Your cart is currently empty!
AFFAIRE : N° RG 22/00553
N° Portalis DBVC-V-B7G-G6BD
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CHERBOURG EN COTENTIN en date du 09 Février 2022 RG n° 20/00080
COUR D’APPEL DE CAEN
1ère chambre sociale
ARRÊT DU 29 JUIN 2023
APPELANT :
Monsieur [R] [A]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Guillaume LETERTRE, avocat au barreau de CHERBOURG
INTIME :
S.A.S. SPIE NUCLEAIRE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Jérémie PAJEOT, avocat au barreau de CAEN
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre, rédacteur
Mme PONCET, Conseiller,
Mme VINOT, Conseiller,
DÉBATS : A l’audience publique du 13 avril 2023
GREFFIER : Mme COLLET
ARRÊT prononcé publiquement le 29 juin 2023 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, par prorogation du délibéré initialement fixé au 15 juin 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, président, et Mme COLLET, greffier
Selon contrat de travail à durée indéterminée de chantier à effet du 12 août 1996, puis selon avenant du 26 juin 2000 transformant ce contrat en un contrat à durée déterminée, M. [R] [A] a été engagé par la société ATM Développement (devenue Spie Nucléaire) en qualité de mécanicien d’entretien ;
M. [A] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 5 février 2020 par lettre du 25 janvier précédent et licencié pour faute par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 11 février 2020 ;
Contestant la légitimité de la rupture et sollicitant sa réintégration, il a saisi le 13 novembre 2020 le conseil de prud’hommes de Cherbourg lequel par jugement rendu le 9 février 2022 l’a débouté de l’ensemble de ses demandes, a dit n’y avoir lieu à indemnités de procédure et a laissé à la charge de chacune des parties leurs dépens ;
Par déclaration au greffe du 2 mars 2020, M. [A] a formé appel de cette décision ;
Par conclusions remises au greffe le 2 juin 2022 et auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d’appel, M. [A] demande à la cour d’infirmer le jugement, de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse, de proposer sa réintégration et de condamner la société Spie Nucléaire à lui payer la somme de 2500 € à titre de dommages et intérêts et subsidiairement de condamner la société Spie Nucléaire à lui payer la somme de 40 317.03 € à titre de dommages et intérêts et celle de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens , et d’ordonner la société à lui remettre sous astreinte les documents de fin de contrat de fiches de paie ;
Par conclusions remises au greffe le 25 août 2022 et auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d’appel, la société Spie Nucléaire demande à la cour, à titre principal de confirmer le jugement, à titre subsidiaire de limiter les dommages et intérêts à de plus justes proportions et de condamner M. [A] à lui payer à une somme de 5000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens ;
MOTIFS
Le dernier poste occupé par M. [A] est celui de Chargé d’ordonnancement sur le site de [Localité 5], statut Etam, niveau E. Le 7 janvier 2002, M. [A] s’est vu reconnaître le statut de travailleur handicapé classé en catégorie B (faiblesse au niveau du poignet selon les conclusions du salarié), cette décision a été régulièrement renouvelée notamment le 10 novembre 2016 jusqu’au 31 décembre 2021 ;
La lettre de licenciement rappelle qu’une enquête a été faite à la suite d’une plainte déposée par M. [A] pour harcèlement moral et que le rapport de l’enquête interne (fait par M. [J] responsable des ressources humaines et Mme [E], représentante syndicale et référente « harcèlement et souffrance au travail ») a contredit les accusations de M. [A] et a révélé un comportement de M. [A] « contraire aux intérêts d’un fonctionnement efficace et harmonieux du service » et « un comportement agressif » ;
M. [A] demande que cette enquête soit écartée, l’estimant dénuée de toute valeur probante et sa régularité, l’absence de contradiction lors de son élaboration ;
Par courriel du 21 novembre 2019, M. [A] a informé son employeur avoir déposé plainte pour harcèlement moral ;
Par courrier du 25 novembre 2019, l’employeur lui a écrit pour l’informer qu’une enquête allait être diligenter, l’invitant à communiquer tout élément complémentaire et toute personne devant être . M. [A] a répondu le 27 novembre 2019 à son employeur que cela faisait des années que son calvaire durait, que M. [K] n’est qu’un maillon de la chaîne, Mme [S] (DRH) avait été informée comme son prédécesseur, M. [P] et rien n’avait été fait ;
L’enquête a été réalisée par M. [J] et Mme [E] les 2 et 3 décembre 2019 par l’audition de 8 personnes dont M. [A], lequel était assisté de M. [N] lors de son audition. Le rapport contient la restitution des auditions selon les termes employés et les conclusions sont signées par M. [J] et Mme [E] ;
Ce rapport d’enquête établi par l’employeur à la suite de la dénonciation de fait de harcèlement moral de M. [A] peut être produit sauf à établir que les investigations menées ont été illicites, ce qui n’est nullement invoqué en l’espèce, les critiques du salarié (absence de validation par le représentant du personnel des auditions par l’apposition de sa signature, et le fait qu’on ne lui ait pas soumis ce rapport lors de son élaboration pour éventuel critique ou analyse) ne portent pas sur l’utilisation de procédés illicites mais sur la valeur probante de l’enquête, laquelle est appréciée par la cour, l’employeur produisant au demeurant d’autres pièces et le rapport d’enquête produit aux débats pouvant être contradictoirement débattu ;
Les reproches visés dans la lettre de licenciement sont les suivants :
1) une attitude générale contraire au bon fonctionnement du service ordonnancement ;
– nombreux appels téléphoniques d’ordre personnel pendant vos heures de travail au détriment de vos fonctions et de la tranquillité de vos collègues ;
Les auditions de M. [X] salarié dont le bureau est à proximité immédiate de M. [A] (sans lien hiérarchique) évoque des « coups de fil perso de manière incessante », notamment depuis 2 ou 3 mois, précisant que M. [A] est en instance de divorce, et ne traite pas les demandes urgentes. Ce qui est confirmé par Mme [M], salariée au service ordonnancement, « depuis quelque temps il est toujours au téléphone » et Mme [C] (qui a partagé son bureau depuis octobre/novembre 2018 jusque fin 2019) « début novembre, il hurlait au téléphone pendant 2 heures avec l’avocat, il passe des heures au téléphone et ne fait pas son travail » ;
Outre que l’usage du téléphone de l’entreprise à des fins personnelles peut être toléré, il sera observé que l’utilisation excessive faite par le salarié n’était pas habituelle, n’avait pas en outre fait l’objet d’une quelconque remarque de l’employeur lequel n’établit pas davantage qu’une absence de traitement des dossiers en serait résulté ;
– une absence d’esprit d’équipe (refus de déléguer certaines tâches, rétention d’informations) et comportement « puéril » (réactions disproportionnées en cas de remarque ou de suggestions professionnelles) ;
Selon l’audition de Mme [U] (assistante support au responsable opérationnel), M. [A] n’est pas dans le partage, il fait de la rétention d’information. Mme [C] dit qu’elle est chargée de le remplacer, mais qu’il ne la prévient pas quand il est absent, il met ses dossiers sous clé.
Le salarié indique qu’il avait la charge du contrat incendie (CPIE et CPIV) et que ses collègues ne travaillaient pas sur ces contrats, qu’il ne pouvait donc leur déléguer de tâches, en particulier Mme [C] était intervenante sur les extincteurs et qu’il ne lui a jamais été demandé de déléguer des tâches à Mme [C]. Il indique que compte tenu de la sensibilité des dossiers traités, il les mettaient sous clé en son absence ;
L’employeur le conteste en rappelant que le service ordonnancement traitent les demandes qui lui parviennent notamment celles relatives aux incendies. ;
Un courriel de Mme [O], responsable du service adressé à l’employeur l’a informé que suite au départ volontaire de [B] ([C]) si [R] est absent, le service n’est pas en capacité de prendre les contrats CIIE, CPIV, CPI1 et CPI2 ;
En l’absence d’élément concret sur l’organisation du service, notamment sur les consignes données à M. [A] quant à la gestion de ses absences, les difficultés signalées par les membres du service ne peuvent être considérées comme des fautes imputables au premier ;
Cette première série de reproches ne sera donc pas retenue ;
2) une insubordination inacceptable
La lettre fait état de la résistance de M. [A] à traiter les dossiers urgents dans les délais impartis, mettant en péril l’image de la société, et vise en particulier un évènement du 19 novembre 2019 impliquant un dossier urgent non traité et la violation des process internes ;
Il a été déjà été considéré qu’en dépit des témoignages visés ci-dessus relatifs aux conversations personnelles de M. [A] sur son temps de travail en dépit des urgences, il n’était produit aucun élément relatif à des dépassements de délais et à des plaintes de clients ;
Dans son audition, M. [K], responsable performance et ingénieur de la maintenance, indique avoir été le N+2 de M. [A] de 2016 à 2018, et le N+1 de 2018 à 2019 et lui avoir demandé de lui communiquer le fichier des AT modèle suite à une fiche de non-conformité d’un client, demande faite le matin en précisant qu’elle était urgente, réitérée le midi, et précise qu’il a été voir M. [A] lequel a alors appelé le client en direct. Ce témoignage est confirmé les échanges de courriels entre M. [K] et M. [A] les 19 et 20 novembre 2019, en particulier le refus de M. [A] de transmettre le document demandé. Dans ses écritures, il indique qu’il a traité sa mission en temps et en heure. Toutefois, le non respect d’une consigne de son supérieur dont la légitimité n’est pas utilement contredite, caractérise un comportement fautif ;
Par ailleurs, le refus en avril 2019 par M. [A] de signer l’entretien annuel invoqué dans les conclusions de l’employeur n’est pas mentionné dans la lettre de licenciement ;
3) un comportement imprévisible et agressif
La lettre mentionne des agressions verbales et physiques à l’encontre de ses collègues suscitant stress et peur et fait état de la main courante déposée par une collègue relatant une agression verbale sur le parking de la société, et du fait que M. [A] a fait intervenir le personnel d’une société cliente (FLS) le 27 septembre 2019 afin qu’il soit constaté que vos collègues auraient retourné votre bureau ;
Lors de leur audition dans l’enquête interne, M. [Z], technicien de maintenance, indique qu’il était au service ordonnancement de 2013 à 2018 et que M. [A] l’a menacé à deux reprises à propos du nombre d’heures travaillées et que depuis on ne s’adresse plus la parole. M. [G], agent de maintenance, dit qu’il le connaît depuis 25 ans, qu’il a toujours des problèmes et qu’il a l’impression que tout le monde lui en veut, « il rouspète, il est vindicatif comme avec l’intérimaire qu’il accuse de vouloir prendre sa place » et évoque que M. [A] en 2015, dans la rue, lui est arrivé dessus avec sa voiture et s’est arrêté à 20 cm de lui, énervé à cause d’une enquête diligentée M. [Z]. Mme [U] indique qu’il est difficilement gérable, tout était interprété et transformé, il fait peur, il est agressif. M. [K] indique qu’on ne peut rien lui dire, « un téléphone avec écran qui ne marche pas, cela devient un drame ». Mme [C] dit qu’il peut partir en vrille, devenir rouge de colère comme un enfant, « un bonjour qui peut lui paraitre froid et ça peut partir en vrille » ;
Concernant la main courante, l’employeur produit aux débats un courriel du 3 octobre 2019, de Mme [H] (groupe Crit la société d’intérim) l’informant de faits révélés par Mme [C], salariée intérimaire mise à disposition de la société SPIE du 14 janvier au 20 décembre 2019 en qualité de secrétaire assistante, celle-ci dénonçant les pressions d’un salarié permanent de la société Spie (rétention d’information, refus de fournir la clé pour accès au dossier, n’informe pas des absences, provocations et comportement inapproprié). La copie de la main courant déposée le 28 septembre 2019 par Mme [C] indique que depuis juin 2019, son collègue M. [A] fait des crises de colère car il croit que je lui vole son boulot, que le 5 septembre 2019 , vers 16h30, il l’a suivie jusqu’au parking, lui indiquant que des collègues parlaient dans son dos et que cela venait d’elle, il s’est énervé lui demandant de se justifier sur son travail, il était agressif. Dans son audition lors de l’enquête interne, Mme [C] a rappelé ce fait et a précisé « c’est mis en scène il m’attendait et il m’a suivi », « il a pété un plomb, il était agressif, il m’a dit des choses aberrantes, cela a duré entre 10 et 15 minutes, je n’ai pas sur réagir » ;
A la suite de cette information, l’employeur s’est entretenu avec M. [A] le 8 octobre 2019 et lui a proposé une médiation ce qu’il a refusé et a également refusé d’échanger par téléphone avec la médiatrice ;
M. [A] conteste les faits décrits par Mme [C] en indiquant qu’il était absent le 30 septembre 2019, mais comme le souligne l’employeur, il résulte de ce qui vient d’être exposé que ces faits se sont déroulés le 5 septembre 2019. Par ailleurs contrairement à ce qu’il soutient ces faits sont visés dans la lettre de licenciement. Concernant la prescription soulevée, si l’employeur indique en avoir été informé le 30 septembre 2019 (page 10 de ses conclusions) , d’une part la tentative de conciliation qu’il a faite n’est pas de nature à interrompre le délai de prescription de deux mois, d’autre part l’enquête interne n’a pas apporté d’éléments supplémentaires lui permettant de prendre la mesure de la gravité des faits. Ces derniers ont en effet été décrits de manière similaire par Mme [C], le courriel de Mme [H]
précisant déjà que la salariée avait été en arrêt de travail pour maladie à la suite de ces faits. Dès lors un délai de plus de deux mois s’est écoulé entre le 30 novembre 2019 et le 25 janvier 2020, date de la convocation à l’entretien préalable, ce fait prescrit ne peut être retenu ;
Concernant les faits du 27 septembre 2019, il résulte des auditions que ce jour là des intervenants avaient déposé sur le bureau de M. [A] les demandes à solder, celui-ci est revenu en disant que son bureau était en vrac que c’était du harcèlement et a appelé le FLS (client) qui a constaté que son bureau n’était pas retourné. Toutefois, le témoignage écrit de Mme [W], salariée, produit par M. [A] indique que ce jour là elle est aperçue que les bannettes du bureau de M. [A] étaient par terre avec tous les papiers, qu’elle les a remis en ordre avec Mme [M], espérant qu’il ne verrait pas que son bureau avait été bougé ;
Si la demande d’intervention de FSL n’est pas contestée par M. [A], celui-ci indiquant que cette demande était fondée sur son état de santé et non pour constater un harcèlement, sans qu’il soit expliqué à la cour le lien entre FSL et les certificats médicaux datés du 27 septembre 2019 établis par le médecin du travail et un médecin de SOS Médecins. Toutefois, quel que soit le motif de cette intervention, l’employeur ne justifie pas qu’elle ait pu avoir une incidence sur les relations avec ce client ;
De ce qui vient d’être exposé, seul peut être retenu le comportement inadapté de M. [A] avec ses collègues de travail ;
4) votre refus persistant de remise en question
La lettre lui reproche de se placer systématiquement en position de victime, être en position de défiance vis-à-vis de ses collègues, de faire preuve de mauvaise foi dans les conditions d’exercice de ses fonctions. La lettre vise notamment le refus de participer à la mesure de médiation ;
Lors de son audition, M. [A] a indiqué qu’il ne voulait pas dire contre qui il avait déposé plainte, il se plaint que l’on veut l’évincer, que tout a commencé depuis 2007, que tout fonctionne au copinage. Il se plaint également que l’on ne prend en compte son handicap mais reconnaissant la mise en ‘uvre de certaines mesures (hauteur du bureau, téléphone) ;
Le comportement inadapté de M. [A] avec ses collègues a été retenu ci-avant, son refus de refus de participer à la médiation ne pouvant être considéré comme fautif ;
Par conclusions remises au greffe le 2 juin 2022 et auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d’appel, M. [A] demande à la cour d’infirmer le jugement, de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse, de proposer sa réintégration et de condamner la société Spie Nucléaire à lui payer la somme de 2500 € à titre de dommages et intérêts et subsidiairement de condamner la société Spie Nucléaire à lui payer la somme de 40 317.03 € à titre de dommages et intérêts et celle de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens , et d’ordonner la société à lui remettre sous astreinte les documents de fin de contrat de fiches de paie ;
Par conclusions remises au greffe le 25 août 2022 et auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d’appel, la société Spie Nucléaire demande à la cour, à titre principal de confirmer le jugement, à titre subsidiaire de limiter les dommages et intérêts à de plus justes proportions et de condamner M. [A] à lui payer à une somme de 5000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens ;
MOTIFS
Le dernier poste occupé par M. [A] est celui de Chargé d’ordonnancement sur le site de [Localité 5], statut Etam, niveau E. Le 7 janvier 2002, M. [A] s’est vu reconnaître le statut de travailleur handicapé classé en catégorie B (faiblesse au niveau du poignet selon les conclusions du salarié), cette décision a été régulièrement renouvelée notamment le 10 novembre 2016 jusqu’au 31 décembre 2021 ;
La lettre de licenciement rappelle qu’une enquête a été faite à la suite d’une plainte déposée par M. [A] pour harcèlement moral et que le rapport de l’enquête interne (fait par M. [J] responsable des ressources humaines et Mme [E], représentante syndicale et référente « harcèlement et souffrance au travail ») a contredit les accusations de M. [A] et a révélé un comportement de M. [A] « contraire aux intérêts d’un fonctionnement efficace et harmonieux du service » et « un comportement agressif » ;
M. [A] demande que cette enquête soit écartée, l’estimant dénuée de toute valeur probante et sa régularité, l’absence de contradiction lors de son élaboration ;
Par courriel du 21 novembre 2019, M. [A] a informé son employeur avoir déposé plainte pour harcèlement moral ;
Par courrier du 25 novembre 2019, l’employeur lui a écrit pour l’informer qu’une enquête allait être diligenter, l’invitant à communiquer tout élément complémentaire et toute personne devant être . M. [A] a répondu le 27 novembre 2019 à son employeur que cela faisait des années que son calvaire durait, que M. [K] n’est qu’un maillon de la chaîne, Mme [S] (DRH) avait été informée comme son prédécesseur, M. [P] et rien n’avait été fait ;
L’enquête a été réalisée par M. [J] et Mme [E] les 2 et 3 décembre 2019 par l’audition de 8 personnes dont M. [A], lequel était assisté de M. [N] lors de son audition. Le rapport contient la restitution des auditions selon les termes employés et les conclusions sont signées par M. [J] et Mme [E] ;
Ce rapport d’enquête établi par l’employeur à la suite de la dénonciation de fait de harcèlement moral de M. [A] peut être produit sauf à établir que les investigations menées ont été illicites, ce qui n’est nullement invoqué en l’espèce, les critiques du salarié (absence de validation par le représentant du personnel des auditions par l’apposition de sa signature, et le fait qu’on ne lui ait pas soumis ce rapport lors de son élaboration pour éventuel critique ou analyse) ne portent pas sur l’utilisation de procédés illicites mais sur la valeur probante de l’enquête, laquelle est appréciée par la cour, l’employeur produisant au demeurant d’autres pièces et le rapport d’enquête produit aux débats pouvant être contradictoirement débattu ;
Les reproches visés dans la lettre de licenciement sont les suivants :
1) une attitude générale contraire au bon fonctionnement du service ordonnancement ;
– nombreux appels téléphoniques d’ordre personnel pendant vos heures de travail au détriment de vos fonctions et de la tranquillité de vos collègues ;
Les auditions de M. [X] salarié dont le bureau est à proximité immédiate de M. [A] (sans lien hiérarchique) évoque des « coups de fil perso de manière incessante », notamment depuis 2 ou 3 mois, précisant que M. [A] est en instance de divorce, et ne traite pas les demandes urgentes. Ce qui est confirmé par Mme [M], salariée au service ordonnancement, « depuis quelque temps il est toujours au téléphone » et Mme [C] (qui a partagé son bureau depuis octobre/novembre 2018 jusque fin 2019) « début novembre, il hurlait au téléphone pendant 2 heures avec l’avocat, il passe des heures au téléphone et ne fait pas son travail » ;
Outre que l’usage du téléphone de l’entreprise à des fins personnelles peut être toléré, il sera observé que l’utilisation excessive faite par le salarié n’était pas habituelle, n’avait pas en outre fait l’objet d’une quelconque remarque de l’employeur lequel n’établit pas davantage qu’une absence de traitement des dossiers en serait résulté ;
– une absence d’esprit d’équipe (refus de déléguer certaines tâches, rétention d’informations) et comportement « puéril » (réactions disproportionnées en cas de remarque ou de suggestions professionnelles) ;
Selon l’audition de Mme [U] (assistante support au responsable opérationnel), M. [A] n’est pas dans le partage, il fait de la rétention d’information. Mme [C] dit qu’elle est chargée de le remplacer, mais qu’il ne la prévient pas quand il est absent, il met ses dossiers sous clé.
Le salarié indique qu’il avait la charge du contrat incendie (CPIE et CPIV) et que ses collègues ne travaillaient pas sur ces contrats, qu’il ne pouvait donc leur déléguer de tâches, en particulier Mme [C] était intervenante sur les extincteurs et qu’il ne lui a jamais été demandé de déléguer des tâches à Mme [C]. Il indique que compte tenu de la sensibilité des dossiers traités, il les mettaient sous clé en son absence ;
L’employeur le conteste en rappelant que le service ordonnancement traitent les demandes qui lui parviennent notamment celles relatives aux incendies. ;
Un courriel de Mme [O], responsable du service adressé à l’employeur l’a informé que suite au départ volontaire de [B] ([C]) si [R] est absent, le service n’est pas en capacité de prendre les contrats CIIE, CPIV, CPI1 et CPI2 ;
En l’absence d’élément concret sur l’organisation du service, notamment sur les consignes données à M. [A] quant à la gestion de ses absences, les difficultés signalées par les membres du service ne peuvent être considérées comme des fautes imputables au premier ;
Cette première série de reproches ne sera donc pas retenue ;
2) une insubordination inacceptable
La lettre fait état de la résistance de M. [A] à traiter les dossiers urgents dans les délais impartis, mettant en péril l’image de la société, et vise en particulier un évènement du 19 novembre 2019 impliquant un dossier urgent non traité et la violation des process internes ;
Il a été déjà été considéré qu’en dépit des témoignages visés ci-dessus relatifs aux conversations personnelles de M. [A] sur son temps de travail en dépit des urgences, il n’était produit aucun élément relatif à des dépassements de délais et à des plaintes de clients ;
Dans son audition, M. [K], responsable performance et ingénieur de la maintenance, indique avoir été le N+2 de M. [A] de 2016 à 2018, et le N+1 de 2018 à 2019 et lui avoir demandé de lui communiquer le fichier des AT modèle suite à une fiche de non-conformité d’un client, demande faite le matin en précisant qu’elle était urgente, réitérée le midi, et précise qu’il a été voir M. [A] lequel a alors appelé le client en direct. Ce témoignage est confirmé les échanges de courriels entre M. [K] et M. [A] les 19 et 20 novembre 2019, en particulier le refus de M. [A] de transmettre le document demandé. Dans ses écritures, il indique qu’il a traité sa mission en temps et en heure. Toutefois, le non respect d’une consigne de son supérieur dont la légitimité n’est pas utilement contredite, caractérise un comportement fautif ;
Par ailleurs, le refus en avril 2019 par M. [A] de signer l’entretien annuel invoqué dans les conclusions de l’employeur n’est pas mentionné dans la lettre de licenciement ;
3) un comportement imprévisible et agressif
La lettre mentionne des agressions verbales et physiques à l’encontre de ses collègues suscitant stress et peur et fait état de la main courante déposée par une collègue relatant une agression verbale sur le parking de la société, et du fait que M. [A] a fait intervenir le personnel d’une société cliente (FLS) le 27 septembre 2019 afin qu’il soit constaté que vos collègues auraient retourné votre bureau ;
Lors de leur audition dans l’enquête interne, M. [Z], technicien de maintenance, indique qu’il était au service ordonnancement de 2013 à 2018 et que M. [A] l’a menacé à deux reprises à propos du nombre d’heures travaillées et que depuis on ne s’adresse plus la parole. M. [G], agent de maintenance, dit qu’il le connaît depuis 25 ans, qu’il a toujours des problèmes et qu’il a l’impression que tout le monde lui en veut, « il rouspète, il est vindicatif comme avec l’intérimaire qu’il accuse de vouloir prendre sa place » et évoque que M. [A] en 2015, dans la rue, lui est arrivé dessus avec sa voiture et s’est arrêté à 20 cm de lui, énervé à cause d’une enquête diligentée M. [Z]. Mme [U] indique qu’il est difficilement gérable, tout était interprété et transformé, il fait peur, il est agressif. M. [K] indique qu’on ne peut rien lui dire, « un téléphone avec écran qui ne marche pas, cela devient un drame ». Mme [C] dit qu’il peut partir en vrille, devenir rouge de colère comme un enfant, « un bonjour qui peut lui paraitre froid et ça peut partir en vrille » ;
Concernant la main courante, l’employeur produit aux débats un courriel du 3 octobre 2019, de Mme [H] (groupe Crit la société d’intérim) l’informant de faits révélés par Mme [C], salariée intérimaire mise à disposition de la société SPIE du 14 janvier au 20 décembre 2019 en qualité de secrétaire assistante, celle-ci dénonçant les pressions d’un salarié permanent de la société Spie (rétention d’information, refus de fournir la clé pour accès au dossier, n’informe pas des absences, provocations et comportement inapproprié). La copie de la main courant déposée le 28 septembre 2019 par Mme [C] indique que depuis juin 2019, son collègue M. [A] fait des crises de colère car il croit que je lui vole son boulot, que le 5 septembre 2019 , vers 16h30, il l’a suivie jusqu’au parking, lui indiquant que des collègues parlaient dans son dos et que cela venait d’elle, il s’est énervé lui demandant de se justifier sur son travail, il était agressif. Dans son audition lors de l’enquête interne, Mme [C] a rappelé ce fait et a précisé « c’est mis en scène il m’attendait et il m’a suivi », « il a pété un plomb, il était agressif, il m’a dit des choses aberrantes, cela a duré entre 10 et 15 minutes, je n’ai pas sur réagir » ;
A la suite de cette information, l’employeur s’est entretenu avec M. [A] le 8 octobre 2019 et lui a proposé une médiation ce qu’il a refusé et a également refusé d’échanger par téléphone avec la médiatrice ;
M. [A] conteste les faits décrits par Mme [C] en indiquant qu’il était absent le 30 septembre 2019, mais comme le souligne l’employeur, il résulte de ce qui vient d’être exposé que ces faits se sont déroulés le 5 septembre 2019. Par ailleurs contrairement à ce qu’il soutient ces faits sont visés dans la lettre de licenciement. Concernant la prescription soulevée, si l’employeur indique en avoir été informé le 30 septembre 2019 (page 10 de ses conclusions) , d’une part la tentative de conciliation qu’il a faite n’est pas de nature à interrompre le délai de prescription de deux mois, d’autre part l’enquête interne n’a pas apporté d’éléments supplémentaires lui permettant de prendre la mesure de la gravité des faits. Ces derniers ont en effet été décrits de manière similaire par Mme [C], le courriel de Mme [H]
précisant déjà que la salariée avait été en arrêt de travail pour maladie à la suite de ces faits. Dès lors un délai de plus de deux mois s’est écoulé entre le 30 novembre 2019 et le 25 janvier 2020, date de la convocation à l’entretien préalable, ce fait prescrit ne peut être retenu ;
Concernant les faits du 27 septembre 2019, il résulte des auditions que ce jour là des intervenants avaient déposé sur le bureau de M. [A] les demandes à solder, celui-ci est revenu en disant que son bureau était en vrac que c’était du harcèlement et a appelé le FLS (client) qui a constaté que son bureau n’était pas retourné. Toutefois, le témoignage écrit de Mme [W], salariée, produit par M. [A] indique que ce jour là elle est aperçue que les bannettes du bureau de M. [A] étaient par terre avec tous les papiers, qu’elle les a remis en ordre avec Mme [M], espérant qu’il ne verrait pas que son bureau avait été bougé ;
Si la demande d’intervention de FSL n’est pas contestée par M. [A], celui-ci indiquant que cette demande était fondée sur son état de santé et non pour constater un harcèlement, sans qu’il soit expliqué à la cour le lien entre FSL et les certificats médicaux datés du 27 septembre 2019 établis par le médecin du travail et un médecin de SOS Médecins. Toutefois, quel que soit le motif de cette intervention, l’employeur ne justifie pas qu’elle ait pu avoir une incidence sur les relations avec ce client ;
De ce qui vient d’être exposé, seul peut être retenu le comportement inadapté de M. [A] avec ses collègues de travail ;
4) votre refus persistant de remise en question
La lettre lui reproche de se placer systématiquement en position de victime, être en position de défiance vis-à-vis de ses collègues, de faire preuve de mauvaise foi dans les conditions d’exercice de ses fonctions. La lettre vise notamment le refus de participer à la mesure de médiation ;
Lors de son audition, M. [A] a indiqué qu’il ne voulait pas dire contre qui il avait déposé plainte, il se plaint que l’on veut l’évincer, que tout a commencé depuis 2007, que tout fonctionne au copinage. Il se plaint également que l’on ne prend en compte son handicap mais reconnaissant la mise en ‘uvre de certaines mesures (hauteur du bureau, téléphone) ;
Le comportement inadapté de M. [A] avec ses collègues a été retenu ci-avant, son refus de refus de participer à la médiation ne pouvant être considéré comme fautif ;
Les faits établis sont : un acte d’insubordination envers M. [K] et un comportement inadapté avec ses collègues de travail. Toutefois, en l’absence du moindre rappel à l’ordre de l’employeur, de comportement reproché parfois ancien (le fait de 2015 mentionné par M. [Z]), également de la très grande ancienneté du salarié, le licenciement prononcé apparaît comme une sanction disproportionnée ;
Il est donc, par infirmation du jugement, sans cause réelle et sérieuse ;
La demande de réintégration, refusée par l’employeur, sera rejetée y compris la demande indemnitaire pour son préjudice pour la période précédant la réintégration ;
En application des dispositions de l’article L1235-3 du code du travail, dans sa version issue de l’ordonnance du 22 septembre 2017, le salarié peut prétendre, au vu de son ancienneté de 23 années complètes et de la taille de l’entreprise, à une indemnité comprise entre 3 et 17 mois de salaire brut (soit au maximum de 40 317.03 €) ;
En considération de sa situation particulière et eu égard notamment à son âge, à l’ancienneté de ses services, à sa formation et à ses capacités à retrouver un nouvel emploi, le salarié indiquant ne pas avoir retrouvé d’emploi sans produire de justificatif sur sa situation financière, la cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer, par confirmation du jugement, la réparation qui lui est due à la somme de 30 000 € ;
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux indemnités de procédure seront infirmées ;
En cause d’appel, la société SPIE Nucléaire qui perd le procès sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel et déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile. En équité, elle réglera, sur ce même fondement, une somme de 2500 € à M. [A] ;
La remise des documents demandés sera ordonnée sans qu’il y ait lieu de l’assortir d’une astreinte en l’absence d’allégation de circonstances le justifiant ;
Le salarié ayant plus de deux ans d’ancienneté et l’entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, il convient de faire application des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail et d’ordonner à l’employeur de rembourser à l’antenne pôle emploi concernée les indemnités de chômage versées à l’intéressé depuis son licenciement dans la limite de trois mois de prestations ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Infirme le jugement rendu le 9 février 2022 par le conseil de prud’hommes de Cherbourg en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Déboute M. [A] de sa demande de réintégration et de sa demande indemnitaire en découlant ;
Condamne la société SPIE Nucléaire à payer à M. [A] une somme de 30 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Ordonne à la société SPIE Nucléaire de lui remettre les documents de fin de contrat (certificat de travail, attestation Pôle Emploi) conformes au présent arrêt, ce dans le délai d’un mois à compter de sa signification, sans qu’il soit besoin d’assortir cette condamnation d’une astreinte ;
Condamne la société SPIE Nucléaire à lui payer la somme de 2500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
La déboute de sa demande aux mêmes fins ;
Dit que les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêt au taux légal à compter du présent arrêt;
Condamne la société SPIE Nucléaire à rembourser à l’antenne pôle emploi concernée les indemnités de chômage versées à l’intéressé depuis son licenciement dans la limite de trois mois de prestations ;
Condamne la société SPIE Nucléaire aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
M. COLLET L. DELAHAYE