Tentative de conciliation : 16 mars 2023 Cour d’appel de Chambéry RG n° 22/00992

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Tentative de conciliation : 16 mars 2023 Cour d’appel de Chambéry RG n° 22/00992
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COUR D’APPEL de CHAMBÉRY

2ème Chambre

Arrêt du Jeudi 16 Mars 2023

N° RG 22/00992 – N° Portalis DBVY-V-B7G-HAG6

Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal paritaire des baux ruraux de THONON LES BAINS en date du 20 Mai 2022, RG 5121000004

Appelantes

Mme [A] [F] épouse [M]

née le 11 Août 1954 à [Localité 24], demeurant [Adresse 20]

non comparante

Représentée par la SELURL BOLLONJEON, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et Me Paul-Marie BERAUDO, avocat plaidant au barreau de THONON-LES-BAINS

Mme [K] [F] épouse [B]

née le 04 Juillet 1946 à [Localité 24], demeurant [Adresse 7]

non comparante

Représentée par la SELURL BOLLONJEON, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et Me Paul-Marie BERAUDO, avocat plaidant au barreau de THONON-LES-BAINS

Mme [Y] [F] épouse [L]

née le 24 Décembre 1949 à [Localité 24], demeurant [Adresse 19]

non comparante

Représentée par la SELURL BOLLONJEON, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et Me Paul-Marie BERAUDO, avocat plaidant au barreau de THONON-LES-BAINS

Intimés

Mme [I] [F] épouse [Z]

née le 06 Juin 1947 à [Localité 24], demeurant [Adresse 21]

non comparante

Représentée par la SELAS AGIS, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS

M. [W] [Z]

né le 05 Octobre 1944 à [Localité 23], demeurant [Adresse 21]

non comparant

Représenté par la SELAS AGIS, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS

M. [V] [Z]

né le 22 Décembre 1975 à [Localité 23], demeurant [Adresse 18]

non comparant

Représenté par la SELAS AGIS, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS

-=-=-=-=-=-=-=-=-

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l’audience publique des débats, tenue le 17 janvier 2023 avec l’assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,

Et lors du délibéré, par :

– Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente

– Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,

– Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,

-=-=-=-=-=-=-=-=-=-

EXPOSÉ DU LITIGE

[U] [E] [F] et son épouse, [A] [P], ont eu six enfants :

– [K] [F] épouse [B],

– [I] [F] épouse [Z],

– [G] [F] épouse [J],

– [Y] [F] épouse [L],

– [A] [F] épouse [M],

– [E] [F] (aujourd’hui décédé).

Par acte sous seing privé du 12 avril 1973, [U] [E] [F] et [A] [P] ont donné en location à [E] [F], leur fils, la propriété rurale située au lieudit [Adresse 1] à [Localité 22], d’une superficie de 10 ha, 46 a et 99 ca.

Par décision du 10 juillet 1987, le tribunal paritaire des baux ruraux de Thonon-les-Bains a prononcé la résiliation dudit bail avec effet au 28 février 1988.

Par acte authentique du 19 janvier 1974, [U] [E] [F] a fait donation par préciput et hors part à [E] [F], son fils, d’un bâtiment d’habitation et d’exploitation au lieudit [Adresse 1] à [Localité 22] (Haute-Savoie) cadastré n° B [Cadastre 14] d’une superficie de 16 a 60 ca.

[U] [E] [F] est décédé le 2 avril 1978.

Par acte authentique du 19 juin 1997, Mme [A] [P] veuve [F] a fait donation par préciput et hors part à ses cinq filles Mme [K] [F] épouse [B], Mme [I] [F] épouse [Z], Mme [G] [F] épouse [J], Mme [Y] [F] épouse [L] et Mme [A] [F] épouse [M], de tous ses droits tant en usufruit qu’en pleine propriété sur les biens situés sur les communes de [Localité 22] et [Localité 24].

A la suite de diverses procédures concernant le partage de la succession de [U] [E] [F] (achevées par un arrêt rendu par la cour d’appel de Chambéry le 7 juillet 2020), les cinq soeurs [F] se sont vues attribuer la propriété indivise de l’intégralité des terrains agricoles formant la masse active, à l’exception du bâtiment d’exploitation déjà attribué à leur frère [E] [F] par donation antérieure.

En conséquence, Mme [K] [F] épouse [B], Mme [I] [F] épouse [Z], Mme [G] [F] épouse [J], Mme [Y] [F] veuve [L] et Mme [A] [F] veuve [M] se sont trouvées propriétaires indivises des parcelles cadastrées section B n°[Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 10], [Cadastre 11], [Cadastre 12], [Cadastre 16], [Cadastre 17], [Cadastre 13], [Cadastre 15] et section, C n°[Cadastre 2] et [Cadastre 3] sur la commune de [Localité 22] ainsi que de celle cadastrée section A n°[Cadastre 5] sur la commune de [Localité 24].

[E] [F] est décédé en fin d’année 2017.

En 2020, [K], [I], [Y] et [A] ont préempté les droits indivis de leur soeur [G]. La propriété des parcelles précitées est alors devenue indivise entre quatre soeurs [F], dont Mme [Z].

[A] [P], veuve [U] [E] [F] est décédée le 1er novembre 2020.

Après ce décès et la préemption, Mme [I] [F] épouse [Z] a informé ses quatre soeurs que son époux, M. [W] [Z], revendiquait être titulaire d’un bail à ferme qui aurait été établi le 15 mars 1988 par leur mère [A] [P] veuve [U] [E] [F].

C’est dans ces conditions que, par requête du 11 mai 2021, Mme [K] [F] épouse [B], Mme [Y] [F] veuve [L] et Mme [A] [F] veuve [M] ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux afin de convoquer M. [W] [Z] et Mme [I] [F] épouse [Z] aux fins notamment de dire et juger que M. [W] [Z] et Mme [I] [F] son épouse ne justifient pas de l’existence d’un bail à ferme portant sur les parcelles cadastrées section B n°[Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 10], [Cadastre 11], [Cadastre 12], [Cadastre 16], [Cadastre 17], [Cadastre 13], [Cadastre 15] et section C n°[Cadastre 2] et [Cadastre 3] sur la commune [Localité 22] ainsi que cadastrée section A n°[Cadastre 5] sur la commune de [Localité 24].

Après échec de la tentative de conciliation, l’affaire est venue en audience de jugement. Les demanderesses ont soutenu que la preuve du bail allégué ne serait pas rapportée, ni celle de son exécution. Les défendeurs ont maintenu être au bénéfice d’un bail rural exécuté avec paiement des fermages.

Par jugement contradictoire du 20 mai 2022, le tribunal paritaire des baux ruraux de Thonon-les-Bains a :

déclaré recevable la procédure,

déclaré caduc le bail rural consenti le 15 mars 1988 à M. [W] [Z],

dit que M. [W] [Z] est titulaire d’un nouveau bail rural portant sur les parcelles situées à [Localité 22], cadastrées section B n°[Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 10], [Cadastre 11], [Cadastre 13], [Cadastre 16], [Cadastre 17], [Cadastre 12], [Cadastre 15], et section C n°[Cadastre 2] et [Cadastre 3], ainsi que la parcelle située à [Localité 24], cadastrée section A n°[Cadastre 5], dont sont propriétaires Mme [A] [F] épouse [M], Mme [K] [F] épouse [B], Mme [Y] [F] épouse [L] et Mme [I] [F] épouse [Z],

dit que le bail a été consenti en contrepartie d’un fermage de 1.100 euros par an, à compter du 1er janvier 2018,

débouté Mme [A] [F] épouse [M], Mme [K] [F] épouse [B], Mme [Y] [F] épouse [L] de leur demande d’expulsion formée à l’encontre de M. [W] [Z],

déclaré irrecevable l’intervention volontaire de M. [V] [Z], ainsi que toutes les demandes formées à son profit,

condamné in solidum Mme [A] [F] épouse [M], Mme [K] [F] épouse [B], Mme [Y] [F] épouse [L] à payer à M. [W] [Z] et à Mme [I] [F] épouse [Z] la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

condamné in solidum Mme [A] [F] épouse [M], Mme [K] [F] épouse [B], Mme [Y] [F] épouse [L] aux dépens,

rejeté toutes les autres prétentions des parties.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 8 juin 2022, Mme [A] [F] veuve [M], Mme [K] [F] épouse [B] et Mme [Y] [F] épouse [L] ont interjeté appel de cette décision.

Dans leurs conclusions du 7 décembre 2022, reprises à l’audience, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, Mme [A] [F] veuve [M], Mme [K] [F] épouse [B] et Mme [Y] [F] épouse [L] demandent à la cour de :

dire et juger recevable et bien fondé l’appel interjeté,

réformer le jugement déféré en ce qu’il a :

– dit que M. [W] [Z] est titulaire d’un nouveau bail rural portant sur les parcelles situées à [Localité 22], cadastrées section B n°[Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 10], [Cadastre 11], [Cadastre 13], [Cadastre 16], [Cadastre 17], [Cadastre 12], [Cadastre 15], et section C n°[Cadastre 2] et [Cadastre 3], ainsi que la parcelle située à [Localité 24], cadastrée section A n°[Cadastre 5], dont sont propriétaires Mme [A] [F] épouse [M], Mme [K] [F] épouse [B], Mme [Y] [F] épouse [L] et Mme [I] [F] épouse [Z],

– dit que le bail a été consenti en contrepartie d’un fermage de 1 100 euros par an, à compter du 1er janvier 2018,

– débouté Mme [A] [F] épouse [M], Mme [K] [F] épouse [B], Mme [Y] [F] épouse [L] de leur demande d’expulsion formée à l’encontre de M. [W] [Z],

– condamné in solidum Mme [A] [F] épouse [M], Mme [K] [F] épouse [B], Mme [Y] [F] épouse [L] à payer à M. [W] [Z] et à Mme [I] [F] épouse [Z] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens,

– rejeté toutes les autres prétentions de Mme [A] [F] épouse [M], Mme [K] [F] épouse [B], Mme [Y] [F] épouse [L].

Statuant à nouveau,

déclarer que M. [W] [Z] ne justifie pas de l’existence d’un bail à ferme portant sur les parcelles cadastrées section B n° [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 10], [Cadastre 11], [Cadastre 12], [Cadastre 16], [Cadastre 17], [Cadastre 13] et section C n° [Cadastre 2] et [Cadastre 6] sur la commune de [Localité 22], ainsi que cadastrée section A n°[Cadastre 4] sur la commune de [Localité 24],

déclarer que M. et Mme [Z] sont défaillants dans la charge de la preuve de l’exploitation des parcelles, du règlement des fermages et de la mise à disposition des terres,

déclarer que Mme [A] [F] épouse [M], Mme [K] [F] épouse [B], Mme [Y] [F] épouse [L] étaient bien fondées à voir citer Mme [I] [F] épouse [Z], et son époux, M. [W] [Z], devant le tribunal paritaire des baux ruraux,

déclarer que M. [W] [Z] n’apporte pas la preuve de la souscription d’un bail rural pour l’exploitation des parcelles susvisées pour lesquelles il était, au surplus, rémunéré pour leur entretien,

déclarer inexistant et nul le prétendu bail du 15 mars 1988 entre Mme [A] [P] épouse [F] et les époux [Z],

Subsidiairement,

confirmer la décision du 20 mai 2022 du tribunal paritaire des baux ruraux en ce qu’il a déclaré caduc le prétendu bail du 15 mars 1988 entre Mme [A] [P] épouse [F] et les époux [Z] compte tenu de l’absence de mise à disposition des terres, d’exploitation, de versement des fermages et de la prescription des droits de M. [Z],

réformer la décision du tribunal paritaire des baux ruraux en ce qu’il a déclaré M. [Z] titulaire d’un nouveau bail consenti, en contrepartie, d’un fermage de 1.100 euros à compter du 1er janvier 2018,

déclarer inopposable le prétendu bail du 15 mars 1988 entre Mme [A] [P] épouse [F] et les époux [Z] aux membres de l’indivision dont les requérantes,

déclarer prescrits les prétendus droits de M. [Z],

prononcer la résolution du bail intervenu du 15 mars 1988 entre Mme [A] [P] épouse [F] et les époux [Z] compte tenu de l’absence de mise à disposition des terres, du défaut d’exploitation, de versement des fermages et de la prescription des droits de M. [Z],

débouter M. [W] [Z] et son épouse de l’ensemble de leurs demandes,

Très subsidiairement,

prononcer la résiliation du bail à ferme du 15 juin 1988 entre Mme [A] [P] et les époux [Z], compte tenu de l’absence de versement des fermages, de la compromission de l’exploitation du fonds du fait de son absence d’inexécution dudit bail,

En tout état de cause,

ordonner l’expulsion des époux [Z] des lieux ainsi que de tout préposé occupant de leur fait,

déclarer que l’huissier pourra se faire aider de la force publique,

condamner M. et Mme [Z] au paiement de la somme de 20.000 euros au titre de dommages et intérêts au profit des requérantes pour résistance abusive,

condamner M. et Mme [Z] au paiement de la somme de 7.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

condamner les mêmes aux entiers dépens, avec pour ceux d’appel application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile au profit de la SELURL Bollonjeon.

Dans leurs conclusions notifiées par voie électronique le 10 novembre 2022, reprises à l’audience, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, M. [W] [Z], Mme [I] [F] épouse [Z] et M. [V] [Z] demandent à la cour de :

recevoir les époux [Z] et leurs fils, M. [V] [Z], en leurs demandes, fins, moyens et conclusions,

Et, y faisant droit,

confirmer la décision en ce qu’elle a :

– dit que M. [W] [Z] est titulaire d’un nouveau bail rural portant sur les parcelles situées à [Localité 22], cadastrées section B n°[Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 10], [Cadastre 11], [Cadastre 13], [Cadastre 16], [Cadastre 17], [Cadastre 12], [Cadastre 15], et section C n°[Cadastre 2] et [Cadastre 3], ainsi que la parcelle située à [Localité 24], cadastrée section A n°[Cadastre 5], dont sont propriétaires Mme [A] [F] épouse [M], Mme [K] [F] épouse [B], Mme [Y] [F] épouse [L] et Mme [I] [F] épouse [Z],

– dit que le bail a été consenti en contrepartie d’un fermage de 1.100 euros par an, à compter du 1er janvier 2018,

– débouté Mme [A] [F] épouse [M], Mme [K] [F] épouse [B], Mme [Y] [F] épouse [L] de leur demande d’expulsion formée à l’encontre de M. [W] [Z],

– condamné in solidum Mme [A] [F] épouse [M], Mme [K] [F] épouse [B], Mme [Y] [F] épouse [L] à payer à M. [W] [Z] et à Mme [I] [F] épouse [Z] la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné in solidum Mme [A] [F] épouse [M], Mme [K] [F] épouse [B], Mme [Y] [F] épouse [L] aux dépens,

infirmer la décision en ce qu’elle a :

– déclaré irrecevable l’intervention volontaire de M. [V] [Z], ainsi que toutes les demandes formées à son profit,

Et, statuant à nouveau,

recevoir l’intervention volontaire de M. [V] [Z],

dire et juger que le bail sera transmis à M. [V] [Z] au titre de l’article L.411-35 du code rural de la pêche maritime,

En tout état de cause,

rejeter toutes demandes, fins, moyens et conclusions plus amples ou contraires qui pourraient êtres formés à l’encontre des époux [Z] et leurs fils, M. [V] [Z],

débouter les consorts [F] de leur demande de condamnation des époux [Z] en paiement de la somme de 20.000 euros au titre de la résistance abusive,

débouter les consorts [F] de leur demande de condamnation des époux [Z] au paiement de la somme de 7.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

condamner les consorts [F] au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

condamner les consorts [F] aux entiers dépens de l’instance.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l’intervention volontaire de M. [V] [Z]

Le tribunal a déclaré irrecevable l’intervention volontaire de M. [V] [Z] en retenant que celui-ci ne démontre ni qu’il participerait à l’exploitation des parcelles, ni qu’il disposerait des conditions requises pour reprendre l’exploitation, et, qu’en tout état de cause, une éventuelle cession du bail revendiqué, à son profit, ne présente pas de lien suffisant avec l’objet du litige qui concerne l’existence même du bail.

M. [V] [Z], qui n’a pas été intimé, entend à nouveau intervenir volontairement devant la cour et sollicite, avec M. et Mme [Z], la réformation du jugement sur ce point. Ils soutiennent que M. [W] [Z] entend transmettre le bail à son fils ce qui justifie cette intervention.

Les appelants n’ont pas répondu spécialement sur ce point.

En application de l’article 325 du code de procédure civile, l’intervention volontaire n’est recevable que si elle se rattache aux prétentions des parties par un lien suffisant.

Par ailleurs, l’article 554 du code de procédure civile dispose que, peuvent intervenir en cause d’appel dès lorsqu’elles y ont intérêt les personnes qui n’ont été ni parties, ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité.

En l’espèce, la cour ne peut que constater que, pas plus que devant le tribunal il n’est produit la moindre pièce justifiant de la qualité d’exploitant agricole de M. [V] [Z], ni de ce qu’il exploiterait, d’une quelconque manière, les parcelles objet du litige. En outre, c’est à juste titre que le tribunal a retenu que la demande de cession du bail à son profit ne présente pas de lien suffisant avec la demande principale qui concerne l’existence même du bail. Enfin, il n’est pas produit le moindre justificatif qui permettrait de démontrer que M. [V] [Z] remplirait les conditions de l’article L. 411-35 du code rural.

En conséquence le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a déclaré irrecevable son intervention volontaire.

Sur le bail du 15 mars 1988

Les consorts [F] soutiennent que le bail dont se prévaut M. [W][Z], daté du 15 mars 1988, serait en réalité inexistant, alors qu’il n’en a jamais été fait état au cours des procédures antérieures relatives au partage et qu’il n’a été produit, opportunément, que postérieurement au décès de sa rédactrice, [A] [P] veuve [U] [E] [F]. Ils font également valoir que le bail en question est affecté de vices de forme en ce qu’il n’a jamais été enregistré, de sorte qu’il leur est inopposable, notamment en leur qualité de donataires des terrains selon acte du 19 juin 1997, aucune mention de ce bail ne figurant dans l’acte. Ils exposent encore que ce prétendu bail n’a jamais été exécuté, M. [Z] n’ayant jamais exploité les terres ni payé de fermage, de sorte qu’il est à tout le moins caduc.

M. et Mme [Z] soutiennent que le bail de 1988 était parfaitement connu des consorts [F], la pièce ayant d’ailleurs été produite par eux-mêmes. Les intimés soutiennent que ce bail fait suite à la résiliation de celui antérieurement consenti à [E] [F] (aujourd’hui décédé), prononcée par jugement du 10 juillet 1987, mais que ce dernier n’a jamais pu être exécuté, [E] [F] n’ayant jamais libéré les lieux et en ayant interdit l’accès.

En application de l’article L. 411-1 du code rural, la preuve de l’existence d’un bail rural peut être apportée par tous moyens.

L’article L. 411-4 dispose que les contrats de baux ruraux doivent être écrits. A défaut d’écrit enregistré avant le 13 juillet 1946, les baux conclus verbalement avant ou après cette date sont censés faits pour neuf ans aux clauses et conditions fixées par le contrat type établi par la commission des baux ruraux.

Il est de jurisprudence constante que le bail verbal, ou écrit mais non enregistré, n’est pas nul ou inexistant, mais qu’il n’est alors pas opposable aux tiers tant qu’il n’a pas date certaine à leur encontre, conformément aux dispositions de l’article 1328 ancien du code civil (repris pour l’essentiel par l’article 1377 nouveau du code civil).

En l’espèce, l’écrit produit aux débats (pièce n° 6 des appelants), dont il n’est pas discuté qu’il est bien de la main de [A] [P] veuve [F], contient toutes les indications nécessaires pour constituer un bail à ferme au profit de M. [W] [Z] puisque les parcelles concernées, le montant du fermage et la durée y sont précisées, et les signatures du preneur et du bailleur y figurent.

Pour autant, il n’est justifié d’aucun enregistrement de ce bail dont il n’a jamais été fait mention au cours des multiples procédures ayant opposé les héritiers de [U] [E] [F]. En outre, ce bail n’a jamais été mentionné à l’acte de donation faite par [A] [P] veuve [F] le 19 juin 1997 par lequel ses cinq filles sont devenues pleines propriétaires, en indivision, de sa part des terrains litigieux.

Il n’en a pas été plus fait état lors de la préemption par [K], [I], [Y] et [A] de la part indivise de leur soeur [G] le 3 juin 2020, la revendication de l’existence du bail n’ayant été portée à la connaissance des appelantes qu’au début de l’année 2021.

Aucune des pièces produites ne permet d’établir que les appelantes aient pu avoir connaissance de ce bail avant la naissance du présent litige, de sorte qu’il leur est inopposable.

En outre, et en tout état de cause, c’est à juste titre et par des motifs que la cour adopte que le tribunal a retenu qu’en l’absence de tout acte d’exécution du bail du 15 mars 1988 par M. [W] [Z], qui ne justifie d’aucune exploitation depuis la signature du contrat jusqu’à, au moins, l’année 2018, ledit bail doit être considéré comme caduc du fait de la disparition de l’un de ses éléments essetiels.

A cet égard, il convient de souligner que M. [W] [Z] ne justifie en rien avoir été empêché d’exploiter par [E] [F], le seul article de presse produit étant totalement insuffisant.

Le bail du 15 mars 1988, outre qu’il est inopposable aux consorts [F], est ainsi caduc et M. [Z] ne peut plus s’en prévaloir.

Sur l’existence d’un nouveau bail

Le tribunal a retenu que, nonobstant la caducité du bail du 15 mars 1988, M. [W] [Z] était fondé à se prévaloir d’un nouveau bail qui a pris effet le 1er janvier 2018 pour une durée de neuf ans.

Les appelants font grief au jugement d’avoir statué de la sorte alors que M. et Mme [Z] ne se prévalaient que du bail du 15 mars 1988 et non d’un nouveau bail. Ils soutiennent que les éléments produits établissent qu’il n’y a aucune volonté des parties de conclure un bail, M. [Z] étant simplement intervenu ponctuellement pour des travaux d’entretien des parcelles après le décès de [E] [F].

M. et Mme [Z] soutiennent que les travaux réalisés caractérisent l’exploitation des terres, la vente de foin, au seul profit des consorts [F], représentant le loyer, justement évalué à 1.100 euros par an par le jugement déféré.

Selon l’article L. 411-1 du code rural, constitue un bail rural toute mise à disposition à titre onéreux d’un immeuble à usage agricole en vue de l’exploiter pour y exercer une activité agricole définie à l’article L. 311-1.

Ainsi qu’il a été rappelé ci-dessus, la preuve de l’existence d’un bail rural peut être rapportée par tous moyens.

Il appartient à celui qui se prévaut de l’existence d’un tel bail d’en rapporter la preuve et les éléments constitutifs tels que définis par l’article L. 411-1 rappelé ci-dessus.

En l’espèce, il résulte des pièces produites aux débats et des explications des parties que, si M. [W] [Z] a effectivement réalisé des travaux sur les terrains litigieux, il n’est pas établi que ceux-ci entrent dans le cadre d’un bail.

En effet, le consentement des propriétaires en indivision fait totalement défaut, les échanges de courriers entre les parties révélant que, dès que M. [W] [Z] a fait état de ce qu’il se considérait comme preneur à bail (sur le seul fondement du bail du 15 mars 1988 au demeurant), Mmes [K] [F] époux [B], [Y] [F] épouse [L] et [A] [F] épouse [M] ont manifesté leur opposition par la voie de leur conseil et ont contesté d’emblée l’existence du contrat. Il en va de même de Mme [G] [F] épouse [J], qui était encore co-indivisaire début 2020 (pièces n° 41 à 44 des appelantes).

Or, pour qu’il puisse y avoir un nouveau bail ayant commencé en 2018, le consentement exprès de tous les propriétaires indivis doit être établi, ce qui fait manifestement défaut, étant souligné qu’aucune pièce datant de l’année 2018 ne permet de retenir l’existence d’un tel consentement.

En effet, les documents tenant lieu, selon les intimés, de comptabilité de l’indivision et révélant l’exploitation des terres et le paiement d’un fermage, sont en réalité des factures émises par l’entreprise de M. [W] [Z] pour des travaux d’entretien relevant normalement de l’exploitant (passage de la herse, épandage d’engrais, fauchage foin et regain, pressage, etc…) dont il a demandé et obtenu le paiement auprès de l’indivision. S’il est exact que le fourrage a été vendu au seul profit de l’indivision et que celle-ci en a tiré un profit d’environ 1.100 euros en 2019 après déduction de la facture des travaux réalisés par M. [W] [Z] (pièces n° 7 des intimés et 8 à 10 des appelantes), ce profit ne peut en aucun cas s’analyser en un fermage. En effet M. [Z] a été rémunéré pour les travaux effectués, et la vente du foin par l’indivision [F] démontre que le produit de l’exploitation des terres ne devait pas lui revenir.

Au demeurant, le contexte général dans lequel le litige est né révèle incontestablement que les soeurs [F] n’avaient aucune intention de donner les terres en location à leur beau-frère, alors que la cour d’appel de Chambéry venait de rendre une décision mettant un terme au litige concernant le partage successoral (arrêt du 7 juillet 2020, pièce n° 2 des appelantes). Ce point est confirmé par les termes d’un courrier adressé par les quatre soeurs [F], [K], [I], [Y] et [A], donc y compris par Mme [Z] qui en est signataire, à leur soeur [G] le 9 juin 2020 (pièce n° 11 des appelantes), dans lequel il est dit ceci:

«Quant à la location des terrains à un tiers, vous devez rêver, il n’y en a jamais eu! Vous savez très bien que si on les mets dans les mains d’un agriculteur nous ne pourrons plus les reprendre […] Pour l’entreprise [Z], c’est dans ce sens qu’elle est sollicitée pour faire certains travaux d’entretiens. Nous payons ses services».

Il résulte également de ce courrier et des attestations produites par les appelantes que le reste de l’entretien de l’exploitation (hors fenaisons) était alors réalisé par les membres de l’indivision eux-mêmes (débroussaillage, arrachage des ronces, entretien des bordures, etc…). L’intention des co-indivisaires était manifestement d’assurer un entretien des terrains de l’exploitation dans l’attente de pouvoir les vendre après que le litige sur le partage ait été tranché.

En outre, il est contradictoire de facturer des travaux qui relèvent de l’exploitation à son prétendu bailleur, lequel vend la totalité du fourrage produit.

Enfin, les paiements effectués par M. [W] [Z], postérieurement aux protestations des appelantes, et qui ont été refusés, sont insuffisants pour établir l’existence du bail revendiqué.

Il résulte de ce qui précède que c’est à tort que le tribunal a retenu qu’un nouveau bail avait été tacitement convenu en 2018, la preuve d’un tel bail n’étant pas rapportée.

En conséquence le jugement déféré sera infirmé de ce chef.

En l’absence de bail, M. [Z] est occupant sans droit ni titre des parcelles litigieuses et il convient de lui ordonner de les libérer, dans un délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt, sous peine d’expulsion dans les conditions fixées au dispositif du présent arrêt.

Sur la demande de dommages et intérêts

Les appelantes sollicitent la condamnation des intimés à leur payer la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive.

Toutefois, dès lors que les intimés avaient eu gain de cause en première instance, il ne peut leur être fait reproche de s’être maintenus dans les lieux. En conséquence, aucune faute n’est établie et la demande sera rejetée.

Sur les demandes accessoires

Il serait inéquitable de laisser à la charge des consorts [F] la totalité des frais exposés, et non compris dans les dépens. Il convient en conséquence de leur allouer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

M. et Mme [Z] supporteront les entiers dépens, de première instance et d’appel.

Il n’y a pas lieu de faire application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile, la présente affaire relevant de la procédure sans représentation obligatoire.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement rendu par le tribunal paritaire des baux ruraux de Thonon-les-Bains le 20 mai 2022 en ce qu’il a :

– déclaré recevable la procédure,

– déclaré caduc le bail rural consenti le 15 mars 1988 à M. [W] [Z],

– déclaré irrecevable l’intervention volontaire de M. [V] [Z], ainsi que toutes les demandes formées à son profit,

Infirme ledit jugement en toutes ses autres dispositions,

Statuant à nouveau,

Dit que le bail du 15 mars 1988 est inopposable à Mme [A] [F] épouse [M], Mme [K] [F] épouse [B], Mme [Y] [F] épouse [L],

Dit que M. [W] [Z] n’est pas titulaire d’un bail rural sur les parcelles situées à [Localité 22], cadastrées section B n° [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 10], [Cadastre 11], [Cadastre 13], [Cadastre 16], [Cadastre 17], [Cadastre 12], [Cadastre 15], et section C n°[Cadastre 2] et [Cadastre 3], ainsi que la parcelle située à [Localité 24], cadastrée section A n°[Cadastre 5], dont sont propriétaires Mme [A] [F] épouse [M], Mme [K] [F] épouse [B], Mme [Y] [F] épouse [L] et Mme [I] [F] épouse [Z], et qu’en conséquence il est occupant sans droit ni titre,

Ordonne à M. [W] [Z], et à tout occupant de son chef, de libérer les lieux dans un délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt,

Dit qu’à défaut de libération volontaire dans le délai fixé, il pourra être procédé à son expulsion, avec, au besoin, le concours de la force publique,

Déboute Mme [A] [F] épouse [M], Mme [K] [F] épouse [B], Mme [Y] [F] épouse [L] de leur demande de dommages et intérêts pour résistance abusive,

Condamne M. [W] [Z] et Mme [I] [F] épouse [Z] à payer à Mme [A] [F] épouse [M], Mme [K] [F] épouse [B], Mme [Y] [F] épouse [L] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [W] [Z] et Mme [I] [F] épouse [Z] aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Ainsi prononcé publiquement le 16 mars 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.

La Greffière La Présidente

 


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