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ARRET N° .
N° RG 22/00004 – N° Portalis DBV6-V-B7G-BIJEF
AFFAIRE :
S.A. SNCF VOYAGEURS Prise en la personne de son président directeur général en exercice, Monsieur [V] [K], domicilié en cette qualité audit siège.
C/
Mme [F] [M]
JP/MS
Demande d’indemnités ou de salaires
Grosse délivrée à Me Anne DEBERNARD-DAURIAC, Me Aurélien AUCHABIE, avocats,
COUR D’APPEL DE LIMOGES
Chambre sociale
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ARRET DU 23 MARS 2023
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Le VINGT TROIS MARS DEUX MILLE VINGT TROIS la chambre économique et sociale a rendu l’arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe:
ENTRE :
S.A. SNCF VOYAGEURS Prise en la personne de son président directeur général en exercice, Monsieur [V] [K], domicilié en cette qualité audit siège, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Anne DEBERNARD-DAURIAC de la SELARL SELARL LEXAVOUE, avocat au barreau de LIMOGES, Me Thomas DROUINEAU de la SCP DROUINEAU-BACLE-LE LAIN-BARROUX-VERGER, avocat au barreau de POITIERS
APPELANTE d’une décision rendue le 29 NOVEMBRE 2021 par le CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE BRIVE
ET :
Madame [F] [M]
née le 23 Juin 1987 à Brive, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Aurélien AUCHABIE, avocat au barreau de BRIVE
INTIMEE
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Suivant avis de fixation du Président de chambre chargé de la mise en état, l’affaire a été fixée à l’audience du 06 Février 2023. L’ordonnance de clôture a été rendue le 04 janvier 2023.
La Cour étant composée de Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Président de Chambre, de Madame Géraldine VOISIN, Conseiller, et de Madame Johanne PERRIER, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, assistés de Mme Sophie MAILLANT, Greffier. A cette audience, Madame Johanne PERRIER, magistrat rapporteur, a été entendu en son rapport oral, les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients.
Puis Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Président de Chambre, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 23 Mars 2023 par
mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.
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LA COUR
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EXPOSE DU LITIGE :
Mme [M] a été engagée par la société SNCF Mobilités (devenue SNCF Voyageurs) d’abord à compter du 10 juin 2013 dans le cadre d’un contrat à durée déterminée dit ’emploi d’avenir’ en qualité d’agent , puis à compter du 05 février 2015 dans le cadre d’un contrat permanent pour exercer la fonction d’agent du service commercial train (ASCT) au sein de l’équipe Accueil Brive.
A compter du 24 septembre 2015, Mme [M] a été placée en arrêt de travail.
Au cours du mois d’octobre 2015 en raison d’une dégradation des relations interprofessionnelles au sein de l’équipe Accueil Brive, la SNCF a donné mission à la direction de l’éthique et de la déontologie d’entendre les différents protagonistes, Mme [M] a été entendue le 07 octobre 2015 et un rapport en a été établi en février 2016 .
Mme [M], qui indique avoir été victime comme deux autres collègues – mesdames [X] et [A] – de faits de harcèlement moral et dont l’arrêt de travail a été successivement renouvelé, a été déclarée inapte définitivement à son poste d’ASCT par un avis du médecin du travail du 03 octobre 2018 , mais avec un reclassement possible sur un poste sédentaire et en journée.
Le 30 juillet 2020, Mme [M], après avoir refusé des propositions de reclassement ne respectant pas selon elle les restrictions médicales ou ses compétences, ou l’obligeant à retravailler avec ses anciens harceleurs ou des personnes proches de celles-ci, a saisi le conseil de prud’hommes de Brive la Gaillarde qui, après une tentative de conciliation infructueuse au cours de laquelle aurait été discutée et ordonnée sous astreinte la remise par la SNCF du rapport de la direction de l’éthique et de la déontologie , a, par jugement du 29 novembre 2021, fait droit aux demandes de la salariée en reconnaissance de faits de harcèlement moral ayant eu un impact sur son niveau de rémunération et condamné la SNCF Voyageurs à lui payer les sommes suivantes :
‘ 22.977,49 euros bruts de rappel de salaire et 2.297,75 euros bruts au titre de congés payés afférents ;
‘ 30.000 euros de dommages-intérêts pour actes de harcèlement subis ;
‘ 20.000 euros de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité ;
‘ 30.000 euros au titre de la réparation du préjudice moral ;
‘ 20.000 euros au titre de la réparation du préjudice financier ;
‘ 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
‘ 4.000 euros au titre de la la liquidation de l’astreinte fixée par le bureau de conciliation et d’orientation pour la période allant du 3 mai au 21 juillet 2021 ;
et condamné la société SNCF Voyageurs aux entiers dépens, y compris les frais éventuels d’exécution du jugement.
Le 03 janvier 2022, la société SNCF Voyageurs a relevé appel de ce jugement.
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* *
Aux termes de ses dernières écritures du 1er août 2022 auxquelles il est renvoyé, la société SNCF Voyageurs demande à la cour d’infirmer le jugement dont appel et statuant à nouveau :
‘ A titre principal, de débouter Mme[M] de l’intégralité de ses demandes ;
‘ A titre subsidiaire, si le Conseil (sic) devait retenir l’existence d’actes de harcèlement moral :
– de débouter MmeCzaharyn de ses demandes au titre des rappels de salaire, des congés payés et de dommages-intérêts au titre des actes de harcèlement moral, ainsi qu’au titre des manquements de l’employeur à son obligation de sécurité ;
– de ramener à de plus justes proportions la demande de Mme [M] au titre de son préjudice moral ;
– de la débouter de sa demande en réparation d’un préjudice financier ;
‘ En tout état de cause :
– de constater l’absence de décision ordonnant la délivrance sous astreinte de 50 euros par jour de retard du rapport d’enquête à compter du 3 mai 2021 et de débouter, en conséquence, MmeCzaharyn de sa demande de liquidation d’astreinte ;
A titre subsidiaire, de :
– de relever son incompétence pour liquider une astreinte fixée par le bureau de conciliation ;
– de débouter MmeCzaharyn de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
‘ En tout état de cause :
– de constater que la Cour n’est pas valablement saisie des demandes de MmeCzaharyn formées dans le cadre de son appel incident.
Aux termes de ses dernières écritures du 7 décembre 2022 auxquelles il est renvoyé, Mme [M] demande à la cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement critiqué, sauf en ce qu’il a limité à la somme de 20 000 euros la réparation du préjudice pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et, conséquence :
– de juger qu’elle a été victime d’actes de harcèlement moral ;
– de juger que la société SNCF Voyageurs a manqué à son obligation de sécurité ;;
– de condamner, en conséquence, la société SNCF Voyageurs à lui verser les sommes suivantes :
‘ 22.977,49 euros à titre de rappel de salaire et 2.297,75 euros au titre des congés payés afférents ,
‘ 30.000 euros de dommages-intérêts pour les actes de harcèlement moral subis ;
‘ 30.000 euros de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité ;
‘ 30.000 euros au titre de la réparation du préjudice moral ;
‘ 20.000 euros au titre de la réparation du préjudice financier ;
‘ 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– d’ordonner la liquidation de l’astreinte fixée par le bureau de conciliation et d’orientation à 50 euros par jour sur la période du 3 mai au 21 juillet 2021 relative à la communication tardive du rapport d’enquête à la somme de 4 000 euros ;
– d’ ordonner que les sommes auxquelles sera condamnée la société SNCF Voyageurs porteront intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation en conciliation par celle-ci pour les créances salariales et de la décision à intervenir pour les créances indemnitaires ;
– de condamner la société SNCF Voyageurs aux entiers frais et dépens.
SUR CE,
Sur la recevabilité de l’appel incident formé par Mme [M] :
Aux termes de l’article 542 du code de procédure civile, l’appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d’appel et, aux termes de l’article 954 du même code, les prétentions des parties sont récapitulées sous forme de dispositif et la cour d’appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.
Cette exigence procédurale s’applique tant à l’appelant principal qu’à l’appelant incident (cf Civ2° 1er juillet 2021 – n° 20-10.694 ou, plus récemment, Civ 2° – 4 novembre 2021- n° 20.15.757)
Dans ses conclusions, Mme [M] demande expressément la confirmation du jugement attaqué sauf en ce qu’il a limité à la somme de 20.000 euros la réparation du préjudice pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.
Si elle ne demande pas expressément l’infirmation de ce chef du jugement et d’y statuer à nouveau, il ne saurait toutefois, en s’attachant de manière trop rigoureuse à la lettre du dispositif de ses conclusions, être considéré qu’une prétention de ce chef serait irrecevable comme n’ayant pas été clairement énoncée alors qu’en l’excluant de la confirmation demandée, tel est le cas.
La SNCF Voyageurs verra donc écarter ce moyen de procédure.
Sur la liquidation de l’astreinte :
En application de l’article R.1454-1 du code du travail dans sa rédaction issue du décret n°2016-660 du 20 mai 2016, le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes , qui assure la mise en état des affaires, a le pouvoir de mettre en demeure les parties de produire dans le délai qu’il détermine tous documents ou justifications propres à éclairer la juridiction .
La SNCF Voyageurs fait valoir qu’en application de l’article R.1454-15 du même code, le bureau de conciliation et d’orientation ne peut ordonner, le cas échéant sous peine d’astreinte, que les pièces que l’employeur est tenu légalement de délivrer et que le bureau de conciliation n’a donc pas eu le pouvoir d’ordonner la remise par elle et sous astreinte du rapport d’enquête et qu’aucune décision en ce sens n’a été rendue ; pour autant, Mme [M], demanderesse à une liquidation d’astreinte sur la période allant du 03 mai 2021 au 21 juillet 2021 sur la base de 50 euros par jour de retard , ne produit pas la décision servant de fondement à sa demande.
Le jugement dont appel sera donc réformé en ce qu’il a condamné la SNCF Voyageurs à payer à Mme [M] la somme de 4.000 euros au titre de la liquidation d’une astreinte.
Sur le harcèlement moral et le manquement de l’employeur à son obligations de sécurité :
‘ En droit :
L’ article L 1152-1 du code du travail définit le harcèlement moral dont peut être victime un salarié comme étant la répétition de certains agissements pouvant être qualifiés de cette nature, et qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel;
Lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants qui permettent, pris dans leur ensemble et en tenant compte des document médicaux éventuellement produits, de présumer l’existence d’un harcèlement, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement ; toutefois la seule altération constatée de l’état de santé du salarié n’est pas suffisante à établir l’existence d’un harcèlement moral.
De son côté, l’article L.1152-4 du code du travail met à la charge de l’employeur une obligations de prévention du harcèlement moral ; ainsi, l’employeur est tenu de prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral et cette obligation s’inscrit dans celle, plus générale, d’assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des salariés prévue aux articles L. 4121-1 et L.4121-2 du code du travail.
Il en résulte que l’employeur doit répondre des agissements commis par son préposé dès lors que ceux-ci l’ont été au temps et sur les lieux du travail et que, connus de lui, il n’est pas intervenu pour les faire cesser, au besoin en infligeant des sanctions disciplinaires au salarié auteur de tels agissements ainsi que le prévoit l’article L.1152-5.
Ainsi, lorsqu’un salarié est victime sur le lieu de travail d’agissements de harcèlement moral exercés par l’un ou l’autre des salariés de l’entreprise qui l’emploie, il est en droit de réclamer de son employeur l’indemnisation des préjudices distincts résultant, d’une part, de l’absence de prévention des faits de harcèlement caractérisant une violation de l’obligation de sécurité de résultat et, d’autre part, des conséquences du harcèlement effectivement subi.( cf Cass.Soc 10-27.694 – 13-17.729 et 17 mai 2017 – n°15-19.300)
‘ En fait :
Selon les pièce produites, il est d’usage au sein de la SNCF de nommer les différentes fonctions occupées par le personnel par des acronymes, sans appellation de ces fonctions par des vocables plus compréhensibles pour les personnes extérieures à cette entreprise ; il en résulte toutefois que Mme [M], en sa qualité d’ ASCT, a été placée comme les ACM – les dames [I] et [L]- sous le contrôle d’une responsable DPX, Mme [T] qui a succédé en 2007 à Mr [S], elle-même placée sous la hiérarchie d’un DUO, Mr [S], relevant d’un DET de l’EEV du Limousin – Mr [C] – et au dessus duquel se trouvait Mr [W] en une qualité de RDET de l’EEV du Limousin.
Courant 2015, la direction de la région Limousin, en raison d’une situation de mauvaise ambiance au travail au sein de l’ESV de [Localité 4] qui durait depuis une dizaine d’années, a confié une mission d’enquête à la direction de l’éthique et de la déontologie de la SNCF qui, au résultat de vingt six entretiens menés à [Localité 4] et à [Localité 5], en a déposé un rapport en février 2016.
Selon ce rapport, dès 2007, Mme [L] et Mme [I], du fait de leur ancienneté et des compétences professionnelles qui leur étaient reconnues, ont mis a profit les absences répétées du DPX Mr [S] pour cause de santé pour assumer des responsabilités de chef qui n’étaient pas les leurs en tant qu’ACM et leur position s’est exacerbée à l’arrivée, d’une part, d’une nouvelle DPX en la personne de Mme [T] dont elles ont immédiatement mis en doute les compétences et dont elles refusaient les directives et, d’autre part, de salariées plus jeunes recrutées dans un premier temps en contrats d’avenir comme Mme [M], Mme [X] et Mme [U] ; en outre, Mme [L] et Mme [I], toutes deux adhérentes à la même organisation syndicale majoritaire sur l’équipe Accueil Brive qui pouvait y faire ‘ la pluie et le beau temps’ notamment pour l’accession à des postes en cadre permanent, ont de fait bénéficié d’un soutien de leur DUO Mr [S], ainsi que d’une grande partie des salariés plus anciens, ce qui a conduit à la constitution de deux clans, mais l’un majoritaire et l’autre minoritaire.
Selon la SNCF, ce rapport a mis en exergue des propos vexatoires ou discriminants tenus par les deux salariées – Mme [I] et Mme [L] – à l’encontre de différents agents mais non de Mme [M], ce qui est fermement contesté par celle-ci.
Ce rapport ne retient en effet que deux cas particuliers, qualifiés de harcèlement moral, comme ayant été portés à la connaissance de la hiérarchie en janvier 2014 et en janvier 2015:
– le premier, résultant du différend entre d’une part Mme [I] et Mme [L] et d’autre part leur ancienne DPX, Mme [T] qui, le 14 janvier 2014, a été violemment menacée, verbalement et physiquement et devant des clients par Mme [L] ;
– le second résultant d’un lettre que Mme [L] a adressée à Mme [X] en janvier 2015, comportant des menaces si elle ne prenait pas la carte du syndicat CGT, ainsi que des termes discriminatoires.
Ce rapport mentionne toutefois et de manière plus générale que les témoignages recueillis ont mis en exergue de la part de Mme [I] et de Mme [L] des propose vexatoires ou discriminants, ainsi que des comportements proches du harcèlement, suffisamment précis pour provoquer de la souffrance chez plusieurs salariés et conduire à des arrêts de travail notamment parmi les agents les plus récemment embauchés, ce qui a été le cas pour mesdames [M], [X], [A] et [U].
Il convient également de relever qu’ à la suite de l’agression de Mme [T] par Mme [L] en janvier 2014, si une enquête ‘qualité et vie au travail’ – dite QVT- a été menée et son rapport daté du 06 juin 2014 présenté à la ligne managériale de l’équipe Accueil Brive et au CHSCT, aucune conclusion sérieuse n’en a cependant été tirée puisque, si Mme [T] a été déplacée de sa fonction de DPX, aucune explication écrite n’a été sollicitée auprès de Mme [L] et de Mme [I], ce qui a été de nature à les conforter dans les positions qu’elles avaient jusque là adoptées, et dans un sentiment de totale impunité.
A ce propos, Mme [M] produit :
‘ le compte rendu d’un entretien qu’elle a eu le 04 février 2015 avec M.[C] et Mr [W], signé de Mr [C], et au cours duquel elle a rapporté que, lorsqu’elle est arrivée à l’équipe Accueil Brive avec Mme [L] comme tutrice, il y avait un noyau autour de Mme [I] et de Mme [L] qui décidaient de tout et que Mme [L] lui a fait comprendre qu’il fallait qu’elle choisisse son clan – les ACM ou la DPX; que fin 2013- début 2014, la situation est devenue tendue avec ces deux personnes et qu’au moment de ‘l’incident’ entre Mme [T] et Mme [L] dont elle a été témoin, cette dernière lui a jeté un classeur à la figure et qu’à partir de ce moment là elle a été victime de brimades au quotidien: effacement de son travail sur l’ordinateur, des propos en la regardant tels que: ‘il faut de la bombe pour éloigner les cafards’, ‘ je travaille avec des cons et des voleurs’ en faisant allusion à la disparition d’une somme de 35 euros ; Mme [M] a ajouté ‘ Mme [L] et Mme [I] me disent que je ne suis rien ; cette situation s’inscrit dans la durée, j’ai failli quitter l’entreprise, j’ai fait un signalement aux apprentis d'[Localité 3] qui ont écrit au DUO, qui a promis une confrontation avec Mme [L] et Mme [I] qui n’a jamais eu lieu ; au global, j’ai ressenti du harcèlement ‘ ;
‘ le compte rendu de l’entretien que Mme [A] , affectée à l’équipe Accueil Brive entre juillet 2014 et septembre 2015, a eu le 13 mai 2015 avec Mr [W] et signé de ce dernier, indiquant qu’elle avait pris la défense de Mme [M] qui était prise à partie par Mme [L] ou Mme [I] pour son travail sans raison valable ; Mme [A] confirme ces propos dans un témoignage du 20 septembre 2019 ;
‘ le témoignage de Mme [U] qui indique avoir pu constater, venant de Mme [L] et de Mme [I], des réflexions désobligeantes à l’égard de différentes personnes, dont Mme [M], Mme [X] et elle-même, telles que ‘ fais attention avec qui tu parles’, ‘ tu fais pas comme il faut, je vais tout refaire par ta faute’, ‘si tu continues comme ça, tu ne seras jamais embauchée’ ;
‘ le témoignage de Mme [X] en date du 25 novembre 2019 indiquant avoir été témoin à plusieurs reprises des réflexions déplacées que Mme [L] ou Mme [I] ont eu sur le physique ou sur la vie personnelle de Mme [M], s’apparentant à une sorte de ‘bizutage’ quotidien, complété par une incitation à la faute professionnelle en retenant certaines informations la conduisant à la commission d’erreurs ;
‘ des certificats médicaux d’un médecin psychiatre en date des 24 avril 2018 , du médecin conseil de la SNCF du 30 avril 2018 attestant que ses arrêts de travail à compter du 25 septembre 2015 ont été en relation avec une souffrance psychologique très importante au travail ; si, selon un certificat médical en date du 19 juin 2020, Mme [M] est atteinte depuis octobre 2018 d’une ‘maladie de Basedow’, ce document précise que cette affection peut parfois apparaître après un choc émotionnel ou un stress intense, ce qui n’est pas utilement remis en cause par la société SNCF Voyageurs.
Les éléments rapportés par Mme [M] elle-même mais également par Mme [X], par Mme [A] et par Mme [U], sont confortés par la teneur de l’enquête qui a été menée par la direction de l’éthique et de la déontologie de la SNCF ; ces éléments sont suffisants, même en l’absence de précision particulière sur leurs dates ou les circonstances dans lesquelles ils sont intervenus, pour retenir que les agissements répétés de Mme [L] et de Mme [I] ont conduit à une importante dégradation des conditions de travail de Mme [M], ayant porté atteinte à sa santé physique ou mentale, ce qui caractérise le fait de harcèlement moral.
Le rapport de la direction de l’éthique et de la déontologie de la SNCF a notamment émis les recommandations suivantes :
– la mutation de Mme [L] dans un autre service que celui de l’équipe Accueil Brive, mutation qui est intervenue en avril 2016 ;
– un recadrage pour Mme [I] sur son rôle d’ACM, laquelle a en définitive quitté la SNCF en juin 2019;
– la proposition d’un autre poste au DUO Mr [S].
Il est établi que, nonobstant les révélations qui lui ont été faites après l’agression de Mme [T] en janvier 2014, le rapport ‘qualité et vie au travail’ déposé en juin 2014 et les auditions particulièrement circonstanciées de Mme [M] et de Mme [A] de février et mai 2015 qui auraient dû conduire à la mise en oeuvre de procédures disciplinaires, aucune mesure concrète n’aura été prise à l’échelon régional avant avril 2016 pour tenter d’apporter une solution au problème et que l’inertie tant du DUO Mr [S], que du DET Mr [C] ou encore du DRH de la région Limousin , avisé de la situation dès janvier 2015, qui peuvent s’expliquer par une volonté de ‘préservation de la paix sociale ‘ainsi que le souligne le rapport de la direction de l’éthique et de la déontologie, a conduit a un climat qui n’a cessé de se détériorer avec pour seule solution pour les agents comme Mme [M] se trouvant dans le clan ‘minoritaire’de changer de poste.
Le manquement de la société SNCF Voyageurs à son obligation de prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral, est ainsi parfaitement caractérisé.
‘ la réparation des préjudices :
Mme [M] est en droit d’obtenir une indemnisation des préjudices distincts subis:
– à raison des faits de harcèlement moral, sur le fondement de l’article L. 1152-1 du code du travail, lequel sera réparé par l’octroi de la somme de 10.000 euros ;
– à raison du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, sur le fondement de l’article L. 1152-4 du même code, lequel sera réparé par l’octroi de la somme de 20.000 euros.
Mme [M] ne justifie pas d’un préjudice moral distinct de celui ci-dessus réparé et elle verra rejeter cette prétention.
S’agissant de ses pertes de salaire, selon l’article 1 du chapitre 2 du statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel, la rémunération mensuelle de l’agent se compose d’un traitement, d’une indemnité de résidence et d’une prime de fin d’année auxquels peuvent s’ajouter des primes de travail, des indemnités tenant compte de certaines sujétions particulières ou des gratifications.
Mme [M] demande à en être indemnisée sur la période allant de juillet 2017 à juin 2020 selon une tableau figurant en pièce n° 32 pour un montant brut de 22.977,49 euros, outre congés payés afférents.
Ce préjudice, en lien de causalité avec ses arrêts de travail , doit être intégralement indemnisé sur la base du traitement et des primes perçus antérieurement à son arrêt de travail, sous les seules réserves suivantes.
Par un courrier du 17 mars 2016, Mme [M], dont l’arrêt de travail a débuté le 24 septembre 2015, avait été informée par la société SNCF Mobilités qu’en application de l’article 3 du chapitre 12 du statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel , elle ne percevra à compter du 29 mars 2016 que la moitié des éléments de sa rémunération, faute pour elle de s’être présentée aux convocations du médecin conseil de la CRPP n’ayant donc pu donner un avis sur l’attribution du régime de longue maladie à la date du 11 mars 2016.
Toutefois, il résulte des fiches de paye produites par Mme [M] que, si elle n’avait perçu qu’une rémunération réduite, voire aucune rémunération de la société SNCF Mobilités entre avril 2016 et juin 2017,un salaire complet, primes comprises, a été repris entre juillet et septembre 2017 et sa demande au titre de ces trois mois pour un montant de 1.913,01 euros doit être rejetée.
En outre :
– pour le mois d’octobre 2017, elle indique ne pas avoir été réglée des primes alors que tel a été le cas ; sa demande à hauteur de 400,71 euros doit être rejetée ;
– pour les mois de novembre et décembre 2017, elle a été réglée des primes mais non du traitement mensuel; son préjudice doit être ramené à la somme de 2.538,96 euros au lieu de celle de 3.340,38 euros , soit une différence de 801,42 euros ;
– pour les mois de janvier à mars 2018, elle n’a rien perçu et son préjudice est bien de 5.010,57 euros ;
– à partir du mois d’avril 2018 jusqu’en juin 2020, son préjudice a été uniquement représenté en la perte des primes ainsi qu’elle en justifie.
Il convient en conséquence de fixer sa perte de salaire sur la période considérée comme suit :
22.977,49 – 1913,01 – 400,71 – 801,42 = 19.862,35 euros , somme à laquelle s’ajoute celle de 1.986,23 euros au titre des congés payés afférents.
Mme [M] demande en sus une somme de 20.000 au titre d’un préjudice financier en mettant en avant une perte d’avancement et d’évolution professionnelle ; toutefois, elle produit elle-même son classement au 1er avril 2019 de BR 05 à B06 et d’un traitement brut passé de 1.269,48 euros à 1.318,47 euros.
En l’absence de toute justification de la réalité de ce préjudice, sa demande doit être rejetée.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :
La société SNCF Voyageurs , qui succombe en son appel, doit en supporter les dépens.
Mme [M] demande, au titre des frais irrépétibles, une somme de 2.500 euros déjà obtenue en première instance et qui sera donc confirmée.
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PAR CES MOTIFS
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LA COUR
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe et en dernier ressort,
DIT Mme [F] [M] recevable en son appel incident,
CONFIRME le jugement u conseil de prud’hommes de Brive la Gaillarde EN DATE DU 29 novembre 2021 en ce qu’il a :
– condamné la société SNCF Voyageurs à payer à Mme [F] [M] la somme de 20.000 euros titre de dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité prévue à l’article L.1154-1 du code du travail ;
– condamné la société SNCF Voyageurs à payer à Mme [F] [M] la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– condamné la société SNCF Voyageurs aux dépens de première instance ;
L’INFIRME pour le surplus et statuant à nouveau,
DEBOUTE Mme [F] [M] de ses demandes ;:
– en liquidation d’une astreinte;
– en réparation d’un préjudice moral autre que celui résultant de la méconnaissance par l’employeur des dispositions des articles L. 1152-1 et L.1152-4 du code du travail ;
– en réparation d’un préjudice financier pour perte d’avancement et d’évolution professionnelle ;
CONDAMNE la société SNCF Voyageurs à payer à Mme [F] [M] :
– la somme de 10.000 euros titre de dommages et intérêts sur le fondement de l’article L. 1152-1 du code du travail ;
– la somme brute de 19.862,35 euros au titre des ses pertes de salaire sur la période allant de juillet 2017 à juin 2020 ,celle brute de 1.986,23 euros au titre des congés payés afférents ;
CONDAMNE la société SNCF Voyageurs aux dépens de l’appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Sophie MAILLANT. Pierre-Louis PUGNET.