Tentative de conciliation : 23 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/02863

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Tentative de conciliation : 23 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/02863
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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 10

ARRET DU 23 FEVRIER 2023

(n° , 15 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/02863 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDM2V

Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Février 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F 19/00297

APPELANTE

S.A.S. INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Arnaud GUYONNET, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044

INTIMES

Monsieur [Z] [I]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me Florence LAUSSUCQ-CASTON, avocat au barreau de PARIS, toque : E2034

S.A.S. VWR INTERNATIONAL

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Catheline MODAT, avocat au barreau de PARIS, toque : R115

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 Décembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Carine SONNOIS, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Nicolas TRUC, Président de la chambre

Madame Mme Carine SONNOIS, Présidente de la chambre

Madame Véronique BOST, Vice Présidente placée faisant fonction de conseillère par ordonnance du Premier Président en date du 29 août 2022

Greffier : lors des débats : Mme Sonia BERKANE

ARRET :

– contradictoire

– mis à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Mme Carine SONNOIS, Présidente et par Sonia BERKANE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

M. [Z] [I] a été embauché par l’INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER, par contrat à durée indéterminée du 22 juillet 2002, en qualité d’attaché scientifique pharmacologique.

A partir du 20 juillet 2012, la société DIVERCHIM et l’INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER ont conclu un contrat de partenariat, la société DIVERCHIM devenant sous-traitant des prestations de chémogénétique et d’électrophysiologie.

Le 10 septembre 2012, M. [Z] [I] a démissionné de son poste à l’INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER, avec effet au 1er janvier 2013, et a été embauché par la société DIVERCHIM.

Le 14 mars 2013, un contrat de prestation de service a été conclu entre l’INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER et la société VWR INTERNATIONAL.

M. [Z] [I] a démissionné de son poste à DIVERCHIM, avec effet au 31 juillet 2015, et a été embauché par la société VWR INTERNATIONAL, par contrat à durée indéterminée du 1er août 2015, en qualité d’ingénieur de recherche. Dans le cadre du contrat de prestation liant l’INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER et la société VWR INTERNATIONAL, il devait assurer le rôle d’expert dans les domaines de l’électrophysiologie, de la pharmacologie et de la physiopathologie cellulaire.

La convention collective applicable est la convention collective nationale des industries chimiques.

Par courrier du 12 novembre 2018, M. [Z] [I] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 23 novembre 2018.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 30 novembre 2018, la société INTERNATIONAL a notifié à M. [Z] [I] son licenciement en raison de l’impossibilité de maintenir son poste.

Contestant l’exécution de ses contrats de travail successifs et son licenciement, M. [Z] [I] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 15 janvier 2019.

Par jugement du 26 février 2021, notifié à la S.A.S. INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER et à la S.A.S. VWR INTERNATIONAL par courrier daté du 3 mars 2021, le conseil de prud’hommes de Paris a :

-requalifié la rupture du contrat de travail de M. [Z] [I] en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

-condamné solidairement société VWR INTERNATIONAL et l’INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER à verser à M. [I] les sommes suivantes :

* 36 307,78 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement ;

* 16 187,10 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

* 1 618,71 euros au titre des congés payés y afférents, et ce,

Avec intérêts de droit à compter de la date de réception par les parties défenderesses de la convocation devant le bureau de conciliation ;

A rappelé que ces condamnations sont exécutoires de droit dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire et fixant cette moyenne à la somme de 5 352,15 euros ;

* 72 841,95 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 32 374,20 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé ;

* 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour prêt de main d”uvre illicite ;

Avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement ;

-ordonné à la société VWR INTERNATIONAL et l’INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER le remboursement au Pôle Emploi dans la limite de six mois des indemnités de chômage perçues par M. [Z] [I] ;

-ordonné l’exécution provisoire sur la totalité des condamnations au visa de l’article 515 du code de procédure civile ;

* 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

-débouté . [Z] [I] du surplus de ses demandes ;

-débouté la société VWR INTERNATIONAL et l’INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER de leurs demandes relatives à l’article 700 du code de procédure civile ;

-condamné la société VWR INTERNATIONAL et l’INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER au partage des entiers dépens.

La S.A.S. INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER a interjeté appel de ce jugement par déclaration déposée par voie électronique le 18 mars 2021.

La S.A.S. VWR INTERNATIONAL a interjeté appel de ce jugement par déclaration déposée par voie électronique le 30 mars 2021.

Une jonction des deux procédures a été ordonnée le 28 mars 2022.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le décembre 2021, la .A.S. INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER demande à la cour de :

In limine litis,

-constater le caractère nouveau et l’absence de lien suffisant avec les prétentions originaires des demandes formulées par M. [I] au titre du travail dissimulé, du prêt de main d”uvre illicite et du marchandage ;

-constater la violation du principe du contradictoire pour l’intégralité des moyens et prétentions relatifs la société DIVERCHIM, non attraite en la cause ;

En conséquence,

-infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Paris en ce qu’il a jugé recevables ces demandes nouvelles ;

-les juger irrecevables ;

A titre principal,

-infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Paris en sa totalité ;

Statuant à nouveau,

-juger que le contrat de prestation de services conclu entre la Société IDRS et la Société DIVERCHIM est licite ;

-juger que le contrat de prestation de services conclu entre la Société IDRS et la Société VWR INTERNATIONAL est licite ;

-constater l’absence de tout lien de subordination entre la Société IDRS et M. [I] depuis la date d’effet de sa démission, le 31 décembre 2012 ;

En conséquence,

-débouter M. [I] de l’intégralité de ses demandes.

L’appelant fait valoir que :

-in limine litis, c’est à tort que le conseil de prud’hommes a fait droit à certaines demandes de M. [I] alors qu’elles étaient nouvelles puisque non formulées dans la requête introductive (indemnité pour travail dissimulé ; dommages et intérêts pour prêt illicite de main d”uvre et marchandage) et de surcroît, ces demandes ont été formulées en violation du principe du contradictoire, la société DIVERCHIM n’étant pas attraite dans la cause alors qu’il l’accusait de « collusion frauduleuse » ;

-les contrats de prestation de services, en tant qu’opération de prêt de main d”uvre légale, liant la société IDRS à la société DIVERCHIM puis à VWR, sont parfaitement conformes aux dispositions légales et jurisprudentielles :

-le contrat de prestation de services avait bien pour objet l’exécution d’une tâche définie nécessitant un savoir-faire particulier puisque la société IDRS ne disposait pas du savoir-faire nécessaire pour assurer l’activité de chémogénétique et d’électrophysiologie nécessaire à la réalisation de son projet ;

-la société IDRS devait ainsi, pour développer le laboratoire, recourir simultanément à pas moins de deux sociétés partenaires différentes : l’ICM d’une part et DIVERCHIM puis VWR d’autre part ;

-le contrat de prestation conclu avec la société DIVERCHIM, pour la période 2013-2015 est parfaitement licite (DIVERCHIM apportait une expertise spécifique dans ce domaine, dont ne disposait pas IDRS ; M. [I] travaillait avec les équipements fournis par DIVERCHIM ; il ne rendait compte de son activité qu’à DIVERCHIM, IDRS n’étant qu’en copie de l’envoi) ;

-pour la période postérieure à 2015, le contrat de prestations conclu avec la société VWR est également parfaitement licite (rémunération forfaitaire, tâche clairement définie, M. [I] était sous l’autorité exclusive de son unique employeur, la société VWR).

Par ses dernières conclusions notifiées par RPVA le septembre 2021, la société VWR INTERNATIONAL demande à la cour de :

-infirmer le jugement en ce qu’il a statué sur des demandes irrecevables car nouvelles, et présentées après la saisine du conseil de prud’hommes de Paris, sans respecter la phase préalable obligatoire de conciliation

-infirmer le jugement et dire que le conseil de Prud’hommes de Paris a omis de statuer sur :

-la demande d’irrecevabilité de la société VWR International des demandes de M. [I] de dommages et intérêts pour prêt de main d”uvre illicite et pour travail dissimulé en l’absence de tentative de conciliation préalable ;

-les demandes de la société VWR International de voir juger :

-la parfaite licéité de prestation de services entre la société VWR International et l’Institut de Recherches Servier ;

-la réalité de la relation contractuelle de travail entre la société VWR International et M. [I] ;

-l’absence de lien de subordination entre M. [I] et l’Institut de Recherches Servier et la parfaite régularité de la mise à disposition de M. [I] au sein de l’Institut de Recherches Servier ;

Statuant,

-juger que la prestation de services entre la société VWR International et l’Institut de Recherches Servier est licite ;

-juger l’absence de relation de co-emploi entre M. [I], la société VWR International et l’Institut de Recherches Servier ;

A titre principal, infirmer le jugement dont appel en ce qu’il a :

-requalifié la rupture du contrat de travail de M. [I] en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Par conséquent :

-condamné solidairement les sociétés Institut de Recherches Servier et VWR International à payer à M. [I] les sommes suivantes avec intérêts à compter de la date de réception par la société de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation :

* 36 307,78 euros d’indemnité conventionnelle de licenciement ;

* 16 187,10 euros au titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

* 1 618,71 euros au titre de congés payés afférents ;

* 1 300 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

-condamné solidairement les sociétés Institut de Recherches Servier et VWR International à payer à M. [I] les sommes suivantes avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement :

* 72 841,95 euros d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 32 374,20 euros de dommages et intérêts pour travail dissimulé ;

* 25 000 euros de dommages et intérêts pour prêt de main d”uvre illicite ;

-condamné solidairement les sociétés Institut de Recherches Servier et VWR International à payer à M. [I] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

-ordonné aux sociétés VWR International et Institut de Recherches Servier le remboursement des indemnités chômage perçus par M. [I] au Pôle Emploi dans la limite de six mois ;

-débouté la société VWR International de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

-MIS les dépens à la charge des sociétés Institut de Recherches Servier et VWR International ;

Statuant à nouveau :

-Juger que les demandes de M. [I] sont infondées et le débouter ;

A titre subsidiaire, en cas de confirmation du jugement du conseil de prud’hommes de Paris,

-constater l’absence de préjudice de M. [I] ;

réduire le montant de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse au regard de -la seule ancienneté acquise au sein de VWR International, soit à compter du 1er août 2015 ;

En tout état de cause,

-condamner M. [I] au paiement de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

L’appelante fait valoir que :

-in limine litis, les demandes portant sur le travail dissimulé, sur le prêt de main d”uvre illicite et le démarchage n’ont aucun lien suffisant avec les demandes initiales formulées dans la requête introductive et sont donc irrecevables ;

-le contrat de prestation de services conclu entre la société VWR International et l’Institut de Recherches Servier est parfaitement licite :

-l’objet de la prestation de services était parfaitement défini : suivi de l’avancement des projets scientifiques et gestion des matériels et échantillons du laboratoire et des prestations de chémogénétique et d’électrophysiologie ;

-facturation forfaitaire prévue contractuellement ;

-savoir-faire spécifique de la société VWR INTERNATIONAL ;

-la société VWR INTERNATIONAL mettait à disposition son matériel ;

-la société VWR INTERNATIONAL était l’unique employeur de M. [I] (rémunération, contrôle du temps de travail, entretien annuel d’évaluation, mutuelle, suivi médical), le salarié considérant l’INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER comme un client ;

-aucun délit de marchandage ni de travail dissimulé n’est caractérisé ;

-aucune situation de co-emploi ne peut être caractérisée en l’absence de lien de subordination établi entre M. [I] et l’INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER ;

-le licenciement de M. [I] est bien fondé puisque son poste a été supprimé suite à la fin du contrat de prestation de services litigieux et l’absence de conclusion de nouveaux contrats en adéquation avec les compétences spécifiques du salarié.

Par ses dernières conclusions notifiées par RPVA le septembre 2022, M. [Z] [I] demande à la cour de :

-confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Paris le 26 février 2021 en ce qu’il a :

-jugé recevables l’ensemble des demandes de M. [I] à l’encontre des sociétés INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER et VWR INTERNATIONAL ;

-fixé à 5 352,15 euros le salaire moyen ;

-condamné solidairement les sociétés INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER et VWR INTERNATIONAL à verser à M. [I] :

* 36 307,78 euros à titre de rappel d’indemnité conventionnelle de licenciement ;

* 16 187,10 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

* 1 618,71 euros au titre des congés payés y afférents ;

Avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par les sociétés appelantes de la convocation devant le bureau de conciliation,

* 72 841,95 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 32 374,20 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé ;

-sur le principe, des dommages et intérêts pour prêt de main d”uvre illicite ;

Avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement ;

* 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Il est également demandé à la Cour de :

-infirmer le jugement dont appel en ce qu’il a limité à 25 000 euros le montant des dommages et intérêts pour prêt de main d”uvre illicite ;

-ce faisant, et y ajoutant, condamner solidairement les sociétés INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER et VWR INTERNATIONAL à verser à M. [I] 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour prêt de main d”uvre illicite et marchandage ;

-infirmer le jugement dont appel en ce qu’il a débouté M. [I] de sa demande de capitalisation des intérêts ;

-ce faisant, ordonner la capitalisation des intérêts.

-condamner solidairement les sociétés INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER et VWR INTERNATIONAL à verser à M. [I] 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

-condamner solidairement les sociétés INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER et VWR INTERNATIONAL aux entiers dépens ;

débouter les sociétés INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER et VWR INTERNATIONAL de leurs demandes, moyens et fins.

L’intimé fait valoir que :

-in limine litis :

-la demande de dommages et intérêts pour prêt de main-d”uvre illicite et marchandage est recevable car il ne s’agit que d’une simple modification du fondement juridique de la demande, qui tend à la même fin que les demandes visées dans la requête introductive ;

-la demande d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé est recevable en ce qu’il s’agit d’une demande accessoire du co-emploi, basée sur les mêmes faits ;

-la fin de non-recevoir tirée d’une prétendue violation du principe du contradictoire est irrecevable puisque M. [I] ne sollicite aucune condamnation de la société DIVERCHIM, qui a été placée en liquidation en 2017 et radiée ;

-l’opération mise en place par la société INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER à compter de janvier 2013 caractérise un prêt de main d”uvre illicite, un marchandage et son statut d’employeur de fait de M. [I] :

-la mise à disposition de M. [I] auprès de la société IDRS à compter de janvier 2013 avait comme but exclusif le prêt de main-d”uvre car :

-l’activité de recherche en électrophysiologie de M. [I] au sein du laboratoire SERVIER correspondait exclusivement à l’activité et l’expertise de la société INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER et ne correspondait pas à l’activité et l’expertise de la société DIVERCHIM ;

-M. [I], entre sa période d’emploi salarié chez la société INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER (jusqu’en décembre 2012) et sa période de mise à disposition auprès de cette société (à compter de janvier 2013), a poursuivi des travaux qu’il avait commencés pendant sa période de salariat chez l’INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER ;

-les salariés collaborant avec M. [I] sur son activité étaient ceux de l’INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER ;

-les missions de M. [I] n’avaient pas de caractère précis ni de projet délimité dans le cadre de sa mise à disposition de la société INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER ;

-c’est la société INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER qui a initié et supervisé le recrutement et la mise à disposition de M. [I] par DIVERCHIM puis par VWR INTERNATIONAL ;

-M. [I], dans le cadre de son activité, utilisait du matériel sélectionné et acheté par l’INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER, qui le refacturait et le transférait à la société DIVERCHIM et le salarié ne travaillait pas dans les locaux de DIVERCHIM ;

-lorsque M. [I] a été recruté par VWR INTERNATIONAL en août 2015 pour continuer à exercer ses fonctions au sein du laboratoire SERVIER via une nouvelle mise à disposition, VWR INTERNATIONAL ne lui a fourni aucun matériel ni local ;

-M. [I] a toujours conservé ses accès, bureau, adresse mail de l’INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER ;

-l’INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER a toujours exercé son pouvoir de direction, d’encadrement et de supervision à l’égard de M. [I] (aucun responsable de DIVERCHIM ni de VWR INTERNATIONAL ne le supervisait) ;

-les sociétés DIVERCHIM et VWR INTERNATIONAL n’assuraient qu’une gestion purement administrative à l’égard de M. [I] ;

-les documents contractuels et de présentation cités par les sociétés appelantes sont inopérants puisque seule la réalité des conditions dans lesquelles cette activité a eu lieu doit être appréciée ;

-la mise à disposition de M. [I] auprès de l’INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER avait un but lucratif :

-l’INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER ne démontre pas que le coût supporté par lui dans le cadre de cette mise à disposition aurait correspondu à l’exact coût que représentait pour DIVERCHIM l’emploi de M. [I] ;

-les tarifs prévus dans les avenants contractuels sont très supérieurs au coût salarial représenté par M. [I] pour VWR INTERNATIONAL ;

-la situation de marchandage, dont M. [I] a fait l’objet, l’a privé des indemnités liées à son ancienneté réelle au sein de l’INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER et a impacté sa santé ;

-M. [I] est resté à la disposition permanente de l’INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER, ainsi, après avoir été l’employeur de droit de M. [I] du 22 juillet 2002 au 31 décembre 2012, la société a été son employeur de fait à compter du 1er janvier 2013.

-le licenciement de M. [I] est sans cause réelle et sérieuse :

-la rupture du contrat de prestation par la société INSTITUT DE RECHERCHES SERVIER, employeur de fait, constitue un licenciement de fait, lequel est dépourvu de cause réelle et sérieuse

-en toute hypothèse, le licenciement notifié par la société VWR INTERNATIONAL le 30 novembre 2018 est sans cause réelle et sérieuse :

-absence de motif économique dans la lettre de licenciement, alors que ce dernier est prononcé au motif d’une suppression de poste consécutive à la rupture du contrat de prestation liant VWR INTERNATIONAL à l’institut SERVIER, sans préciser l’incidence de cette circonstance sur la situation économique de l’entreprise ;

-non-respect de l’obligation de reclassement.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 14 septembre 2022.

L’affaire était fixée à l’audience du 5 décembre 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

1 ‘ sur la recevabilité des demandes au titre du travail dissimulé, du prêt de main d”uvre illicite et du marchandage

La société Institut de Recherches Servier (IDRS) fait valoir que M. [I] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 15 janvier 2019 de demandes d’indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour exécution déloyale du contrat. Dans ses conclusions du 22 juillet 2019, M. [I] a formulé pour la première fois une demande d’indemnité pour travail dissimulé et une demande de dommages-intérêts pour prêt illicite de main-d”uvre et marchandage. Or, ces demandes ne sont ni l’accessoire, ni la conséquence, ni le complément du coemploi invoqué dans sa requête initiale. Elle soutient donc l’irrecevabilité de ses demandes.

La société VWR international soutient également cette demande d’irrecevabilité, en soulignant que les demandes ont été présentées postérieurement à l’audience de conciliation qui était intervenue le 22 mai 2019.

M. [I] répond qu’une modification du fondement juridique d’une demande en cours d’instance est recevable. Ainsi, après avoir sollicité dans sa requête introductive des dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, M. [I] a, dans ses conclusions du 22 juillet 2019 modifié le fondement juridique de sa demande et sollicité les mêmes dommages-intérêts sur le fondement du prêt de main d”uvre illicite et du marchandage. Par ailleurs, la demande au titre du travail dissimulé n’est que l’accessoire, la conséquence ou le complément du cours emploi invoqué dès l’introduction de l’instance.

Selon les articles R. 1452-1 et R. 1452-2 du code du travail, la demande en justice est formée par requête qui contient un exposé sommaire des motifs de la demande et mentionne chacun des chefs de celle-ci.

Aux termes de l’article 70, alinéa 1er, du code de procédure civile, les demandes reconventionnelles ou additionnelles sont recevables si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.

Le requérant est par conséquent recevable à formuler contradictoirement des demandes additionnelles qui se rattachent aux prétentions originaires, devant le juge lors des débats, ou dans ses dernières conclusions écrites réitérées verbalement à l’audience lorsqu’il est assisté ou représenté par un avocat.

En l’espèce, dans l’exposé sommaire des faits annexé à la requête datée du 14 février 2019 qui saisit le conseil des prud’hommes (pièce 1 VWR, pièce 14 Servier), le salarié indique : « La collusion frauduleuse entre les sociétés Servier et Diverchim s’agissant de l’emploi de M. [I] caractérisait donc un prêt illicite de main-d”uvre, puisqu’elle permettait un profit financier, et un délit de marchandage, puisqu’elle causait un préjudice à M. [I], notamment en termes de droits liés à l’ancienneté, d’intéressement et de participation, d’évolution de carrière et de revenus ».

Le fondement de la demande indemnitaire formulée dans les conclusions du 22 janvier 2019 figure donc explicitement dans la requête initiale. Et la demande au titre du travail dissimulé se rattache directement à la situation de coemploi alléguée par M. [I], puisque ce dernier affirme que la société Servier n’a, dans les faits, jamais cessé de l’employer.

Le jugement entrepris sera par conséquent confirmé en ce qu’il a dit recevables les demandes au titre du prêt de main-d”uvre illicite, du marchandage et du travail dissimulé.

2 ‘ sur la violation du principe du contradictoire

La société IDRS soutient que les demandes du salarié ont été formulées en violation du principe du contradictoire, la société Diverchim n’étant pas attraite dans la cause.

Mais la cour observe que par jugement du 28 juillet 2017, le tribunal de commerce de Pontoise a prononcé la liquidation judiciaire de la société Diverchim, et qu’aucune demande de condamnation n’est formée à l’encontre de celle-ci.

Il en résulte qu’aucune violation du principe du contradictoire n’est établie.

3 ‘ sur le prêt de main-d”uvre illicite

Aux termes de l’article L. 8231-1 et L. 8241-1 du code du travail, toute opération à but lucratif de fourniture de main d”uvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu’elle concerne ou d’éluder les dispositions de la loi ou du règlement ou de conventions ou accords collectifs du travail est un marchandage; toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main d”uvre à but lucratif effectué en dehors des dispositions légales relatives au travail temporaire est illicite.

L’existence d’un contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de faits dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs . Il appartient à celui qui se prévaut d’un contrat de travail de rapporter la preuve de l’existence d’une activité rémunérée accomplie sous la subordination de l’employeur. Le lien de subordination se caractérise par le pouvoir de l’employeur de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

M. [I] fait valoir que :

– l’activité de recherche en électrophysiologie qu’il exerçait au sein du laboratoire Servier est une activité normale et permanente de cette société, contrairement à Diverchim qui est spécialisé dans la recherche et la synthèse de composés chimiques, et à VWR, spécialisée dans la distribution d’équipements et de fournitures pour les milieux scientifiques

‘ il a poursuivi, pendant sa mise à disposition, l’activité et les travaux qu’il réalisait lorsqu’il était salarié de la société Servier

‘ son binôme au sein du laboratoire, tout comme ses responsables, étaient des salariés de la société Servier

– il n’était affecté à aucun projet précisément délimité dans sa nature et sa durée mais se trouvait en fait mis à disposition de la société Servier de façon totale et permanente pour effectuer toute mission en lien avec l’électrophysiologie, comme lorsqu’il en était salarié

‘ c’est la société Servier qui a initié et supervisé le recrutement et la mise à disposition de M. [I] successivement par Diverchim puis VWR international

‘ le matériel utilisé par M. [I] au sein de la société Diverchim avait été sélectionné par l’institut Servier puis acquis par un intermédiaire qui le louait à la société Diverchim, laquelle facturait ce coût à la société Servier. À l’issue du contrat de prestation de services, le matériel a été récupéré par la société Servier

‘ s’agissant de la société VWR, M. [I] n’utilisait que du matériel fourni par la société Servier.

‘ bien que salarié de la société Diverchim puis de la société VWR, M. [I] disposait toujours d’une adresse mail professionnelle auprès de la société Servier, figurait dans les organigrammes de celle-ci, a participé à une journée team building organisée par celle-ci et suivi une formation assurée également par celle-ci. Et les seuls locaux dans lesquels il travaillait était ceux de l’institut Servier.

‘ bien que n’étant plus son employeur à compter de janvier 2013, la société Servier a continué d’exercer ses prérogatives d’encadrement, de direction et de supervision à son égard, tandis que les sociétés Diverchim et VWR n’assuraient qu’une gestion purement administrative.

Il soutient que sa mise à disposition tant par la société Diverchim que par la société VWF auprès de l’institut Servier avait un but lucratif et lui a causé un préjudice, en ce qu’il a été placé dans une situation de précarité d’emploi à compter de 2013 et que lors de la rupture des relations, il a été privé des indemnités liées à son ancienneté réelle au sein de l’institut Servier mais également de diverses sommes qu’il aurait perçues s’il était resté salarié comme l’intéressement et la participation, diverses primes ou des jours de congés supplémentaires liés à l’ancienneté. Cette situation a impacté sa santé.

La société IDRS répond que :

elle ne disposait pas du savoir-faire nécessaire à la réalisation du projet de mise en place d’un laboratoire en chémogénétique et électrophysiologie, et devait recourir simultanément à deux sociétés partenaires différentes, ICM d’une part, Diverchim puis VWR d’autre part

les deux contrats de prestations sont parfaitement licites : la société VWR répondait aux besoins spécifiques de la société Servier, la tarification des prestations rendues par VWR était globale et forfaitaire, le matériel utilisé par M. [I] n’était pas fourni par la société Servier, et celui-ci était placé sous l’autorité exclusive de la société VWR.

La société VWR répond à son tour que :

-la mission était précisément définie dans les contrats de prestation successifs

-la prestation de services était facturée de façon forfaitaire

-elle a un savoir-faire spécifique en matière de recherche en laboratoire

-elle mettait à la disposition de M. [I] le matériel nécessaire à l’accomplissement de la prestation de services au sein de l’institut de recherche Servier

-elle était l’unique employeur de M. [I].

La cour rappelle que pour être illicite, le prêt de main-d”uvre doit, d’une part, être exclusif, c’est-à-dire que le seul et unique objet du contrat conclu entre les deux entreprises est le prêt de main-d”uvre, et d’autre part, avoir un but lucratif.

La société IDSR produit en pièce 2.1 le contrat cadre signé le 20 juillet 2012 avec la société Diverchim auquel est annexée la liste des prestations pouvant être confiées à Diverchim, à savoir des prestations de biologie et de chimie, des conseils scientifiques ainsi que l’installation et la gestion des équipements. Il y est également précisé que l’expertise nécessaire au bon fonctionnement des plates-formes est évaluée à deux personnes très qualifiées, l’une ayant des compétences en imagerie, l’autre en électrophysiologie.

Elle produit ensuite en pièce 4 le contrat de prestation de services signé le 14 mars 2013 avec la société VWR international, dont l’objet est le suivi de l’avancement des projets scientifiques et gestion des matériels et échantillons du laboratoire dit « plate-forme BPMC ». Ce contrat est donc signé deux ans avant que M. [I] ne devienne salarié de la société VWR.

S’agissant de la facturation, ce second contrat prévoit une rémunération forfaitaire, et la société VWR produit (pièce 23) plusieurs factures émises entre mai 2016 et février 2018, qui le confirment.

S’agissant du lien de subordination, la société VWR en justifie par la production (pièce 9) des entretiens d’évaluation de M. [I] pour les années 2015, 2016 et 2017, réalisés par son supérieur hiérarchique, M. [L] [O].

De son côté, la société IDSR verse aux débats une attestation établie par M. [Z] (pièce 16) dans laquelle celui-ci, salarié de la société Servier, décrit les conditions dans lesquelles M. [I] travaillait en tant que prestataire de la société VWR : « Le management hiérarchique était assuré par Mme [P], manager VWR sur le site IDRS de [Localité 4]. M. [F] et moi-même nous assurions que M. [I] délivrait les différents travaux scientifiques attendus et Mme [P] était en charge de s’assurer que la charge de travail et la nature des missions de M. [Z] [I] étaient en accord avec sa prestation. Dans ce contexte, Mme [M] [P] ainsi que M. [L] [O], son supérieur hiérarchique au sein de l’entreprise VWR, et moi-même avions des réunions régulières pour discuter des activités de M. [I], de sa charge de travail présente et future et de ses performances en tant que prestataire ».

S’il est admis que M. [I] est resté en possession d’un ordinateur qui avait été mis à sa disposition par la société Servier jusqu’à la fin de son contrat de travail avec la société VWR, et qu’il disposait d’une adresse mail professionnelle le rattachant à la société Servier, il ressort d’un mail envoyé le 20 octobre 2017 (pièce 10 société VWR) que d’autres salariés de la société VWR disposaient également d’une telle adresse mail, y compris Mme [P] qui occupait des fonctions de manager dans la société VWR.

S’agissant enfin du savoir-faire détenu par M. [I] qui ne pouvait être réalisé par la société Servier, la cour note qu’à son départ, la société avait édité une « fiche de poste à remplacer » (pièce 9) mentionnant : « est doté d’une expertise qui se raréfie et qui doit être consolidée. Remplacement indispensable pour la continuité des projets de recherche cardiovasculaire ».

Il ressort de l’ensemble de ces éléments que les deux contrats signés par IDSR avec Diverchim puis VWR n’avaient pas pour seul et unique objet, le prêt de main d”uvre, à savoir le travail réalisé par M. [I]. Par ailleurs, l’hypothèse d’un prêt de main d”uvre illicite est contredite par l’embauche de M. [I] deux années après la conclusion du contrat de prestations de services, la facturation forfaitaire, l’existence d’un lien de subordination avec la société VWR et l’absence d’éléments démontrant le caractère lucratif de ce prêt.

Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef et M. [I] sera débouté de sa demande.

4 ‘ sur le marchandage

Aux termes de l’article L 8231-1 du Code du travail, le marchandage correspond à toute opération à but lucratif de fourniture de main-d”uvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu’elle concerne ou d’éluder l’application de dispositions légales ou de stipulations d’une convention ou d’un accord collectif de travail.

M. [I] fait valoir que le marchandage couvre un champ plus large que le prêt de main-d”uvre illicite et qu’il suffit que l’opération de main-d”uvre à but lucratif cause un préjudice, réel ou potentiel, au salarié pour que le marchandage soit constitué. Il soutient que les faits ont eu pour effet de le placer dans une situation de précarité d’emploi à compter de 2013 et, lors de la rupture des relations, de le priver des indemnités liées à son ancienneté réelle au sein de l’institut Servier. Cette situation a impacté sa santé puisqu’il a dû consulter un médecin qui lui a prescrit des antidépresseurs.

Par ailleurs, son évolution professionnelle a été gelée à compter de son embauche par la société Diverchim en janvier 2013. Et il a été privé de diverses sommes qu’il aurait perçues s’il était resté au sein de la société Servier, à savoir l’intéressement, la participation, diverses primes de nature salariale ainsi que des jours de congés supplémentaires liés à l’ancienneté dans l’entreprise.

La société Servier répond que l’exécution d’un contrat de prestation de services licite n’entraîne aucun préjudice pour le salarié de l’entreprise prestataire. Dans la mesure où ce contrat avait pour objet l’exécution d’une tâche clairement définie, nécessitant une expertise spécifique et un savoir-faire particulier, que la tarification des prestations était globale et forfaitaire, que le matériel utilisé par M. [I] n’était pas fourni par la société Servier et que M. [I] était placé sous l’autorité exclusive de son unique employeur la société VWR, sa licéité est établie.

La société VWR affirme que le salarié ne démontre pas le caractère illicite du contrat de prestation. M. [I] n’apporte la preuve ni de l’existence d’un lien de subordination entre lui et l’entreprise Servier, ni du caractère lucratif de l’opération, ni de son préjudice.

La cour retient que la prestation de M. [I] effectuée pour l’entreprise Servier résulte d’un contrat de prestation de service et qu’a été exclu, au point 3, le prêt illicite de main-d”uvre.

Dès lors que cette prestation s’inscrivait dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail avec la société VWR, elle n’a pas eu pour effet de lui causer un préjudice ou d’éluder l’application de dispositions légales ou de stipulations d’une convention ou d’un accord collectif de travail, alors qu’il ne pouvait prétendre aux dispositions applicables aux salariés de la société Servier.

Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef et M. [I] sera débouté de sa demande au titre du marchandage.

5 ‘ sur le coemploi

M. [I] fait valoir qu’à compter de sa mise à disposition auprès de la société Servier en janvier 2013, il a continué dans les faits d’exercer ses fonctions pour le compte de cette société dans un lien de subordination juridique avec elle. En effet les sociétés Diverchim et WR n’avaient aucune expertise ni compétence en recherche en électrophysiologie, les opérations de recrutement et de mise à disposition de M. [I] sont le fait de la société Servier qui a initié et supervisé ces recrutements, il effectuait son travail avec les moyens matériels mis à disposition par celui-ci, il est resté intégré de manière fonctionnelle aux équipes de la société Servier, sans se distinguer du personnel de l’entreprise, et le pouvoir d’encadrement et de direction a été exclusivement exercé par des cadres de la société Servier. La société Servier a donc été son employeur de fait à compter du 1er janvier 2013 et le licenciement prononcé par la société VWR, qui a été la conséquence directe de la cessation du contrat de prestation, démontre que le sort du contrat de travail de M. [I] dépendait de la société Servier.

La société VWR rétorque qu’elle était l’unique employeur de M. [I] et qu’aucun lien de subordination n’existait entre lui et la société Servier, lorsqu’il était salarié de la société VWR à compter du 1er août 2015. Les comptes-rendus de son activité au sein de la société Servier démontrent que le salarié considérait cette dernière comme un client pour lequel il accomplissait une prestation de services.

Le coemploi correspond à la situation d’un salarié qui se trouve juridiquement, dans le cadre d’un contrat de travail, liée avec une autre personne que celle que le contrat écrit désigne comme employeur. Une immixtion permanente de cette dernière dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière, doit alors être caractérisée (Soc 25 novembre 2020 1813769).

En l’espèce, le salarié soutient que la société Servier a continué à être son employeur de fait, alors qu’il était le salarié de la société Diverchim puis de la société VWR, puisqu’il continuait à travailler dans les locaux et avec les moyens matériels et humains de la société Servier et qu’il était soumis au pouvoir d’encadrement et de direction de celle-ci.

Mais la cour a retenu au point 3 que les éléments produits par la société VWR et la société Servier démontraient que la première exerçait réellement un pouvoir d’encadrement sur le salarié tandis que la seconde, entreprise utilisatrice, était fondée à contrôler et suivre les prestations de M. [I], sans qu’il puisse en être déduit un lien de subordination.

En l’absence de démonstration d’une immixtion permanente de la société Servier dans la gestion économique et sociale de la société employeur VWR, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière, M. [I] sera débouté de ses demandes dirigées contre la société Servier.

6 ‘ sur le travail dissimulé

En application de l’article L. 8221-5 du code du travail est réputé travail dissimulé, par dissimulation d’emploi salarié, le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité de déclaration préalable à l’embauche, de se soustraire à la délivrance de bulletins de paie ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli.

Encore faut-il que soit établi le caractère intentionnel de l’abstention en cause.

M. [I] fait valoir que, sous couvert d’une opération consistant à faire recruter par ses partenaires commerciaux l’un de ses chercheurs en électrophysiologie pour que celui-ci soit laissé à sa disposition afin qu’il poursuive son activité pour elle, la société Servier n’a en réalité jamais cessé d’être son employeur. Cette situation caractérise l’infraction de travail dissimulé.

La société VWR répond qu’elle a toujours respecté ses obligations en matière de déclaration sociale et a réglé à . [I] ses heures travaillées.

La cour ayant écarté le prêt de main-d”uvre illicite, le marchandage et le coemploi, et constatant qu’aucun manquement de la société VWR à ses obligations légales n’est allégué, . [I] sera débouté de sa demande à ce titre.

7 ‘ sur le licenciement

La lettre de licenciement est ainsi rédigée : « Vous avez été embauché le 1er août 2015 en tant qu’ingénieur de recherche,’, de fait, vous avez exercé toutes vos missions de recherche pour un seul et unique client : le groupe pharmaceutique français Servier. Fin avril 2018, ce même client a averti M. [L] [O], votre responsable hiérarchique du renouvellement du contrat commercial faisant l’objet de la prestation de recherche, mais seulement pour trois mois. Et, en effet, mi juin 2018, la fin du contrat nous liant à Servier est officialisée pour fin juin 2018. N’ayant pas d’autres activités de recherche au sein de VWR International France, et a fortiori dans votre domaine d’expertise, il a été décidé avec votre accord d’utiliser votre préavis comme période de prospection de nouveaux clients, ceci dans l’objectif commun de poursuivre nos relations contractuelles. Mais aujourd’hui, nous sommes contraints de vous notifier votre licenciement et ce pour impossibilité de maintenir votre contrat de travail n’ayant aucune autre activité à vous confier en conformité avec ce dernier ».

La société VWR produit la copie d’un mail adressé le 24 avril 2018 par M. [W], directeur de biotechnologie dans la société Servier, à M. [O], l’informant qu’il ne reprendrait pas les prestations d’électrophysiologie et d’optogénétique au-delà de la période indiquée dans le dernier avenant avec un arrêt prévu au 30 juin 2018.

Il apparaît donc, faute pour la société VWR de tirer argument du comportement ou des agissements du salarié, que le licenciement est fondé sur un motif économique.

Or, selon l’article L. 1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :

a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;

b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;

c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;

d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;

2° A des mutations technologiques ;

3° A une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;

4° A la cessation d’activité de l’entreprise.

La matérialité de la suppression, de la transformation d’emploi ou de la modification d’un élément essentiel du contrat de travail s’apprécie au niveau de l’entreprise.

Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise s’apprécient au niveau de cette entreprise si elle n’appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d’activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude.

La société VWR ne produisant aucune pièce au soutien du motif économique invoqué, hormis le mail du 24 avril 2018, le licenciement est par conséquent dépourvu de toute cause réelle et sérieuse comme l’a justement retenu le jugement entrepris.

En application des dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail, le juge octroie au salarié une indemnité dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux déterminés selon l’ancienneté du salarié.

Pour le calcul de son salaire de référence, M. [I] fait valoir que doit être pris en compte le treizième mois contractuel, proratisé pour les années incomplétement travaillées.

Le contrat de travail prévoyant effectivement une rémunération mensuelle brute versée sur 13 mois, il sera retenu un salaire moyen de 5 395,70 euros.

M. [I] ayant une ancienneté de trois années au jour de l’envoi de la lettre de licenciement, le montant de cette indemnité est compris entre trois mois et quatre mois de salaire brut.

Eu égard à l’âge de M. [I], à savoir 44 ans à la date du licenciement, au montant de son salaire moyen, au fait qu’il n’a pas retrouvé d’emploi salarié et a créé sa société dont il ne parvient pas à tirer de revenus, et aux éléments du dossier, il lui sera alloué, en réparation de son entier préjudice au titre de la rupture abusive, la somme de 21 582,80 euros.

S’agissant de l’indemnité de préavis, les dispositions conventionnelles prévoient un préavis de 3 mois. Dans la lettre de licenciement, la société VWR évoque qu’ « il a été décidé avec votre accord, et ce avant d’envisager une quelconque rupture de votre contrat de travail, d’utiliser votre préavis comme période de prospection de nouveaux clients », puis une impossibilité d’exécuter le préavis.

Mais le préavis est une période de prévenance que l’employeur doit respecter avant de rompre le contrat de travail et qui court à compter de la date de notification du licenciement, soit le 30 novembre 2018. Par ailleurs, la société VWR n’apporte aucun élément démontrant soit que M. [I] aurait demandé à être dispensé de son préavis, soit la réalité du motif rendant impossible l’exécution du préavis.

Il sera donc alloué au salarié la somme de 16 187,10 euros au titre de l’indemnité de préavis, outre 1 618, 71 euros au titre des congés payés afférents.

S’agissant de l’indemnité conventionnelle de licenciement, égale à 4/10 de mois par année à compter de la date d’entrée dans l’entreprise, il lui sera alloué la somme de 7 733,83 euros à ce titre, en retenant une ancienneté de 3 ans et 7 mois.

5 ‘ sur les autres demandes

Il sera ordonné à la société VWR de délivrer à M. [I] dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, les bulletins de paie, une attestation pôle emploi et un certificat de travail rectifiés, sans qu’il soit nécessaire d’assortir cette obligation d’une astreinte.

Conformément aux dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail, il sera ordonné à la société VWR de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à M. [I] dans la limite de 6 mois,

La cour rappelle que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé de l’arrêt et que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation et que la capitalisation est de droit conformément à l’article 1343-2 du code civil.

La société VWR sera condamnée à verser à M. [I] la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et supportera les dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a :

-dit les demandes au titre du prêt de main-d”uvre illicite, du marchandage et du travail dissimulé

-requalifié la rupture du contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse

-alloué à M. [Z] [I] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la société VWR à payer à M. [Z] [I] les sommes suivantes :

-21 582,80 euros à titre d’indemnité pour rupture abusive

-187,10 euros au titre de l’indemnité de préavis

-618, 71 euros au titre des congés payés afférents

-733,83 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement

-2 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

Ordonne à la société VWR de délivrer à M. [I] dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, les bulletins de paie, une attestation pôle emploi et un certificat de travail rectifiés, sans qu’il soit nécessaire d’assortir cette obligation d’une astreinte,

Ordonne à la société VWR de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à M. [I] dans la limite de 6 mois,

Rappelle que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé de l’arrêt et que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation et que la capitalisation est de droit conformément à l’article 1343-2 du code civil,

La société VWR supportera les dépens d’appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

 


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