Tentative de conciliation : 24 février 2023 Cour d’appel de Toulouse RG n° 21/01535

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Tentative de conciliation : 24 février 2023 Cour d’appel de Toulouse RG n° 21/01535
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24/02/2023

ARRÊT N° 116/2023

N° RG 21/01535 – N° Portalis DBVI-V-B7F-OCS6

NA/KB

Décision déférée du 06 Mai 2019

Tribunal de Grande Instance d’AGEN

15/00185

Sylvie TRONCHE

Société [10]

C/

[X] [I]

[V] [I]

[B] [I]

[A] [I]

[Y] [G] [I]

[S] [I]

CPAM DU LOT ET GARONNE

FIVA

CONFIRMATION PARTIELLE

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

4ème Chambre Section 3 – Chambre sociale

***

ARRÊT DU VINGT QUATRE FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS

***

APPELANTE

Société [10]

[Adresse 8]

[Localité 6]

représentée par Me Bruno FIESCHI de la SCP FLICHY GRANGÉ AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉS

Madame [X] [I]

[Adresse 12]

[Localité 6]

représentée par Me Elisabeth LEROUX de la SELARL TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

Monsieur [V] [I]

[Adresse 1]

[Localité 4]

représenté par Me Elisabeth LEROUX de la SELARL TILA &ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS

Madame [B] [I]

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Elisabeth LEROUX de la SELARL TILA &ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS

Monsieur [A] [I]

[Adresse 5]

[Localité 4]

représenté par Me Elisabeth LEROUX de la SELARL TILA &ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS

Monsieur [Y] [G] [I]

Chez [A] [I]

[Adresse 5]

[Localité 4]

représenté par Me Elisabeth LEROUX de la SELARL TILA &ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS

Monsieur [S] [I]

Chez [A] [I]

[Adresse 5]

[Localité 4]

représenté par Me Elisabeth LEROUX de la SELARL TILA &ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS

CPAM DU LOT ET GARONNE

SERVICE CONTENTIEUX

[Adresse 2]

[Localité 7]

représentée par Me Anthony PEILLET, avocat au barreau de TOULOUSE

FIVA

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 9]

non comparante ni représentée à l’audience

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l’article 945.1 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 Janvier 2023, en audience publique, devant Mmes N. ASSELAIN et M.P.BAGNERIS, conseillères chargées d’instruire l’affaire, les parties ne s’y étant pas opposées.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

N. ASSELAIN, conseillère faisant fonction de présidente

MP. BAGNERIS, conseillère

M. SEVILLA, conseillère

Greffier, lors des débats : K. BELGACEM

ARRET :

– RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile

– signé par N. ASSELAIN, présidente, et par K. BELGACEM, greffière de chambre.

EXPOSE DU LITIGE

[M] [I] a travaillé en qualité de câbleur électricien

du 6 septembre 1982 au 30 juin 1990 au sein de la société actuellement dénommée [10].

Il a ensuite développé une activité d’artisan électricien à son compte.

[M] [I] a déclaré le 15 avril 2014 être atteint d’une maladie professionnelle, en joignant un certificat médical initial du 9 janvier 2014 constatant un ‘adénocarcinome bronchique lobaire supérieur gauche muté K-RAS métastatique au niveau osseux’.

Le 16 septembre 2014, la CPAM de Lot-et-Garonne a reconnu le caractère professionnel de la maladie de [M] [I], relevant du tableau 30 bis des maladies professionnelles, et a retenu le 26 août 2015 un taux d’incapacité permanente de 100%. Une rente lui a été attribuée à compter du 19 mars 2015.

Par lettre du 5 mai 2015, après échec de la tentative de conciliation, [M] [I] a saisi le tribunal pour obtenir reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.

Parallèlement à cette procédure engagée par [M] [I], le tribunal des affaires de sécurité sociale d’Agen, dans une instance opposant la société [10] à la CPAM de Lot-et-Garonne, a dit que la condition relative au délai de prise en charge du tableau 30 bis des maladies professionnelles n’était pas remplie en ce qui concerne la pathologie du 9 janvier 2014 déclarée par [M] [I], et a par conséquent déclaré inopposable à la société [10] la décision de la CPAM de Lot-et-Garonne de prise en charge de la maladie professionnelle déclarée par [M] [I] au titre du tableau 30 bis.

[M] [I] est décédé le 13 août 2015.

Le fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA), appelé en cause, a écrit à la juridiction pour lui indiquer que [M] [I] avait refusé son offre d’indemnisation.

Par jugement du 20 février 2017, le tribunal d’Agen a ordonné la saisine de deux comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles pour recueillir leur avis sur l’origine professionnelle de la maladie de [M] [I].

Les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 11] et [Localité 13] ont respectivement rendus

leurs avis les 21 février et 2 octobre 2018.

Par jugement du 6 mai 2019, le tribunal d’Agen a :

– Déclaré le jugement commun à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Lot-et-Garonne ,

– Dit que la maladie déclarée par [M] [I] le 9 janvier 2014 et désignée au tableau n °30 bis des maladies professionnelles est d’origine professionnelle ;

– Dit que le décès de [M] [I] survenu le 13 août 2015 est imputable à la maladie déclarée par ce dernier et prise en charge au titre du tableau n°30 bis des maladies professionnelles ;

– Dit que la maladie professionnelle mortelle déclarée le 9 janvier 2014 par [M] [I] est la conséquence de la faute inexcusable de son ancien employeur, la société [10];

– Ordonné le versement de l’indemnité forfaitaire par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Lot-et-Garonne sur le fondement de l’article L.452-3 du code de sécurité sociale ;

– Allloué aux consorts [I] au titre de l’action successorale en réparation des préjudices personnels de [M] [I] les sommes suivantes :

– 80.000 euros au titre des souffrances endurées,

– 30.000 euros au titre du préjudice d’agrément,

– 5.000 euros au titre du préjudice esthétique;

– Alloué aux consorts [I] au titre de leur préjudice moral personnel les sommes suivantes :

– A [X] [J], veuve [I] : 70.000 euros

– A [V] [I], son fils : 30.000 euros

– A [A] [I], son fils : 30.000 euros

– A [Y] [G] [I], son petit-fils : 15.000 euros

– A [S] [I], son petit-fils : 15. 000 euros

– A [B] [I], sa petite-fille : 15.000 euros;

– Dit que la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Lot et Garonne devra faire l’avance des sommes allouées aux ayants droits de [M] [I] au titre de l’indemnisation complémentaire définitive de ses préjudices et en leur nom personnel, ainsi que de l’indemnité forfaitaire;

– Déclaré recevable l’action récursoire de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Lot-et-Garonne à l’encontre de la société [10], ancien employeur de [M] [I];

– Condamné la société [10] à rembourser les sommes versées par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Lot-et-Garonne au titre de l’indemnisation complémentaire définitive des préjudices personnels de [M] [I] et des préjudices moraux de ses ayants droit ainsi que l’allocation forfaitaire ;

– Condamné la société [10] à payer aux consorts [I] la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

La société [10] a relevé appel de ce jugement par déclaration du 28 mai 2019.

L’affaire a été radié du rôle de la cour le 23 octobre 2020 et réinscrite à la demande de la société [10] le 12 mars 2021.

La société [10] demande infirmation du jugement. Elle conclut à titre principal au rejet de l’ensemble des demandes et au paiement de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles. A titre subsidiaire, si la faute inexcusable de la société [10] était retenue, elle demande à la cour de réduire en de très fortes proportions les indemnisations sollicitées, et de rejeter la demande de remboursement de la CPAM de Lot-et-Garonne.

La société [10] rappelle que par jugement

du 14 novembre 2016, le tribunal des affaires de sécurité sociale d’Agen avait auparavant déclaré inopposable à la société [10] la décision de prise en charge de la maladie au titre de la législation professionnelle, la condition relative au délai de prise en charge du tableau n°30 bis des maladies professionnelles n’étant pas satisfaite. Elle soutient que la preuve du caractère professionnel de la maladie n’est pas rapportée au regard des deux avis succints des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles, alors qu’on ignore le contenu du dossier transmis au comité de [Localité 11], et que la CPAM de Lot-et-Garonne ne justifie pas des diligences pour obtenir l’avis du médecin du travail, de sorte qu’aucun élément précis et circonstancié ne permet d’établir la réalité d’une exposition au risque de [M] [I], qui était affecté à l’atelier de câblage. Elle conteste en toutes hypothèses l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur, alors que les ayants-droit de [M] [I] ne démontrent pas qu’il ait été exposé au risque d’inhalation de fibres d’amiante dans des quantités incompatibles avec la réglementation en vigueur, et que le tableau 30 bis des maladies professionnelles n’a été créé qu’en 1996. Elle soutient qu’aucun élément ne démontre que la société [10] ait pu avoir conscience du danger, et fait valoir que [M] [I] a été informé des consignes de sécurité et de la nécessité d’utiliser des éléments de protection individuelle. Elle indique qu’afin d’éviter une double indemnisation, doit être rapportée la preuve de souffrances physiques et morales antérieures à la consolidation, distinctes de celles indemnisées par la rente et sa majoration. Elle soutient enfin que l’inopposabilité à l’employeur de la décision de prise en charge de la maladie au titre de la législation professionnelle pour des raisons de fond prive la caisse de son action récursoire .

Les consorts [I] demandent confirmation du jugement et paiement d’une indemnité de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel.

Les consorts [I] exposent que pour pouvoir travailler sur les commandes électriques des armoires et chaudières, [M] [I] devait démonter les coffrets électriques constitués de plaques d’amiante, que lors du démontage, ces plaques s’effritaient et occasionnaient beaucoup de poussières, que par la suite, il devait poser des plaques, cordons et joints en amiante, et que toutes découpes se faisaient à l’aide de ciseaux, de scies manuelles ou sauteuses, ce qui générait beaucoup de poussières, alors qu’il travaillait sans aucun moyen de protection individuelle (pas de masque) ou collective (pas d’aspiration de la poussière ou de ventilation de l’air). Les consorts [I] se prévalent d’un lien direct entre la maladie et le travail habituel, établi par les attestations produites et les avis des deux comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles. Ils soutiennent que la société [10] n’a pas respecté la réglementation applicable depuis 1993, à laquelle le décret de 1977 ne s’est pas substituée, et qu’elle n’a pas mis en ‘uvre les moyens de protection nécessaires pour préserver les salariés des risques qu’ils encouraient. Ils indiquent qu’ au début des années 1950, le milieu médical est acquis à l’idée que l’inhalation d’amiante puisse engendrer des cancers pulmonaires. Ils citent les arrêts de la cour de cassation qui retiennent qu’en l’état de la réglementation applicable avant 1977, l’employeur avait connaissance de la nécessité d’assurer un bon renouvellement de l’air des ateliers et de prévenir l’inhalation de l’amiante, et le rapport du professeur [U] qui établit que les industriels utilisateurs d’amiante, non-spécialistes, avaient une connaissance complète des risques pour leurs salariés au moins depuis 1965. Ils indiquent qu’au sein de la société [10], la remise en état de chaudières d’occasion impliquait l’inhalation de poussières d’amiante, et produisent en ce sens les attestations de trois anciens collègues de [M] [I]. Ils soutiennent que la rente répare l’atteinte à l’intégrité physiologique de la victime, mais non les souffrances physiques et morales qui en découlent, et font valoir que les indemnités allouées sont inférieures à celles qui résultent du barème du fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante.

La CPAM de Lot-et-Garonne s’en remet à la décision de la juridiction, et dans l’hypothèse où une faute inexcusable serait retenue, demande confirmation du remboursement par la société [10] des sommes qu’elle serait amenée à avancer.

Le fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA) n’a pas comparu.

MOTIFS

L’employeur conteste tant l’origine professionnelle de l’accident que l’existence d’une faute inexcusable de sa part.

* Sur l’origine professionnelle de l’accident

[M] [I] a été atteint d’un cancer broncho-pulmonaire primitif, maladie inscrite au tableau 30 bis des maladies professionnelles.

Dans une instance opposant la société [10] à la CPAM de Lot-et-Garonne, le tribunal a constaté, par jugement du 14 novembre 2016, que la condition relative à la durée d’exposition au risque, soit dix ans, n’était pas remplie, [M] [I] ayant travaillé au sein de la société actuellement dénommée [10] du 6 septembre 1982 au 30 juin 1990. La décision de la CPAM de Lot-et-Garonne de prendre en charge la maladie professionnelle déclarée par [M] [I] au titre du tableau 30 bis, sur le fondement de l’article L 461-1 alinéa 2, a donc été déclarée inopposable à la société [10].

En revanche, dans son jugement du 6 mai 2019, qui fait l’objet du présent recours, le tribunal, statuant sur l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur engagée par [M] [I], a reconnu l’origine professionnelle de la maladie sur le fondement de l’article L 461-1 alinéa 3, au vu des avis concordants rendus par les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles de Bordeaux et Toulouse

les 21 février et 2 octobre 2018, retenant l’existence d’un lien de causalité direct entre la pathologie déclarée et le travail habituel de [M] [I], l’exposant aux poussières d’amiante.

La pertinence de ces avis convergents, motivés et circonstanciés, n’est pas utilement remise en cause par la société [10], qui a pu transmettre aux comités l’ensemble des éléments probants dont elle entendait se prévaloir. L’absence dans le dossier constitué par la caisse, de l’avis motivé du médecin du travail de l’entreprise où la victime a été employée, ne prive pas de leur force probante les avis des comités, rendus notamment au regard de l’avis de l’ingénieur conseil chef du service prévention de la CARSAT. La société [10] produit des procès-verbaux du comité d’hygiène et de sécurité et des conditions de travail des années 1981 à 1997, un rapport de la DRIRE Aquitaine du 21 septembre 1992, et des rapports du médecin du travail des années 1984 à 1991, tendant à démontrer qu’un risque professionnel lié à l’amiante n’était pas identifié pendant cette période. La société [10] ne peut cependant mettre en doute la réalité de l’exposition habituelle au risque de [M] [I], alors qu’il a travaillé pendant huit ans au sein d’une entreprise classée sur la liste des établissements ouvrant droit à l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (liste ‘ACAATA’), pour la période de 1950 à 1996, et qu’il avait notamment pour fonction de remettre en état des chaudières d’occasion, ce impliquait l’inhalation de poussières d’amiante spécialement lors du démontage des coffrets électriques constitués de plaques d’amiante, ou lors du démontage d’appareils d’occasion comportant des joints amiantés, comme en attestent trois anciens collègues de [M] [I]. Une lettre du médecin du travail du 28 juin 1996 signale au demeurant la présence d’amiante dans certains joints manipulés par les salariés, et le courrier adressé le 11 mai 2001 à l’inspection du travail par le CHSCT de la société [10], sollicitant l’inscription du site sur la liste des établissements ouvrant droit à l’allocation amiante, confirme l’utilisation, dans le processus normal de fabrication, d’isolants et de calorifuges amiantés, et les opérations de retrait d’isolants amiantés dans le cadre du service occasion.

L’origine professionnelle de la maladie est ainsi établie, la consommation tabagique invoquée par la société [10] n’étant pas de nature à exclure un lien direct entre le travail habituel de la victime et la maladie, qui peut procéder de plusieurs facteurs.

Le jugement est confirmé sur ce point.

* Sur la faute inexcusable

Le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

Le tribunal a rappelé que dès avant le décret du 24 décembre 1996 relatif à l’interdiction de l’amiante, et le décret du 17 août 1977 règlementant le nombre maximal de fibres d’amiante dans l’air, la loi du 12 juin 1893 et les décrets du 10-11 mars 1894 et du 13 décembre 1948 imposaient l’évacuation des poussières, ce qui comprend les poussières d’amiante, et la mise en oeuvre de mesures de protection individuelles. Le décret du 31 août 1950 a confirmé le risque induit par l’exposition à l’amiante en inscrivant l’asbestose au tableau n°30 des maladies professionnelles, et le professeur [U], expert mandaté pour établir la chronologie de l’acquisition des connaissances, conclut que la diffusion des connaissances scientifiques acquises permettait aux industriels utilisateurs d’amiante, même non-spécialistes, d’avoir une connaissance des risques liés à l’inhalation des poussières d’amiante pour leurs salariés au moins depuis 1965.

La société [10], née de la fusion de deux sociétés spécialistes des chaudières industrielles, créées en 1898 et 1929, avait donc connaissance, pendant la période où [M] [I] a été employé, de 1982 à 1990, de la nécessité d’assurer un bon renouvellement de l’air des ateliers et de prévenir l’inhalation d’amiante par toutes mesures de protection collectives ou individuelles.

Les trois témoignages circonstanciés produits par les consorts [I] établissent que ‘la poussière d’amiante se déposait partout, sur le matériel utilisé et sur les hommes’, dans l’atelier ‘confiné et sans aspiration et aucun système de ventilation’, et que les salariés n’utilisaient pas d’équipements de protection individuelle.

Les procès-verbaux du CHSCT versés aux débats ne démontrent pas la mise en place d’un système de protection assurant l’évacuation des poussières et le renouvellement de l’air des ateliers. Quant aux équipements de protection individuels, si le rapport annuel du CHSCT pour l’année 1981 mentionne que les consignes relatives aux protections individuelles, dont les masques, sont données par l’agent de sécurité, l’employeur conserve l’obligation de veiller à leur emploi effectif, que les témoignages concordants excluent en l’espèce.

Le jugement est donc confirmé en ce qu’il a retenu que la faute inexcusable de l’employeur est établie.

* Sur les conséquences de la faute inexcusable:

L’attribution aux ayants-droit de [M] [I] de l’indemnité forfaitaire prévue par l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale, dans le cas où la victime est atteinte d’un taux d’ incapacité permanente partielle de 100%, n’est pas contestée.

En ce qui concerne les indemnités allouées aux consorts [I] au titre des préjudices personnels de [M] [I], la société [10] conclut à la minoration de la somme allouée au titre des souffrances endurées, en soutenant que seules les souffrances endurées avant consolidation peuvent faire l’objet d’une indemnisation complémentaire par application de l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale, les douleurs physiques et morales permanentes et le boulversement dans les conditions d’existence étant déjà indemnisés par la rente et l’indemnité forfaitaire.

L’assemblée pleinière de la cour de cassation retient pourtant, dans deux arrêts rendus le 20 janvier 2023, que la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent. Il en résulte notamment qu’il n’y a pas lieu de distinguer les souffrances temporaires ou permanentes, l’ensemble des douleurs physiques et morales endurées par la victime devant faire l’objet de l’indemnisation complémentaire prévue par l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale.

En considération de cette règle, la somme de 80.000 euros allouée au titre des souffrances endurées par [M] [I], précisément décrites par le tribunal, est justifiée. Il en est de même du préjudice d’agrément, justement compensé par une indemnité de 30.000 euros. L’évaluation du préjudice esthétique ne fait pas l’objet de contestation.

Par ailleurs, les indemnités allouées au titre du préjudice moral de la veuve de [M] [I], de ses enfants et petits enfants sont conformes aux sommes communément attribuées par les tribunaux dans des circonstances similaires.

Le jugement est donc confirmé quant à l’ensemble des indemnités allouées.

* Sur le recours de la caisse à l’encontre de l’employeur

Conformément aux dispositions de l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale, la réparation des préjudices doit être versée directement aux bénéficiaires par la CPAM de Lot-et-Garonne, qui en récupère le montant auprès de l’employeur.

La société [10] soutient toutefois qu’en l’espèce la caisse ne dispose pas d’une action récursoire à son encontre, dès lors qu’elle a retenu le caractère professionnel de la maladie en méconnaissance des dispositions d’ordre public de l’article L 461-1 alinéa 2 du code de la sécurité sociale, sans recueillir l’avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. Elle se prévaut du jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale d’Agen le 14 novembre 2016, ayant acquis force de chose jugée, jugeant que ‘la CPAM de Lot-et-Garonne n’a pas justifié à l’égard de l’employeur de la prise en charge de l’affection de [M] [I] au titre du tableau n°30 bis des maladies professionnelles sur le fondement de

l’article L 461-1 alinéa 2 du code de la sécurité sociale’, et invoque l’arrêt rendu par la cour de cassation le 15 février 2018, retenant que l’action récursoire de la caisse ne peut s’exercer dans les cas où une décision de justice passée en force de chose jugée a reconnu, dans les rapports entre la caisse et l’employeur, que l’accident ou la maladie n’avait pas de caractère professionnel.

Dans son jugement définitif du 14 novembre 2016, le tribunal a retenu que la preuve du caractère professionnel de la maladie n’était pas rapportée à l’égard de la société [10]. La CPAM de Lot-et-Garonne ne peut davantage se prévaloir à l’égard de l’employeur, dans le cadre de la présente instance, du caractère professionnel de la maladie au regard des deux avis des

comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles, rendus en l’absence de l’avis motivé du médecin du travail, en violation

des articles D 461-29 et D 461-30 du code de la sécurité sociale, alors que la caisse ne justifie pas s’être trouvée l’impossibilité matérielle de recueillir l’avis du médecin du travail, ni même avoir tenté de l’obtenir.

Le jugement est donc infirmé en ce qu’il a fait droit au recours de la caisse à l’encontre de la société [10].

La société [10], dont la faute inexcusable n’en est pas moins établie, doit payer aux consorts [I] une indemnité de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel.

La CPAM de Lot-et-Garonne doit supporter les dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu le 6 mai 2019, sauf en ce qu’il a fait droit au recours de la CPAM de Lot-et-Garonne à l’encontre de la société [10], et a condamné la société [10] à rembourser à la caisse les sommes versées au titre de l’indemnisation complémentaire définitive des préjudices personnels de [M] [I] et des préjudices moraux de ses ayants-droit ainsi que l’allocation forfaitaire ;

Statuant à nouveau sur ce chef de décision infirmé et y ajoutant,

Rejette l’action récursoire de la CPAM de Lot-et-Garonne à l’encontre de la société [10];

Dit que la société [10] doit payer aux consorts [I] une indemnité de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel;

Dit que la CPAM de Lot-et-Garonne doit supporter les dépens d’appel.

Le présent arrêt a été signé par N.ASSELAIN, conseillère faisant fonction de présidente et par K. BELGACEM, greffière de chambre.

LE GREFFIERE, LA PRESIDENTE,

K. BELGACEM N.ASSELAIN

.

 


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