Tentative de conciliation : 28 septembre 2023 Cour d’appel de Metz RG n° 22/00090

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Tentative de conciliation : 28 septembre 2023 Cour d’appel de Metz RG n° 22/00090
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Arrêt n° 23/00258

28 Septembre 2023

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N° RG 22/00090 – N° Portalis DBVS-V-B7G-FU3C

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Tribunal Judiciaire de METZ- Pôle social

15 Décembre 2021

18/01442

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE METZ

CHAMBRE SOCIALE

Section 3 – Sécurité Sociale

ARRÊT DU

vingt huit Septembre deux mille vingt trois

APPELANT :

Etablissement Public ANGDM- Agence Nationale pour la garantie des droits des mineurs

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Claude ANTONIAZZI-SCHOEN, avocat au barreau de METZ

INTIMÉS :

Monsieur [P] [Y]

[Adresse 5]

[Localité 2]

représenté par l’association [7], prise en la personne de Mme [O] [X], salariée de l’association munie d’un pouvoir spécial

CAISSE AUTONOME NATIONALE DE LA SECURITE SOCIALE DANS LES MINES – CANSSM

ayant pour mandataire de gestion la CPAM de Moselle prise en la personne de son directeur

et pour adresse postale

L’Assurance Maladie des Mines

[Adresse 9]

[Localité 3]

représentée par Mme [D], munie d’un pouvoir général

L’AGENT JUDICIAIRE DE l’ ETAT (AJE)

Ministères économiques et financiers Direction des affaires juridiques

[Adresse 8]

[Adresse 8]

[Localité 6]

représenté par Me Laure HELLENBRAND, avocat au barreau de METZ

hors de cause

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 Mai 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme Anne FABERT, Conseillère, magistrat chargé d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Carole PAUTREL, Conseillère, faisant fonction de Présidente de Chambre

Mme Anne FABERT, Conseillère

M. Amarale JANEIRO, Conseiller

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MATHIS, Greffier

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Carole PAUTREL, Conseillère, faisant fonction de Présidente de Chambre et par Madame Sylvie MATHIS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

M. [P] [Y], né le 31 mars 1953, a travaillé du 15 mars 1982 au 31 mars 2003 au sein des Houillères du Bassin de Lorraine (HBL) devenue par la suite l’EPIC Charbonnages de France (CDF). Il a bénéficié d’un congé charbonnier de fin de carrière du 1er avril 2003 au 31 mars 2008.

M. [Y] a adressé à la CANSSM (caisse d’assurance maladie des mines) une déclaration de maladie professionnelle, avec, à l’appui, un certificat médical initial établi le 26 janvier 2016.

Le 28 octobre 2016, à l’issue de son instruction, la Caisse a reconnu le caractère professionnel de la maladie dont souffre M. [Y] (silicose chronique), comme étant inscrite au tableau 25A2 des maladies professionnelles.

Le 3 mars 2017, l’assurance maladie des mines a fixé son taux d’incapacité permanente à 10%, et il a été alloué à M. [Y] une rente trimestrielle de 371,82 euros à effet du 27 janvier 2016, lendemain de sa consolidation, en réparation de sa pathologie.

Après échec de la tentative de conciliation, par lettre recommandée expédiée le 3 septembre 2018, M. [Y] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Moselle, devenu pôle social du tribunal de grande instance de Metz à compter du 1er janvier 2019 puis pôle social du tribunal judiciaire de Metz à compter du 1er janvier 2020, aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de son ancien employeur sur le fondement de l’article L 452-1 du code la sécurité sociale.

Le 1er janvier 2008, l’EPIC Charbonnages de France a été dissout et mis en liquidation. Ses biens, droits et obligations ont été transférés à l’Etat, représenté par l’AJE (agent judiciaire de l’Etat) à l’exception de ceux confiés à l’Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs (ci-après « ANGDM »). L’ANGDM et l’AJE sont intervenus aux lieu et place de l’EPIC Charbonnages de France suite à la clôture de sa liquidation et M.[Y] s’est désisté de ses demandes formées à l’encontre de l’AJE.

La caisse primaire d’assurance maladie de Moselle (CPAM) a en outre été mise en cause pour le compte de la CANSSM.

Par jugement du 15 décembre 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Metz, nouvellement compétent, a statué de la façon suivante :

Déclare le présent jugement commun à la CPAM de Moselle agissant pour le compte de la CANSSM-l’Assurance Maladie des Mines ;

Déclare recevable en la forme le recours de M. [Y] ;

Dit que la maladie professionnelle déclarée par M. [Y] et inscrite au tableau n°25 des maladies professionnelles est due à la faute inexcusable de son employeur, l’ANGDM venant aux droits de l’établissement Charbonnages de France, anciennement Houillères du Bassin de Lorraine ;

Ordonne la majoration à son maximum de la rente allouée à M. [Y] dans les conditions prévues à l’article L 452-2 alinéa 3 du code de la sécurité sociale ;

Dit que cette majoration suivra l’évolution de son taux d’incapacité permanente en cas d’aggravation de son état de santé et qu’en cas de décès résultant des conséquences de sa maladie professionnelle, le principe de la majoration de la rente restera acquis pour le calcul de la rente du conjoint survivant ;

Dit que cette majoration sera versée par la Caisse primaire d’assurance maladie de la Moselle agissant pour le compte de la Caisse Autonome Nationale de la Sécurité Sociale dans les Mines ‘ Assurance Maladie des Mines ;

Fixe l’indemnisation des préjudices personnels de M. [Y] résultant de sa maladie professionnelle inscrite au tableau n°25 à la somme totale de 7 800 euros, soit 6800 euros au titre des souffrances morales et 1 000 euros au titre du préjudice d’agrément ;

Dit que cette somme lui sera versée par la Caisse primaire d’assurance maladie de la Moselle agissant pour le compte de la Caisse Autonome Nationale de la Sécurité Sociale dans les Mines ‘ Assurance Maladie des Mines ;

Déboute M. [Y] de ses demandes formulées au titre du préjudice causé par les souffrances physiques endurées ;

Rappelle que la CPAM de Moselle agissant pour le compte de la CANSSM-Assurance Maladie des Mines est fondée à exercer son action récursoire contre l’ANGDM ;

Condamne l’ANGDM à rembourser à la CPAM de Moselle agissant pour le compte de la CANSSM ‘ Assurance Maladie des Mines l’ensemble des sommes, en principal et intérêts, qu’elle sera tenue d’avancer sur le fondement des articles L452-1 à L 452-3 du code de la sécurité sociale au titre de la pathologie de M.[Y] inscrite au tableau n°25 ;

Condamne l’ANGDM aux entiers frais et dépens de la procédure ;

Condamne l’ANGDM à verser à M. [Y] la somme de 1 200 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Ordonne l’exécution provisoire de la décision.

Par acte reçu le 7 janvier 2022, l’ANGDM a interjeté appel de cette décision.

Par conclusions datées du 10 mai 2023 et soutenues oralement lors de l’audience de plaidoirie par son conseil, l’ANGDM demande à la cour de :

A TITRE PRINCIPAL,

infirmer le jugement rendu le 15 décembre 2021;

Statuant à nouveau,

dire et juger qu’aucune faute inexcusable n’a été commise par l’exploitant aux droits et obligations duquel vient l’ANGDM, au préjudice de M. [Y] ;

le débouter de ses demandes, fins et conclusions contraires ;

A TITRE SUBSIDIAIRE, si par extraordinaire la faute inexcusable de l’employeur venait à être retenue,

débouter M. [Y] de ses demandes d’indemnisation au titre d’un préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées ;

débouter M. [Y] de sa demande de réparation formée au titre d’un préjudice d’agrément.

Par conclusions datées datées du 11 mai 2013 établies en vue de l’audience du 15 mai 2023 et soutenues oralement lors de l’audience de plaidoirie par son représentant, M.[Y] demande à la cour de :

Débouter l’ANGDM de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé que la silicose de M. [Y] est due à la faute inexcusable de l’employeur représenté par l’ANGDM ;

L’infirmer en ce qu’il l’a débouté de sa demande au titre du préjudice physique et en ce qu’il a limité l’indemnisation de son préjudice moral à la somme de 6 800 euros et de son préjudice d’agrément à 1 000 euros ;

Statuant à nouveau :

Condamner l’ANGDM à payer à M. [Y] les sommes suivantes :

. 500 euros au titre des souffrances physiques ;

. 15 000 euros au titre des souffrances morales ;

. 3 000 euros au titre du préjudice d’agrément ;

Condamner l’ANGDM à payer à M. [Y] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamner l’ANGDM aux entiers frais et dépens ;

Déclarer la décision à intervenir opposable à la Caisse ;

Juger que l’ensemble des sommes allouées portera intérêt au taux légal à compter du prononcé de la décision.

Par conclusions datées du 9 mai 2023, établies en vue de l’audience du 15 mai 2023, et soutenues oralement lors de l’audience de plaidoirie par son représentant, la CPAM de Moselle intervenant pour le compte de la CANSSM ‘ l’Assurance Malade des Mines – demande à la cour de :

donner acte à la Caisse qu’elle s’en remet à la sagesse de la cour en ce qui concerne la faute inexcusable reprochée à la société Charbonnages de France (ANGDM);

Le cas échéant :

donner acte à la Caisse qu’elle s’en remet à la cour en ce qui concerne la fixation du montant de la majoration de la rente réclamée par M. [Y] ;

prendre acte que la Caisse ne s’oppose pas à ce que la majoration de la rente suive l’évolution du taux d’incapacité permanente partielle de M. [Y] ;

constater que la Caisse ne s’oppose pas à ce que le principe de la majoration de rente reste acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant, en cas de décès de M. [Y] consécutivement à sa maladie professionnelle ;

donner acte à la caisse qu’elle s’en remet à la cour en ce qui concerne la fixation du montant des préjudices extra-patrimoniaux réclamés par M. [Y] ;

condamner l’ANGDM à rembourser à la Caisse les sommes qu’elle sera tenue de verser à M. [Y] au titre de la majoration de rente et des préjudices extra-patrimoniaux ainsi que des intérêts légaux subséquents, en application de l’article L 452-3-1 du code de la sécurité sociale ;

le cas échéant, rejeter toute éventuelle demande d’inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle n°25 de M. [Y].

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il est expressément renvoyé aux écritures des parties et à la décision entreprise.

SUR CE,

SUR LA FAUTE INEXCUSABLE DE L’EMPLOYEUR

L’ANGDM expose que si les Charbonnages de France avaient bien conscience du risque encouru par ses salariés concernant les poussières de silice, ils ont mis en ‘uvre tous les moyens nécessaires pour protéger les salariés des risques connus à chacune des époques de l’exploitation, tant sur le plan collectif qu’individuel. L’ANGDM prétend que les Charbonnages de France ont parfaitement satisfait à leur obligation de prévention et de sécurité et qu’aucun défaut d’information ne peut leur être reproché. Il remet en cause la qualité des attestations des trois témoins ayant déposé en faveur de M. [Y] en ce qu’ils sont imprécis, lacunaires, qu’ils ne donnent aucune information sur l’insuffisance des mesures individuelles et collectives, et qu’ils ne précisent pas avoir travaillé directement avec M. [Y]. L’ANGDM estime enfin que les nombreuses pièces générales produites par ses soins viennent contredire les affirmations de l’appelant et de ses témoins.

M. [Y] sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu’il a estimé que la faute inexcusable était établie à l’encontre des Charbonnages de France au motif que la preuve de l’absence de mesures prises par les HBL concernant sa santé est apportée.

Il soutient que l’employeur s’est abstenu de mettre en ‘uvre les mesures nécessaires pour préserver la santé des salariés, avec un défaut de formation et d’information, et une insuffisance des moyens de protection individuels et collectifs.

La caisse s’en remet à l’appréciation de la cour.

********************

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat.

Les articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail mettent par ailleurs à la charge de l’employeur une obligation légale de sécurité et de protection de la santé du travailleur.

Le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

La preuve de la faute inexcusable de l’employeur incombe à la victime. La faute inexcusable doit s’apprécier en fonction de la législation en vigueur et des connaissances scientifiques connues ou susceptibles de l’avoir été par l’employeur aux périodes d’exposition au risque du salarié.

En l’espèce, le caractère professionnel de la maladie déclarée par M. [Y] ainsi que les conditions du tableau 25 des maladies professionnelles ne sont pas contestées. L’ANGDM reconnaît en outre que les Houillères du Bassin de Lorraine, devenues Charbonnage de France, avaient conscience du danger constitué par l’inhalation de poussières de silice et revendique même cette conscience.

Seule est discutée l’existence et l’efficacité des mesures de protection individuelle et collective prises par l’employeur afin de préserver la victime du danger auquel elle était exposée.

Ces mesures de protection sont déterminées par le décret n° 51-508 du 4 mai 1951 portant règlement général sur l’exploitation des mines, reprenant les dispositions générales des décrets du 10 juillet 1913 et du 13 décembre 1948 prévoyant l’évacuation des poussières ou, en cas d’impossibilité, la mise à disposition de moyens de protection individuelle.

L’article 187 dudit décret dispose que lorsque l’abattage, le chargement, le transport ou la manipulation du charbon peuvent entraîner la mise en suspension ou l’accumulation de poussières, des mesures efficaces doivent être prises pour s’y opposer ou y remédier.

L’instruction du 30 octobre 1956 prescrit des mesures de protection collective (arrosage et humidification des poussières) et individuelle (port du masque) précises et devant être efficaces.

S’agissant des masques, on peut lire dans l’instruction de 1956 que « seuls les masques à pouvoir d’arrêt élevé pour les particules de moins de 5 microns et à résistance faible à la respiration peuvent être pris en considération. La protection individuelle ne saurait être admise en remplacement d’une protection collective possible qui aurait été négligée. Elle ne doit être appliquée qu’en complément de la prévention collective qui doit toujours être poussée aussi loin que possible ».

En l’espèce, M. [Y] justifie par la production de son relevé de périodes et d’emplois établi par l’ANGDM le 4 juillet 2016 avoir travaillé au fond dès le 15 mars 1982 et jusqu’au 31 mars 2003 :

en tant qu’apprenti mineur au puits II jusqu’au 12/04/1982 ;

comme apprenti mineur compagnonnage à l’unité d’exploitation de la Houve du 13/04/1982 jusqu’au 30/04/1982  ;

comme transporteur et aide installateur taille à l’unité d’exploitation de la Houve du 01/05/1982 au 31/07/1982 ;

comme piqueur traçage charbon à l’unité d’exploitation de la Houve du 01/08/1982 au 31/12/1986 ;

comme installateur taille ou traçage et voies à l’unité d’exploitation de la Houve du 01/01/1987 au 31/03/1987 ;

comme piqueur traçage charbon à l’unité d’exploitation de la Houve du 01/04/1987 au 31/03/1988 ;

comme conducteur machine abattage traçage à l’unité d’exploitation de la Houve du 01/04/1988 au 31/03/1989 ;

comme préparateur extrémités taille à l’unité d’exploitation de la Houve du 01/04/1989 au 30/06/1989 ;

comme piqueur traçage charbon à l’unité d’exploitation de la Houve du 01/07/1989 au 31/10/1989 ;

comme conducteur machine abattage traçage à l’unité d’exploitation de la Houve du 01/11/1989 au 31/08/1990 ;

comme élargisseur de galerie à l’unité d’exploitation de la Houve du 01/09/1990 au 30/11/1990 ;

comme élargisseur de galerie chef de poste à l’unité d’exploitation de la Houve du 01/12/1990 au 28/02/1991 ;

comme piqueur de carrure à l’unité d’exploitation de la Houve du 01/03/1991 au 31/05/1991 ;

comme élargisseur de galerie à l’unité d’exploitation de la Houve du 01/06/1991 au 31/05/1997 ;

comme piqueur travaux divers à l’unité d’exploitation de la Houve du 01/06/1997 au 05/12/2002 ;

comme piqueur travaux divers du 06/12/2002 au 31/03/2003.

Les attestations de Mrs [M], [U] et [A] établies en février et mars 2018, complétées pour les deux premiers en 2022, sont accompagnées d’un relevé de services miniers et d’une notification de retraite par la retraite des mines pour M. [M], d’un relevé de carrière validée pour M. [U], et d’un historique des mouvements arrêté au 2 juin 1998 pour M. [A], et enfin d’un courrier de l’ANGDM du 3 novembre 2022 précisant qu’ils ne peuvent pas fournir à M. [A] un relevé de carrière compte tenu d’un problème technique empêchant l’accès aux archives.

Pour ces trois témoins, ces documents démontrent qu’ils ont travaillé aux HBL à des périodes communes aux périodes d’activités au fond de M. [Y], plus particulièrement pour M. [A] à l’unité d’exploitation de la Houve, où le descriptif des postes qu’il a occupés successivement apparaît également sur l’historique de ses mouvements.

Par ailleurs, dans leurs attestations, ils précisent les périodes d’activités communes avec M. [Y], jusqu’en 1993 pour M. [M], jusqu’en 1996 pour M. [U] et jusqu’en 1999 pour M. [A].

Ces documents et ces attestations sont suffisamment précis pour démontrer que ceux-ci ont travaillé directement avec M. [Y] dans la mesure où ils indiquent, sans que ces informations ne soient contredites par l’ANGDM, qu’ils occupaient des fonctions d’extraction du charbon, de creusement des galeries (M. [M]), de traçage (M. [M], M. [A]), de boutfeu (M. [U]).

Ces témoins indiquent également les travaux au cours desquels M. [Y] était en contact avec les poussières de charbon et de silice :

-M. [M] (1ère attestation) :« M. [Y] [P] était en contact direct permanent avec des poussières de silice présente dans l’atmosphère durant sa journée de travail car pendant l’extraction du charbon ou le creusement des galeries les poussières de silice virevolté dans l’atmosphère et nous les inhalions sans protections respiratoires individuelles efficaces (‘). Il y avait énormément de dégagement de poussières de silice au niveau des convoyeurs à bande, le minerais passait d’un convoyeur à l’autre ce qui générait des nuages de poussières (‘). Au niveau du traçage nous avions un système de ventilateur qui soufflait de l’air dans le fond du tunnel (cul de sac) à cause de ce système les poussières de silice, de charbon et de roche se trouvaient piégées ou revenaient directement sur nous, on n’y voyait pas à 1 mètre tellement l’air était chargé » ;

-M. [U] : « dans les galeries, à cause des courants d’air, les poussières de silice et de charbon se propageaient dans l’atmosphère et nous les respirions (‘). Les haveuses dégageaient une quantité incroyable de poussières de silice et de charbon tous les mineurs au fond respiraient ces poussières. Pour ne pas perdre le rythme et le rendement les pauses casse croute se faisaient sur le lieu de travail mais pas tous ensemble pendant que nous prenions notre casse croute d’autres collègues travaillaient. On respirait ces poussières pendant qu’on mangeait » ;

-M. [A] : « Nous avons travaillé ensemble de 1982 à 1999 dans la même société et dans les mêmes chantiers exposés aux courants d’air chargés de poussières de charbon et de silice. On avait à notre disposition un masque en papier par poste, il y avait énormément de poussières de silice au niveau des convoyeurs à bande, le minerais passait d’un convoyeur à l’autre ce qui générait des nuages de poussières. Ces convoyeurs se trouvaient tout au long des galeries du traçage, de la taille jusqu’au jour. Au niveau du traçage nous avions un système de ventilateur qui soufflait de l’air dans le fond du tunnel. Avec ce système les poussières de silice, de charbon et de roche se trouvaient piégées ou revenaient directement sur nous on n’y voyait pas à un mètre tellement l’air était chargé. En outre on respirait cette poussière même pendant les pauses ».

Si ces attestations comportent des termes ou formulations similaires, il n’y a néanmoins pas lieu de les écarter de ce seul fait. Si ces témoins, ont, compte tenu de la similitude de leurs écrits, reçu une aide pour rédiger de manière efficiente les faits vécus qu’ils souhaitaient rapporter dans plusieurs procédures, cette aide à la rédaction ne remet pas en cause l’authenticité des témoignages personnels que chaque salarié a souhaité apporter. Ces attestations, dont la rédaction permet de se convaincre qu’il s’agit de collègues de travail directs de M. [Y], comportent des passages qui leur sont propres et qui apparaissent suffisamment précis et circonstanciés.

Aussi le caractère probant de ces trois attestations sera-t-il retenu par la cour.

Les trois témoins cités précédemment par M. [Y] apportent des informations relatives à l’utilisation de masques dans leurs attestations, s’agissant des moyens utilisés par l’employeur pour remplir son obligation de prévention et de sécurité, outre les précisions sur la ventilation indiquées précédemment relevant des mesures de protection collectives mises en place par l’employeur.

Il est notamment mentionné dans ces attestations que M.[Y] et les témoins n’avaient qu’un masque en papier par poste de travail (Mrs. [M], [A]) ou durant 6 à 7 heures (M. [U]), mais qui devenait inefficace car il se chargeait de poussière et avec la chaleur au fond (40°) il se bouchait rapidement et n’était donc plus portable, de sorte qu’ils finissaient sans protection individuelle (M. [U]). Il est également précisé qu’il n’y avait aucune obligation de porter un masque (M. [U]).

Ils précisent enfin qu’ils n’avaient reçu aucune mise en garde sur le danger pour leur santé de l’inhalation de poussières de silice (Mrs. [M], [U]).

Il résulte de ces attestations, que M. [Y] était muni de masques en papier pas suffisamment résistants et nombreux pour qu’il puisse en porter un pendant toute la durée de son poste, compte tenu de leur obstruction rapide, et que l’air qu’il respirait était fréquemment chargé de poussières.

L’ensemble des témoignages concordants confirme que les Houillères du Bassin de Lorraine, devenues Charbonnages de France, n’ont ainsi pas pris les mesures nécessaires pour protéger M. [Y] des dangers que représentait l’inhalation des poussières de silice, dès lors qu’ils n’ont pas mis en place des mesures individuelles et collectives efficaces et suffisantes.

Ces témoignages ne sont pas utilement contestés par l’ANGDM qui ne verse aux débats aucun élément de nature à élever des doutes sur la sincérité de ces témoins et sur le caractère authentique des faits qu’ils relatent.

L’ANGDM développant ainsi seulement des considérations d’ordre général qui ne contiennent aucun élément sur les conditions de travail précises de M. [Y] et sur la qualité des moyens de protection mis à la disposition du salarié, il doit donc être retenu que les Charbonnages de France, qui avaient conscience du danger auquel M. [Y] était exposé, n’ont pas pris les mesures de protection individuelle et collective nécessaires pour l’en préserver et ont ainsi commis une faute inexcusable à son égard.

Il s’ensuit que la maladie professionnelle inscrite au tableau 25 dont est victime M. [Y] doit être déclarée due à la faute inexcusable des HBL devenues Charbonnages de France, et que le jugement du 15 décembre 2021 est donc confirmé.

SUR LES CONSEQUENCES FINANCIERES

– Sur la majoration de la rente

Aucune discussion n’existe à hauteur de cour concernant la majoration au maximum de la rente revenant à la victime, au fait que cette majoration sera versée directement par la caisse à M. [Y], qu’elle suivra l’évolution du taux d’IPP en cas d’aggravation de son état de santé et qu’en cas de décès résultant des conséquences de sa maladie professionnelle, le principe de la majoration de la rente restera acquis pour le calcul de la rente du conjoint survivant.

En conséquence, le jugement entrepris est confirmé sur ces points et il doit être fait droit à ces demandes formées par M. [Y].

– Sur les préjudices personnels de M. [Y]

Il résulte de l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale qu’« indépendamment de la majoration de rente qu’elle reçoit en vertu de l’article précédent, la victime a le droit de demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d’agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. […] La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l’employeur ».

Le jugement entrepris a débouté M. [Y] de sa demande d’indemnisation au titre des souffrances physiques et lui a alloué la somme de 6 800 euros au titre des souffrances morales outre 1 000 euros au titre du préjudice d’agrément.

Sur les souffrances physiques et morales :

M. [Y] sollicite l’indemnisation de son préjudice moral à hauteur de 15 000 euros, et de son préjudice physique à hauteur de 500 euros.

Il fait valoir qu’en application de l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale, de l’arrêt du conseil constitutionnel du 18 juin 2010 et des arrêts de la cour de cassation du 20 janvier 2023, les victimes d’accident du travail et de maladies professionnelles ont un droit qui tend à une réparation intégrale de leurs préjudices, et qu’elles sont bien fondées à solliciter l’indemnisation de leur préjudice moral, esthétique et d’agrément mais également de leur préjudice physique, sans avoir à apporter la preuve de ce que ce préjudice serait distinct de celui déjà indemnisé par la rente.

Il invoque l’existence de souffrances physiques résultant du fait qu’il est victime d’une pathologie pulmonaire dégénérative à répercussions fonctionnelles respiratoires douloureuses, et d’un préjudice moral caractérisé par la spécificité de la situation des victimes de la silicose, amenées à constater le développement de la maladie et son évolution.

L’ANGDM fait valoir que les souffrances physiques et morales invoquées par la victime, tant pour la période antérieure ou postérieure à sa consolidation, ne sont pas démontrées par M. [Y] qui ne fournit aucun élément médical à l’appui de ses demandes.

La caisse s’en rapporte à la sagesse de la cour.

*******************

ll résulte de l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale que se trouvent indemnisées à ce titre l’ensemble des souffrances physiques et morales éprouvées depuis l’accident ou l’événement qui lui est assimilé.

En considération du caractère forfaitaire de la rente au regard de son mode de calcul tenant compte du salaire de référence et du taux d’incapacité permanente défini à l’article L.434-2 du code de la sécurité sociale, la cour de cassation juge désormais, par un revirement de jurisprudence, que la rente versée par la caisse à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent (Cour de cassation, Assemblée plénière 20 janvier 2023, pourvoi n° 21-23947). En conséquence, les souffrances physiques et morales de la victime peuvent être indemnisées.

Dès lors M. [Y] est recevable en sa demande d’indemnisation des souffrances physiques et morales, sous réserve qu’elles soient caractérisées.

S’agissant des souffrances physiques, M. [Y] justifie d’une décision de la caisse ayant fixé son taux d’IPP à 10 %, au vu d’un certificat médical établi le 26 janvier 2016, et faisant état de ce que la victime présente une « silicose chronique de faible profusion au scanner ».

Aucune pièce médicale ne vient caractériser les répercussions fonctionnelles respiratoires douloureuses alléguées par M. [Y] dans ses conclusions.

M. [Y] n’apporte ainsi pas la preuve de l’existence de souffrances physiques imputables à sa maladie professionnelle inscrite au tableau 25 des maladies professionnelles, de sorte que sa demande d’indemnisation à ce titre doit être rejetée et le jugement entrepris confirmé sur ce point.

S’agissant du préjudice moral, M. [Y] était âgé de 63 ans lorsqu’il a appris qu’il était atteint de silicose.

Les attestations de ses ami, voisin et de son fils (Mrs. [J], [I], [G] [Y]) montrent que M. [Y] a manifesté une baisse de moral suite à la révélation de sa maladie et à ses pertes de souffle, caractérisant une anxiété indissociable du fait de se savoir atteint d’une maladie irréversible due à l’exposition aux poussières de silice et liée aux craintes de son évolution péjorative à plus ou moins brève échéance.

Le préjudice moral est donc caractérisé en l’espèce et sera réparé par l’allocation d’une somme de 15 000 euros de dommages-intérêts eu égard à la nature de la pathologie en cause, et à l’âge de M. [Y] au moment de son diagnostic.

Sur le préjudice d’agrément :

L’indemnisation de ce poste de préjudice suppose qu’il soit justifié de la pratique régulière par la victime, antérieurement à sa maladie professionnelle, d’une activité spécifique sportive ou de loisir qu’il lui est désormais impossible de pratiquer.

M. [Y] sollicite l’indemnisation d’un préjudice d’agrément à hauteur de 3 000 euros.

L’ANGDM s’oppose à cette prétention, indiquant que M. [Y] n’apporte pas la preuve de ce qu’il aurait pratiqué des activités spécifiques sportives ou de loisirs interrompues par la maladie.

Les attestations de M. [W] (connaissance) et de M. [G] [Y] (fils de la victime) montrent que M. [Y] pratiquait régulièrement avant sa maladie une activité de karting, en ayant une fonction de contrôleur technique, que la maladie ne lui a plus permis de continuer, M. [W] indiquant qu’il se tient désormais en retrait, et son fils ajoutant qu’il a dû laisser de côté cette passion.

M. [Y] justifie ainsi suffisamment de ce qu’il n’a pas pu poursuivre cette activité de karting du fait de la maladie, et donc de l’existence de ce préjudice, que les premiers juges ont justement évalué à la somme de 1 000 euros. Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES

En application de l’article 1153-1 du code civil ancien devenu 1231-7 du code civil, les sommes dues produiront intérêts au taux légal à compter de la présente décision.

L’issue du litige conduit la cour à condamner l’ANGDM à payer à M. [Y] la somme de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel.

Enfin, l’ANDGM, partie succombante, sera condamnée aux dépens d’appel et de première instance.

PAR CES MOTIFS

La cour,

CONFIRME le jugement entrepris du 15 décembre 2021 du pôle social du tribunal judiciaire de Metz sauf en ce qu’il a fixé l’indemnisation du préjudice lié aux souffrances morales de M. [P] [Y] à la somme de 6 800 euros ;

Statuant à nouveau sur le point infirmé,

FIXE à 15 000 euros le montant du préjudice lié aux souffrances morales subies par M.[P] [Y] résultant de sa maladie professionnelle inscrite au tableau 25 ;

DIT que la caisse primaire d’assurance maladie de Moselle, intervenant pour le compte de la CANSSM ‘ l’Assurance Maladie des Mines devra avancer cette sommes à M. [P] [Y] ;

DIT que l’ensemble des sommes allouées portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt conformément à l’article 1231-7 du code civil ;

CONDAMNE l’ANGDM (Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs) à payer à M. [P] [Y] la somme de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel ;

CONDAMNE l’ANGDM (Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs) aux dépens d’appel.

Le Greffier Le Président

 


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