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République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 14/09/2023
****
N° de MINUTE :
N° RG 22/04885 – N° Portalis DBVT-V-B7G-URLL
Ordonnance (N° 21/06093) d’incident
rendue le 27 septembre 2022 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de [Localité 5]
APPELANTE
La SCI Vendôme
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Me Philippe Talleux, avocat au barreau de [Localité 5], avocat constitué, substitué par Me Hugo Fort, avocat au barreau de [Localité 5]
INTIMÉ
Le syndicat des copropriétaires de la [Adresse 11] représenté par son syndic en exercice, la société Nexity Lamy ayant son siège social [Adresse 2] [Localité 7],
prise en son établissement sis [Adresse 3] [Localité 6]
prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège social [Adresse 4]
[Localité 5]
représenté par Me Christian Hanus, avocat au barreau de [Localité 5], avocat constitué
DÉBATS à l’audience publique du 23 mars 2023, tenue par Bruno Poupet magistrat chargé d’instruire le dossier qui a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Bruno Poupet, président de chambre
Céline Miller, conseiller
Camille Colonna, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 14 septembre 2023 après prorogation du délibéré en date du 15 juin 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 16 mars 2023
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La SCI Vendôme est propriétaire du lot n° 1 de l’ensemble immobilier [Adresse 11] situé [Adresse 8] / [Adresse 4] à [Localité 5], soumis au statut de la copropriété.
Ce lot comprend un local commercial situé au rez-de-chaussée bas du bâtiment A et les 786/ 10 000èmes du sol et des parties communes générales de l’immeuble.
Par acte sous seing privé du 30 avril 2019, la société Vendôme a consenti un bail commercial sur ce local à la SARL SB qui exploite des activités de restaurant, bar, débit de boissons et discothèque.
Par acte du 17 février 2020, le syndicat des copropriétaires de la résidence lui a fait délivrer une sommation interpellative d’annuler le bail.
Lors de l’assemblée générale du 8 septembre 2021, ledit syndicat a adopté les résolutions suivantes :
– l’activité de discothèque est interdite au vu des prescriptions du règlement de copropriété,
– l’assemblée autorise le syndic à agir en justice au nom du syndicat contre la société Vendôme.
Par acte d’huissier du 7 octobre 2021, la société Vendôme a fait assigner le syndicat des copropriétaires devant le tribunal judiciaire de [Localité 5] afin d’obtenir l’annulation de ces résolutions.
Le syndicat, par conclusions du 26 janvier 2022, a présenté des demandes reconventionnelles tendant principalement à voir déclarer non compatible [avec le règlement de copropriété] l’exploitation d’une discothèque au sein de la résidence destinée par essence à une occupation bourgeoise, enjoindre à la société Vendôme d’annuler le bail et d’en justifier et lui interdire de conclure tout nouveau bail commercial ayant pour objet une activité de discothèque ou similaire.
Par ordonnance du 27 septembre 2022, le juge de la mise en état a rejeté les fins de non-recevoir opposées à ces demandes par la SCI Vendôme et tirées du défaut de tentative de conciliation préalable et de la prescription, condamné la société Vendôme aux dépens et à payer au syndicat des copropriétaires la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La société Vendôme a interjeté appel de cette ordonnance et, aux termes de ses dernières conclusions remises le 1er mars 2023, demande à la cour, au visa des articles 42 de la loi du 10 juillet 1965, 55 du décret du 17 mars 1967 et 2224 du code civil, d’infirmer ladite décision et, statuant à nouveau, de :
à titre principal,
– déclarer irrecevables, à défaut de conciliation préalable, les demandes reconventionnelles du syndicat des copropriétaires de la résidence tendant à :
* dire et juger non compatible l’exploitation d’une discothèque au sein de la résidence dont l’essence même est une occupation bourgeoise,
* dire et juger qu’elle doit annuler le bail commercial consenti à la SARL SB et s’interdire à conclure tout nouveau bail commercial ayant pour objet une activité de discothèque ou similaire qui serait de nature à occasionner des troubles identiques,
* dire et juger qu’elle devra justifier de l’annulation du bail dans les 8 jours de la signification du jugement ou de l’interdiction qu’elle aura faite à son locataire d’exploiter une discothèque ou tout autre établissement similaire susceptible d’occasionner des troubles identiques et contraires à l’affectation bourgeoise conférée au règlement de copropriété dans son ensemble, sous astreinte définitive de 300 euros par jour de retard,
* lui enjoindre de remettre en état, dans les 8 jours de la signification du jugement, les parties communes de la copropriété sur lesquelles ont été installées par son locataire la SARL SB des blocs de secours et un chemin de câble, tels que relevés par constat d’huissier de justice, sous astreinte définitive de 300 euros par jour de retard,
* en tout circonstance, vu les troubles anormaux avérés, lui enjoindre de résilier le bail consenti à la SARL SB ou lui interdire de poursuivre l’activité de discothèque, afin que cessent immédiatement les troubles occasionnés à la copropriété, sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard dans les 8 jours du jugement,
à titre subsidiaire, les déclarer irrecevables car prescrites,
en tout état de cause, condamner l’intimée à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et réserver les dépens.
Le syndicat des copropriétaires, par conclusions du 15 mars 2023, demande à la cour, au visa de la loi du 10 juillet 1965, de confirmer l’ordonnance et de condamner l’appelante, outre aux dépens de première instance et d’appel, à lui verser la somme de 4000’euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour l’exposé de leur argumentation.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de tentative préalable de conciliation
L’article 750-1 du code de procédure civile, dans sa version en vigueur à la date des conclusions du syndicat des copropriétaires du 26 janvier 2022, dispose qu’à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, la demande en justice doit être précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation ou d’une tentative de procédure participative, lorsqu’elle tend au paiement d’une somme n’excédant pas 5 000 euros ou lorsqu’elle est relative à l’une des actions mentionnées aux articles R. 211-3-4 et R. 211-3-8 du code de l’organisation judiciaire.
Cet article a été créé par le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, pris en application de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, laquelle dispose en son article 4 que dans l’hypothèse prévue, c’est-à-dire lorsque la demande tend au paiement d’une somme n’excédant pas un certain montant ou est relative à un conflit de voisinage, c’est la saisine du tribunal qui doit être précédée d’une tentative de règlement amiable du litige, ce qui s’entend de l’introduction de la procédure devant le tribunal. Ledit article et l’article 750, qui prévoit que la demande en justice est formée par assignation ou par requête selon les cas, sont d’ailleurs les deux articles qui ouvrent le chapitre consacré à « l’introduction de l’instance’». Ce que poursuivait la loi susvisée du 11 décembre 2019, intitulée « de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice’», qui s’inscrivait dans le prolongement de la loi n°’2016-1547 du 18 novembre 2016 « de modernisation de la justice du XXIe siècle’», qui avait instauré la tentative de conciliation obligatoire préalablement à la saisine du tribunal d’instance, était l’amélioration du fonctionnement de la justice par une régulation des saisines des juridictions.
Ce que le législateur a entendu voir précéder d’une tentative de résolution amiable du litige est donc l’engagement d’une procédure et cette disposition, contrairement à ce que soutient la SCI Vendôme, ne s’applique pas aux demandes reconventionnelles, ce qu’aucun autre texte complétant celui-ci ne prévoit. Le contraire aboutirait d’ailleurs à priver le défendeur de la possibilité de former, en réponse à l’action du demandeur, une demande reconventionnelle qu’il n’aurait pas nécessairement envisagé de présenter sans cela en engageant une procédure ni par conséquent soumise à une tentative de conciliation.
De surcroît, comme le souligne le syndicat intimé, ses demandes, même si on ne peut nier qu’elles procèdent du souci d’éviter un trouble de voisinage, ne tendent expressément ni à faire cesser un tel trouble ni au paiement d’une somme n’excédant pas 5 000 euros, ni encore à résoudre une question de bornage ou de hauteur des arbres (ce que visent les articles R. 211-3-4 et R. 211-3-8 du code de l’organisation judiciaire) mais à faire cesser ce qu’il considère être une violation du règlement de copropriété.
La fin de non-recevoir tirée de l’absence de tentative préalable de résolution amiable du litige est donc soulevée à tort par l’appelant et le premier juge l’a écartée à bon droit.
Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription
La SCI Vendôme soutient que la demande reconventionnelle du syndicat des copropriétaires se heurte à la prescription quinquennale prévue par l’article 2224 du code civil dès lors qu’elle tend à lui interdire de louer son local commercial à un locataire aux fins d’exercice d’une activité de discothèque, ce qui contreviendrait au règlement de copropriété en ce qu’il s’agit d’une activité non paisible, non bourgeoise et nocturne, alors qu’une activité présentant ces caractères y a été exercée par divers locataires depuis beaucoup plus de cinq ans, même antérieurement à la signature du règlement de copropriété le 9 septembre 2009, et que le point de départ du délai de prescription est la première location contrevenante ou, tout au moins, la date d’instauration du règlement de copropriété.
Il ressort des résolutions adoptées par le syndicat des copropriétaires que c’est, précisément, l’activité de discothèque qui constitue à ses yeux, par sa nature et ses effets, et à la différence d’autres activités ayant pu être exercées dans le local commercial en question, une activité contraire au règlement de copropriété et à la destination bourgeoise de l’immeuble. Le syndicat conteste l’exercice d’une activité de discothèque par les précédents locataires dudit local et conclut donc à la recevabilité de ses demandes trouvant leur origine dans la conclusion du bail litigieux aux fins d’exercice d’une telle activité.
L’article 42 de la loi du 10 juillet 1965 précise que les dispositions de l’article 2224 du code civil relatives au délai de prescription et à son point de départ sont applicables aux actions personnelles relatives à la copropriété entre copropriétaires ou entre un copropriétaire et le syndicat.
Aux termes dudit article 2224, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
La SCI Vendôme, qui fonde grandement sa motivation sur la jurisprudence, verse elle-même aux débats (pièce 16) un arrêt de la Cour de cassation du 28 mai 2020 (n° 19-12.908), ainsi rédigé : « Vu l’article 42 de la loi du 10 juillet 1965. Pour déclarer prescrite l’action du syndicat des copropriétaires, l’arrêt [de la cour d’appel] retient que les actions tendant à faire respecter le règlement de copropriété se prescrivent par dix ans [ancien délai] et que le délai court du jour où l’infraction a été commise, soit, en cas d’affectation irrégulière d’un lot au cours de locations successives, de la date de la première location. En statuant ainsi, alors que le délai court du jour où le syndicat des copropriétaires a connaissance de la location, la cour d’appel a violé le texte susvisé’». Il est singulier que la SCI Vendôme se prévale, en la surlignant dans l’arrêt qu’elle produit, de la position infirmée.
En l’espèce, les activités autorisées par le bail consenti par la SCI Vendôme à la société SB le 30 avril 2019 sont expressément « restaurant, bar, débit de boissons, discothèque’» et il n’est pas contesté qu’il était effectivement destiné à l’établissement d’une discothèque, « La Dérive’», ce qu’atteste d’ailleurs un article de presse produit par l’appelante.
Cette dernière fait valoir que les précédents locataires du local y exerçaient déjà une activité du même ordre, non bourgeoise et nocturne, et produit des extraits de leurs sites internet mentionnant, pour le « bar sportif’» [9] (2013-2018) « ambiance dansante, possibilité de danser’» et pour [10], « nouveau bar du [Adresse 12]’» qui lui a succédé, « de la musique et de la bonne humeur avant tout’», ainsi que des horaires nocturnes. Cependant, elle ne produit pas les baux correspondants et l’activité déclarée de [9], selon l’extrait du BODACC versé aux débats, était « bar, restaurant rapide’» et celle du [10] «’restauration sur place et à emporter, débit de boissons licence IV, réceptions, animations musicales, artistiques et culturelles, salle de jeux et toutes activités s’y rapportant’», ce qui n’inclut pas nécessairement l’activité de discothèque, étant ici souligné que les deux établissements se définissent avant tout officiellement comme des «’bars’».
Il résulte de ces éléments que le point de départ du délai de prescription de l’action exercée par le syndicat des copropriétaires à titre reconventionnel pour faire sanctionner une activité de discothèque ne peut être antérieur au bail consenti à cette fin, le 30 avril 2019, et que la prescription n’est dès lors pas acquise.
L’ordonnance mérite donc également confirmation en ce qui concerne la deuxième fin de non-recevoir soulevée.
***
Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour
confirme l’ordonnance entreprise,
condamne la SCI Vendôme aux dépens et au paiement au syndicat des copropriétaires de la [Adresse 11] d’une indemnité de 3 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.
Le greffier
Delphine Verhaeghe
Le président
Bruno Poupet