Tentative de conciliation : 28 septembre 2023 Cour d’appel de Metz RG n° 22/00094

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Tentative de conciliation : 28 septembre 2023 Cour d’appel de Metz RG n° 22/00094
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Arrêt n° 23/00260

28 Septembre 2023

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N° RG 22/00094 – N° Portalis DBVS-V-B7G-FU3L

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Tribunal Judiciaire de METZ- Pôle social

15 Décembre 2021

19/01363

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE METZ

CHAMBRE SOCIALE

Section 3 – Sécurité Sociale

ARRÊT DU

vingt huit Septembre deux mille vingt trois

APPELANT :

Monsieur [O] [N]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Sabrina BONHOMME, avocat au barreau de METZ

INTIMÉS :

L’ETAT représenté par l’Agence Nationale pour la garantie des droits des mineurs ANGDM-

Établissement public à caractère administratif

[Adresse 11]

ayant siège social

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représenté par Me Laure HELLENBRAND, avocat au barreau de METZ

CAISSE AUTONOME NATIONALE DE LA SECURITE SOCIALE DANS LES MINES – CANSSM

ayant pour mandataire de gestion la CPAM de Moselle prise en la personne de son directeur

et pour adresse postale

L’Assurance Maladie des Mines

[Adresse 12]

[Localité 4]

représentée par Mme [H], munie d’un pouvoir général

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 Mai 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme Anne FABERT, Conseillère, magistrat chargé d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Carole PAUTREL, Conseillère, faisant fonction de Présidente de Chambre

Mme Anne FABERT, Conseillère

M. Amarale JANEIRO, Conseiller

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MATHIS, Greffier

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Carole PAUTREL, Conseillère, faisant fonction de Présidente de Chambre et par Madame Sylvie MATHIS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Né le 30 mai 1955, M. [O] [N] a travaillé du 28 septembre 1982 au 31 décembre 1999 au sein [Adresse 6] ([9]) devenue par la suite l’EPIC [7] ([7]). Il a bénéficié d’un congé charbonnier de fin de carrière du 1er janvier 2000 au 31 mai 2010.

M. [N] a adressé à la CANSSM (caisse d’assurance maladie des mines) une déclaration de maladie professionnelle datée du 20 janvier 2017, avec, à l’appui, un certificat médical initial établi le 10 octobre 2016.

Le 17 juillet 2017, à l’issue de son instruction, la Caisse a reconnu le caractère professionnel de la maladie dont souffre M. [N] (silicose), comme étant inscrite au tableau 25 des maladies professionnelles.

Le 30 octobre 2017, l’assurance maladie des mines a fixé son taux d’incapacité permanente à 10% et il a été alloué à M. [N] une rente trimestrielle de 369,12 euros à effet du 11 octobre 2016, lendemain de sa consolidation, en réparation de sa pathologie.

Par courrier du 19 avril 2018, M. [N] a introduit une demande de reconnaissance de faute inexcusable de son ancien employeur devant la Caisse.

Après échec de la tentative de conciliation, par lettre recommandée expédiée le 16 août 2018, M. [N] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Moselle, devenu pôle social du tribunal de grande instance de Metz à compter du 1er janvier 2019 puis pôle social du tribunal judiciaire de Metz à compter du 1er janvier 2020, aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de son ancien employeur sur le fondement de l’article L 452-1 du code la sécurité sociale, et a sollicité les indemnisations qui en découlent.

L’Agence Nationale pour la Garantie des Droits des Mineurs (ANGDM) est intervenue à l’instance aux lieu et place de l’EPIC [7] suite à la clôture de sa liquidation.

La caisse primaire d’assurance maladie de Moselle (CPAM) a en outre été mise en cause pour le compte de la CANSSM.

Par jugement du 15 décembre 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Metz, nouvellement compétent, a :

Déclaré le jugement commun à la CPAM de Moselle agissant pour le compte de la CANSSM-l’Assurance Maladie des Mines ;

Déclaré recevable en la forme le recours de M. [N] ;

Mis hors de cause l’Agent Judiciaire de l’Etat (AJE) ;

Débouté l’AJE de ses demandes présentées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Dit que l’existence d’une faute inexcusable [Adresse 6], devenues [7], aux droits desquels vient l’ANGDM, dans la survenance de la maladie professionnelle de M. [N] inscrite au tableau 25, n’est pas établie ;

Débouté M. [N] de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son ancien employeur et de ses demandes subséquentes ;

Déclaré en conséquence sans objet les demandes de la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM- l’Assurance Maladie des Mines ;

Débouté M. [N] de ses demandes présentées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamné M. [N] aux entiers frais et dépens de l’instance ;

Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision.

Par acte reçu le 6 janvier 2022, M. [N] a interjeté appel total de cette décision

Par conclusions datées du 16 décembre 2022 et soutenues oralement lors de l’audience de plaidoirie par son conseil, M. [N] demande à la cour de :

déclarer recevable et bien fondé son recours ;

infirmer la décision rendue par le Pôle social du tribunal judiciaire de Metz du 15 décembre 2021 ;

rejeter toutes les exceptions et fins de non-recevoir invoquées par l’Agent judiciaire de l’Etat venant aux droits de l’ancien [7] suite à la clôture de sa liquidation et l’Assurance Maladie des Mines (CARMI de l’Est) ;

dire et juger que la maladie professionnelle dont est atteint M. [N] est due à la faute inexcusable de son employeur, les [7] pour laquelle intervient l’ANGDM ;

PAR CONSEQUENT,

fixer au maximum la majoration de rente (10%) dont bénéficie M. [N] aux termes des dispositions du code de la sécurité sociale, avec effet au 11 octobre 2016 ;

dire et juger que la majoration maximum des indemnités suivra l’évolution du taux d’IPP de la victime en cas d’aggravation de son état de santé et qu’elle prendra effet à la date du nouveau taux accordé au titre de l’aggravation ;

dire et juger qu’en cas de décès de M. [N] imputable à sa maladie professionnelle liée à la silice, le principe de la majoration maximum de la rente restera acquis au conjoint survivant ;

fixer l’indemnisation des préjudices complémentaires comme suit :

. réparation du préjudice causé par les souffrances physiques : 20 000 euros ;

. réparation du préjudice causé par les souffrances morales : 25 000 euros ;

. réparation du préjudice d’agrément : 15 000 euros ;

dire et juger qu’en vertu de l’article 1153-1 du code civil l’ensemble des sommes dues portera intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir ;

condamner l’ANGDM venant aux droits de l’ancien [7] suite à la clôture de sa liquidation au paiement d’une somme de 2 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir.

Par conclusions datées du 10 mai 2023 et soutenues oralement lors de l’audience de plaidoirie par son conseil, l’ANGDM demande à la cour de :

A TITRE PRINCIPAL,

– confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Metz en date du 15 décembre 2021 en toutes ses dispositions ;

En conséquence,

– débouter M. [N] et l’Assurance Maladie des Mines de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions dirigées à l’encontre de l’ANGDM, la preuve de l’existence d’une faute inexcusable n’étant pas rapportée ;

A TITRE SUBSIDIAIRE, si la faute inexcusable de l’employeur venait à être retenue,

Sur les préjudices personnels de M. [N] :

– débouter M. [N] de l’ensemble de ses demandes formulées au titre du préjudice physique, moral et d’agrément jugées non démontrées ;

– plus subsidiairement encore, réduire à de plus justes proportions les demandes de M. [N] au titre du préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées ainsi qu’au titre du préjudice d’agrément ;

EN TOUT ETAT DE CAUSE,

– débouter M. [N] de sa demande présentée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ou tout au moins réduire toute condamnation prononcée à ce titre à la somme de 500 euros ;

– dire n’y avoir lieu à dépens.

Par conclusions datées du 22 mars 2023 et soutenues oralement lors de l’audience de plaidoirie par son représentant, la CPAM de Moselle intervenant pour le compte de la CANSSM ‘ l’Assurance Malade des Mines – demande à la cour de :

– donner acte à la Caisse qu’elle s’en remet à la sagesse de la cour en ce qui concerne la faute inexcusable reprochée à la société [7] (ANGDM);

Le cas échéant :

– donner acte à la caisse qu’elle s’en remet à la cour en ce qui concerne la fixation du montant de la majoration de la rente réclamée par M. [N] ;

– prendre acte que la caisse ne s’oppose pas à ce que la majoration de la rente suive l’évolution du taux d’incapacité permanente partielle de M. [N] ;

– constater que la Caisse ne s’oppose pas à ce que le principe de la majoration de rente reste acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant, en cas de décès de M. [N] consécutivement à sa maladie professionnelle ;

– donner acte à la caisse qu’elle s’en remet à la cour en ce qui concerne la fixation du montant des sommes susceptibles d’être allouées au titre des préjudices extra-patrimoniaux de M. [N] ;

– le cas échéant, rejeter toute éventuelle demande d’inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle de M. [N] ;

– si la faute inexcusable de l’employeur devait être retenue, de condamner l’ANGDM à rembourser à la Caisse les sommes qu’elle sera tenue de verser à M. [N] au titre de la majoration de rente et des préjudices extra-patrimoniaux ainsi que des intérêts légaux subséquents, en application de l’article L 452-3-1 du code de la sécurité sociale.

A l’audience du 15 mai 2023 où l’affaire a été retenue, les parties ont été entendues en leurs observations. M. [N], représenté par son conseil, a indiqué s’en rapporter aux arrêts prononcés le 20 janvier 2023 par la Cour de cassation s’agissant du préjudice antérieur à la consolidation, et a ajouté que plusieurs corps de métiers interviennent sur un même chantier, soulignant que les pièces générales n°16 et 98 montrent qu’il n’y avait pas suffisamment de masques à disposition et que les codes emploi utilisés par l’ANGDM ne sont pas justes.

L’ANGDM, représentée par son conseil, a maintenu sa position, expliquant que les témoignages produits à hauteur d’appel ne sont pas circonstanciés et comportent des incohérences.

La Caisse s’en est remis à ses conclusions.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il est expressément renvoyé aux écritures des parties et à la décision entreprise.

SUR CE,

SUR LA FAUTE INEXCUSABLE DE L’EMPLOYEUR

M. [N] sollicite l’infirmation du jugement entrepris en ce qu’il a estimé que la faute inexcusable n’était pas établie à l’encontre des [7] au motif que la preuve de l’absence de mesures prises par les [9] concernant la santé de M. [N] n’est pas apportée.

Il soutient que l’employeur s’est abstenu de mettre en ‘uvre les mesures nécessaires pour préserver la santé des salariés, avec un défaut de formation et d’information, et une insuffisance des moyens de protection individuels et collectifs.

L’ANGDM expose que si les [7] avaient bien conscience du risque encouru par ses salariés concernant les poussières de silice, ils ont mis en ‘uvre tous les moyens nécessaires pour protéger les salariés des risques connus à chacune des époques de l’exploitation, tant sur le plan collectif qu’individuel.

L’ANGDM prétend que les [7] ont parfaitement satisfait à leur obligation de prévention et de sécurité et qu’aucun défaut d’information ne peut leur être reproché. Elle remet en cause la qualité des attestations des trois témoins ayant déposé en faveur de M. [N] en ce qu’ils sont imprécis, lacunaires, qu’ils ne donnent aucune information sur l’insuffisance des mesures individuelles et collectives, et qu’ils ne justifient pas avoir travaillé directement avec M. [N]. L’ANGDM estime enfin que les nombreuses pièces générales produites par ses soins viennent contredire les affirmations de l’appelant et de ses témoins.

La caisse s’en remet à l’appréciation de la cour.

********************

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat.

Les articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail mettent par ailleurs à la charge de l’employeur une obligation légale de sécurité et de protection de la santé du travailleur.

Le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

La preuve de la faute inexcusable de l’employeur incombe à la victime. La faute inexcusable doit s’apprécier en fonction de la législation en vigueur et des connaissances scientifiques connues ou susceptibles de l’avoir été par l’employeur aux périodes d’exposition au risque du salarié.

En l’espèce, le caractère professionnel de la maladie déclarée par M. [N] ainsi que les conditions du tableau 25 des maladies professionnelles ne sont pas contestées. L’ANGDM reconnaît en outre que les Houillères du Bassin de Lorraine, devenues [7], avaient conscience du danger constitué par l’inhalation de poussières de silice et revendique même cette conscience.

Seule est discutée l’existence et l’efficacité des mesures de protection individuelle et collective prises par l’employeur afin de préserver la victime du danger auquel elle était exposée.

Ces mesures de protection sont déterminées par le décret n° 51-508 du 4 mai 1951 portant règlement général sur l’exploitation des mines, reprenant les dispositions générales des décrets du 10 juillet 1913 et du 13 décembre 1948 prévoyant l’évacuation des poussières ou, en cas d’impossibilité, la mise à disposition de moyens de protection individuelle.

L’article 187 dudit décret dispose que lorsque l’abattage, le chargement, le transport ou la manipulation du charbon peuvent entraîner la mise en suspension ou l’accumulation de poussières, des mesures efficaces doivent être prises pour s’y opposer ou y remédier.

L’instruction du 30 octobre 1956 prescrit des mesures de protection collective (arrosage et humidification des poussières) et individuelle (port du masque) précises et devant être efficaces.

S’agissant des masques, on peut lire dans l’instruction de 1956 que « seuls les masques à pouvoir d’arrêt élevé pour les particules de moins de 5 microns et à résistance faible à la respiration peuvent être pris en considération. La protection individuelle ne saurait être admise en remplacement d’une protection collective possible qui aurait été négligée. Elle ne doit être appliquée qu’en complément de la prévention collective qui doit toujours être poussée aussi loin que possible ».

En l’espèce, M. [N] indique le 13 décembre 2016, dans le questionnaire assuré que lui a adressé la CPAM (pièce n°4 de la Caisse), qu’il a été en contact avec des poussières de roche en utilisant un marteau perforateur, des joints pour tuyauterie et des disques de freinage.

Il justifie par la production de son relevé de périodes et d’emplois établi par l’ANGDM le 28 mars 2017 avoir travaillé au fond dès le 28 septembre 1982 et jusqu’au 31 décembre 1999 :

en tant qu’apprenti mineur au puits II puis à l’unité d’exploitation (UE) Simon jusqu’au 30 novembre 1982 ;

comme ouvrier annexe de bowette à l’UE Simon du 01/12/1982 au 31/10/1983 ;

comme bowetteur galerie horizontale- travaux rocher à l’UE Simon du 01/11/1983 au 30/09/1985 ;

comme bowetteur plan montant descendant ‘ travaux rocher à l’UE Simon du 01/10/1985 au 30/11/1985 ;

comme bowetteur galerie horizontale- travaux rocher à l’UE Simon du 01/12/1985 au 30/06/1986 ;

comme élargisseur de galeries ‘ travaux rocher à l’UE Simon du 01/07/1986 au 31/10/1986 ;

comme bowetteur galerie horizontale- travaux rocher à l’UE Simon du 01/11/1986 au 31/10/1987 ;

comme élargisseur de galeries ‘ travaux rocher à l’UE Simon du 01/11/1987 au 30/04/1988 ;

comme transporteur à l’UE Simon du 01/05/1988 au 30/09/1988 ;

comme élargisseur de galeries- travaux rocher à l’UE Simon puis à l’UE Fond [Localité 8], respectivement du 01/10/1988 au 31/05/1989 puis du 1er au 30 juin 1989 ;

comme bowetteur plan montant descendant ‘ travaux rocher à l’UE Fond [Localité 8] du 01/7/1989 au 31/03/1991 ;

comme chef d’équipe du 01/04/1991 au 30/09/1991 ;

comme élargisseur de galeries ‘ travaux rocher à l’UE Fond [Localité 8] du 01/10/1991 au 31/12/1991 ;

comme piqueur traçage charbon à l’UE Fond [Localité 8] du 01/01/1992 au 30/09/1992 ;

comme raucheur à l’UE Fond [Localité 8] du 01/10/1992 au 31/12/1993 ;

comme préparateur extrémité taille à [Localité 8] Fond du 01/01/199 au 31/12/1995 ;

comme installateur qualifié taille ou traçage à [Localité 8] Fond du 01/01/1996 au 30/06/1996 ;

comme installateur taille ou traçage et voies à [Localité 8] Fond du 01/07/1996 au 30/11/1999.

Les attestations de Mrs [X] et [W] établies en janvier 2022, si elles ne sont accompagnées d’aucun relevé de carrière des témoins, sont suffisamment précises pour démontrer que ceux-ci ont travaillé directement avec M. [N] dans la mesure où ils indiquent, des périodes communes d’activité et les postes qu’ils ont occupé à ces côtés, sans que ces informations ne soient contredites par l’ANGDM pour l’intégralité de ces périodes :

pour M. [X], qu’il a travaillé « dans les années 1982 à 2000 (‘) au quartier rocher à l’avancement avec (‘) M. [N] au [Adresse 10]. Nous nous côtoyons régulièrement sur le même poste à 1250m de profondeur . De 1995 à 2000 M. [N] travaillait en transport de matériel et du personnel, et moi je travaillais à la tuyauterie dans le même quartier. De ce fait, je le voyais journalièrement sur le même poste » (pièces 8 de l’appelant) ;

pour M.[W] qu’il a travaillé « avec M. [N] durant les années 1990 à 2000 au [Adresse 10] à [Localité 8]. Nous avons travaillé ensemble sur le même poste ou quartier rocher, j’étais coffreur de murs d’étanchéité et mon collègue préparait le béton (‘). Je côtoyais régulièrement mon collègue qui faisait également des transports de matériaux dans les tailles de charbon ».

L’attestation de [S] ne pourra pas être retenue comme étant suffisamment probante, dans la mesure où il précise avoir travaillé avec M. [N] de 1975 à 1992, alors que l’appelant n’a commencé sa carrière au fond qu’en septembre 1982, ce qui porte atteinte à la fiabilité de ce témoignage.

Le fait que les témoins et M. [N] n’aient pas indiqué avoir occupé les mêmes postes ne porte pas atteinte à leur crédibilité à partir du moment où sur les chantiers les mineurs affectés au fond occupaient des fonctions différentes et complémentaires, nécessaires à l’accomplissement de leur mission.

Aussi le caractère probant de ces deux attestations sera-t-il retenu par la cour.

M. [N] indique en outre, dans le questionnaire assuré fourni par la caisse, avoir été en contact direct et habituel avec la poussières de rochers, sans qu’aucun moyen de protection n’ait été mis à sa disposition.

Les deux témoins cités précédemment par M. [N], et dont l’attestation a été jugée suffisamment probante, apportent les informations suivantes dans leurs attestations, s’agissant des moyens utilisés par l’employeur pour remplir son obligation de prévention et de sécurité :

M. [X] : « Pendant les forations, les tirs, l’air était irrespirable. Les bowettes étaient creusées en ventilation secondaire soufflante, de ce fait l’air provenait d’un creusement secondaire. Même avant la catastrophe de 1995 il n’y avait pas de creusement tertiaire. Pendant les chargements qui duraient plusieurs heures, il y avait beaucoup de poussières dans l’air qui revenaient sur nous lorsque les godets étaient chargés (pas d’arrosage sur les chargeuses). Les masques jetables ne duraient pas longtemps il fallait les colmater ils se déformaient à cause de l’air humide. Le distributeur était souvent vide ».

M. [W] : « des centaines de sac de ciment étaient utilisés journalièrement. Lors du perçage des sacs de ciment une énorme poussière se déployait. Cet air que nous respirions malgré les masques, quand nous en avions, nous prenait à la gorge. Je côtoyais régulièrement mon collègue qui faisait également des transports de matériaux dans les tailles de charbon. Lors de la manipulation des matériaux beaucoup de poussières circulait et nous respirions cet air (‘). Jamais et je le répète aucun supérieur hiérarchique ne nous a demandé de porter une protection particulière pour faire ces opérations. »

Il résulte de ces attestations, complétant et précisant les indications de M. [N], que celui-ci était muni de masques jetables ou en papier pas suffisamment résistants et nombreux pour qu’il puissent en porter un pendant toute la durée de son poste, compte tenu de leur obstruction rapide. En outre, le système d’arrosage n’était pas employé à toutes les étapes, et était insuffisant pour contrer l’empoussièrement très fréquent de l’air qu’il respirait.

Ces témoignages ne sont pas utilement contestés par l’ANGDM qui ne verse aux débats aucun élément de nature à élever des doutes sur la sincérité de ces témoins et sur le caractère authentique des faits qu’ils relatent.

Ces deux témoignages concordants confirment que les Houillères du Bassin de Lorraine, devenues [7], n’ont ainsi pas pris les mesures nécessaires pour protéger M. [N] des dangers que représentait l’inhalation des poussières de silice, dès lors qu’ils n’ont pas mis en place des mesures individuelles et collectives efficaces et suffisantes.

L’AGDM développant ainsi seulement des considérations d’ordre général qui ne contiennent aucun élément sur les conditions de travail précises de M. [N] et sur la qualité des moyens de protection mis à la disposition du salarié, il doit donc être retenu que les [7], qui avaient conscience du danger auquel M. [N] était exposé, n’ont pas pris les mesures de protection individuelle et collective nécessaires pour l’en préserver et ont ainsi commis une faute inexcusable à son égard.

Il s’ensuit que la maladie professionnelle inscrite au tableau 25 dont est victime M. [N] doit être déclarée due à la faute inexcusable des [9] devenues [7] et que le jugement du 15 décembre 2021 est donc infirmé.

SUR LES CONSEQUENCES FINANCIERES

-Sur la majoration de la rente

Aucune discussion n’existe à hauteur de cour concernant la majoration au maximum de la rente revenant à la victime, au fait que cette majoration suivra l’évolution du taux d’IPP en cas d’aggravation de son état de santé et qu’en cas de décès résultant des conséquences de sa maladie professionnelle, le principe de la majoration de la rente restera acquis pour le calcul de la rente du conjoint survivant.

En conséquence, le jugement entrepris est infirmé sur ces points et il doit être fait droit à ces demandes formées par M. [N].

-Sur les préjudices personnels de M. [N]

Il résulte de l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale qu’« indépendamment de la majoration de rente qu’elle reçoit en vertu de l’article précédent, la victime a le droit de demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d’agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. […] La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l’employeur ».

Le jugement entrepris a débouté M. [N] de ses demandes d’indemnisation.

Sur les souffrances physiques et morales

M. [N] sollicite l’indemnisation de son préjudice moral à hauteur de 25 000 euros, et de son préjudice physique à hauteur de 20 000 euros.

Il fait valoir qu’il résulte de la rédaction de l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale que les préjudices indemnisés par le capital ou la rente majorés sont totalement distincts des préjudices visés à l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale.

Il invoque l’existence de souffrances physiques et d’un préjudice moral caractérisé par la spécificité de la situation des victimes de la silicose, amenées à constater le développement de la maladie et son évolution.

L’ANGDM fait valoir que les souffrances physiques et morales invoquées par la victime, ne sont pas démontrées par les pièces médicales produites, et ce en l’absence de période de maladie traumatique et à défaut d’élément de preuve pertinent au soutien de sa demande.

La caisse s’en rapporte à la sagesse de la cour.

*******************

ll résulte de l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale que se trouvent indemnisées à ce titre l’ensemble des souffrances physiques et morales éprouvées depuis l’accident ou l’événement qui lui est assimilé.

En considération du caractère forfaitaire de la rente au regard de son mode de calcul tenant compte du salaire de référence et du taux d’incapacité permanente défini à l’article L.434-2 du code de la sécurité sociale, la cour de cassation juge désormais, par un revirement de jurisprudence, que la rente versée par la caisse à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent (Cour de cassation, Assemblée plénière 20 janvier 2023, pourvoi n° 21-23947). En conséquence, les souffrances physiques et morales de la victime peuvent être indemnisées.

Dès lors M. [N] est recevable en sa demande d’indemnisation des souffrances physiques et morales, sous réserve qu’elles soient caractérisées.

S’agissant des souffrances physiques, M. [N] justifie d’une décision de la caisse ayant fixé son taux d’IPP à 10 %, d’un certificat médical établi le 29 mars 2018 par le docteur [L], médecin généraliste, faisant état de ce que « l’état de santé de M. [N] (‘) s’est dégradé depuis la mise en évidence de sa silicose. La dyspnée est de plus en plus marquée, surtout à l’effort. M.C.vit dans un contexte de crainte et d’anxiété probablement en rapport avec cette pathologie. Le dernier scanner montre de nombreux micro-nodules » (pièce 11 de l’appelant), et du rapport médical d’évaluation du taux d’incapacité permanente en AT ou en MP établi par la Caisse d’Assurance Maladie le 13 juillet 2017, précisant que M. [N] se plaint de dyspnée pour des efforts importants, mais qu’aucun phénomène tussifs marqués ni d’expectorations ne sont constatés.

Ce rapport fait également état de ce que M. [N] présente un trouble ventilatoire restrictif et hypoxémie par effet de shunt en partie en raison de la surcharge pondérale, et conclut à une « silicose chronique sur état interférant ».

Si les proches de l’intéressé attestent d’un état de fatigue et d’une perte de souffle manifestés par M. [N] depuis le développement de sa maladie, le rapport médical d’évaluation du taux d’incapacité permanente en AT ou en MP, qui souligne l’existence d’un état interférant, ne permet pas de rattacher cet état aux conséquences physiques de l’affection présentée par la victime.

En conséquence, M. [N] sera débouté de sa demande au titre des souffrances physiques endurées.

S’agissant du préjudice moral, M. [N] était âgé de 62 ans lorsqu’il a appris qu’il était atteint de silicose.

Les attestations de sa fille, de son gendre et de ses amis (pièces 12 à 15 de l’appelant) montrent que M. [N] est affecté moralement par sa maladie, et manifeste une anxiété particulière liée à celle-ci dont il craint qu’elle n’évolue vers un cancer des poumons, les décès d’anciens collègues l’affectant en outre davantage. Ces témoignages sont renforcés par le certificat médical établi le 29 mars 2018 par le docteur [L], médecin généraliste, qui précise que M. [O] [N], dont il est le médecin traitant depuis le 22 août 2011, « vit dans un contexte de crainte et d’anxiété probablement en rapport avec sa pathologie ».

Ces éléments caractérisent l’anxiété indissociable du fait de se savoir atteint d’une maladie irréversible due à l’exposition aux poussières de silice et liée aux craintes de son évolution péjorative à plus ou moins brève échéance, qui sera réparée par l’allocation d’une somme de 15 000 euros de dommages-intérêts eu égard à la nature de la pathologie en cause, et à l’âge de M. [N] au moment de son diagnostic.

Sur le préjudice d’agrément :

L’indemnisation de ce poste de préjudice suppose qu’il soit justifié de la pratique régulière par la victime, antérieurement à sa maladie professionnelle, d’une activité spécifique sportive ou de loisir qu’il lui est désormais impossible de pratiquer.

M. [N] sollicite l’indemnisation d’un préjudice d’agrément à hauteur de 15 000 euros.

L’ANGDM s’oppose à cette prétention, indiquant que M. [N] n’apporte pas la preuve de ce qu’il aurait subi un préjudice, et que la survenance de sa maladie l’aurait empêché de poursuivre une activité sportive ou de loisirs spécifique.

L’examen des attestations de la fille de M. [N] et de deux de ses amis (pièces 13 à 15 de l’appelante) montre que M. [N] pratiquait régulièrement, avant sa maladie, des randonnées pédestres, avec un groupe de marcheurs ou en famille, et que sa fille précise qu’il a dû interrompre ces marches à partir de 2020 en raison de ses difficultés à respirer.

Ces éléments sont suffisamment précis pour démontrer que M. [N] avait une activité spécifique de loisir (randonnée pédestre) qu’il a dû abandonner du fait de l’aggravation de ses problèmes de souffle en lien avec sa maladie professionnelle.

Le préjudice d’agrément invoqué par M. [N] est donc caractérisé et il lui sera alloué une somme de 1 000 euros en réparation de celui-ci.

Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.

SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES

En application de l’article 1153-1 du code civil ancien devenu 1231-7 du code civil, les sommes dues produiront intérêts au taux légal à compter de la présente décision.

L’issue du litige conduit la cour à condamner l’ANGDM à payer à M. [N] la somme de 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Enfin, l’ANGDM, partie succombante, sera condamné aux dépens d’appel et de première instance.

PAR CES MOTIFS

La cour,

INFIRME le jugement entrepris du 15 décembre 2021 du pôle social du tribunal judiciaire de Metz sauf en ce qu’il a :

déclaré recevable l’intervention volontaire de l’Agence Nationale pour la garantie des droits des mineurs (ANGDM) intervenant pour le compte des [7] ;

déclaré le jugement commun à la caisse primaire d’assurance maladie de Moselle agissant pour le compte de la CANSSM- l’Assurance Maladie des Mines ;

déclaré M. [O] [N] recevable en son action au titre de la reconnaissance de la faute inexcusable et aux fins de solliciter la majoration de ses indemnités ;

Statuant à nouveau,

DIT que la maladie professionnelle déclarée par M. [O] [N] et inscrite au tableau 25 des maladies professionnelles est due à la faute inexcusable de l’EPIC [7], venant aux droits [Adresse 6], son employeur .

ORDONNE à la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM, de majorer au montant maximum la rente versée en application de l’article L 452-2 du code de la sécurité sociale ;

DIT que cette majoration sera versée directement par la caisse primaire d’assurance maladie de Moselle, intervenant pour le compte de la CANSSM ‘ l’Assurance Maladie des Mines, à M. [O] [N] ;

DIT que cette majoration pour faute inexcusable suivra l’évolution du taux d’incapacité permanente de M. [O] [N], en cas d’aggravation de son état de santé ;

DIT qu’en cas de décès de M. [O] [N] résultant des conséquences de sa maladie professionnelle, le principe de la majoration de la rente restera acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant ;

DEBOUTE M. [O] [N] de sa demande au titre du préjudice causé par les souffrances physiques ;

FIXE l’indemnité en réparation des souffrances morales subies par M. [O] [N] du fait de la pathologie tableau 25 à la somme de 15 000 euros ;

FIXE l’indemnité en réparation du préjudice d’agrément subi par M. [O] [N] du fait de la pathologie tableau 25 à la somme de 1 000 euros ;

DIT que l’ensemble des sommes allouées portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt conformément à l’article 1231-7 du code civil ;

CONDAMNE l’Etat, représenté par l’ANGDM, à rembourser à la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM, l’ensemble des sommes, en principal et intérêts, que cet organisme sera tenu d’avancer sur le fondement des articles L. 452-1 à L. 452-3 du code de la sécurité sociale ;

CONDAMNE l’Etat, représenté par l’ANGDM, à payer à M. [O] [N] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE l’Etat, représenté par l’ANGDM, aux dépens de première instance et d’appel

Le Greffier Le Président

 


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