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AFFAIRE : N° RG N° RG 20/01982 – N° Portalis DBWB-V-B7E-FOGS
Code Aff. :
ARRÊT N° LC
ORIGINE :JUGEMENT du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de SAINT-DENIS en date du 04 Novembre 2020, rg n° 18/01166
COUR D’APPEL DE SAINT-DENIS
DE LA RÉUNION
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 24 AOUT 2023
APPELANTE :
Madame [R] [O] [M]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Sandrine ANTONELLI de la SELARL ANTONELLI, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
INTIMÉS :
S.A.S.U. [8] venant aux droits de [7]
[Adresse 9]
[Localité 4]
Représentant : Me Céline CAUCHEPIN, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
LA CAISSE GENERALE DE SECURITE SOCIALE DE LA R EUNION
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentant : Me Isabelle CLOTAGATIDE KARIM de la SCP CANALE-GAUTHIER-ANTELME-BENTOLILA, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
DÉBATS : En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 Juin 2023 en audience publique, devant Laurent CALBO, conseiller chargé d’instruire l’affaire, assisté de Jean François BENARD, greffier, les parties ne s’y étant pas opposées.
Ce magistrat a indiqué à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé, par sa mise à disposition au greffe le 24 AOUT 2023;
Il a été rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Président : Laurent CALBO
Conseiller : Aurélie POLICE
Conseiller : Laurent FRAVETTE
Qui en ont délibéré
ARRÊT : mis à disposition des parties le 24 AOUT 2023
Greffier lors des débats : Jean François BENARD
Greffier lors du prononcé par mise à disposition : Delphine GRONDIN
* *
*
LA COUR :
Exposé du litige :
Mme [R] [O] [M], salariée de la société [7] devenue [8] (la société) en qualité de standardiste secrétaire commerciale, selon contrat à durée indéterminée du 3 juillet 2000, a déclaré un accident du travail survenu le 2 décembre 2014 consécutif à un malaise.
Par décision du 7 avril 2015, la caisse générale de sécurité sociale de La Réunion (la caisse) a pris en charge l’accident au titre de la législation professionnelle.
Suite à l’avis d’inaptitude rendu par la médecine du travail sans possibilité de reclassement, Mme [M] a été licenciée le 7 juin 2016.
Après tentative de conciliation, Mme [M] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de La Réunion, par lettre recommandée expédiée le 30 octobre 2018, d’une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur en suite de l’accident du travail du 2 décembre 2014.
L’affaire a été transférée le 1er janvier 2019 au pôle social du tribunal de grande instance de Saint-Denis de la Réunion.
Par lettre recommandée expédiée le 24 avril 2019, Mme [M] a saisi le pôle social du tribunal de grande instance de Saint-Denis de la Réunion d’une contestation de la décision du 29 mars 2019 de la commission de recours amiable de la caisse rejetant la demande aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.
Le tribunal de grande instance est devenu tribunal judiciaire à compter du 1er janvier 2020.
Par jugement du 4 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Saint-Denis a notamment ordonné la jonction des recours, a déclaré Mme [M] irrecevable en son action comme prescrite et l’a condamnée aux dépens.
Appel de cette décision a été interjeté par Mme [M] par acte du 10 novembre 2020.
Parallèlement, dans le cadre d’une instance prud’homale, la cour d’appel de céans a notamment, par arrêt du 19 novembre 2021, confirmant partiellement le jugement rendu par le conseil de prud’hommes, dit que Mme [M] avait été victime d’un harcèlement moral, déclaré le licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamné la société à lui payer les sommes de 24 974 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 4 162,28 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 416,22 euros au titre de l’indemnité de congés payés y afférents, 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et 1 500 euros au titre des frais non répétibles. Par jugement rendu le 6 juillet 2022, le tribunal a déclaré Mme [M] recevable en son action mais l’a débouté de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable et de ses autres demandes, a débouté les parties de leurs demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et a condamné Mme [M] aux dépens.
* *
Vu les dernières conclusions déposées par Mme [M] le 7 novembre 2022, auxquelles elle s’est expressément référée lors de l’audience de plaidoiries du 20 juin 2023 ;
Vu les dernières conclusions déposées par la société [8] le 5 décembre 2022, auxquelles elle s’est expressément référée lors de l’audience de plaidoiries ;
Vu les dernières conclusions déposées par la caisse le 1er février 2023, auxquelles elle s’est expressément référée lors de l’audience de plaidoiries ;
Pour plus ample exposé des moyens des parties, il est expressément renvoyé, par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, aux conclusions susvisées ainsi qu’aux développements infra.
Sur ce :
Sur la prescription de l’action :
Aux termes de l’article L. 431-2 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable au litige, « Les droits de la victime ou de ses ayants droit aux prestations et indemnités prévues par le présent livre se prescrivent par deux ans à dater :
1°) du jour de l’accident ou de la cessation du paiement de l’indemnité journalière ;
2°) dans les cas prévus respectivement au premier alinéa de l’article L. 443-1 et à l’article L. 443-2, de la date de la première constatation par le médecin traitant de la modification survenue dans l’état de la victime, sous réserve, en cas de contestation, de l’avis émis par l’expert ou de la date de cessation du paiement de l’indemnité journalière allouée en raison de la rechute ;
3°) du jour du décès de la victime en ce qui concerne la demande en révision prévue au troisième alinéa de l’article L. 443-1 ;
4°) de la date de la guérison ou de la consolidation de la blessure pour un détenu exécutant un travail pénal ou un pupille de l’éducation surveillée dans le cas où la victime n’a pas droit aux indemnités journalières.
(…)
Les prescriptions prévues aux trois alinéas précédents sont soumises aux règles de droit commun.
Toutefois, en cas d’accident susceptible d’entraîner la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, ou de ceux qu’il s’est substitués dans la direction, la prescription de deux ans opposable aux demandes d’indemnisation complémentaire visée aux articles L. 452-1 et suivants est interrompue par l’exercice de l’action pénale engagée pour les mêmes faits ou de l’action en reconnaissance du caractère professionnel de l’accident. ».
Aux termes de l’article L. 433-1 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable au litige, « La journée de travail au cours de laquelle l’accident s’est produit, quel que soit le mode de paiement du salaire, est intégralement à la charge de l’employeur.
Une indemnité journalière est payée à la victime par la caisse primaire, à partir du premier jour qui suit l’arrêt du travail consécutif à l’accident sans distinction entre les jours ouvrables et les dimanches et jours fériés, pendant toute la période d’incapacité de travail qui précède soit la guérison complète, soit la consolidation de la blessure ou le décès ainsi que dans le cas de rechute ou d’aggravation prévu à l’article L. 443-2.
L’indemnité journalière est servie en tout ou partie en cas de reprise d’un travail léger autorisé par le médecin traitant, si cette reprise est reconnue par le médecin-conseil de la caisse primaire comme de nature à favoriser la guérison ou la consolidation de la blessure. La reprise d’un travail à temps complet ne fait pas obstacle au versement ultérieur de cette indemnité en cas de travail léger autorisé postérieurement par le médecin traitant, dans les mêmes conditions. Le montant total de l’indemnité servie et du salaire ne peut dépasser le salaire normal des travailleurs de la même catégorie professionnelle ou, s’il est plus élevé, le salaire sur lequel a été calculée l’indemnité journalière. En cas de dépassement, l’indemnité est réduite en conséquence.
L’article L. 323-3-1 est applicable aux arrêts de travail résultant d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle.
L’indemnité journalière peut être rétablie pendant le délai mentionné à l’article L. 1226-11 du code du travail lorsque la victime ne peut percevoir aucune rémunération liée à son activité salariée. Le versement de l’indemnité cesse dès que l’employeur procède au reclassement dans l’entreprise du salarié inapte ou le licencie. Lorsque le salarié bénéficie d’une rente, celle-ci s’impute sur l’indemnité journalière. Un décret détermine les conditions d’application du présent alinéa.
Le droit à l’indemnité journalière est ouvert dans les conditions définies à l’article L. 323-6. ».
Mme [M] fait valoir que son action est recevable pour avoir été engagée le 9 avril 2018 alors que le point de départ de la prescription biennale est fixé à la date de la cessation du travail, soit le 7 juin 2016, date du licenciement pour inaptitude.
La société soulève l’irrecevabilité de l’action en ce que le tribunal a été saisi plus de deux années après la cessation du versement des indemnités journalières fixée au 28 avril 2016.
La caisse oppose que l’action en reconnaissance de la faute inexcusable est irrecevable pour avoir été engagée devant elle le 9 avril 2018 alors que la cessation du versement des indemnités remonte au 28 mars 2016, les indemnités servies au-delà découlant de son inaptitude temporaire au travail après la visite de reprise.
En l’espèce, Mme [M] a agi en reconnaissance du caractère professionnel de l’accident du 2 décembre 2014.
La décision de prise en charge est intervenue le 7 avril 2015. Contrairement à ce que soutient Mme [M], elle a eu nécessairement connaissance de cette décision pour l’avoir elle-même communiquée dès l’introduction de l’instance.
Cependant, Mme [M] justifiant du versement d’indemnités journalières, le délai de prescription biennale a été suspendu jusqu’à la cessation de leur versement et non, comme elle le soutient, la date de son licenciement.
Mme [M] a bénéficié des indemnités journalières en suite de l’incapacité de travail consécutive à l’accident du travail litigieux jusqu’au 27 mars 2016, dernier jour du dernier arrêt de travail produit (pièce 6 / caisse).
Un avis d’inaptitude ayant été rendu par le médecin du travail lors de la visite de reprise du 29 mars 2016, Mme [M] a sollicité le versement de l’indemnité temporaire d’inaptitude (pièce 9 / caisse) dans l’attente de la décision de l’employeur sur son licenciement ou son reclassement.
La caisse lui a versé en conséquence des indemnités journalières du 30 mars au 29 avril 2016.
Contrairement à ce que soutient l’organisme de sécurité sociale, ces indemnités journalières doivent être prises en compte dans la détermination du point de départ du délai de prescription dès lors qu’il résulte d’une part des dispositions de l’article L. 433-1 alinéa 5 précité que ces indemnités journalières ont la même nature que celles versées en contrepartie de l’incapacité de travail par application du même article, et que d’autre part l’article L. 431-2 ne prévoit pas de distinction entre l’indemnité journalière servie au titre de l’incapacité de travail et celle versée au salarié déclaré inapte avant son reclassement ou son licenciement.
Le point de départ du délai de prescription biennale est donc fixé au 30 avril 2016, premier jour de la cessation de versement des indemnités journalières.
Mme [M] a saisi la caisse dès le 9 avril 2018 d’une demande tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur (pièce 5 / caisse), ce qui a valablement interrompu le délai de prescription biennale avant son expiration.
L’action introduite le 30 octobre 2018 devant la juridiction des affaires de sécurité sociale en reconnaissance de la faute inexcusable de la société, est donc recevable comme non prescrite.
Le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions.
Sur la faute inexcusable de l’employeur
Vu les articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ;
La faute inexcusable de l’employeur, visée à l’article L.452-1 du code de la sécurité sociale, est constituée par le manquement de l’employeur à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé de son salarié, alors qu’il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
Le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
Il est constant que la faute inexcusable ne se présume pas, que la preuve de cette faute incombe à la victime qui doit établir qu’il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel elle était exposée et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
En l’espèce, Mme [M] agit en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur dans la survenance de l’accident du travail du 2 décembre 2014.
Cette action ne se confond pas avec la reconnaissance d’un harcèlement moral qui résulte d’une inexécution fautive du contrat de travail relevant de l’appréciation de la juridiction prud’homale.
Il appartient à Mme [M] d’établir les circonstances de l’accident, l’existence d’un danger à l’origine de cet accident dont l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience, et l’absence de mesures prises promptes à la préserver de ce danger.
En premier lieu, la déclaration d’accident du travail établie le 12 décembre 2014 (pièce 1 / caisse) précise que Mme [M] s’est plainte le 2 décembre 2014 à 13h15 de douleurs à l’estomac au retour de sa pause déjeuner, que ne se sentant pas bien, elle a appelé une de ses collègues et qu’elle est apparue tendue et en sueur avec une gêne respiratoire.
Le certificat médical initial du 4 décembre 2014 (pièce 2 / caisse) fait état d’un malaise en lien avec un accident du travail du 2 décembre 2014.
Mme [M] produit d’une part un bulletin de situation justifiant de son passage aux urgences du centre hospitalier de [Localité 6] le 2 décembre 2014 entre 14h07 et 18h21 (pièce 7 / appelante), et d’autre part le compte-rendu de consultation du 2 décembre 2014 (pièce 7 / appelante) établissant la survenance brutale et intense d’une épigastralgie à type de crampes, suivie d’un malaise sans perte de connaissance et avec prodromes.
Ces éléments suffisent à rapporter la preuve de l’apparition soudaine d’une lésion au temps et sur le lieu du travail, dont le caractère professionnel est dès lors présumé.
Si la société objecte qu’à la lecture du compte-rendu de consultation, la salariée s’était déjà présentée aux urgences un an auparavant pour une épigastralgie et une pyrosis hors de toute relation au travail, il est au contraire constaté que le praticien a expressément ajouté la mention « contexte de stress ++ au travail » en sorte qu’il a relié la lésion litigieuse a une gastrite liée au stress professionnel et non à une pathologie totalement étrangère au travail.
La présomption n’étant pas combattue, le caractère professionnel de la lésion est définitivement établi.
En deuxième lieu, Mme [M] produit le certificat médical initial établi le 15 mars 2016 par le docteur [S], médecin traitant, aux termes duquel il est détaillé que cette dernière a été prise en charge en suite de l’accident du 2 décembre 2014, qu’elle a présenté les symptômes cliniques d’une névrose traumatique qu’elle rattachait à une situation professionnelle conflictuelle, que lors de la description de son vécu professionnel, elle a fait état de critiques répétitives, d’un épuisement consécutif à une surcharge chronique du travail, d’un sentiment de perte de compétences, d’impossibilité de quitter son poste et de modifier les pressions subies, et qu’elle a présenté un tableau anxio-dépressif majeur qui a perduré pendant l’arrêt de travail.
M. [J] relate une tension au bureau depuis l’arrivée de MM. [K] et [Z], ce dernier ayant demandé au témoin de ne plus parler à Mme [M]. Il impute à l’arrivée de ces personnes le changement de comportement de cette dernière qui n’affichait plus de sourire comme avant (pièce 5 / appelante).
M. [I] impute également le changement d’attitude de Mme [M] à l’arrivée de MM. [K] et [Z]. Il précise qu’alors que Mme [M] était joyeuse et communicante, elle a affiché un visage fermé et un regard fuyant après leur arrivée (pièce 6 / appelante). Il ajoute notamment que M. [Z] contrôlait plusieurs fois par jour le travail de Mme [M] ce qui la déstabilisait, qu’elle faisait l’objet d’une surveillance particulière, que Mme [H] s’exprimait de manière très offensive à son endroit, que la situation se dégradait de jour en jour, que M. [P] constatait que Mme [M] ne pouvait assurer toutes les tâches qui lui étaient confiées et que d’ailleurs en son absence, deux intérimaires ont été recrutés pour assurer ses missions.
La société qui conteste cette version des faits, n’apporte aucun élément tangible remettant en cause le contexte professionnel auquel était soumis Mme [M].
Il est donc établi que la lésion apparue soudainement le 2 décembre 2014 est la conséquence d’un contexte de travail dégradé, par la surcharge des tâches confiées à la salariée et des comportements inappropriés à son endroit.
Mme [M] était donc exposée à des risques psychosociaux dont la société avait ou aurait dû avoir conscience, peu important que la salariée n’est pas alertée son employeur sur sa situation.
En dernier lieu, la société fait valoir qu’elle a pris les diligences suffisantes pour exclure sa responsabilité.
Elle explique que la salariée a bénéficié d’un entretien individuel et d’un plan d’accompagnement, qu’elle n’a ni exprimé de surcharge ou de difficultés dans l’accomplissement de ses tâches, qu’elle a refusé d’assurer la gestion de la partie administrative sans qu’aucune mesure ne soit prise à son encontre et qu’elle a interdit dans son règlement intérieur tout harcèlement.
Cependant, la société ne produit aucune pièce établissant la teneur de l’entretien individuel et du plan d’accompagnement qu’elle revendique. Partant, elle échoue à établir la prise en compte des risques psychosociaux auxquels Mme [M] était susceptible d’être confrontée.
Par ailleurs, si la société produit une note de service prohibant tout harcèlement, elle ne produit pas le document unique d’évaluation des risques permettant de vérifier l’identification dans l’entreprise des risques psychosociaux et des mesures de prévention associées.
Surtout, la société ne justifie d’aucune mesure en suite du courriel du 20 octobre 2014 adressée par la salariée à M. [K] (pièce 17 / appelante), soit moins de deux mois avant l’apparition soudaine au travail de la lésion litigieuse, aux termes duquel cette dernière fait état de son stress au regard des contrôles incessants qu’elle qualifie de « flicage ».
En conséquence, le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité à l’égard de Mme [M] est caractérisé.
La faute inexcusable à l’origine de l’accident du travail du 2 décembre 2014 dont a été victime la salariée est donc établie.
Sur les conséquences de la faute inexcusable
1°) sur la majoration de la rente
Aux termes de l’article L.452-2 du code de la sécurité sociale, « Dans le cas mentionné à l’article précédent, la victime ou ses ayants droit reçoivent une majoration des indemnités qui leur sont dues en vertu du présent livre.
Lorsqu’une indemnité en capital a été attribuée à la victime, le montant de la majoration ne peut dépasser le montant de ladite indemnité.
Lorsqu’une rente a été attribuée à la victime, le montant de la majoration est fixé de telle sorte que la rente majorée allouée à la victime ne puisse excéder, soit la fraction du salaire annuel correspondant à la réduction de capacité, soit le montant de ce salaire dans le cas d’incapacité totale. (…)
La majoration est payée par la caisse, qui en récupère le capital représentatif auprès de l’employeur dans des conditions déterminées par décret.».
En l’espèce, il appartient à Mme [M] qui sollicite la majoration de sa rente ou de l’indemnité en capital, de justifier de l’attribution par la caisse soit d’une rente soit d’une indemnité en capital en suite des lésions accidentelles du 2 décembre 2014, ce qu’elle ne fait pas.
D’ailleurs, la caisse s’oppose explicitement à toute majoration de rente dans la mesure où elle fait valoir, sans être efficacement contredite, que l’état de santé de la salariée a été considéré comme guéri.
Mme [M] sera déboutée de sa demande de majoration de rente ou capital.
2°) sur l’indemnisation complémentaire de Mme [M]
Selon l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, indépendamment de la majoration de rente qu’elle reçoit en vertu de l’article précédent, la victime a le droit de demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétique et d’agrément, ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.
Dans sa décision du 18 juin 2010, le Conseil constitutionnel prévoit qu’en cas de faute inexcusable de l’employeur, la victime peut demander à celui-ci réparation de l’ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.
Il en résulte que la victime ne peut pas prétendre à la réparation, outre celle des chefs de préjudices expressément visés à l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, des chefs de préjudices suivants déjà couverts :
– les pertes de gains professionnels actuelles et futures (couvertes par les articles L. 431-1et suivants, L. 434-2 et suivants),
– l’incidence professionnelle indemnisée de façon forfaitaire par l’allocation d’un capital ou d’une rente d’accident du travail (L. 431-1 et L. 434-4) et par sa majoration (L. 452-2),
– les frais médicaux et assimilés, normalement pris en charge au titre des prestations légales.
En revanche, la victime peut prétendre à l’indemnisation :
– du déficit fonctionnel temporaire qui n’est pas couvert par les indemnités journalières qui se rapportent exclusivement à la perte de salaire,
– du déficit fonctionnel permanent,
– du préjudice sexuel, indépendamment du préjudice d’agrément,
– des dépenses liées à la réduction de l’autonomie à l’exception de l’assistance d’une tierce personne après consolidation (couverte article L. 434 -2 alinéa 3).
En l’espèce, Mme [M] sollicite à titre principal l’indemnisation de ses préjudices inhérents aux souffrances endurées et à la perte ou diminution de possibilités professionnelles, et à titre subsidiaire la désignation d’un expert avec allocation d’une provision.
En premier lieu, Mme [M] n’a plus produit d’arrêt de travail à compter du 28 mars 2016, une visite de reprise du travail ayant été organisée le 29 mars 2016, ce qui corrobore la position de la caisse sur la guérison de son état de santé à cette date.
La salariée produit des éléments médicaux permettant à la cour de statuer sur l’indemnisation des souffrances morales endurées par la salariée, l’autre préjudice relatif à la perte de chance d’une promotion professionnelle ne relevant pas d’investigations médicales.
En deuxième lieu, les souffrances morales indemnisables sont celles subies par la victime pendant la maladie traumatique et jusqu’a’ la guérison.
Il n’est justifié ni de périodes d’hospitalisation, ni d’interventions chirurgicales. En revanche, Mme [M], âgée de 40 ans à la date de la guérison, établit sa prise en charge médicale régulière pendant son arrêt de travail ayant duré près de seize mois, avec traitement médicamenteux plusieurs fois par jour.
Il est ainsi caractérisé des souffrances modérées, au sens de la cotation médico-légale, qui seront réparées par l’allocation d’une somme de 8 000 euros, ce préjudice étant distinct de celui indemnisé en suite du harcèlement moral retenu par les juges du contrat de travail.
La société sera condamnée au paiement de cette somme.
En dernier lieu, Mme [M], sur qui pèse la charge de la preuve, n’apporte aucun élément établissant que ses chances de promotion professionnelle, perdues ou diminuées, avaient un caractère sérieux et certain.
Elle sera dès lors déboutée de sa demande indemnitaire à ce titre.
3°) sur l’action récursoire de la caisse
Selon l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, les indemnités complémentaires accordées à la victime d’un accident du travail lui sont versées par la caisse qui en récupère le montant auprès de l’employeur.
Aux termes de l’article L. 452-3-1 du code de la sécurité sociale, « Quelles que soient les conditions d’information de l’employeur par la caisse au cours de la procédure d’admission du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l’obligation pour celui-ci de s’acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L. 452-1 à L. 452-3. ».
En l’espèce, il sera ordonné à la caisse de faire l’avance à Mme [M] des sommes allouées au titre de son indemnisation complémentaire.
Subrogée dans les droits du salarié, elle est fondée, comme elle l’indique dans ses conclusions, à agir à l’égard de l’employeur, la société [8], dans la limite des dispositions des articles précités.
L’action récursoire de la caisse est donc fondée à l’égard de la société [8]. Elle sera condamnée à rembourser à la caisse les sommes ainsi avancées au titre de l’indemnisation des préjudices de Mme [M].
Par ces motifs :
La cour,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Saint-Denis de la Réunion le 4 novembre 2020 en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Déclare recevable comme non prescrite l’action engagée par Mme [M] en reconnaissance de la faute inexcusable de la société [8], son employeur ;
Dit que l’accident du travail dont a été victime Mme [M] le 2 décembre 2014 est la conséquence de la faute inexcusable la société [8], son employeur ;
Déboute Mme [M] de sa demande de majoration de rente ou d’indemnité en capital ;
Alloue à Mme [M] la somme de 8 000 euros en réparation des souffrances morales endurées ;
Déboute Mme [M] de sa demande indemnitaire pour perte ou diminution de promotion professionnelle ;
Ordonne à la caisse générale de sécurité sociale de La Réunion de faire l’avance à Mme [M] de la somme de 8 000 euros allouée en réparation des souffrances morales endurées ;
Condamne la société [8] à rembourser à la caisse générale de sécurité sociale de La Réunion la somme de 8 000 euros allouée à Mme [M] en réparation des souffrances morales endurées ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société [8] à payer à Mme [M] la somme de 3 000 euros au titre des frais non répétibles d’instance ;
Déboute la société [8] de sa demande fondée sur les frais non répétibles d’instance ;
Condamne la société [8] aux dépens de première instance et d’appel.
Le présent arrêt a été signé par Laurent CALBO, conseiller, et par Delphine GRONDIN, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La greffière Le président