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COUR D’APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE – SECTION B
————————–
ARRÊT DU : 06 AVRIL 2023
BAUX RURAUX
N° RG 20/04615 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-LZQP
[N] FRERES
c/
Monsieur [R] [N]
Nature de la décision : AU FOND
Notifié par LRAR le :
LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :
La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par
voie de signification (acte d’huissier).
Certifié par le Greffier en Chef,
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 04 novembre 2020 (R.G. n°5118000010) par le Tribunal paritaire des baux ruraux de LIBOURNE, suivant déclaration d’appel du 25 novembre 2020.
Jonction par mention au dossier avec le RG 21/02679 : jugement rendu le 7 avril 2021 (RG511800010) suivant déclaration d’appel du 6 mai 2021
APPELANTE :
[N] FRERES agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 21]
représentée par Me Timothée MOLIERAC, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉ :
Monsieur [R] [N]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]
représenté par Me CARTRON substituant Me Philippe QUERON de la SELARL RAMURE AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 08 février 2023 en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Eric Veyssière, président,
Madame Sophie Lésineau, conseillère,
Madame Cybèle Ordoqui, conseillère,
qui en ont délibéré.
Greffière lors des débats : Mme Sylvaine Déchamps,
En présence de Bertrand MAUMONT, magistrat détaché en stage à la cour d’appel de Bordeaux.
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
Exposé du litige
La société civile d’exploitation agricole [N] Frères, créée le 11 juin 1992, associait à l’origine les frères [F] et [R] [N] à titre individuel, ainsi que leurs SARL respectives, avant que M. [R] [N] et sa SARL ne cèdent leur part, en 2004, aux enfants de M. [F] [N].
La société [N] Frères exploite des vignes en faire valoir indirect, au titre de plusieurs baux dont le bail à long terme consenti par M. [R] [N] le 11 juin 1992, pour une durée de 18 années, et portant sur des parcelles sises commune de [Localité 22], d’une superficie de 16 ha 58 a 21 ca.
Le fermage a été déterminé comme suit : 14 hl/ha, soit un prix de base de 12 hl/ha assorti d’une majoration de 20% pour bail à long terme, de vin d’AOC Côtes de Bourg pour les vignes en production et, l’équivalent en argent de 35 quintaux de blé pour les terres et bâtiments.
Le 11 juin 2010, le bail a été tacitement renouvelé pour une durée de 9 ans.
Le 6 juin 2013, la société [N] Frères a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Libourne, aux fins de révision du fermage. Par jugement du 7 mai 2014, le tribunal a sursis à statuer et ordonné une mesure d’expertise. Saisie de l’appel de cette décision, la cour d’appel de Bordeaux, par arrêt du 12 février 2015, a débouté la SCEA de sa demande de fixation du prix du bail, au motif que la condition de l’existence d’une contestation sur le prix n’était pas remplie.
A l’approche de l’échéance du bail, dès 2018, la société [N] Frères a de nouveau sollicité une réduction du prix du bail à renouveler, proposant 7hl/ha. M. [R] [N] a rejeté cette demande et proposé un prix de 9hl/ha.
A défaut d’accord, la SCEA [N] a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Libourne le 3 août 2018 en vue d’une fixation judiciaire du prix du bail à renouveler.
Après une tentative de conciliation infructueuse, le tribunal a, par jugement avant-dire droit du 6 février 2019, ordonné une mesure d’expertise judiciaire.
L’expert a déposé son rapport le 1er août 2019.
M. [N] a saisi le premier président de la cour d’appel de Bordeaux afin d’être autorisé à interjeter appel de la décision avant-dire droit de la mesure d’expertise.
Par ordonnance du 11 avril 2019, le premier président de la cour d’appel de Bordeaux a débouté M. [N] de sa demande.
Par jugement du 4 avril 2020, le tribunal paritaire des baux ruraux de Libourne a :
– condamné la société [N] Frères à verser à M. [N] la somme de 7 757,81 euros en réparation du préjudice patrimonial de manque à gagner engendré par le défaut d’entretien du vignoble,
– sursis à statuer sur le montant du bail et de la majoration du prix du fermage jusqu’à la production par la société [N] Frères du bail conclu initialement le 10 juin 1992 avec M. et Mme [F] [N], afin de pouvoir être éclairé sur la pratique de la société avec son autre bailleur,
– réservé les dépens et les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– renvoyé les parties à une audience ultérieure
Par déclaration du 25 novembre 2020, la société [N] Frères a relevé appel de ce premier jugement.
Par jugement du 7 avril 2021, le tribunal paritaire des baux ruraux de Libourne a :
– fixé le montant du fermage pour le bail conclu entre M. [R] [N] et la société [N] Frères à 9 hl/ha d’AOC Côtes de Bourg,
– débouté M. [R] [N] de sa demande de renouvellement de la majoration dudit bail,
– rejeté toute autre demande, dont celles relatives aux frais irrépétibles,
– condamné M. [R] [N] et la société [N] Frères aux entiers dépens qui seront partagés par moitié entre les parties.
Par déclaration du 6 mai 2021, la société [N] Frères a relevé appel de ce second jugement.
Par décision du 10 novembre 2021, le magistrat chargé d’instruire l’affaire a joint les recours sous le n° 20/4615.
Aux termes de ses dernières conclusions du 26 janvier 2023 et développées oralement à l’audience, la société [N] Frères sollicite de la Cour qu’elle :
– juge la société [N] Frères recevable et bien fondée en ses appels,
– infirme le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux rendu le 4 novembre 2020 en ce qu’il a condamné la société [N] Frères à verser à M. [N] la somme de 7 757,81 euros en réparation du préjudice patrimonial de manque à gagner engendré par le défaut d’entretien du vignoble,
– infirme le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux rendu le 7 avril 2021en ce qu’il a fixé le montant du fermage pour le bail conclu entre la société [N] Frères et M. [N] à 9 hl par hectare d’AOC Côtes de Bourg,
– déclare illicite la clause du bail prévoyant que ‘de convention expresse entre les parties, la totalité des frais de plantation ou de replantation seront à la charge exclusive du preneur qui s’y oblige’ au motif qu’elle est contraire à l’article 1719 du code civil,
– homologue le rapport d’expertise de M. [T],
Ce faisant, à compter du 11 juin 2019,
– fixe le fermage de la parcelle n° E[Cadastre 13] d’une superficie de 0,6054 hectare planté en 1981 à 4,84 hectolitres d’AOC Côtes de [Localité 19],
– fixe le fermage de la parcelle n° E[Cadastre 14] d’une superficie de 0,2261 hectare plantée en 1981 à 1,58 hectolitres d’AOC Côtes de [Localité 19],
– fixe le fermage de la parcelle n° E38 d’une superficie de 1,5714 hectares plantée en 2008 à 2,74995 hectolitres d’AOC Côtes de [Localité 19],
– fixe le fermage de la parcelle n° E[Cadastre 4]p d’une superficie de 0,5 hectares plantée en 2002 à 5,50 hectolitres d’AOC Côtes de [Localité 19],
– fixe le fermage de la parcelle n° E37p d’une superficie de 0,37 hectares plantée en 2008 à 0,6475 hectolitres d’AOC Côtes de [Localité 19],
– fixe le fermage de la parcelle n° E37p d’une superficie de 0,6329 hectares à 2,53 hectolitres d’AOC Côtes de [Localité 19],
– fixe le fermage de la parcelle n° E[Cadastre 15] d’une superficie de 1,0359 hectares à 4,14 hectolitres d’AOC Côtes de [Localité 19],
– fixe le fermage des parcelles n° E79 et E[Cadastre 17] d’une superficie de 0,3771 hectares plantée en 1969 à 1,51 hectolitres d’AOC Côtes de [Localité 19],
– fixe le fermage de la parcelle n° E[Cadastre 18] d’une superficie de 0,4111 hectares plantée en 1981 à 2,47 hectolitres d’AOC Côtes de [Localité 19],
– fixe le fermage de la parcelle n° E[Cadastre 11] et E[Cadastre 12] d’une superficie de 0,7626 plantée en 1984 à 3,81
hectolitres d’AOC Côtes de [Localité 19],
– fixe le fermage de la parcelle n° E59 et E[Cadastre 9] d’une superficie de 0,3656 hectares plantée en 1981 à 2,56 hectolitres d’AOC Côtes de [Localité 19],
– fixe le fermage de la parcelle n° E56 d’une superficie de 0,0421 hectares à 0,21 hectolitres d’AOC Côtes de [Localité 19],
– fixe le fermage de la parcelle n° E[Cadastre 10]p d’une superficie de 0,6486 hectares à 3,24 hectolitres
[Adresse 20],
– fixe le fermage de la parcelle n° E579p d’une superficie de 0,8602 hectares à 3,44 hectolitres
[Adresse 20],
– fixe le fermage de la parcelle n° E[Cadastre 6]p d’une superficie de 0,3127 hectares plantée en 1950 à 1,[Cadastre 7] hectolitres d’AOC Côtes de [Localité 19],
– fixe le fermage de la parcelle n° E[Cadastre 3] d’une superficie de 0,364 hectares plantée en 1968 à 1,46 hectolitres d’AOC Côtes de [Localité 19],
– fixe le fermage de la parcelle n° E[Cadastre 1]p d’une superficie de 0,5271 hectares plantée en 1967 à 2,11 hectolitres d’AOC Côtes de [Localité 19],
– fixe le fermage de la parcelle n° E286p d’une superficie de 0,1556 hectares plantée en 2002
à 1,71 hectolitres d’AOC Côtes de [Localité 19],
– fixe le fermage de la parcelle n° E[Cadastre 8] d’une superficie de 0,437 hectares plantée en 2002 à 4,81 hectolitres d’AOC Côtes de [Localité 19],
– fixe le fermage de la parcelle n° E[Cadastre 16] d’une superficie de 1,2915 hectares plantée en 1979 à 10,33 hectolitres d’AOC Côtes de [Localité 19],
– confirme le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux rendu le 7 avril 2021 en ce qu’il n’a pas retenu l’application d’une majoration pour bail à long terme entre 0% et 20%,
– condamne M. [N] à restituer à la société [N] Frères le trop-perçu de fermage à compter du 11 juin 2019 par rapport à la fixation retenue par la cour d’appel dans son arrêt à intervenir,
– déboute M. [N] de l’ensemble de ses demandes,
– juge que M. [N] n’a pas exécuté de bonne foi et de manière loyale le bail à ferme daté du 11 juin 1992 sur la commune de [Localité 22] entre la société [N] Frères et M. [N],
– condamne M. [N] à lui payer les sommes suivantes :
– [Cadastre 5] 215,80 euros en réparation du préjudice moral causé à la société [N] Frères,
– 8 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, la société [N] frères fait valoir en substance :
– que le fermage n’a jamais été révisé depuis 1992, en dépit de l’évolution de la valeur locative telle qu’elle ressort des arrêtés préfectoraux successifs, relatifs à l’application du statut du fermage dans le département de la Gironde,
– que le prix doit être fixé conformément aux estimations entièrement fondées de l’expert, sans qu’il y ait lieu de tenir compte du prix pratiqué dans le cadre d’autres baux, notamment le bail de M. [F] [N] puisqu’il ne s’agit pas des mêmes vignes,
– que l’arrêté préfectoral n’impose pas de majoration du prix du fermage, que celle-ci ne se justifie pas en l’espèce dès lors que le bail est renouvelé pour une durée de 9 ans et, au surplus, qu’une telle majoration n’est pas prévue dans le bail de M. [F] [N],
– que la clause du bail relative à la plantation et à la replantation est illicite, au regard de l’article 1719 4° du code civil qui dispose que le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière, d’assurer la permanence et la qualité des plantations,
– qu’il ne peut lui être imputé aucun défaut d’entretien des parcelles, le rapport d’expertise concluant au ‘bon état général’ du vignoble compte tenu de l’âge de certaines parcelles, que le taux de manquants demeure conforme aux taux réglementaires et que, dans l’absolu, l’absence d’état des lieux initial empêche tout comparatif avec l’état actuel des parcelles,
– que les propos tenus et la dénaturation des faits opérée par M. [R] [N] dénote sa mauvaise foi et sa déloyauté, qu’elle est la source d’un préjudice devant être réparé sur le fondement de la responsabilité contractuelle.
Par ses dernières conclusions enregistrées le 7 février 2023, M. [R] [N] demande à la Cour de :
– confirmer le jugement rendu le 7 avril 2021 en ce qu’il a fixé la valeur de base 9 hl/ha de vin AOC Côtes de Bourg le prix du fermage du bail renouvelé le 11 juin 2019, soit 103,47 hl pour les 11,4969 ha,
– débouter la société [N] Frères de ses demandes,
– infirmer le jugement rendu le 7 avril 2021 en ce qu’il a débouté M. [N] de sa demande de maintien de la majoration de 20% attachée audit bail renouvelé le 11 juin 2019,
– juger ladite majoration de 20% stipulée audit bail renouvelé et non expressément initialement remise en cause doit continuer à s’appliquer,
– infirmer le jugement rendu le 7 avril 2021 en ce qu’il a débouté M. [N] de sa demande de condamnation de la société [N] Frères sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens,
– condamner la société [N] Frères à lui payer la somme de 8 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d’appel en ce compris ceux afférents à l’expertise judiciaire sollicitée par elle.
A l’audience, le conseil de M. [R] [N] a demandé qu’il soit tenu compte du dispositif de ses avant-dernières conclusions enregistrées dans le dossier n° RG 20/4615, concernant la demande d’indemnisation du manque à gagner.
Ainsi, au termes de ses conclusions du 20 mai 2021, M. [R] [N] demande en outre à la cour de :
‘- confirmer le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux rendu le 4 novembre 2020 en ce qu’il a condamné la SCEA [N] frères à verser la somme de 7.757,81 euros en réparation du préjudice patrimonial de manque à gagner engendré par le défaut d’entretien du vignoble,
Y ajoutant, et/ou, en tant que de besoin, le réformant sur ce point de quantum :
– porter et arrêter les dommages et intérêts dus à M. [R] [N] en réparation du préjudice patrimonial de manque à gagner engendré par le défaut d’entretien du vignoble par la SCEA [N] frères, de la somme de 7.757,81 euros à, au moins la somme de 38.125 euros, telle qu’initialement demandée, à parfaire en tant que de besoin
En tout état de cause :
– débouter la SCEA [N] frères de ses entières prétentions, fins et réclamations,
– condamner la SCEA [N] à lui payer une somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la SCEA [N] aux entiers dépens’.
Au soutien de ses prétentions, M. [R] [N] fait valoir en substance :
– que le prix du fermage ne peut être fixé au regard de la seule expertise judiciaire, étant donné que l’expert judiciaire n’a pas valorisé le terroir, la facilité d’exploitation ou encore la stabilité du bail (qui ne comporte pas de clause de reprise),
– que la société [N] avait proposé le prix de 9hl/ha en 2015 et que c’est aussi le prix pratiqué pour le bail personnel de son frère pour des vignes parfaitement similaires,
– que le bail à long terme renouvelé reste soumis aux régimes des baux à long terme, qu’une majoration du prix du fermage est prévue dans ce cas, et que la majoration de 20 % initialement convenue demeure conforme à la fourchette visée dans l’arrêté préfectoral,
– que la demande tendant à voir déclarer la clause du bail illicite est une demande nouvelle et sans lien avec le litige dévolu à la juridiction, laquelle n’est saisie que de la fixation du prix du fermage,
– que la SCEA [N] frères a commis des défaillances en termes de complantation, que le ‘ bon état général’ du vignoble, relevé par l’expert, ne tient pas compte des manquants et qu’en réalité une part importante de son vignoble a été déclassé en raison des manquements du preneur,
– que la demande d’indemnisation d’un prétendu préjudice moral est irrecevable car nouvelle en cause d’appel, en plus d’être infondée, la SCEA [N] étant à l’origine des procédures judiciaires.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la fixation judiciaire du prix du fermage du bail renouvelé
Au titre des dispositions particulières aux baux à long terme, l’article L. 416-1 du code rural et de la pêche maritime prévoit que sauf convention contraire, les clauses et conditions du bail renouvelé sont celles du bail précédent, mais qu’à défaut d’accord entre les parties, le tribunal paritaire fixe les conditions contestées du nouveau bail.
Au titre des dispositions de droit commun relatives au prix du fermage, l’article L. 411-11 du même code énonce que le prix de chaque fermage est établi en fonction, notamment, de la durée du bail, compte tenu d’une éventuelle clause de reprise en cours de bail, de l’état et de l’importance des bâtiments d’habitation et d’exploitation, de la qualité des sols ainsi que de la structure parcellaire du bien loué et, le cas échéant, de l’obligation faite au preneur de mettre en oeuvre des pratiques culturales respectueuses de l’environnement en application de l’article L. 411-27. Ce prix est constitué, d’une part, du loyer des bâtiments d’habitation et, d’autre part, du loyer des bâtiments d’exploitation et des terres nues.
Il est précisé par le même article que le loyer des terres nues portant des cultures permanentes viticoles et des bâtiments d’exploitation y afférents peut être évalué en une quantité de denrées comprise entre des maxima et des minima arrêtés par l’autorité administrative, que dans ce cas les dispositions relatives à l’actualisation du loyer des terres nues et des bâtiments d’exploitation prévues au présent article ne s’appliquent pas et que les maxima et les minima déterminés par l’autorité administrative sur proposition de commissions consultatives paritaires départementales font l’objet d’un nouvel examen au plus tard tous les six ans.
Enfin, il est prévu que si ces minima et maxima sont modifiés, le prix des baux en cours ne peut être révisé que lors du renouvellement ou, s’il s’agit d’un bail à long terme, en début de chaque nouvelle période de neuf ans, et que le tribunal paritaire des baux ruraux fixe le nouveau prix du bail à défaut d’accord amiable.
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En l’espèce, M. [T], expert judiciaire, a été désigné en première instance avec pour mission notamment de ‘fournir au tribunal les éléments lui permettant de déterminer le montant du fermage, en hectolitres de vin AOC Côtes de [Localité 19], dans le cadre des minima et maxima définis par l’arrêté préfectoral, au moment du renouvellement du bail’.
Dans son rapport remis le 30 juillet 2019, l’expert indique s’être appuyé sur le dernier arrêté préfectoral en date au moment du renouvellement du bail, soit l’arrêté n° 2013336-0007 du 2 décembre 2013, lequel définit trois catégories de vignes. Il explique s’être référé aux définitions des catégories, telles que précisées dans l’arrêté, pour classer les parcelles objets du bail et fixer une estimation au regard des fourchettes établies par l’arrêté pour les vins de Côte, comme l’AOC côtés de Bourg, à savoir entre 7hl et 11hl pour les vignes de 1ère catégorie, entre 5hl et 8hl pour les vignes de 2ème catégorie, entre 3hl et 5hl pour les vignes de 3ème catégorie. Il précise avoir pris en compte ‘l’âge des vignes, les cépages concernés, l’état général de productivité, les manquants observés, l’écartement des plantations et celui requis pour le cahier des charges de l’appellation’.
Compte tenu de l’ensemble de ses constatations, l’expert fixe une estimation globale de 79,18 hectolitres, laquelle, rapportée à la superficie déclarée exploitée ( 11ha 49a 69ca) permet à la cour d’estimer la base du fermage moyen à 6,88 hl/ha.
Si la qualité des sols n’est pas expressément visée par l’expert à ce stade du rapport, elle apparaît néanmoins sous un titre ‘considération générales sur les parcelles’, l’expert ayant pris soin de décrire la nature des sols pour en conclure qu’ils sont ‘aptes à donner de bons vins’. En outre, la qualité des sols n’est pas étrangère à la classification des vignes à laquelle il a été procédé. En effet, aux termes de l’arrêté préfectoral (page 9), les vignes de 1ère catégorie supposent un ‘terrain particulièrement qualifié pour la production du vin de l’AOC’, tandis que les vignes de 2ème catégorie sont situées dans des ‘zones moins favorables (sol – climat)’. M. [R] [N] ne donne par ailleurs aucune indication sur les qualités du terroir et des sols dont l’expert aurait dû, selon lui, tenir compte.
Toutefois, l’article L. 411-11 du code rural et de la pêche maritime prévoit que le prix du bail est établi en fonction, notamment, de la durée du bail, compte tenu d’une éventuelle clause de reprise en cours de bail et de la structure parcellaire du bien loué. Or, l’estimation globale (79,18 hl pour 11ha 49a 69ca) retenue par l’expert est établie à partir de l’estimation de chaque parcelle prise isolément. Aussi est-il nécessaire, en perspective d’une appréciation plus générale, de prendre en considération et de valoriser d’une part, le fait que le bail ne comporte pas de clause de reprise en cours de bail, en ce qu’il s’agit d’un gage de stabilité pour le preneur et, d’autre part, le fait que les vignes se situent à proximité du siège d’exploitation, ce qui en facilite l’exploitation.
En outre, l’adverbe ‘notamment’ employé par l’article L.411-11 suggère que la liste des critères permettant d’établir le prix du bail n’est pas une liste exhaustive, de sorte que le juge peut toujours se déterminer à partir d’autres éléments même extrinsèques. A ce titre, c’est à bon droit que le premier juge a tenu compte de la relation contractuelle du preneur avec un autre bailleur, en l’occurrence M. [F] [N], frère et ex-associé de l’intimé. Sur ce point, force est de constater que ledit contrat de bail (pièce n° 2 du dossier de l’appelant), également conclu le 11 juin 1992, porte sur des vignes produisant des vins issus de la même appellation, pour un prix de 9hl/ha, qu’il a été renouvelé à deux reprises sans que le prix n’en soit révisé.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, compte tenu du rapport d’expertise et des pièces versées au dossier, il y a lieu de fixer le prix du fermage du bail renouvelé à hauteur de 7,5 hectolitres par hectare en production AOC Côtes de Bourg. Le jugement sera infirmé sur ce point.
Sur la majoration du prix du fermage
Selon l’article L. 411-11 du code rural et de la pêche maritime la durée du bail est un élément de fixation du prix.
Aux termes de l’article L. 416-1 du même code le bail à long terme est conclu pour une durée d’au moins dix-huit ans et, sous réserve des dispositions de l’article L. 416-5, sans possibilité de reprise triennale pendant son cours.
Ce bail est renouvelable par période de neuf ans dans les conditions prévues à l’article L. 411-46 et sans préjudice, pendant lesdites périodes, de l’application des articles L. 411-6, L. 411-7 et L. 411-8 (alinéa 1er).
Le bail renouvelé reste soumis aux dispositions du présent chapitre. Sauf convention contraire, ses clauses et conditions sont celles du bail précédent. Toutefois, à défaut d’accord entre les parties, le tribunal paritaire fixe les conditions contestées du nouveau bail.
Aux termes de l’article 9 de l’arrêté préfectoral du 2 décembre 2013, les baux à long terme, tels que définis à l’article L. 416-1 du code rural et de la pêche maritime, donnent la possibilité d’une augmentation du prix du fermage, par rapport au prix retenu pour un bail de 9 ans : pour un bail de 18 ans donnant droit au renouvellement tel que cité dans l’article L. 416-1 du code rural, dans une fourchette de 0 à 20 %.
En l’espèce, la période initiale de 18 ans du bail litigieux est écoulée et le bail en est à son second renouvellement pour une période de 9 ans, de sorte qu’il s’apparente à un bail rural classique. Pour autant, il demeure régi par les dispositions des baux à long terme et, de fait, la SCEA bénéficie d’une grande stabilité pour son exploitation depuis 1992. Aussi, et même si l’arrêté préfectoral n’impose pas d’appliquer une majoration, il y a lieu de rechercher la position la plus équilibrée au regard de l’intérêt actuel de chacune des parties et compte tenu de leur commune intention initiale de fixer la majoration au plus haut de la fourchette.
Par conséquent, le jugement sera infirmé en ce qu’il a débouté M. [R] [N] de sa demande de renouvellement de la majoration dudit bail. La cour, statuant à nouveau, révisera néanmoins le quantum de la majoration pour fixer celle-ci à hauteur de 10 % du prix de base du fermage.
Sur la demande de restitution du trop-perçu
La SCEA [N] frères demande à la cour de condamner M. [R] [N] à lui restituer le trop-perçu de fermage à compter du 11 juin 2019 par rapport à la fixation retenue par la cour d’appel dans l’arrêt à intervenir.
M. [R] [N] estime que la demande n’est fondée sur rien de concret et demande son rejet.
Aux termes de l’article 4 du code de procédure civile l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
Une demande en justice non chiffrée n’étant pas, de ce seul fait, irrecevable, il y a lieu de faire droit à la demande de restitution de sommes indûment perçues, laquelle, bien qu’indéterminée, tend à tirer les conséquences logiques d’une demande déterminée.
La cour faisant droit à la demande de révision du prix du fermage, dans le cadre du bail renouvelé à compter du 11 mars 2019, et fixant le prix de base (7,5 hl/ha) et sa majoration (10%), il y a lieu de faire droit à la demande de la SCEA [N] frères à voir condamner M. [R] [N] à restituer le trop-perçu, sur production des justificatifs de paiements réalisés au profit de M. [N] depuis cette date.
Sur la clause illicite du contrat de bail
Aux termes de l’article 566 du code de procédure civile les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
En l’espèce, la SCEA [N] forme en cause d’appel une demande tendant à voir réputée non écrite la clause du bail (pièce n° 2, page 9) aux termes de laquelle ‘de convention expresse entre les parties, la totalité des frais de plantation ou de replantation seront à la charge du preneur qui s’y oblige’. Or, cette demande est à mettre en perspective avec celle présentée par M. [R] [N] tendant à voir condamner la SCEA [N] frères en raison du défaut d’entretien de la vigne. La clause litigieuse, relative aux obligations du preneur, se rattache par un lien suffisant à la demande d’origine de la SCEA [N] de voir M. [R] [N] débouté de sa demande d’indemnisation. La cour ne dépasse donc pas le cadre de sa saisine.
Pour ces motifs, la SCEA [N] frères sera reçue en sa demande de voir déclarer illicite la clause litigieuse.
Aux termes de l’article 1719 4° du code civil le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière d’assurer la permanence et la qualité des plantations.
L’article L. 415-12 du code rural et de la pêche maritime énonce plus spécialement que toute disposition des baux, restrictive des droits stipulés par le présent titre est réputée non écrite.
L’article L.415-8 du même code prévoit que la commission consultative des baux ruraux détermine l’étendue et les modalités des obligations du bailleur relatives à la permanence et à la qualité des plantations prévue au 4° de l’article 1719 du code civil.
L’arrêté du 2 décembre 2013, rendu au visa de la commission consultative paritaire des baux ruraux de la Gironde du 11 octobre 2013 réglemente à son article 3 le régime des plantations en distinguant les plantations nouvelles, les replantations et les complantations. Il prévoit notamment que ‘les plantations nouvelles peuvent être effectuées aux frais du preneur, sous réserve des indemnités qui pourront lui être dues à la fin de bail’ mais que ‘le renouvellement du vignoble déjà existant à la signature du bail sera à la charge du bailleur (s’entend arrachage et plantation)’. Dans ce dernier cas, il est prévu une répartition des travaux, le bailleur prenant en charge tous les plants et autres fournitures pour la plantation, ‘le preneur prenant en charge la main d’oeuvre nécessaire à la plantation et à l’entretien cultural des trois premières années, y compris l’année de plantation, ainsi que tous les travaux et apports culturaux jugés utiles’.
La clause litigieuse mettant à la charge du preneur ‘la totalité des frais de plantation ou de replantation’ sans distinction, elle aboutit à une restriction des droits du preneur, prohibée en tant que telle par le code rural. En conséquence, ajoutant au jugement déféré, la cour déclarera réputée non écrite la clause litigieuse.
Sur l’obligation d’entretien du preneur
Aux termes de l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable au présent litige, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
L’article deuxième du contrat de bail objet du litige oblige le preneur à jouir de la propriété ‘en bon père de famille, en agriculteur soigneux et actif, sans commettre, ni souffrir qu’il y soit fait des dégâts ou des dégradations’ et de ‘façonner, sulfater, tailler’ les vignes.
Par ailleurs, il doit être rappelé qu’à défaut d’état des lieux établi lors de l’entrée en jouissance, le preneur d’un bien rural n’est pas soumis, s’agissant des terres, à la présomption de bon état édictée, par l’article 1731 du code civil (Cass. civ. 3ème, 20 juill. 1993, n° 91-19.723).
En l’espèce, le bon état initial des vignes ne pouvant pas être déduit de la seule absence d’état des lieux initial, l’expert s’est à juste titre appuyé sur le montant du fermage initialement pratiqué, soit le maximum de la fourchette, pour considérer que le vignoble était nécessairement en bon état en 2004, date à laquelle M. [R] [N] à cédé ses parts à la SCEA [N] frères. La cour fait sienne cette appréciation.
S’agissant de l’état des vignes au moment du renouvellement du bail, l’expert a réalisé des observations sur l’état de chaque parcelle. Le tableau qu’il a dressé montre que les parcelles sont dans l’ensemble en bon état général. Certes, les parcelles présentent toutes des manquants, à des taux variables, mais l’expert n’en attribue pas l’origine à un quelconque défaut de soin de la vigne. En outre, la clause mettant la replantation à la charge du preneur étant réputée non écrite, il ne peut être reproché au preneur de ne pas avoir assumé l’ensemble des replantations qu’implique un vignoble vieillissant. Enfin, le rapport d’expertise n’attribuant pas l’origine des manquants à des manquements du preneur en termes de complantation ou racottage, c’est-à-dire de remplacement des ceps victimes d’accidents ou détruits par la maladie, M. [R] [N] échoue à démontrer l’existence d’un dommage de cet ordre.
Pour ces motifs, M. [R] [N] n’est pas fondé à se prévaloir d’un préjudice patrimonial de manque à gagner engendré par un prétendu défaut d’entretien de la vigne imputable au preneur. Le jugement du 4 novembre 2020 sera infirmé sur ce point.
Sur le préjudice moral allégué de la SCEA [N]
Aux termes de l’article 564 du code de procédure civile à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.
Au cas d’espèce, la SCEA [N] frères s’appuie principalement sur les propos tenus par M. [R] [N] dans ses conclusions du 20 mai 2021. Le préjudice invoqué trouvant sa cause dans la survenance d’un fait nouveau, la demande d’indemnisation qui s’y rapporte n’est pas irrecevable comme nouvelle.
Aux termes de l’article 1104 du code civil, invoqué par la SCEA au soutien de sa demande, les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
Les propos tenus dans les écritures en défense, dans le cadre d’une instance contentieuse, ne sont pas en eux-mêmes révélateurs de la mauvaise foi d’une partie au contrat objet du litige, et ne font que relever de l’exercice des droits de la défense.
Au surplus, le préjudice invoqué ‘pour partie moral’, dont la SCEA [N] frères entend obtenir réparation par l’octroi d’une somme correspondant très exactement au montant demandé par M. [R] [N] sur un tout autre fondement ne présente pas les caractères certain et sérieux d’un préjudice indemnisable.
Pour ces motifs, la SCEA [N] frères sera déboutée de sa demande.
Sur les autres demandes
Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
Chacune des parties succombant partiellement en ses prétentions, les dépens de première instance et d’appel seront partagés entre les parties.
Dans ces circonstances, les parties seront déboutées de leurs demandes respectives fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour
Infirme le jugement rendu le 4 novembre 2020 par le tribunal paritaire des baux ruraux de Libourne en ce qu’il a condamné la SCEA [N] frères à verser à M. [R] [N] la somme de 7.757,81 euros en réparation du préjudice patrimonial de manque à gagner engendré par le défaut d’entretien du vignoble,
Et, statuant à nouveau dans cette limite,
Déboute M. [R] [N] de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice patrimonial de manque à gagner engendré par le défaut d’entretien du vignoble par la SCEA [N] frères ;
Infirme le jugement rendu le 7 avril 2021 par le tribunal paritaire des baux ruraux de Libourne en toutes ses dispositions,
Et, statuant à nouveau,
Fixe à compter du 11 juin 2019 le montant du prix de base du fermage pour le bail conclu le 11 juin 1992 entre M. [R] [N] et SCEA [N] Frères, commune de [Localité 22], à 7,5 hectolitres par hectare d’AOC Côtes de Bourg en exploitation,
Fixe à compter du 11 juin 2019 la majoration du prix de base du fermage du bail conclu le 11 juin 1992 entre M. [R] [N] et SCEA [N] Frères, commune de [Localité 22], à hauteur de 10 % du prix de base du fermage,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
Y ajoutant,
Condamne M. [R] [N] à restituer à la SCEA [N] Frères le trop-perçu des fermages, compte tenu de la révision judiciaire du prix du fermage (7,5 hl/ha assorti d’une majoration de 10%) à compter du 11 juin 2019, sur présentation des justificatifs des paiements réalisés au profit de celui-ci depuis cette date,
Déboute la SCEA [N] frères de sa demande d’homologation du rapport d’expertise, le montant du fermage révisé étant fixé globalement par ailleurs,
Déclare recevable la demande de la SCEA [N] Frères tendant à voir réputée non écrite une clause du contrat de bail litigieux,
Déclare réputée non écrite la clause contenue à l’article 2 du contrat de bail conclu le 11 juin 1992 entre M. [R] [N] et SCEA [N] Frères, aux termes de laquelle ‘de convention expresse entre les parties, la totalité des frais de plantation ou de replantation seront à la charge exclusive du preneur qui s’y oblige’,
Déboute la SCEA [N] frères de sa demande de dommages et intérêts en réparation de son préjudice,
Condamne M. [R] [N] et la SCEA [N] Frères aux dépens de première instance et d’appel qui seront partagés par moitié entre les parties,
Déboute les parties de leur demande respective fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
Signé par monsieur Eric Veyssière, président, et par madame Sylvaine Déchamps, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
S. Déchamps E. Veyssière