Your cart is currently empty!
Arrêt n° 23/00061
13 Février 2023
—————
N° RG 21/01813 – N° Portalis DBVS-V-B7F-FRN2
——————
Tribunal Judiciaire de METZ- Pôle social
25 Juin 2021
19/00264
——————
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE METZ
CHAMBRE SOCIALE
Section 3 – Sécurité Sociale
ARRÊT DU
treize Février deux mille vingt trois
APPELANT :
Monsieur [Z] [J]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par l’association [5], prise en la personne de Mme [D] [C], salariée de l’association munie d’un pouvoir spécial
INTIMÉS :
L’AGENT JUDICIAIRE DE l’ ETAT (AJE)
Ministères économiques et financiers Direction des affaires juridiques
[Adresse 9]
[Adresse 9]
[Localité 4]
représenté par Me Cathy NOLL, avocat au barreau de MULHOUSE
substitué par Me HELLENBRAND, avocat au barreau de METZ
[6]
ayant pour mandataire de gestion la CPAM de Moselle prise en la personne de son directeur
et pour adresse postale
[6]
[Adresse 10]
[Localité 3]
représentée par M. [T], muni d’un pouvoir général
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 Décembre 2022, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme Anne FABERT, Conseillère, magistrat chargé d’instruire l’affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Clarisse SCHIRER, Présidente de Chambre
Mme Anne FABERT, Conseillère
Mme Carole PAUTREL, Conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MATHIS, Greffier
ARRÊT : Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Madame Clarisse SCHIRER, Présidente de Chambre, et par Madame Sylvie MATHIS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
M. [Z] [J], né le 18 avril 1959, a travaillé de 1976 à 2001 au sein des [8] ([8]) aux droits desquelles vient l’EPIC Charbonnages de France (CDF).
M. [J] a été placé en congé charbonnier de fin de carrière du 1er mars 2000 au 28 février 2001, avant de faire valoir ses droits à la retraite à compter du 1er mars 2001.
Le 17 novembre 2017, M. [J] a adressé à la [6] (ci-après Caisse) une déclaration de maladie professionnelle inscrite au tableau 25, avec, à l’appui, un certificat médical établi le 25 septembre 2017 par le docteur [B] et faisant état d’une silicose.
Le 11 avril 2018, à l’issue de son enquête, la Caisse a reconnu le caractère professionnel de la maladie dont souffre M. [J].
Le 30 octobre 2018, [6] a fixé son taux d’incapacité permanente à 10% et il a été alloué à M. [J] une rente trimestrielle de 456,52 euros à effet du 26 septembre 2017, lendemain de sa consolidation, en réparation de sa pathologie.
Après échec de la tentative de conciliation, par lettre recommandée enregistrée au greffe le 25 février 2019, M. [J] a saisi le pôle social du tribunal de grande instance de Metz devenu pôle social du tribunal judiciaire de Metz à compter du 1er janvier 2020, aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable des [8], devenues Charbonnages de France, sur le fondement de l’article L 452-1 du code la sécurité sociale.
La caisse primaire d’assurance maladie de Moselle (CPAM) a été mise en cause pour le compte de la [6], et l’Agent judiciaire de l’Etat (AJE) est intervenu à l’instance aux lieu et place de l’EPIC Charbonnages de France suite à la clôture de sa liquidation.
Par jugement du 16 avril 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Metz, nouvellement compétent, a :
– déclaré le jugement commun à la CPAM de Moselle agissant pour le compte de la [6] ;
– déclaré M. [J] recevable en son action ;
– reçu l’AJE en ses intervention volontaire et reprise d’instance suite à la clôture de la liquidation judiciaire des CDF venant aux droits des [8] ;
– dit que la maladie professionnelle déclarée par M. [J] et inscrite au tableau 25 est due à la faute inexcusable de l’EPIC [7] venant aux droits des [8], son employeur ;
– ordonné à la caisse primaire d’assurance maladie de Moselle de majorer au montant maximum la rente versée en application de l’article L 452-2 du code de la sécurité sociale, sans toutefois que cette majoration ne puisse excéder la fraction du salaire annuel correspondant à la réduction de capacité ;
– dit que cette majoration sera versée à M. [J] par la CPAM de Moselle agissant pour le compte de la [6], et au besoin l’y condamne ;
– dit que cette majoration suivra l’évolution du taux d’incapacité permanente de M.[J], en cas d’aggravation de son état de santé et qu’en cas de décès de M. [J] résultant des conséquences de sa maladie professionnelle, le principe de la majoration de la rente restera acquis pour le calcul de la rente du conjoint survivant ;
– débouté M. [J] de ses demandes formulées au titre du préjudice fonctionnel, moral et physique ;
– fixé l’indemnisation complémentaire des préjudices personnels subis par M.[J] du fait de la pathologie tableau 25 de la manière suivante : 1 200 euros au titre du préjudice d’agrément ;
– condamné la CPAM de Moselle agissant pour le compte de la [6] à verser ces sommes à M. [J] ;
– dit que l’ensemble des sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement ;
– condamné l’AJE, venant aux droits de CDF, anciennement [8], à rembourser à la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la [6], l’ensemble des sommes, en principal et intérêts, que l’organisme social sera tenu d’avancer sur le fondement des articles L 452-1 à L 452-3 du code de la sécurité sociale ;
– condamné l’AJE à payer à M. [J] la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers frais et dépens exposés à compter du 1er janvier 2019.
Par acte du 12 juillet 2021 enregistré au greffe le 13 juillet 2021, M. [J] a interjeté appel partiel de cette décision qui lui avait été notifiée par LRAR reçue le 8 juillet 2021.
Par conclusions datées du 18 juillet 2022 et soutenues oralement lors de l’audience de plaidoirie par son représentant, M. [J] demande à la cour de :
– déclarer recevable et bien fondé l’appel limité formé par M. [J] ;
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé que la maladie professionnelle du tableau 25 de M. [J] était due à la faute inexcusable de l’employeur représenté par l’AJE ;
– l’infirmer en ce qu’il a alloué la somme de 1 200 euros en indemnisation du préjudice d’agrément et en ce qu’il l’a débouté de ses demandes d’indemnisation des préjudices fonctionnel, moral et physique ;
– débouter l’AJE de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
STATUANT A NOUVEAU :
– condamner l’AJE à payer à M. [J] les sommes suivantes :
. 20 000 euros au titre du préjudice moral ;
. 5 000 euros au titre du préjudice physique ;
. 2 500 euros au titre du préjudice d’agrément ;
– débouter l’AJE de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;
– condamner l’AJE à payer à M. [J] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers frais et dépens.
Par conclusions datées du 1er décembre 2022 et soutenues oralement lors de l’audience de plaidoirie par son conseil, l’Agent judiciaire de l’Etat demande à la cour de :
A TITRE D’APPEL INCIDENT ET A TITRE PRINCIPAL :
– infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Metz en date du 25 juin 2021 en ce qu’il a jugé que la preuve d’une faute inexcusable commise par l’exploitant minier serait établie ;
– par conséquent, statuant à nouveau : débouter M. [J] et l’Assurance [6] de l’ensemble de leurs demandes formulées à l’encontre de l’AJE, la preuve de l’existence d’une faute inexcusable de l’exploitant n’étant pas rapportée ;
A TITRE SUBSIDIAIRE, si la faute inexcusable de l’employeur venait à être retenue :
Sur les souffrances morales endurées
– confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Metz du 25 juin 2021 en ce qu’il a débouté M. [J] de sa demande au titre du préjudice de souffrances morales ;
– par conséquent, statuant à nouveau : débouter M. [J] de sa demande d’indemnisation du préjudice de souffrances morales ;
Sur les souffrances physiques endurées
– confirmer le jugement du 25 juin 2021 en ce qu’il a débouté M. [J] de sa demande d’indemnisation au titre du préjudice de souffrances physiques ;
– par conséquent, statuant à nouveau : débouter M. [J] de sa demande d’indemnisation du préjudice de souffrances physiques ;
Sur le préjudice d’agrément
– infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Metz du 25 juin 2021 en ce qu’il a fixé à la somme de 1 200 euros le préjudice d’agrément subi par M. [J] ;
– par conséquent : débouter M. [J] de sa demande d’indemnisation au titre du préjudice d’agrément ;
EN TOUT ETAT DE CAUSE :
– déclarer infondée la demande présentée par M. [J] au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– par conséquent, l’en débouter, ou tout au moins réduire toute condamnation prononcée sur ce fondement à la somme de 500 euros ;
– dire n’y avoir lieu à dépens.
Par conclusions datées du 24 novembre 2022, soutenues oralement lors de l’audience de plaidoirie par son représentant, la CPAM de Moselle intervenant pour le compte de la [6] ‘ l’Assurance [6] – demande à la cour de :
– donner acte à la caisse qu’elle s’en remet à la sagesse de la cour en ce qui concerne la faute inexcusable reprochée à la société Charbonnages de France (AJE);
Le cas échéant :
– donner acte à la caisse qu’elle s’en remet à la cour en ce qui concerne la fixation du montant de la majoration de la rente réclamée par M. [J] ;
– prendre acte que la caisse ne s’oppose pas à ce que la majoration de la rente suive l’évolution du taux d’incapacité permanente partielle de M. [J] ;
– constater que la caisse ne s’oppose pas à ce que le principe de la majoration de la rente reste acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant, en cas de décès de M. [J] consécutivement à sa maladie professionnelle ;
– donner acte à la caisse qu’elle s’en remet à la cour en ce qui concerne la fixation du montant des préjudices extrapatrimoniaux subis par M. [J] ;
– condamner l’AJE, dont la faute inexcusable aura été préalablement reconnue, à rembourser à la caisse les sommes qu’elle sera tenu de verser à M. [J] au titre de la majoration de rente et de l’intégralité des préjudices ainsi que des intérêts légaux subséquents, en application de l’article L 452-3-1 du code de la sécurité sociale ;
– le cas échéant, rejeter toute éventuelle demande d’inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle n°25 de M. [J].
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il est expressément renvoyé aux écritures des parties et à la décision entreprise.
SUR CE,
SUR LA FAUTE INEXCUSABLE DE L’EMPLOYEUR
M. [J] sollicite la confirmation du jugement entrepris qui a estimé que la faute inexcusable était établie à l’encontre des Charbonnages de France, et soutient que, si l’employeur avait conscience du risque liée aux poussières de silice, il s’est abstenu de mettre en ‘uvre les mesures nécessaires pour préserver la santé des salariés, avec un défaut d’information et une insuffisance des moyens de protection individuels et collectifs.
L’AJE expose que si les Charbonnages de France avaient bien conscience du risque encouru par ses salariés concernant les poussières de silice, ils ont mis en ‘uvre tous les moyens nécessaires pour protéger les salariés des risques connus à chacune des époques de l’exploitation, tant sur le plan collectif qu’individuel. L’AJE prétend que les Charbonnages de France ont parfaitement satisfait à leur obligation de prévention et de sécurité et qu’aucun défaut d’information ne peut leur être reproché. Il remet en cause la qualité des attestations des trois témoins ayant déposé en faveur de M. [J] en ce qu’elles sont imprécises, lacunaires, et qu’elles ne précisent pas avoir travaillé directement avec M. [J]. L’AJE estime enfin que les nombreuses pièces générales produites par ses soins viennent contredire les affirmations de l’appelant et de ses témoins.
La caisse s’en remet à l’appréciation de la cour.
********************
En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat.
Les articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail mettent par ailleurs à la charge de l’employeur une obligation légale de sécurité et de protection de la santé du travailleur.
Le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
La preuve de la faute inexcusable de l’employeur incombe à la victime. La faute inexcusable doit s’apprécier en fonction de la législation en vigueur et des connaissances scientifiques connues ou susceptibles de l’avoir été par l’employeur aux périodes d’exposition au risque du salarié.
En l’espèce, le caractère professionnel de la maladie déclarée par M. [J] ainsi que les conditions du tableau 25 des maladies professionnelles ne sont pas contestées. L’AJE reconnaît en outre que les [8], devenues [7], avaient conscience du danger constitué par l’inhalation de poussières de silice et revendique même cette conscience.
Seule est discutée l’existence et l’efficacité des mesures de protection individuelle et collective prises par l’employeur afin de préserver la victime du danger auquel elle était exposée.
Ces mesures de protection sont déterminées par le décret n° 51-508 du 4 mai 1951 portant règlement général sur l’exploitation des mines, reprenant les dispositions générales des décrets du 10 juillet 1913 et du 13 décembre 1948 prévoyant l’évacuation des poussières ou, en cas d’impossibilité, la mise à disposition de moyens de protection individuelle.
L’article 187 dudit décret dispose que lorsque l’abattage, le chargement, le transport ou la manipulation du charbon peuvent entraîner la mise en suspension ou l’accumulation de poussières, des mesures efficaces doivent être prises pour s’y opposer ou y remédier.
L’instruction du 30 octobre 1956 prescrit des mesures de protection collective (arrosage et humidification des poussières) et individuelle (port du masque) précises et devant être efficaces.
S’agissant des masques, on peut lire dans l’instruction de 1956 que « seuls les masques à pouvoir d’arrêt élevé pour les particules de moins de 5 microns et à résistance faible à la respiration peuvent être pris en considération. La protection individuelle ne saurait être admise en remplacement d’une protection collective possible qui aurait été négligée. Elle ne doit être appliquée qu’en complément de la prévention collective qui doit toujours être poussée aussi loin que possible ».
Il ressort du relevé de périodes et d’emploi établi le 22 mai 2017 par l’ANGDM (pièce n°2 de l’appelant) que M. [J] a travaillé au fond dans les unités d’exploitation de Reumaux, Vouters et [G] pour le compte des [8] du 30 août 1976 au 1er novembre 1999 (avec une interruption du 1er août 1977 au 27 mai 1979), et ce, aux postes suivants : apprenti mineur ; boiseur chantiers machine dressant ; abatteur ‘ boiseur expérimenté ; boiseur de renforcement dressant ; piqueur d’élevage en préparation au remblayage hydraulique ; piqueur traçage charbon ; boutefeu ; chef de taille dressant.
Dans le questionnaire assuré mais surtout dans sa lettre jointe au dossier (pièce 7 de l’appelant), qui n’a pas valeur d’attestation compte tenu de la qualité de demandeur de M.[J] mais par laquelle celui-ci précise son parcours, la victime indique que :
– pendant son apprentissage, il procédait à des travaux d’abattage par forage et tir à l’explosif avec des fleurets hélicoïdaux de 2,5 mètres de long. Il ajoute que ces travaux se faisaient sans eau, les poussières provenant de la foration étant soulevées constamment par les conduites qui leur amenaient de l’air pour refroidir le chantier et les faire respirer. Il précise que ses seuls moyens de protection étaient des masques en tissus, très vite saturés par la poussière et la transpiration.
– par la suite, dans ses fonctions d’abatteur boiseur expérimenté (à compter du 28 mai 1979), il indique avoir continué les travaux par foration et tir à l’explosif, toujours à sec sans injection d’eau, de sorte que la poussière de charbon et de silice était constamment présente dans l’air ambiant et se déposait partout, se remettant en suspension dès qu’il prenait un outil sur lequel elle se déposait. Il ajoute que les moyens de protection n’avaient pas changé depuis son embauche (un masque en tissus par homme et par poste quand il n’y avait pas de rupture), et qu’il utilisait son foulard pour masquer sa bouche et son nez quand le masque à poussières était saturé ou cassé.
– à partir de 1983 quand il est retourné au traçage, dans le cadre de sa fonction de piqueur, les poussières de silice et de charbon étaient en permanence en suspension dans l’air qu’il respirait (pendant toute la durée du poste et des pauses repas), soulevées par la seule entrée d’air amenée par de gros tuyaux en toile ; il ajoute que les moyens de protection et de sécurité étaient souvent mis entre parenthèses du fait qu’ils étaient payés au rendement ;
– à partir de 1985, comme boutefeu opérationnel, il indique avoir été présent pendant la foration à sec des trous d’ancrage dans la pierre de silice, ce qui avait pour effet de produire de la poussière très fine qu’il inhalait ; il ajoute que quand il travaillait à la 3ème et 4ème attaque, il respirait la poussière des deux premières attaques provenant de la foration et des tirs à l’explosif et que la poussière de silice et de charbon était si dense qu’il ne voyait plus à un mètre et était obligé de s’arrêter de travailler pour se protéger comme il le pouvait.
– à partir de 1991, devenu chef de taille, il précise qu’il contrôlait les attaques, l’état du soutènement et faisait en sorte que les équipes ne manquaient de rien, de sorte qu’il s’occupait de l’approvisionnement en matériel de la veine et se trouvait souvent en retour d’air pollué par les poussières de charbon et de silice et les fumées de tir. Il ajoute que la température avoisinant les 40°C, il transpirait énormément, ce qui avait pour effet de mouiller le masque, la poussière s’y collait comme un ciment et le rendait très vite inutilisable ; il ne lui restait alors que son foulard.
– il a quitté prématurément le fond de la mine en novembre 1999 après avoir été blessé dans un éboulement.
Ces déclarations sont confirmées par les attestations, fournies par l’appelant, de Mrs [I], [O] et [H] (pièces n°8 à 10 de l’appelant), anciens collègues de travail de M.[J], qui précisent :
– la foration du charbon à laquelle M. [J] participait se faisait le plus souvent à sec, sans eau dégageant une forte poussière de silice (Mrs [I], [O], [H]) ;
– M. [J] travaillait dans une ambiance très empoussiérée et respirait les poussières de charbon, de silice et de fumée de tir lors des travaux de foration et d’abattage (Mrs [I], [O], [H]) ;
– les mineurs avaient un masque en papier ou en tissus par poste et par personne en début de chaque journée, qui était inefficace car les mineurs ne pouvaient le mettre plus de 30mn (sur un poste de 8h)(M. [I]), le masque s’obstruant au bout de ce délai du fait de l’humidité, de la transpiration et des poussières (Mrs [I], [O], M. [H]), se cassant parfois et n’étant pas toujours bien approvisionné (M. [H]), les obligeant à remplacer le masque par leur foulard (Mrs. [O], [H]) ;
– il y avait un système de protection par arrosage en front de taille, sur les pointes des haveuses pour éviter la surchauffe de celles-ci mais pas très efficace contre les poussières de silice qui étaient en suspension permanente (Mrs [I]), l’usage de buse à eau n’étant fait que pendant les tirs et ne présentant pas une grande efficacité (M. [H]);
– pendant les tâches de garnissage du chantier ou d’attaques auxquelles M.[J] participait, les mineurs respiraient toutes les poussières de silice et de charbon et travaillaient souvent à ne plus se voir à un ou deux mètres les uns des autres (Mrs [I], [O]), la poussière de silice et de charbon étant partout en suspension, visible dans le faisceau des lampes et recouvrant jusqu’aux casse-croûtes des mineurs (M.[O]);
– les mineurs remontaient couverts de poussière de silice et de charbon qu’ils propageaient dans les vestiaires lorsqu’ils secouaient leur bleus de travail avant de se changer (Mrs [O], [H]).
La cour retient chacune des trois attestations. En effet, les trois témoins prennent le soin de préciser une période d’emploi aux côtés de M. [J] et fournissent leur relevé de périodes et d’emploi ou leur historique de mouvement. Ils indiquent qu’ils ont exercé leur fonction avec la victime.
Par ailleurs, ces attestations sont très précises et circonstanciées, comme par exemple sur l’exposition aux poussières de silice et de charbon et la mise à disposition de masques et leurs conditions de résistance et d’utilisation.
Ils soulignent ainsi qu’ils étaient munis de masques jetables ou en papier pas suffisamment résistants et nombreux pour qu’ils puissent en porter un pendant toute la durée de leur poste, compte tenu de leur obstruction rapide, qui les contraignaient à porter leur foulard pour se protéger.
Ils ajoutent que le système d’arrosage n’était employé que par moments, notamment lors des tirs, et était insuffisant pour contrer l’empoussièrement très fréquent de l’air qu’ils respiraient.
L’ensemble des témoignages concordants confirme que les [8], devenues Charbonnages de France, n’ont ainsi pas pris les mesures nécessaires pour protéger M. [J] des dangers que représentait l’inhalation des poussières de silice, dès lors qu’ils n’ont pas mis en place des mesures individuelles et collectives efficaces et suffisantes : masques en papier non adaptés car rapidement obstrués par les excès de poussière et donc difficiles à porter, inefficacité du système d’arrosage.
Ces témoignages ne sont pas utilement contestés par l’AJE qui ne verse aux débats aucun élément de nature à élever des doutes sur la sincérité de ces témoins et sur le caractère authentique des faits qu’ils relatent.
L’Agent Judiciaire de l’Etat développant ainsi seulement des considérations d’ordre général qui ne contiennent aucun élément sur les conditions de travail précises de M.[J] et sur la qualité des moyens de protection mis à la disposition du salarié, il doit donc être retenu que les Charbonnages de France, qui avaient conscience du danger auquel M. [J] était exposé, n’ont pas pris les mesures de protection individuelle et collective nécessaires pour l’en préserver et ont ainsi commis une faute inexcusable à son égard.
Il s’ensuit que la maladie professionnelle inscrite au tableau 25 dont est victime M.[J] doit être déclarée due à la faute inexcusable des [8] devenues Charbonnages de France et que le jugement du 25 juin 2021 est donc confirmé.
SUR LES CONSEQUENCES FINANCIERES DE LA FAUTE INEXCUSABLE
-Sur la majoration de rente
Aucune discussion n’existe à hauteur de cour concernant la majoration au maximum de la rente revenant à la victime, au fait que cette majoration sera versée directement par la caisse à M. [J], qu’elle suivra l’évolution du taux d’IPP en cas d’aggravation de son état de santé et qu’en cas de décès résultant des conséquences de sa maladie professionnelle, le principe de la majoration de la rente restera acquis pour le calcul de la rente du conjoint survivant.
En conséquence, le jugement entrepris est confirmé sur ces points.
-Sur les préjudices personnels de M. [J]
Il résulte de l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale qu’« indépendamment de la majoration de rente qu’elle reçoit en vertu de l’article précédent, la victime a le droit de demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d’agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. […] La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l’employeur ».
Le jugement entrepris a débouté M. [J] de sa demande au titre des préjudices liés aux souffrances physiques et morales et a fixé à 1200 euros le montant de l’indemnité réparant le préjudice d’agrément subis par M. [J].
SUR LES SOUFFRANCES PHYSIQUES ET MORALES :
M. [J] sollicite l’indemnisation de son préjudice moral à hauteur de 20000 euros, et de son préjudice physique à hauteur de 5000 euros.
Il fait valoir qu’il résulte de la rédaction de l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale que les préjudices indemnisés par le capital ou la rente majorés sont totalement distincts des préjudices visés à l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale ce que démontre également la rédaction de l’article L 434-2 du code de la sécurité sociale qui définit les critères retenus pour fixer le taux d’IPP.
Il fait valoir l’existence de souffrances physiques et d’un préjudice moral caractérisé par la spécificité de la situation des victimes de la silicose, amenées à constater le développement de la maladie et son évolution.
L’AJE fait valoir que seules les souffrances physiques et morales non déjà indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent, c’est-à-dire celles endurées pendant la période antérieure à la date de consolidation et donc pendant la maladie traumatique, peuvent faire l’objet d’une réparation complémentaire. L’AJE souligne qu’en l’espèce, la date de consolidation de M. [J] coïncidant avec celle du certificat médical initial, il en résulte que M. [J] ne peut se prévaloir d’une période de maladie traumatique et donc revendiquer l’existence d’un préjudice physique et moral non déjà indemnisé au titre du déficit fonctionnel permanent.
L’AJE ajoute enfin qu’aucune pièce médicale ne vient corroborer les souffrances morales et physiques invoquées par M. [J].
La caisse s’en rapporte à la sagesse de la cour.
*******************
ll résulte de l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale que se trouvent indemnisés à ce titre l’ensemble des souffrances physiques et morales éprouvées depuis l’accident ou l’événement qui lui est assimilé.
En considération du caractère forfaitaire de la rente au regard de son mode de calcul tenant compte du salaire de référence et du taux d’incapacité permanente défini à l’article L.434-2 du code de la sécurité sociale, la cour de cassation juge désormais, par un revirement de jurisprudence, que la rente versée par la caisse à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent et qu’en conséquence, les souffrances physiques et morales de la victime peuvent être indemnisées. (Cour de cassation, Assemblée plénière 20 janvier 2023, pourvoi n° 21-23947).
Dès lors, M. [J] est recevable en sa demande d’indemnisation des souffrances physiques et morales, sous réserve qu’elles soient caractérisées.
S’agissant des souffrances physiques, M. [J] ne versant aux débats aucun élément médical de nature à caractériser l’existence de souffrances physiques imputables à sa maladie professionnelle, il sera débouté quant à sa demande présentée au titre des souffrances physiques subies.
S’agissant du préjudice moral, M. [J] était âgé de 58 ans lorsqu’il a appris qu’il était atteint de silicose.
Les attestations de son épouse et de deux de ses connaissances montrent que M.[J], très actif et ouvert aux autres avant sa maladie, s’est renfermé et a montré une anxiété certaine depuis que sa maladie s’est révélée.
L’anxiété indissociable du fait de se savoir atteint d’une maladie irréversible due à l’exposition aux poussières de silice et liée aux craintes de son évolution péjorative à plus ou moins brève échéance sera réparée par l’allocation d’une somme de 15 000 euros de dommages-intérêts eu égard à la nature de la pathologie en cause, et à l’âge de M.[J] au moment de son diagnostic.
SUR LE PREJUDICE D’AGREMENT :
L’indemnisation de ce poste de préjudice suppose qu’il soit justifié de la pratique régulière par la victime, antérieurement à sa maladie professionnelle, d’une activité spécifique sportive ou de loisir qu’il lui est désormais impossible de pratiquer.
En l’espèce, les attestations de l’épouse de M. [J] et de ses proches montrent qu’avant sa maladie celui-ci pratiquait régulièrement la marche, la natation, et qu’il s’impliquait de façon importante dans la vie associative, activités auxquelles il a renoncé du fait de sa maladie professionnelle.
M. [J] démontre ainsi l’existence d’un préjudice d’agrément qu’il convient de réparer par l’allocation d’une somme de 1 200 euros.
Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.
SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES
L’issue du litige conduit la cour à confirmer les frais irrépétibles de première instance et à condamner l’AJE à payer à M. [J] la somme de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour l’instance d’appel
Enfin, l’AJE, partie succombante, sera condamné aux dépens d’appel, ceux de première instance étant confirmés.
PAR CES MOTIFS
La cour,
INFIRME le jugement entrepris du 25 juin 2021 du pôle social du tribunal judiciaire de Metz mais uniquement en ce qu’il a débouté M. [Z] [J] de sa demande formulée au titre du préjudice moral qu’il a subi du fait de la pathologie tableau 25 .
En conséquence, statuant à nouveau et dans cette limite,
FIXE l’indemnisation du préjudice au titre des souffrances morales subies par M. [Z] [J] du fait de sa pathologie du tableau 25 des maladies professionnelles, à la somme de 15 000 euros .
DIT que la [6] devra lui payer ladite somme qui porte intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions.
Y ajoutant,
CONDAMNE l’Agent judiciaire de l’État à payer à M. [Z] [J] la somme de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile .
CONDAMNE l’Agent judiciaire de l’État aux dépens d’appel.
Le Greffier Le Président