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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-3
ARRÊT AU FOND
DU 14 AVRIL 2023
N°2023/ 69
RG 19/01131
N° Portalis DBVB-V-B7D-BDU4D
SAS PROCLAIR
C/
[Z] [U] [R]
Syndicat CNT SOLIDARITE OUVRIERE 13
Copie exécutoire délivrée
le 14 Avri 2023 à :
– Me Nathalie OLMER, avocat au barreau de MARSEILLE
– Me Clémence LACHKAR, avocat au barreau de MARSEILLE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MARSEILLE en date du 21 Décembre 2018 enregistré au répertoire général sous le n° F17/02537.
APPELANTE
SAS PROCLAIR, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Nathalie OLMER de la SELARL PIOS AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Virginie TIAN, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEES
Madame [Z] [U] [R]
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2019/3186 du 05/04/2019 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE), demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Clémence LACHKAR, avocat au barreau de MARSEILLE
Syndicat CNT SOLIDARITE OUVRIERE 13, demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Clémence LACHKAR, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 Janvier 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre, et Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant, chargées du rapport.
Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre, a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre
Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président
Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant
Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 24 Mars 2023, délibéré prorogé en raison de la survenance d’une difficulté dans la mise en oeuvre de la décision au 14 Avril 2023.
ARRÊT
CONTRADICTOIRE,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 Avril 2023.
Signé par Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * * * * * * *
FAITS- PROCEDURE-PRETENTIONS DES PARTIES
Mme [Z] [U] [R] a été engagée en tant qu’agent de service à compter du 19 avril 2016, par la société Proclair appliquant la convention collective nationale de la propreté, dans le cadre de plusieurs contrats à durée déterminée à temps partiel.
La relation de travail s’est pérennisée par la signature le 1er octobre 2016 d’un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel à raison de 39 heures par mois.
La salariée a été mise à pied à titre conservatoire et convoquée à un entretien préalable au licenciement le 28 juillet 2017 pour le 10 août suivant puis licenciée pour faute grave par lettre recommandée du 16 août 2017.
Contestant notamment la légitimité de la mesure, Mme [R] a saisi le conseil de prud’hommes de Marseille par acte du 7 novembre 2017.
Selon jugement du 21 décembre 2018, le conseil de prud’hommes a statué comme suit:
DIT ET JUGE, en présence d’un doute légitime et sérieux, que la matérialité du grief reproché à Madame [R] à l’appui de son licenciement n’est pas établie ;
DIT ET JUGE que le licenciement de Madame [R] est dépourvu de cause réelle et sérieuse;
DIT ET JUGE que la société PROCLAIR ne justifie pas d’une demande libre, écrite et motivée de Madame [R] relative à la réduction de la durée minimum conventionnelle du temps de travail ;
DIT ET JUGE que l’application par la société PROCLAIR de l’abattement forfaitaire de 8% est illicite ; En conséquence, condamne la société PROCLAIR aux sommes suivantes :
– 2.000 € au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– 779.65 € au titre de l’indemnité de préavis et 77.96 € au titre des congés payés afférents ;
– 242.16 € au titre de rappel de salaires pour mise à pied conservatoire infondée ;
– 2.000 € au titre de dommages et intérêts pour non-respect de la durée minimum de travail ;
– 408.70 € au titre de rappel de salaires pour la majoration liée au complément d’heures de travail des avenants ;
– 1.000 € au titre de dommages et intérêts pour application illicite de l’abattement forfaitaire de 8% de cotisations sociales ;
– 1.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Ce jugement a ordonné l’exécution provisoire pour le tout, débouté Mme [R] du surplus de ses demandes, fixé la moyenne mensuelle brute des trois derniers mois de salaire à 779,65 euros et condamné la société aux dépens.
Le conseil de cette dernière a interjeté appel par déclaration du 18 janvier 2019.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises au greffe par voie électronique le 15 décembre 2022, la société demande à la cour de :
«PRONONCER l’incompétence du Conseil de prud’hommes pour statuer sur la licéité de l’application de l’abattement forfaitaire pour frais professionnels ;
En tout état de cause,
JUGER la société PROCLAIR bien fondée dans l’application de l’abattement forfaitaire pour frais professionnels à la salariée ;
JUGER le licenciement pour faute grave notifié le 16 août 2017 à Madame [R] est régulier en la forme et justifié au fond ;
JUGER la demande de Madame [R] de requalification de ses contrats de travail à durée déterminée en temps complet irrecevable car constituant une demande nouvelle, et en tout état de cause, est prescrit;
JUGER les avenants au contrat de travail à durée indéterminée réguliers ;
REJETER la demande de complément d’heures ;
JUGER que la société PROCLAIR a respecté les dispositions relatives au temps partiel édictées par la Convention collective ;
En conséquence,
INFIRMER le jugement du Conseil des Prud’hommes de Marseille du 21 décembre 2018 en ce qu’il a considéré, à tort, que :
– il existait un doute légitime et sérieux sur l’existence des faits reprochés à Madame [R] ce qui la conduit à dire et juger que le grief n’étant pas établi, le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.
– il n’existait pas de demande libre écrite et motivée de Madame [R] relative à une réduction de la durée minimum conventionnelle du temps de travail, par une interprétation erronée des dispositions légales et conventionnelles et des pièces versées aux débats.
– A dit et jugé que l’application pas la société PROCLAIR de l’abattement forfaitaire de 8% est illicite par un détournement manifeste du dispositif applicable.
CONFIRMER le jugement du Conseil des Prud’hommes de Marseille du 21 décembre 2018 en ce qu’il a débouté Madame [R] de sa demande de requalification de son contrat de travail à durée indéterminée en temps plein ;
Avec les conséquences de droit qui en découlent quant aux sommes d’ores et déjà versées à Madame [R] dans le cadre de l’exécution du premier jugement.
DEBOUTER le Syndicat CNT- SOLIDARITE OUVRIERE 13, intervenu volontairement, de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 1.000 €, ainsi que sa demande de 100 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
DEBOUTER Madame [R] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
A titre subsidiaire,
FIXER en tant que de besoin, la demande de créance de Madame [R] au titre de la majoration des heures effectuées dans le cadre du complément d’heure à la somme de 241.89€;
EN TOUT ETAT DE CAUSE,
CONDAMNER, Madame [R] à payer à la société PROCLAIR la somme de 1.500,00 € en application de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens d’instance et d’appel.»
Dans leurs dernières écritures transmises au greffe par voie électronique le 12 décembre 2022, Mme [R] et le syndicat CNT-SOLIDARITE OUVRIERE 13 demandent à la cour de :
«REJETER comme irrecevable l’exception d’incompétence soulevée par la société PROCLAIR en cause d’appel ;
CONFIRMER le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de Marseille le 21 décembre 2018, sauf :
En ce qu’il a limité l’indemnisation du préjudice causé à Madame [R] par son licenciement à la somme de 2000 € ;
En ce qu’il a débouté Madame [R] de sa demande de requalification de ses contrats de travail à temps partiel en contrats de travail à temps plein ;
En ce qu’il n’a pas répondu aux demandes du syndicat CNT-SO.
Et, statuant à nouveau sur les demandes d’infirmation :
1. Sur le licenciement
CONSTATER que le licenciement de Madame [R] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
En conséquence,
A titre principal :
CONDAMNER la société PROCLAIR à verser à Madame [R] la somme de 3 500 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;
A titre subsidiaire :
CONDAMNER la société PROCLAIR à verser à Madame [R] la somme de 2 500 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;
2. Sur la requalification
REQUALIFIER les CDD à temps partiel et le CDI à temps partiel de Madame [R] en contrats à temps complet ;
En conséquence,
A titre principal :
CONDAMNER la société PROCLAIR à verser à Madame [R] la somme de 8 271.70 € à titre de rappel de salaire, outre 827.17 € de congés payés y afférent au titre de la requalification de ses CDD à temps partiel en CDD à temps complet ;
CONDAMNER la société PROCLAIR à verser à Madame [R] la somme de 5 127.18 € à titre de rappel de salaire, outre 512.71 € de congés payés y afférent au titre de la requalification de son CDI à temps partiel en CDI à temps complet ;
A titre subsidiaire :
CONSTATER que les heures supplémentaires effectuées par Madame [R] n’ont jamais été majorées et que les avenants portant compléments d’heures ne sont pas valables ;
En conséquence,
CONDAMNER la société PROCLAIR à verser à Madame [R] la somme de 446,64 € à titre de rappels de salaire, pour les heures complémentaires effectuées durant ses CDD, outre 44.66 € de congés payés y afférent ;
CONDAMNER la société PROCLAIR à verser à Madame [R] la somme de 1 080.37 € à titre de rappels de salaire, pour les heures complémentaires effectuées durant son CDI, outre 108.03 € de congés payés y afférent ;
A titre infiniment subsidiaire :
CONSTATER que les heures complémentaires effectuées dans le cadre des compléments d’heure de par Madame [R] n’ont pas bénéficié de la majoration conventionnelle de 10% ;
En conséquence,
CONDAMNER la société PROCLAIR à verser à Madame [R] le somme de 408,70 € à titre de rappels de salaire pour les heures effectuées en application des compléments d’heures durant son CDI, outre 40.87 € de congés payés y afférent ;
CONDAMNER la société PROCLAIR à verser à Madame [R] la somme de 446,64 € à titre de rappels de salaire, pour les heures complémentaires effectuées durant ses CDD, outre 44.66 € de congés payés y afférent ;
3. Sur le syndicat CNT-SOLIDARITE 13
CONDAMNER la société PROCLAIR à verser au syndicat CNT-SO 13 la somme de 1 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé à la profession par la pratique injustifiée de la déduction forfaitaire ;
CONDAMNER la société PROCLAIR à verser au syndicat CNT-SO 13 la somme de 500 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
En tout état de cause,
CONDAMNER la société PROCLAIR à délivrer à Madame [R] des bulletins de salaire, une attestation Pôle emploi et un certificat de travail rectifiés ;
CONDAMNER la société PROCLAIR à verser à Maître [D] la somme de 1 500 € au titre des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 ;
ORDONNER la capitalisation des intérêts légaux à compter de la saisine ;
CONDAMNER la société PROCLAIR aux entiers dépens.»
Pour l’exposé plus détaillé des prétentions et moyens des parties, il sera renvoyé, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, aux conclusions des parties sus-visées.
MOTIFS DE L’ARRÊT
A titre liminaire, la cour rappelle qu’en application des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile , elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et que les «dire et juger» et les «constater» ainsi que les «donner acte» ne sont pas des prétentions en ce que ces demandes ne confèrent pas de droit à la partie qui les requiert hormis les cas prévus par la loi; en conséquence, la cour ne statuera pas sur celles-ci, qui ne sont en réalité que le rappel des moyens invoqués.
Sur l’exception d’incompétence
La société soutient que c’est à tort que le conseil de prud’hommes a considéré que l’application de l’abattement forfaitaire pour frais professionnels de 8% sur les cotisations sociales était illicite, rappellant les textes fixant sur ce point la compétence exclusive du tribunal des affaires de sécurité sociale.
Elle précise qu’il s’agit d’une demande incidente soulevée avant toute défense au fond et qu’en tout état de cause, la cour peut soulever d’office son incompétence en vertu de l’article 76 du code de procédure civile.
La salariée fait valoir que cette exception d’incompétence n’a pas été soulevée en première instance de sorte qu’en application de la jurisprudence, elle doit être déclarée irrecevable, rappelant que la demande individuelle visant à réparer le préjudice causé par une pratique irrégulière relève de la juridiction prudh’omale.
La société était représentée en première instance et aurait pu soulever à ce stade de la procédure l’incompétence de la juridiction mais ne l’a pas fait, de sorte qu’elle est irrecevable à soulever une telle exception pour la première fois en cause d’appel, étant précisé que l’article 76 du code de procédure civile est inapplicable en son alinéa 1er devant la cour d’appel.
Sur l’abattement forfaitaire pour frais professionnels
1- sur la demande de la salariée
La société soutient que l’analyse du premier juge est erronée en ce qu’il se fonde sur un texte du 31 décembre 2000, soit antérieur aux nouvelles dispositions issues notamment de l’arrêté du 20 décembre 2002 et de la directive ministérielle du 8 novembre 2012.
Elle rappelle que chaque année le comité d’entreprise est consulté et a validé tant en 2016 qu’en 2017 l’abattement pratiqué sur le salaire des agents de propreté et qu’en outre, la mention figure clairement dans le contrat de travail signé par Mme [R].
Subsidiairement, elle fait état de la possibilité résultant du contrat d’affecter la salariée sur plusieurs sites et rappelle que cette dernière a perçu un salaire net plus élevé grâce à cet abattement et ne démontre aucunement avoir subi un préjudice.
L’intimée rappelle que selon la jurisprudence de la Cour de cassation, les salariés des entreprises de propreté ne sont pas assimilables à ceux du bâtiment, sauf s’ils travaillent sur plusieurs sites.
Elle précise en outre que l’employeur aurait dû solliciter son accord exprès soit un consentement renouvelé annuellement, ne pouvant se prévaloir de la présence d’une clause stéréotypée du contrat de travail.
La déduction forfaitaire spécifique pour frais professionnels est prévue par le code général des impôts (art. 5 de l’annexe IV du CGI dans sa version en vigueur au 31 décembre 2000) pour certaines professions qui comportent des frais dont le montant est « notoirement supérieur » à ceux prévus par la règlementation (arrêté du 20 décembre 2002). Ils peuvent alors bénéficier d’une déduction forfaitaire spécifique calculée selon les taux fixés par l’article 5 susvisé et dans la limite de 7 600 € par année civile et par salarié.
Le bénéfice de la déduction supplémentaire est lié à l’activité professionnelle du salarié et non à l’activité générale de l’entreprise. Autrement dit, pour pouvoir bénéficier de la déduction forfaitaire spécifique, le salarié doit effectivement exercer l’une des activités limitativement énumérées.
De plus, l’employeur doit démontrer pour pouvoir appliquer la déduction supplémentaire que le salarié expose des frais professionnels.
Selon l’article L. 242-1, alinéa 3, du code de la sécurité sociale, il ne peut être opéré sur la rémunération ou le gain des intéressés servant au calcul des cotisations des assurances sociales, des accidents du travail et des allocations familiales, de déduction au titre de frais professionnels que dans les conditions et limites fixées par arrêté interministériel.
L’article 9 de l’arrêté du 20 décembre 2002, relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale, dans sa rédaction modifiée par l’arrêté du 6 août 2005, s’applique aux professions, prévues à l’article 5 de l’annexe IV du code général des impôts dans sa rédaction en vigueur au 31 décembre 2000, qui ne vise pas les ouvriers de nettoyage des locaux mais ces derniers sont assimilés par la doctrine fiscale aux ouvriers du bâtiment expressément visés par le texte, à la condition que, comme ces derniers, ils travaillent sur plusieurs chantiers.
En l’espèce, la cour relève que la déduction forfaitaire spécifique a été validée par les représentants du personnel (procès-verbaux des 28/01/2016 et 25/02/2017), et était intégrée dans le contrat de travail mais ces éléments ne sont pas suffisants pour déclarer la pratique régulière à l’égard de Mme [R], laquelle a toujours été affectée sur un seul site et l’employeur ne démontrant pas que cette dernière a exposé des frais professionnels.
Dès lors, la pratique de l’abattement forfaitaire mise en oeuvre par l’employeur constitue un manquement à ses obligations et ouvre droit pour la salariée à l’indemnisation du préjudice en résultant, lequel a été justement évalué à 1 000 euros, tel que fixé par le jugement déféré qui doit être confirmé.
2- sur la demande du syndicat CNT-SOLIDARITE OUVRIERE13
L’article L.2132-3 du code du travail prévoit que les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice ‘pour exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent’.
Dans la mesure où la société démontre avoir recueilli l’accord des représentants du personnel lors des réunions du comité d’entreprise, sur cet abattement, la pratique ne saurait être qualifiée d’illicite à l’égard de tous les salariés, la cour ayant retenu que l’une des conditions exigée par la Cour de cassation n’était pas remplie pour la seule salariée.
En conséquence, il convient de rejeter la demande faite à titre de dommages et intérêts par le syndicat ainsi que sa demande de frais irrépétibles.
Sur la requalification du temps partiel en temps complet
1- relative aux contrats à durée déterminée
La société invoque l’irrecevabilité de la demande et de celle subséquente en rappel de salaires, aux motifs qu’il s’agit d’une demande nouvelle présentée pour la première fois devant la cour dans les conclusions du 15 juillet 2019 et qu’en outre elle est prescrite.
La salariée n’a pas répondu sur ces points.
En application des articles 564 et 566 du code de procédure civile, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premiers juges que les demandes qui sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des prétentions originaires.
Comme l’indique la société, il ne ressort pas de la saisine initiale de la juridiction prud’homale, des conclusions soutenues devant celle-ci et du jugement déféré que Mme [R] ait sollicité la requalification à temps complet des contrats à durée déterminée, de sorte qu’il s’agit d’une demande nouvelle, distincte de la prétention portant sur le contrat de travail à durée indéterminée dont elle n’est ni l’accessoire, ni le complément ni la conséquence.
Dès lors, la cour déclare irrecevable la demande de requalification à temps plein des contrats à durée déterminée et la demande de rappel de salaire à hauteur de 8 271,70 euros outre les congés payés afférents, telle que présentée dans le dispositif, comme la demande au titre des heures complémentaires.
2- relative au contrat de travail à durée indéterminée
L’intimée indique qu’il résulte des bulletins de salaire qu’elle a effectué plus d’heures que celles prévues au contrat de travail, la mettant dans l’incapacité de prévoir à quel rythme elle devait travailler.
Elle soutient que les avenants produits à raison de 8 à compter d’octobre 2016 n’ont pas tous été signés par elle car ils étaient remis en fin de mois soit après accomplissement des heures, raison pour laquelle le nombre d’heures correspond parfaitement à celles effectuées.
Elle dénonce ces avenants comme irréguliers, ne mentionnant pas la répartition des heures et erronés, aucune mention de majoration n’étant prévue, soulignant l’absence de plannings fournis par la société.
Cette dernière fait valoir que chaque avenant précise effectivement la durée mensuelle et également sa répartition entre les semaines du mois conformément aux exigences légales, et indique que les plannings étaient organisés par rotation hebdomadaire de telle sorte que Mme [R] connaissait à l’avance son rythme de travail et n’était pas contrainte de se tenir à la disposition de son employeur, précisant que la salariée était affectée exclusivement sur le site de St Ferréol pour lequel la société avait un contrat d’entretien en début de matinée, lui laissant toute latitude pour travailler chez un autre employeur.
Elle souligne que les avenants n’ont pas eu pour objet ni effet d’augmenter la durée du travail à l’équivalence d’un temps plein, faisant sienne la motivation du jugement déféré.
Le contrat de travail prévoyait en son article IV que la salariée devait effectuer 1h30 de travail du lundi au samedi, l’article VII fixant les horaires de 8h30 à 10h.
L’article L.3123-22 du code du travail dans sa version en vigueur depuis le 10 août 2016 énonce que:
Une convention ou un accord de branche étendu peut prévoir la possibilité, par un avenant au contrat de travail, d’augmenter temporairement la durée de travail prévue par le contrat.
La convention ou l’accord :
1° Détermine le nombre maximal d’avenants pouvant être conclus, dans la limite de huit par an et par salarié, en dehors des cas de remplacement d’un salarié absent nommément désigné ;
2° Peut prévoir la majoration salariale des heures effectuées dans le cadre de cet avenant ;
3° Détermine les modalités selon lesquelles les salariés peuvent bénéficier prioritairement des compléments d’heures.(…).
Les articles 6.2.5.1 et 6.2.5.2 de la convention collective des entreprises de propreté dans sa version applicable au litige ont prévu des formalités précises à respecter et notamment :
d) Le contenu de l’avenant au contrat de travail formalisant le complément d’heures :
Le complément d’heures devra assurer aux salariés des garanties suffisantes. Pour cela, il fera l’objet d’un avenant écrit au contrat de travail, signé des deux parties et devra comporter, a minima, les mentions suivantes :
– le motif du recours au complément d’heures,
– le nom de la personne remplacée (en cas de remplacement),
– l’échéance de la période du complément d’heures qui sera exprimée de date à date,
– la garantie pour le salarié du retour automatique aux dispositions contractuelles antérieures à l’échéance de la période du complément d’heures, sauf accord contraire des parties,
– la durée contractuelle de travail durant la période du complément d’heures,
– la répartition de cette durée du travail suivant les dispositions légales ou conventionnelles,
– la rémunération mensualisée comprenant le complément d’heures. Les heures effectuées dans le cadre de l’avenant sont rémunérées sur la base du taux horaire majoré de 10% Les autres dispositions restent régies par le contrat initial, sauf accord contraire des parties
Or, la cour relève que plus de la moitié des avenants produits par l’appelante n’ont pas été signés par la salariée, de sorte que la société ne peut soutenir utilement un recours aux compléments d’heures, lequel nécessite que le salarié ait accepté la proposition de l’employeur, via la signature d’un avenant à son contrat de travail, et aurait donc dû payer en heures complémentaires à 25%.
En outre, les avenants ne précisaient pas le motif du recours au complément d’heures, ne respectaient pas le délai de prévenance prévu à la convention collective nationale et s’ils n’ont pas eu pour effet de porter la durée du travail à un temps complet, ils ne prévoyaient pas les horaires de la salariée, en sus de ceux prévus par le contrat initial.
La pièce n°24 produite par la société est le cahier des charges fixé par le client prévoyant des horaires d’intervention de 7h à 10h, mais ce document est à lui seul insuffisant, sans production des plannings sur la période considérée, pour démontrer que la salariée connaissait ses horaires lorsque l’employeur a décidé de porter à 18 heures par semaine son temps de travail (soit le double de celui initial) dans le 1er avenant du 30 septembre 2016, non signé.
L’absence de respect par la société Proclair des différentes modalités fixées par voie conventionnelle entraîne la requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet puisque la salariée a été empêchée de prévoir le rythme auquel elle devait travailler et se trouvait dans l’obligation de se tenir à la disposition constante de l’employeur.
En conséquence, la cour fait droit au rappel de salaires tel que mentionné au dispositif des conclusions de l’intimée, soit la somme de 5 127,18 euros outre l’incidence de congés payés, infirmant le jugement lequel n’avait retenu que partie de la demande subsidiaire de la salariée portant sur la majoration des heures complémentaires.
Sur le non-respect de la durée minimale conventionnelle
La société indique que les premiers juges ont fait une appréciation erronée sur ce point, dans la mesure où d’une part, la demande écrite et motivée du salarié d’une durée de travail inférieure n’est soumise à aucun formalisme, et que d’autre part, la salariée doit justifier de son préjudice.
C’est par des motifs exacts et pertinents que la cour adopte que les premiers juges ont, constatant que le contrat prévoyant une durée mensuelle hebdomadaire inférieure aux 16h prévue par la convention collective (en l’espèce 9h), dit que l’intégration dans le contrat de travail d’une mention dactylographiée ne pouvait être retenue comme une «demande écrite et motivée de la salariée».
Cet élément exclusif de la bonne foi de l’employeur justifie, eu égard au fait que la salariée de nationalité portugaise n’était pas à même de comprendre la portée de la clause insérée, de voir confirmer la somme allouée à titre de dommages et intérêts, le préjudice subi résultant d’une minoration du niveau de rémunération et la société échouant à démontrer que Mme [R] avait d’autres employeurs.
Sur la rupture du contrat de travail
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise même pendant la durée du préavis.
L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
La société reproche aux premiers juges de n’avoir pas tenu compte des éléments qu’elle produit lesquels se contentent de décrire ce qui ressort des images de télésurveillance, démontrant la matérialité des faits à savoir une tentative de vol de la part de Mme [R].
La salariée conteste avoir mis le testeur dans sa veste pour le voler, expliquant qu’elle l’a placé dans sa poche afin de ne pas le casser en nettoyant l’étagère.
Il n’est produit en cause d’appel aucun élément nouveau de nature à remettre en cause l’appréciation faite par le conseil de prud’hommes, lequel a retenu que dans le mail du responsable du magasin (pièce n°4 de la société), il était indiqué que la salariée après avoir franchi le parvis pour procéder à son nettoyage sur demande expresse du responsable, a déclenché les alarmes et est allée immédiatement reposer un testeur qu’elle avait dans sa poche, déclarant l’avoir «placé dans sa poche pendant le nettoyage des tablettes».
A l’instar de la salariée, la cour constate que contrairement à ce qu’énonce la société, ce n’est pas le vigile qui a demandé à Mme [R] si elle avait quelque chose sur elle et que ce mail ne fait que retranscrire un visionnage effectué par le vigile mais non le responsable du magasin, et qu’il n’est produit aucun témoignage du premier.
Dans son attestation, le supérieur hiérarchique de Mme [R] indique qu’il a visionné la vidéo quelques jours après, mais comme l’a précisé le conseil de prud’hommes, son «témoignage» contient des appréciations voire des interprétations sur le comportement de la salariée et non pas seulement des constatations de fait, de sorte qu’il ne peut emporter la conviction sur la réalité des faits incriminés et qu’un doute sérieux persiste quant à l’intention délictuelle de la salariée.
En conséquence, il convient de confirmer la décision qui a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Eu égard aux éléments de la cause, c’est par une juste appréciation que les premiers juges ont fixé le préjudice subi par Mme [R] du fait de la perte de son emploi, celle-ci ne faisant pas la démonstration d’un préjudice plus ample.
Les autres sommes allouées (préavis et rappel de salaire sur mise à pied) n’étant pas contestées, il y a lieu de confirmer la décision.
Sur les autres demandes
Les sommes allouées à titre de salaires porteront intérêts au taux légal à compter de la date de convocation de l’employeur (présentation de la lettre recommandée) à l’audience de tentative de conciliation valant mise en demeure.
Les sommes allouées à titre indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de la date de la décision confirmée.
La capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil .
Il n’est pas justifié de voir délivrer un certificat de travail rectifié mais il convient d’ordonner la remise d’une attestation Pôle Emploi rectifiée conforme au jugement confirmé et un bulletin de salaire récapitulatif des sommes allouées.
En application du 2° de l’article 700 du code de procédure civile, il y a lieu de condamner la société à verser à Me Lachkar, la somme de 1 200 euros.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, en matière prud’homale,
Déclare irrecevable l’exception d’incompétence soulevée par la société Proclair,
Dit irrecevables les demandes nouvelles portant sur la requalification à temps complet des contrats à durée déterminée, le rappel de salaires à hauteur de 8 271,70 euros outre 827,17 euros au titre des congés payés afférents, et les heures complémentaires,
Confirme, dans ses dispositions soumises à la cour, le jugement déféré SAUF s’agissant du rappel de salaire pour majoration lié au complément d’heures de travail par avenants,
Statuant à nouveau du chef infirmé et Y ajoutant,
Requalifie le contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel en temps complet à compter du 30 septembre 2016,
Condamne la société Proclair à payer à Mme [R] les sommes suivantes :
– 5 127,18 euros à titre de rappel de salaire,
– 512,71 euros au titre des congés payés afférents,
Dit que les sommes allouées de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter du 07/11/2017 et les sommes allouées à titre indemnitaire, à compter du 21/12/2018, et ordonne la capitalisation de ces intérêts, à condition qu’ils soient dus au moins pour une année entière,
Ordonne à la société Proclair de remettre à Mme [R] une attestation Pôle Emploi conforme au jugement confirmé, et un bulletin de salaire récapitulatif des sommes allouées par la décision confirmée et par le présent arrêt,
Déboute le syndicat CNT-SOLIDARITE OUVRIERE13 de ses demandes,
Condamne la société Proclair à payer à Me Clémence Lachkar, avocate de Mme [R], la somme de 1 200 euros en application des dispositions de l’article 700-2° du code de procédure civile, dans les conditions des articles 37 et 75 de la Loi du 10 juillet 1991,
Condamne la société Proclair aux dépens d’appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT