informé l’assuré, par courrier du 16 octobre 2017, de la prise en charge de l’affection dont il est atteint au titre de la législation sur les risques professionnels.

Le 22 novembre 2017, la caisse a fixé à 5% le taux d’incapacité permanente partielle de Monsieur [F] et lui a attribué une indemnité en capital d’un montant de 1.952,33 euros à effet du 18 mai 2016, lendemain de la date de consolidation .

Monsieur [F] a, aux fins de conciliation, introduit une demande de reconnaissance de faute inexcusable de son ancien employeur devant la caisse, par courrier du 20 février 2018.

Le 13 mars 2018, Monsieur [F] a accepté l’offre du Fonds d’Indemnisation des Victimes de 1’Amiante (FIVA) suivante :

· Réparation du préjudice moral : 5.200 euros ;

· Réparation du préjudice physique : 100 euros ;

· Réparation du préjudice d’agrément : 400 euros.

Après échec de la tentative de conciliation introduite devant la caisse, Monsieur [F] a, par lettre recommandée expédiée le 27 novembre 2018, saisi le Tribunal des affaires de Sécurité sociale de la Moselle afin de voir reconnaître la faute inexcusable de son ancien employeur et de bénéficier des conséquences indemnitaires qui en découlent.

La caisse primaire d’assurance maladie de Moselle (CPAM), intervenant pour le compte de la CANSSM ‘ Assurance maladie des mines, a été mise en cause.

Par jugement du 21 mai 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Metz, nouvellement compétent, a :

– déclaré le présent jugement commun à la Caisse primaire d’assurance maladie de Moselle agissant pour le compte de la CANSSM ‘ l’Assurance Maladie des Mines ;

– déclaré recevable en la forme le recours de Monsieur [Y] [F] ;

– déclaré le Fonds d’Indemnisation des Victimes de l’Amiante, subrogé dans les droits de Monsieur [Y] [F], recevable en ses demandes ;

– dit que l’existence dune faute inexcusable de la société [15], dans la survenance de la maladie professionnelle de Monsieur [Y] [F] inscrite au tableau 30B, n’est pas établie ;

– débouté Monsieur [Y] [F] et le Fonds d’Indemnisation des Victimes de l’Amiante de leur demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur et de leurs demandes subséquentes ;

– déclaré en conséquence sans objet les demandes de la caisse primaire d’assurance maladie de Moselle ;

– débouté Monsieur [Y] [F] et le Fonds d’Indemnisation des Victimes de l’Amiante de leurs demandes présentées sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

– condamné in solidum Monsieur [Y] [F] et le Fonds d’Indemnisation des Victimes de l’Amiante aux entiers frais et dépens de l’instance ;

– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision.

Par courrier recommandé expédié le 29 juin 2021, Monsieur [F] a interjeté appel de cette décision qui lui avait été notifiée par LRAR reçue le 31 mai 2021.

Par conclusions du 14 novembre 2022, soutenues oralement à l’audience de plaidoirie par son conseil, Monsieur [F] demande à la cour de :

– Infirmer le jugement en ce qu’il l’a débouté de sa demande tendant à voir juger que sa maladie professionnelle du tableau 30B était due à la faute inexcusable de son employeur, la Société [15] ;

– Le confirmer en ce qu’il a jugé que l’exposition au risque de Monsieur [Y] [F] et la conscience du danger représenté par l’amiante étaient avérées.

– Condamner la Société [15] à verser à Monsieur [Y] [F] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

– La condamner aux entiers frais et dépens.

Par conclusions du 6 septembre 2022, soutenues oralement à l’audience de plaidoirie par son conseil, le FIVA demande à la cour de :

– infirmer le jugement, sauf en ce qu’il a :

* déclaré recevable la demande formée par monsieur [Y] [F],

* déclaré recevable la demande du FIVA, subroge dans les droits de monsieur [F],

Et, statuant à nouveau :

– confirmer la recevabilité de la demande formée par monsieur [Y] [F], dans le seul but de faire reconnaitre l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur,

– confirmer la recevabilité de la demande du Fonds d’Indemnisation des Victimes de l’Amiante, subrogé dans les droits de monsieur [F],

– dire que la maladie professionnelle dont est atteint monsieur [F] est la conséquence de la faute inexcusable de la société [15],

– fixer à son maximum la majoration de l’indemnité en capital prévue à l’article L.452-2 du code de la sécurité sociale, soit 1 952.33 €,

– dire que la CANSSM devra verser cette majoration :

* au FIVA en sa qualité de créancier subrogé, dans la limite d’une créance de 996.52 €, à réactualiser lors de l’exécution de la décision à intervenir,

* à monsieur [F] pour le solde.

– dire que cette majoration devra suivre l’évolution du taux d’incapacité permanente de monsieur [F], en cas d’aggravation de son état de santé,

– dire qu’en cas de décès de la victime imputable à sa maladie professionnelle due à l’amiante, le principe de la majoration de rente restera acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant.

– fixer l’indemnisation des préjudices personnels de monsieur [F] comme suit :

Souffrances morales 5 200.00 €

Souffrances physiques 100.00 €

Préjudice d’agrément 400.00 €

TOTAL 5 700.00 €

– dire que la CANSSM devra verser cette somme de 5 700.00 € au FIVA, créancier subrogé, en application de l’article L452-3 alinéa 3, du Code de la sécurité sociale,

Y ajoutant :

– condamner la société [15] à payer au FIVA une somme de 1500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

– condamner la partie succombante aux dépens, en application des articles 695 et suivants du Code de procédure civile.

Par conclusions du 16 novembre 2022, soutenues oralement à l’audience de plaidoirie par son conseil, la société [15] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris.

Par conclusions du 7 octobre 2022, soutenues oralement à l’audience de plaidoirie par son représentant, la CPAM de Moselle intervenant pour le compte de la CANSSM, demande à la cour de :

– donner acte à la caisse qu’elle s’en remet à la sagesse de la cour en ce qui concerne la faute inexcusable

Et le cas échéant :

– donner acte à la caisse qu’elle s’en remet à la cour en ce qui concerne la fixation du montant de la majoration de l’indemnité en capital réclamée par Monsieur [Y] [F] et le FIVA. ;

– fixer la majoration de l’indemnité en capital dans la limite de 1 952.33 euros ;

– prendre acte que la caisse ne s’oppose pas à ce que la majoration de l’indemnité en capital suive l’évolution du taux d’incapacité permanente partielle de Monsieur [Y] [F] ;

– constater que la caisse ne s’oppose pas à ce que le principe de la majoration de l’indemnité en capital reste acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant, en cas de décès Monsieur [Y] [F] consécutivement à sa maladie professionnelle ;

– donner acte à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Moselle qu’elle s’en remet à la Cour en ce qui concerne la fixation du montant des sommes susceptibles d’être allouées au titre des préjudices extrapatrimoniaux de Monsieur [Y] [F] ;

– Si la faute inexcusable de l’employeur devait être reconnue, condamner la Société [15] à rembourser à la Caisse les sommes qu’elle sera tenue de verser à Monsieur [Y] [F] et au FIVA au titre de la majoration de l’indemnité en capital et des préjudices extrapatrimoniaux ainsi que des intérêts légaux subséquents, en application des dispositions de l’article L.452-3-1 du Code de la Sécurité Sociale.

– Le cas échéant, de rejeter toute éventuelle demande d’inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle n°30B de Monsieur [Y] [F].

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l’audience, par les parties, ainsi qu’aux pièces déposées par elles.

SUR CE,

SUR LA FAUTE INEXCUSABLE DE L’EMPLOYEUR:

Monsieur [F] sollicite la confirmation du jugement entrepris, contestant le caractère imprécis des attestations fournies retenu par les premiers juges. Monsieur [F] fait valoir que son employeur avait une conscience du danger particulièrement concrète, compte tenu de la réglementation alors applicable, des connaissances scientifiques de l’époque, mais également de l’importance, de l’organisation et de la nature de son activité et des moyens importants dont il disposait. Il soutient également que, malgré cette conscience du danger, la société [15] s’est abstenue de mettre en ‘uvre les mesures nécessaires pour préserver la santé de ses salariés, ce qu’il démontre par la production de témoignages de collègues de travail, notamment celle de Monsieur [P] qui a été détaillée à hauteur de cour.

Le FIVA soutient les arguments développés par Monsieur [F] pour faire reconnaître la faute inexcusable de l’employeur.

La société [15] ne conteste pas qu’aient été utilisés sur le site de [Localité 10], pour l’essentiel au sein de l’atelier dit Ammoniaque, ou centrale gaz, des matériaux d’isolation et d’équipements de protection contenant de l’amiante, à l’époque où son utilisation n’était pas interdite. Elle fait valoir que pour autant, de par ses fonctions, l’exposition au risque de Monsieur [F], à la supposer établie, n’a pu être que ponctuelle. Elle souligne que le développement d’une maladie professionnelle ne peut en soi, caractériser dans ce contexte, une faute, a fortiori inexcusable, et que tant la médecine du travail que l’inspection du travail n’ont jamais alerté sur les risques professionnels lié aux poussières d’amiante. Elle précise qu’elle ne pouvait avoir conscience d’un risque pris par ses salariés, dès lors que la dangerosité de l’amiante n’a été notoirement établie qu’à la fin du 20ème siècle. Elle critique enfin l’imprécision et la stéréotypie des attestations produites par Monsieur [F] lequel n’établit aucunement l’existence d’une faute inexcusable.

La CPAM de Moselle pour le compte de l’Assurance maladie des mines s’en remet à l’appréciation de la cour.

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En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés dans l’entreprise.

Les articles L.4121-1 et 4121-2 du code du travail mettent par ailleurs à la charge de l’employeur une obligation légale de sécurité et de protection de la santé du travailleur. Le manquement à son obligation de sécurité et de protection de la santé de son salarié a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L.452-1 du Code de la Sécurité Sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

La preuve de la faute inexcusable de l’employeur incombe à la victime.

S’agissant de l’exposition au risque, la société [15] reconnaît a minima une exposition indirecte et ponctuelle de Monsieur [F] au risque amiante, lors de ses déplacements dans les unités où des intervenants réalisaient en sa présence des travaux d’entretien sur des équipements qui pour certains pouvaient contenir de l’amiante (lettre de réserve de l’employeur – pièce n°4 de la société [15]).

Il apparaît ainsi que Monsieur [F] a travaillé notamment en tant que chef de fabrication de 1964 à 1967, puis comme chef de fabrication/expéditions de 1968 à 1970 puis en qualité de responsable section transport et logistique de 1971 à 1987 (pièce n°1 de l’appelant).

Il ressort de l’attestation établie le 3 juin 2022, en vue de sa production devant la cour, par Monsieur [H] [P], ancien salarié de la plate – forme chimique de [Localité 10], de juin 1964 à juin 2001,que celui-ci, qui a côtoyé Monsieur [F] entre 1964 et 1971, décrit de manière circonstanciée les tâches exécutées par Monsieur [F] l’ayant mis au contact de l’amiante, à savoir le fait, lorsqu’il était chef de service, d’oeuvrer auprès des ouvriers à la manipulation de la magnésie amiantée pour la mise en sac du produit. (pièce n°9 de l’appelant)

Monsieur [P] fournit son propre relevé de carrière (pièce n°10 de l’appelant) qui démontre que, à défaut d’avoir exercé dans les mêmes unités que Monsieur [F], il a travaillé au contact de ce dernier dans des conditions lui permettant d’attester les faits décrits, ayant lui-même travaillé sur site entre 1964 et 1971 comme opérateur atelier acide nitrique.

Le témoin énonce « la magnésie amiantée était livrée en vrac, sous forme pulvérulente, par wagons de chemin de fer appelés talbots. Déchargée au sol elle était mise en sacs par le personnel qui était sous les ordres de Monsieur [F] et ses collègues, à l’aide de pelles. Bien qu’étant le supérieur hiérarchique du personnel ouvrier, Monsieur [F] n’hésitait pas à retrousser ses manches pour donner un coup de main et pelleter la magnésie amiantée pour la mise en sacs… ».

De même, Monsieur [C],qui a travaillé sur la plate-forme chimique de [Localité 10], notamment entre 1971 et 1973 en tant qu’ouvrier d’entretien l’amenant à se déplacer sur l’ensemble du site, dans son attestation du 20 mars 2018 (pièce n°11 de l’appelant) confirme également avoir vu Monsieur [F] manipuler la magnésie amiantée, son témoignage étant conforté par la production de son relevé de carrière (pièce n°12)

La cour retient la valeur probante de ces deux attestations, précises et circonstanciées, non utilement critiquées par l’employeur, démontrant l’exposition au risque amiante de M. [F].

S’agissant de la conscience du danger, qu’avait ou aurait dû avoir la société [15], la reconnaissance des dangers liés à l’amiante a été admise pour la première fois dès 1945, par la création du tableau n° 25 des maladies professionnelles, suivi par la création du tableau n° 30 en 1951. Par la suite, de nombreuses études scientifiques ont alerté des dangers liés à l’inhalation des poussières d’amiante. Le décret du 17 août 1977 est venu fixer des limites de concentration moyenne de fibres d’amiante dans l’atmosphère inhalées par un salarié pendant sa journée de travail.

Or, compte tenu de son importance et de son organisation, de la nature de son activité, des moyens dont elle disposait pour s’informer et des travaux auxquels était affecté son salarié, la société [15], qui avait une parfaite conscience de l’existence de nombreux matériels contenant de l’amiante au sein de son entreprise, ne pouvait pas ignorer les dangers liés à l’inhalation de poussières d’amiante.

Il sera également rappelé que les éventuelles carences des pouvoirs publics s’agissant de la protection des travailleurs exposés à l’amiante ne peuvent tenir lieu de fait justificatif et exonérer l’employeur de sa propre responsabilité.

S’agissant de l’absence de mesures prises pour protéger la santé de son salarié, les témoignages précités de Messieurs [P] et [C] confirment l’absence de protections individuelles respiratoires efficaces, ainsi que l’absence de protections collectives, Monsieur [P] attestant de l’absence de moyen collectif de captation des poussières dégagées. Les deux témoins relatent également l’absence de mise en garde par leur employeur contre les dangers liés aux poussières d’amiante.

Ainsi, force est de constater que l’employeur n’a pas mis en place des moyens de protection appropriés et suffisants pour permettre à Monsieur [F] de se prémunir contre les risques que ses activités professionnelles faisaient courir sur sa santé.

La faute inexcusable de la société [15] dans la survenance de la maladie professionnelle de Monsieur [F] est ainsi caractérisée.

Le jugement entrepris est donc infirmé sur ce point.

SUR LES CONSEQUENCES FINANCIERES DE LA FAUTE INEXCUSABLE

Sur la majoration de l’indemnité en capital

Aux termes de l’article L.452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur, la victime a le droit à une indemnisation complémentaire.

Aux termes de l’article L.452-2, alinéas 1, 2 et 6, du code de la sécurité sociale, « dans le cas mentionné à l’article précédent [faute inexcusable de l’employeur], la victime ou ses ayants droit reçoivent une majoration des indemnités qui leur sont dues en vertu du présent livre. Lorsqu’une indemnité en capital a été attribuée à la victime, le montant de la majoration ne peut dépasser le montant de ladite indemnité […] La majoration est payée par la caisse, qui en récupère le capital représentatif auprès de l’employeur dans des conditions déterminées par décret ».

Aucune discussion n’existe à hauteur de Cour concernant la majoration de l’indemnité en capital allouée à Monsieur [F].

En l’espèce, compte tenu du taux d’incapacité qui lui a été reconnu (5%), Monsieur [F] s’est vu allouer une indemnité en capital, laquelle doit être majorée à son taux maximum, soit 1.952,33 euros.

Cette majoration suivra l’évolution du taux d’incapacité permanente partielle de Monsieur [F] et son principe restera acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant en cas de décès de Monsieur [F] consécutivement à sa maladie professionnelle.

Cette majoration sera versée par la caisse au FIVA, créancier subrogé dans les droits de Monsieur [F], à hauteur de la somme 996,52€ à réactualiser lors de l’exécution du présent arrêt et à Monsieur [F] pour le solde.

Sur les préjudices personnels de Monsieur [F]

Sur l’indemnisation des souffrances physiques et morales de Monsieur [F]

Le FIVA qui a indemnisé la victime demande de voir fixer les préjudices personnels de Monsieur [F] à la somme de 5200 euros au titre du préjudice moral et 100 euros au titre des souffrances physiques.

Il fait valoir que Monsieur [F] souffre de dyspnée d’effort, et souligne que ce poste de préjudice échappe à toute idée de consolidation, s’agissant d’une pathologie évolutive. Il ajoute que le préjudice moral est caractérisée par l’inquiétude de voir la maladie évoluer et précise qu’il n’est pas démontré que les souffrances physiques et morales de Monsieur [F] imputables à sa maladie professionnelle sont déjà indemnisées par l’indemnité en capital ou la rente dans le cadre du déficit fonctionnel permanent.

La société [15] fait valoir que le FIVA ne rapporte pas la preuve de souffrances physiques et morales subies par Monsieur [F], distinctes de celles réparées au titre du déficit fonctionnel permanent.

La CPAM de Moselle s’en remet à l’appréciation de la cour.

*********************

Il résulte de l’article L.452-3 du code de la sécurité sociale que se trouvent indemnisées à ce titre l’ensemble des souffrances physiques et morales éprouvées depuis l’accident ou l’évènement qui lui est assimilé.

En considération du caractère forfaitaire de la rente au regard de son mode de calcul tenant compte du salaire de référence et du taux d’incapacité permanente défini à l’article L.434-2 du code de la sécurité sociale, la cour de cassation juge désormais, par un revirement de jurisprudence, que la rente versée par la caisse à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent ,et qu’en conséquence, les souffrances physiques et morales de la victime peuvent être indemnisées. (Cour de cassation, Assemblée plénière 20 janvier 2023, pourvoi n° 21-23947).

En l’espèce, la victime, en application de l’article L.434-1 du code de la sécurité sociale, s’est vu attribuer une indemnité en capital, son taux d’incapacité permanente partielle étant inférieur à 10%. Il y a lieu d’admettre, eu égard à son mode de calcul, son montant étant déterminé par un barème forfaitaire fixé par décret en fonction du taux d’incapacité permanente, que cette indemnité ne répare pas davantage les souffrances physiques et morales .

Dès lors, le FIVA, dont il n’est pas contesté qu’il a indemnisé Monsieur [F], est recevable en sa demande d’indemnisation des souffrances physiques et morales subies par ce dernier sous réserve qu’elles soient caractérisées.

S’agissant des souffrances physiques subies, aucun certificat médical n’est versé aux débats permettant de caractériser des souffrances physiques subies par Monsieur [F] imputables à sa maladie professionnelle du tableau n°30B. En effet, le scanner thoracique initial (pièce n°9 du FIVA) ainsi que le rapport d’expertise médicale du 31 août 2017 (pièce n°10 du FIVA) sont insuffisants, en l’absence de développements précis sur ce point, à caractériser les souffrances physiques subies.

Dès lors, le FIVA est débouté de sa demande de réparation des souffrances physiques subies par Monsieur [F].

S’agissant du préjudice moral, Monsieur [F] était âgé de 87 ans lorsqu’il a appris qu’il était atteint de plaques pleurales. L’anxiété nécessairement liée au fait de se savoir atteint d’une maladie irréversible due à l’amiante et aux craintes de son évolution péjorative à plus ou moins brève échéance sera réparée par l’allocation de la somme de 5200 euros de dommages-intérêts réclamée par le FIVA, qui correspond à une juste appréciation de son préjudice moral eu égard à la nature de sa pathologie et à son âge au moment de son diagnostic.

Sur l’indemnisation du préjudice d’agrément

L’indemnisation de ce poste de préjudice suppose qu’il soit justifié de la pratique régulière par la victime, antérieurement à sa maladie professionnelle, d’une activité spécifique sportive ou de loisir qu’il lui est désormais impossible de pratiquer.

En l’espèce, force est de constater que le FIVA ne rapporte pas la preuve de la pratique régulière par Monsieur [F] d’une activité spécifique sportive ou de loisir, quelle qu’elle soit, se distinguant de celles de la vie courante.

La demande présentée par le FIVA au titre du préjudice d’agrément sera ainsi rejetée.

C’est donc en définitive la somme de 5200 euros que la caisse devra verser au FIVA, créancier subrogé, au titre des souffrances morales endurées par Monsieur [F].

SUR L’ACTION RECURSOIRE DE LA CAISSE

Aux termes de l’article L.452-3-1 du code de la sécurité sociale, applicable aux actions en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur introduites devant les Tribunaux des affaires de sécurité sociale à compter du 1er janvier 2013, que « quelles que soient les conditions d’information de l’employeur par la caisse au cours de la procédure d’admission du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l’obligation pour celui-ci de s’acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L.452-1 à L.452-3 du même code ».

Les articles L.452-2, alinéa 6, et D.452-1 du code de la sécurité sociale, applicables aux décisions juridictionnelles relatives aux majorations de rentes et d’indemnités en capital rendues après le 1er avril 2013, prévoient en outre que le capital représentatif des dépenses engagées par la Caisse au titre de la majoration est, en cas de faute inexcusable, récupéré dans les mêmes conditions et en même temps que les sommes allouées au titre de la réparation des préjudices mentionnés à l’article L.452-3.

Dès lors, l’assurance maladie des mines est fondée à exercer son action récursoire à l’encontre de la société [15].

Par conséquent, la société [15] doit être condamnée à lui rembourser, les sommes qu’elle sera tenue d’avancer au titre de la majoration de l’indemnité en capital et du préjudice moral de Monsieur [F].

SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES

L’issue du litige conduit la cour à condamner la société [15] à payer au FIVA et à Monsieur [F] la somme de 800€ chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Enfin, la société [15] sera condamnée aux dépens de première instance dont les chefs sont nés à compter du 1er janvier 20129 et aux dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

INFIRME le jugement entrepris du 21 mai 2021 du Pôle social du Tribunal Judiciaire de Metz sauf en ce qu’il a déclaré le FIVA et Monsieur [F] recevables en leurs demandes et déclaré le jugement commun à la caisse primaire d’assurance maladie de Moselle agissant pour le compte de l’Assurance maladie des mines ;

En conséquence, statuant à nouveau,

DIT que la maladie professionnelle de Monsieur [Y] [F] inscrite au tableau 30B des maladies professionnelles est due à la faute inexcusable de son employeur, la société [15].

ORDONNE la majoration à son maximum de l’indemnité en capital allouée à Monsieur [Y] [F], soit la somme de 1.952,33 euros .

DIT que cette majoration sera versée par la caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines au FIVA, créancier subrogé, à hauteur de la somme 996,52 euros à réactualiser lors de l’exécution du présent arrêt , et à Monsieur [F] pour le solde.

DIT qu’elle suivra l’évolution du taux d’incapacité permanente partielle de Monsieur [Y] [F] en cas d’aggravation de son état de santé .

DIT qu’en cas de décès de Monsieur [F] résultant des conséquences de sa maladie professionnelle, le principe de la majoration de rente restera acquis pour le calcul de la rente du conjoint survivant .

DEBOUTE le FIVA de ses demandes présentées au titre du préjudice d’agrément et des souffrances physiques subies par Monsieur [F] .

FIXE l’indemnité réparant le préjudice moral subi par Monsieur [Y] [F] à la somme de 5200 euros et DIT que cette somme, devra être versée au FIVA, créancier subrogé par la caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines .

CONDAMNE la société [15] à rembourser à la Caisse autonome nationale de la sécurité dans les mines, les sommes que l’organisme de sécurité sociale aura avancées à Monsieur [F] et au FIVA sur le fondement des articles L.452-2 et L.452-3 du code de la sécurité sociale.

CONDAMNE la société [15] à payer au FIVA et à Monsieur [Y] [F] la somme de 800 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNE la société [15] aux dépens de première instance dont les chefs sont nés à compter du 1er janvier 2019 et aux dépens d’appeld’appel.

Le Greffier Le Président

 


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