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ARRÊT N° 430
N° RG 23/00507
N° Portalis DBV5-V-B7H-GX3J
MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS
C/
S.C.I. CMB EYRIALIS
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE POITIERS
1ère Chambre Civile
ARRÊT DU 03 OCTOBRE 2023
Décision déférée à la Cour : Suivant déclaration de saisine du 28 février 2023 après arrêt rendu par la Cour de Cassation du 08 février 2023, cassant et annulant l’arrêt rendu le 03 juin 2021 par la Cour d’Appel de Bordeaux, sur appel d’un jugement rendu le 23 janvier 2018 par le Tribunal de Grande Instance de Bordeaux
APPELANTE :
MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS – M.A.F.
N° SIRET 784 647 349
[Adresse 4]
[Localité 6]
ayant pour avocat postulant Me Marion LE LAIN de la SCP DROUINEAU 1927, avocat au barreau de POITIERS et pour avocat plaidant Me Florian LE PENNEC, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
S.C.I. CMB EYRIALIS
N° SIRET : 538 143 538
[Adresse 2]
[Localité 5]
ayant pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LEXAVOUÉ POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS et pour avocat plaidant Me Selim VALLIES, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 29 Juin 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Thierry MONGE, Président de Chambre
qui a présenté son rapport
Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller
Monsieur Philippe MAURY, Conseiller
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lilian ROBELOT,
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– Signé par Monsieur Thierry MONGE, Président de Chambre et par Monsieur Lilian ROBELOT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
EXPOSÉ :
La Sci CMB Eyrialis (CMB) a entrepris courant 2012 la construction d’un bâtiment à usage de bureaux et d’atelier sur un terrain dont elle est propriétaire au [Localité 7], en Gironde.
Sont intervenues à l’opération
.la société Agence Architecture Atlantique-‘AAA’, comme maître d’oeuvre
.la société MCF Construction en qualité de contractant général.
MCF Construction a sous-traité l’ensemble des lots de son marché,
-le gros-oeuvre à l’entreprise COS Construction
-le bardage à l’entreprise BECEB
-le lot couverture-étanchéité à l’entreprise AMG Aquitaine.
La réception a été prononcée avec réserves le 30 novembre 2012.
Par jugement du 23 janvier 2013, le tribunal de commerce de Bordeaux a prononcé la liquidation judiciaire de la société MCF Construction.
Les trois sous-traitants ont, chacun séparément, engagé une action en paiement contre la société CMB afin d’être réglés du solde impayé de leurs prestations.
CMB a fait valoir qu’elle avait déjà réglé MCF Construction.
Par un arrêt du 28 avril 2016 et deux arrêts du 31 août 2016, la société CMB a été condamnée à payer
.à COS Construction : 37.597,72 euros
.à BECEB : 33.593,80 euros
.à AMG Aquitaine : 17.771,12 euros.
La Sci CMB a alors fait assigner, par actes des 16 et 27 octobre 2016, la société AAA et son assureur la Mutuelle des architectes français (la MAF) afin d’être par eux relevée indemne des condamnations prononcées à son encontre au profit des sous-traitants, en soutenant que l’architecte avait engagé sa responsabilité envers elle en ne l’ayant pas informée de la présence des sous-traitants sur le chantier et en ne lui ayant pas conseillé de se les faire présenter le cas échéant, de les agréer et de définir les modalités de règlement de leur situation.
Elle réclamait dans le dernier état de ses prétentions la fixation au passif de MCF de la somme de 113.462,64euros, et la condamnation d’AAA et de la MAF à lui payer 98.462,63 euros
La société AAA ayant été placée en liquidation judiciaire par jugement du 31 mai 2017, CMB a fait assigner ès qualités le liquidateur judiciaire, la Selarl Malmezat-Prat.
La société AAA représentée par son liquidateur judiciaire ainsi que la MAF ont invoqué l’irrecevabilité de l’action faute pour la demanderesse d’avoir respecté le préalable de saisine du conseil de l’Ordre des architectes à fin de tentative de conciliation comme prévu dans la clause G10 du contrat de maîtrise d’oeuvre, à quoi CMB a objecté que la MAF ne pouvait pas se prévaloir de cette clause stipulée en faveur du seul architecte, et qu’AAA ne pouvait la lui opposer parce qu’elle figurait dans un cahier des charges qui ne lui avait pas été communiqué et qu’elle n’avait pas signé.
Par jugement du 28 janvier 2018, le tribunal de grande instance de Bordeaux a
* déclaré irrecevable l’action de CMB à l’égard de la société AAA et l’a déboutée de sa demande en fixation de la créance au passif de sa liquidation judiciaire
* déclaré recevable l’action de CMB à l’égard de la MAF
* condamné la MAF à payer à CMB la somme de 88.962,64 euros
* débouté CMB de ses demandes en paiement de frais irrépétibles, en réparation de sa perte financière et de son préjudice moral
* condamné la MAF aux dépens
* condamné la MAF à payer à la Sci CMB la somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile
* ordonné l’exécution provisoire.
Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu, en substance,
-que le contrat de maîtrise d’oeuvre était composé de 3 parties constituées du cahier des clauses particulières, du cahier des clauses générales et de l’annexe financière ; que le cahier des clauses générales n’était pas signé par les parties ; mais que le préambule du contrat d’architecte mentionnait que les trois documents le composant étaient complémentaires et indissociables, et que les parties déclaraient en avoir pris connaissance ; qu’il incombait dans ces conditions à CMB de prouver qu’elle n’avait pas accepté cette clause de conciliation ; qu’elle ne rapportait pas cette preuve ; que faute de s’y être conformée, son action contre AAA était irrecevable
-qu’elle devait donc être déboutée de sa demande de fixation de créance au passif
-que la demanderesse était par contre recevable à exercer son action directe contre l’assureur du maître d’oeuvre
-que si le maître de l’ouvrage, qui avait eu connaissance de la présence des sous-traitants sur le chantier, avait certes commis une faute au sens de l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 en ne tirant pas les conséquences du défaut d’acceptation des sous-traitants et de leurs conditions de paiement, il n’en restait pas moins qu’il était un profane et que l’architecte, investi d’une mission complète, devait le mettre en garde sur les risques inhérents aux garanties légalement offertes aux sous-traitants et sur le risque auquel il s’exposait de devoir payer deux fois; que ne l’ayant pas fait, il avait engagé sa responsabilité ; et que son assureur devait à ce titre indemniser CMB de son préjudice tenant aux condamnations prononcées contre elle au profit des sous-traitants en principal, intérêts et frais irrépétibles ; que CMB n’était en revanche pas fondée à réclamer à la MAF sa garantie pour ses propres frais irrépétibles ni au titre de prétendus préjudices financier et moral qui n’étaient pas démontrés.
Saisie par la MAF d’un appel contre ce jugement, la cour d’appel de Bordeaux a, par arrêt du 3 juin 2021, confirmé le jugement sauf en ce qu’il avait débouté la société CMB de ses demandes en paiement de ses frais irrépétibles et d’indemnisation d’une perte financière et statuant à nouveau de ces chefs,
elle a condamné la MAF à payer à la société CMB
.9.500 euros en réparation de ses frais irrépétibles exposés à l’occasion des instances engagées par les sociétés sous-traitantes
.16.698,24 euros en réparation des frais d’avocat et d’huissier de justice exposés par elle au cours de ces mêmes instances
Ajoutant au jugement, elle a
.condamné la MAF à payer à CMB
-des intérêts au taux légal sur la somme de 88.962,64 euros à compter du 27.10.2016
-la somme de 3.000 euros en vertu de l’article 700 du code de procédure civile
.dit que la MAF était en droit d’opposer à CMB le principe et le quantum de sa franchise
.condamné la MAF aux dépens d’appel.
La MAF a formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cet arrêt.
Par arrêt du 8 février 2023, la Cour de cassation a cassé cet arrêt mais seulement en ce qu’il condamne la Maf à payer à la Sci CMB les sommes de 9.500 euros, 16.698,24 euros et 88.962,64 euros, et elle a renvoyé la cause et les parties devant la cour d’appel de Poitiers.
Pour statuer ainsi, la Haute juridiction a dit qu’en retenant que la faute commise par la Sci CMB Eyrialis à l’égard des sous-traitants était la conséquence directe et exclusive du défaut d’information et de conseil imputable à la société AAA, de sorte que la responsabilité contractuelle de celle-ci se trouvait pleinement engagée envers le maître de l’ouvrage sans qu’il y ait lieu de laisser une part de responsabilité à la charge de celui-ci, la cour d’appel de Bordeaux n’avait pas tiré les conséquences de ses propres constatations dont il résultait que la faute du maître de l’ouvrage avait concouru avec celle de l’architecte à la production du dommage subi par le sous-traitant et qu’en cela, elle avait violé l’article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.
La MAF a saisi cette cour par déclaration du 28 février 2023 dirigée contre la seule MAF.
Les dernières écritures prises en compte par la cour au titre de l’article 954 du code de procédure civile ont été transmises par la voie électronique
* le 13 juin 2023 par la MAF
* le 14 juin 2023 par la société CMB Eyrialis.
La MAF demande à la cour d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il a déclaré recevable l’action de CMB à l’égard de la MAF, condamné la MAF à payer à CMB la somme de 88.962,64 euros et celle de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, condamné la MAF aux dépens, et ordonné l’exécution provisoire, et statuant à nouveau, de
.débouter la Sci CMB de l’ensemble de ses demandes à son encontre
.condamner la Sci CMB aux entiers dépens de première instance et d’appel ainsi qu’à lui verser 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
En tout état de cause : rejeter toutes demandes qui excéderaient les strictes limites de la police de la MAF relativement à sa franchise et son plafond notamment.
La MAF soutient que CMB ne peut opposer aucun défaut de conseil de l’architecte, alors qu’il résulte des trois arrêts de 2016 qu’elle connaissait la présence des sous-traitants sur le chantier,et que la société AAA l’avait
suffisamment informée du risque inhérent à cette situation, d’une part par
l’article G.6.6.3 du cahier des clauses générales du contrat d’architecte opposable au maître de l’ouvrage puisque celui-ci a reconnu en avoir pris connaissance, et d’autre part en lui demandant de se rendre à des réunions de chantier afin d’y rencontrer ces sous-traitants.
Elle considère que l’arrêt de la Cour de cassation du 10 décembre 2014 dont se prévaut l’intimée ne peut pas lui être opposé sous peine de violer les droits fondamentaux de la défense à commencer par le droit à un procès équitable, en ce qu’il s’agit d’un revirement de jurisprudence opéré plus de deux ans après la réception des travaux accroissant les obligations mises à la charge du maître d’oeuvre dans le cadre du suivi de chantier, et qu’il ne saurait être procédé à une appréciation rétroactive des obligations de son assurée sur la base d’obligations qui n’étaient pas les siennes à l’époque où il intervint.
La MAF affirme que le préjudice que subit CMB est la conséquence des fautes que celle-ci a commises, en ayant sciemment refusé de mettre l’entrepreneur principal en demeure de s’acquitter de ses obligations et en ayant violé l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975.
Elle déclare tenir pour dépourvue de tout sérieux la prétention subsidiaire de l’intimée à conserver à sa charge 1% de son préjudice du fait de sa faute, et elle considère que si une faute de son assurée devait être retenue par la cour, son obligation devrait n’être que résiduelle.
Elle discute aussi le quantum des préjudices alloués à la société CMB, en reprochant aux premiers juges de s’être fondés sur les simples affirmations de la demanderesse, alors qu’il incombe à celle-ci de prouver s’être intégralement acquittée du marché de MCF, et que cette preuve n’est selon elle pas rapportée, aucun DGD signé n’étant produit et les factures de MCF que l’intimée prétend avoir réglées n’étant pas revêtues du visa de l’architecte.
Elle conteste devoir garantir en quoi que ce soit les frais irrépétibles exposés par la société CMB Eyrialis dans les instances l’ayant opposée aux sous-traitants, d’autant que la société AAA n’y était point partie, et elle sollicite la confirmation du rejet de cette demande par le tribunal.
Elle sollicite de même la confirmation du rejet par le tribunal de la prétention de CMB à obtenir réparation d’une prétendue perte financière et d’un préjudice moral qui ne sont pas avérés.
Elle demande à la cour de réparer l’omission de statuer qui entache le jugement du chef de sa prétention à ce que CMB supporte en toute hypothèse la franchise contractuelle.
La Sci CMB Eyrialis demande à la cour
¿ À titre principal : de
-déclarer la MAF mal fondée en ses recours, la dire elle-même fondée en ses demandes
-juger que l’arrêt de la Cour de cassation du 8 février 2023 est une cassation partielle uniquement en ce que l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux en date du 3 juin 2021 a condamné
la Maf à lui payer les sommes de 9.500 euros, 16.698,24 euros et 88.962,64 euros
-juger en conséquence que la recevabilité de son action contre la MAF ainsi que les condamnations de la MAF au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens sont définitives
-juger que la Sci CMB a confié à l’agence AAA une mission complète de maîtrise d’oeuvre
-juger qu’AAA n’a pas informé CMB de la présence de sous-traitants irréguliers et ne lui a pas conseillé de se les faire présenter, de mettre en demeure l’entrepreneur principal et le cas échéant de les agréer et de définir les modalités de règlement de leurs situation
-juger qu’AAA a par conséquent manqué à ses obligations contractuelles
-juger que CMB n’a commis aucune faute
-juger AAA entièrement responsable des préjudices subis par la Sci CMB Eyrialis
En conséquence :
-confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la MAF à payer à CMB la somme de 88.962,64 euros
-infirmer le jugement en ce qu’il a débouté CMB de ses demandes en paiement de frais irrépétibles, et en réparation de sa perte financière et de son préjudice moral
Statuant à nouveau sur ce point :
-condamner la MAF en qualité d’assureur d’AAA à lui payer les intérêts de droit sur la somme de 88.962,64 euros à compter de la mise en demeure du 15 septembre 2016
-juger que CMB a dû engager des frais et donc subi une perte financière pour défendre ses intérêts à la suite de la faute contractuelle d’AAA
-condamner la MAF à payer à CMB les sommes de 9.500 euros et 16.698,24 euros en remboursement de cette perte financière
-condamner la MAF à payer à CMB la somme de 36.500 euros en réparation de son préjudice moral
¿ Si la cour n’avait pas cette lecture de sa saisine :
* confirmer en tant que de besoin le jugement en ce qu’il a déclaré recevable l’action de CMB à l’égard de la MAF, condamné la MAF à payer à CMB la somme de 88.962,64 euros et celle de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, condamné la MAF aux dépens et ordonné l’exécution provisoire
* statuant à nouveau :
-condamner la MAF en qualité d’assureur d’AAA à lui payer les intérêts de droit sur la somme de 88.962,64 euros à compter de la mise en demeure du 15 septembre 2016
-juger que CMB a dû engager des frais et donc subi une perte financière pour défendre ses intérêts à la suite de la faute contractuelle d’AAA
-condamner la MAF à payer à CMB les sommes de 9.500 euros et 16.698,24 euros en remboursement de cette perte financière
-condamner la MAF à payer à CMB la somme de 36.500 euros en réparation de son préjudice moral
¿ À titre subsidiaire, en cas de partage de responsabilité :
-prononcer un partage de responsabilité faisant peser 99% sur la MAF en sa qualité d’assureur d’AAA et 1% restant à la charge de la Sci CMB Eyrialis
-appliquer cette répartition et en conséquence condamner la MAF en sa qualité d’assureur d’AAA à payer à la Sci CMB
.88.073 euros au titre des travaux payés aux sous-traitants, outre les intérêts de droit à compter de la mise en demeure du 15 septembre 2016 .9.405 euros et 16.531,26 euros concernant la perte financière
.36.135 euros concernant le préjudice moral
En tout état de cause :
-débouter la MAF de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires
-condamner la MAF en sa qualité d’assureur d’AAA à payer à CMB Eyrialis la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
-condamner la MAF aux entiers dépens d’appel.
La Sci CMB Eyrialis indique que la MAF confond les moyens développés au soutien de son pourvoi avec la motivation de la Cour de cassation, qui reproche seulement à la cour d’appel de Bordeaux d’avoir dans le même temps constaté une faute de la part de CMB et de l’autre mis à la charge de la MAF la totalité des préjudices. Elle estime qu’il fallait en effet soit constater l’absence de toute faute de CMB, soit prononcer un partage de responsabilité si elle en retenait une. Elle rappelle que la cour d’appel de renvoi apprécie souverainement le fond et les responsabilités. Elle précise que les arrêts de 2016 qui l’ont condamnée à payer les sous-traitants sont dépourvus d’autorité de chose jugée dans la présente instance.
Elle fait valoir que société familiale, elle n’est pas un maître d’ouvrage professionnel ; qu’elle s’était attachée le concours du professionnel qu’est un architecte ; que celui-ci avait une mission complète ; qu’il lui incombait de la conseiller ; qu’il ne l’a pas fait et pire, l’a induite en erreur sur ses obligations; qu’il n’importe dans ces conditions qu’elle ait ou non été informée de la présence de sous-traitants sur le chantier. Elle récuse le moyen tiré par la MAF de la prohibition de faire rétroagir la jurisprudence, en indiquant que tel est précisément le principe, et en ajoutant qu’en l’occurrence, l’obligation pour l’architecte d’alerter sur la législation en matière de sous-traitance et sur les risques encourus faute de s’y conformer était déjà consacrée par la jurisprudence dès 2010, avant donc la conclusion du contrat de maîtrise d’oeuvre litigieux.
Elle maintient ne pas avoir eu connaissance du cahier des clauses générales, et fait valoir à cet égard que contrairement aux deux autres documents, le cahier des clauses particulières et l’annexe financière, il n’est ni signé ni paraphé. Elle tient pour une clause de style celle par laquelle elle a déclaré reconnaître en avoir pris connaissance. Elle fait observer que de toute façon, cet article G.6.6.3 invoqué par la MAF ne contient aucune information sur les conséquences, pour le maître de l’ouvrage, du défaut d’exécution de ses obligations légales en matière de sous-traitance.
Elle soutient qu’il incombait à la société AAA de l’informer et de la conseiller non seulement au stade de la conclusion du contrat mais aussi au stade de la réalisation du dommage, soit lorsque les sous-traitants l’ont mise en demeure de les payer, et que non seulement elle ne l’a pas fait mais qu’elle l’a même induite en erreur en lui affirmant, ainsi qu’aux sous-traitants, que la loi du 31 décembre 1975 ne s’appliquait pas et qu’ils ne pouvaient agir qu’à l’encontre de MCF Construction. Elle considère qu’il s’agit d’une position trompeuse, et fait observer que MCF et AAA avaient le même siège social et le même téléphone. Elle indique qu’à l’époque de cette réponse trompeuse, MCF n’était pas sous procédure collective, de sorte qu’il aurait encore été possible au maître de l’ouvrage de respecter et faire respecter la loi sur la sous-traitance.
Elle en déduit que la faute d’AAA est totale, et que celle-ci doit supporter l’entier dommage.
Subsidiairement, si la cour retenait qu’elle-même a commis une faute qui a concouru avec celle de l’architecte à son dommage, la Sci CMB soutient que la part de responsabilité qui devrait être mise à sa charge ne saurait excéder 1%.
Sur son préjudice, elle redit qu’elle avait payé MCF Construction et qu’ayant exécuté les arrêts de 2016, elle a payé deux fois les travaux.
Elle explique à l’appui de son appel incident sur les postes de dommages pour lesquels le tribunal l’a déboutée, que c’est en raison de la faute d’AAA qu’elle a résolu de plaider contre les sous-traitants puisqu’elle lui avait écrit que la loi du 31 décembre 1975 ne s’appliquait pas.
Elle justifie sa demande de réparation d’un préjudice moral par les procès qu’elle a dû endurer, et qui ont causé stress et dépression chez les associés.
Elle justifie la demande de réparation du préjudice financier en indiquant avoir été privée de près de 100.000 euros de trésorerie qui lui ont fait défaut pour d’autres projets.
L’ordonnance de clôture est en date du 1er juin 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
La demande de la MAF tendant à voir la présente cour, cour de renvoi, infirmer le jugement déféré en ce qu’il a déclaré recevable l’action de CMB à son égard est irrecevable puisque le chef de décision du jugement du 28 janvier 2018 qui déclare recevable l’action de la Sci CMB Eyrialis dirigée contre la MAF a été confirmé par l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux en un chef de décision qui n’est pas atteint par la cassation partielle prononcée.
Par trois arrêts infirmatifs rendus le premier le 28 avril 2016 et les deux suivants le 31 août 2016, la cour d’appel de Bordeaux a dit que la société CMB Eyrialis, recherchée par trois sous-traitants impayés du solde de leurs travaux, avait commis une faute au sens de l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 en laissant intervenir sur son chantier trois sous-traitants qui ne lui avaient pas été présentés et qu’elle n’avait pas agréés alors qu’elle avait connaissance de leur présence, et elle l’a condamnée à leur payer
.s’agissant de COS Construction : 37.597,72 euros
.s’agissant de BECEB : 33.593,80 euros
.s’agissant d’AMG Aquitaine : 17.771,12 euros (cf pièces n°18, 20 et 22
de l’intimée).
Le caractère définitif de ces arrêts n’est pas discuté.
La MAF n’est pas partie à ces décisions, qui n’ont pas d’autorité de chose jugée à son égard, mais elles constituent des faits juridiques établissant que la Sci CMB Eyrialis a été condamnée sur le fondement de l’action directe ouverte aux sous-traitants par la loi du 31 décembre 1975 à payer le solde de leurs factures à trois entreprises que l’entrepreneur principal, MCF Construction n’avait pas lui-même réglées de leur prestation.
La société AAA était maître d’oeuvre sur ce chantier.
Le devoir du maître d’oeuvre à l’égard du maître de l’ouvrage dépend de l’étendue de la mission que celui-ci lui a confiée.
En l’espèce, le contrat d’architecte conclu avec la Sci CMB Eyrialis par la SARL AAA incluait, pour celle-ci, une mission de direction de l’exécution des contrats de travaux (cf pièce n°6 de l’intimée, page 3).
Il entre dans la mission du maître d’oeuvre dont le contrat inclut expressément la direction des travaux d’alerter le maître de l’ouvrage sur la présence sur le chantier d’un sous-traitant non agréé.
La MAF soutient que la SARL AAA avait satisfait à son devoir de conseil.
L’article G.6.6.3. du cahier des clauses générales annexé au cahier des clauses particulières, dont elle se prévaut à l’appui de cette affirmation, énonce
‘Le maître de l’ouvrage déclare avoir été informé par l’architecte des obligations pesant sur lui en matière de sous-traitance, en application de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975, et notamment de ce que
-l’entrepreneur qui recourt à de la sous-traitance doit faire accepter ses sous-traitants et agréer les conditions de paiement de ceux-ci par le maître de l’ouvrage
-à défaut de payer directement les sous-traitants par délégation, le maître de l’ouvrage doit exiger de l’entrepreneur qu’il justifie avoir fourni une caution personnelle et solidaire obtenue d’un établissement financier pour garantir les sommes qui lui sont dues’.
La société CMB nie avoir eu connaissance de cette clause en faisant valoir qu’elle n’a pas signé le cahier des clauses générales dans lequel elle figure, mais cette clause lui est pourtant opposable, dès lors qu’elle a signé le 16 novembre 2011 (sa pièce n°6) le cahier des clauses particulières qui constitue la ‘partie 1’ du contrat d’architecte et dont le préambule énonce en termes clairs et précis :
‘Le contrat qui lie le maître d’ouvrage et l’architecte est constitué par le présent ‘Cahier des Clauses Particulières’ (CCP), par le ‘Cahier des clauses générales’ (CCG) et par l’Annexe Financière (AF) annexés de l’Ordre des architectes du 1er juillet 2011, et dont les parties déclarent avoir pris connaissance. Ces trois documents sont complémentaires et indissociables’ (cf Cass. Civ. 3° 07.03.2019 P n°18-11995)
ce qui, contrairement à ce que soutient l’intimée, n’est pas une clause de style.
Pour autant, l’insertion de cette clause dans un document opposable au maître de l’ouvrage ne suffit pas à démontrer l’accomplissement par AAA de son devoir de conseil.
La Sci CMB Eyrialis, société au capital de 1.000 euros, est une société familiale constituée entre les consorts [E], [M] et [R] [V] (cf pièces n°3 et 4 de l’intimée), et aucun élément ne permet de voir en elle un professionnel de la construction ni seulement même un maître de l’ouvrage averti.
La directrice générale de la société aujourd’hui liquidée MCF Construction a attesté que celle-ci était le contractant général, que l’opération qu’elle réalisait pour la Sci CMB Eyrialis était une opération ‘clefs en mains’ et que cette dernière ne suivait pas le chantier (pièce n°24).
La gérante de la SARL AAA a elle-même attesté le 17 octobre 2014 (cf pièce n°32) que le maître de l’ouvrage n’était pas présent lors des réunions de chantier, que leurs réunions se déroulaient ‘toujours hors réunion de chantier’ et que ‘la présence du client sur les lieux du chantier était uniquement due à son besoin organisationnel pour le compte de son exploitation et non pour une surveillance ou implication quelconque dans le suivi du chantier’.
Dans ces conditions, la transmission à la Sci CMB Eyrialis par le maître d’oeuvre de comptes-rendus de chantier faisant mention d’entreprises autres que le contractant général ne dispensait pas la société AAA d’attirer explicitement l’attention du maître de l’ouvrage sur la présence de sous-traitants non déclarés qu’il convenait de présenter et d’agréer.
En outre, il n’est pas démontré que le maître d’oeuvre ait informé le maître de l’ouvrage qu’il s’exposait légalement à payer deux fois s’il n’agréait pas ces sous-traitants non déclarés, la clause du cahier des charges déjà citée ne formulant pas un tel avertissement.
La MAF n’est pas fondée à soutenir qu’à l’époque de la conclusion du contrat d’architecte et du chantier, la jurisprudence ne faisait pas peser une telle obligation sur le maître d’oeuvre, alors qu’il était déjà jugé depuis près d’un demi-siècle que l’architecte n’est pas seulement un homme de l’art qui conçoit et dirige les travaux mais aussi un conseiller à la technicité duquel le client fait confiance et qui doit l’éclairer sur tous les aspects de l’entreprise qu’il lui demande d’étudier et de réaliser (cf Cass. Civ. 1° 25.06.1963 B n°341), et depuis 2010 qu’il entre dans la mission du maître d’oeuvre dont le contrat inclut expressément la direction des travaux et leur coordination d’alerter le maître de l’ouvrage de la présence sur le chantier d’un sous-traitant non agréé, la mise en oeuvre d’une telle alerte constituant pour l’architecte une obligation positive dont l’éventuelle connaissance de cette présence par son client ne le dispense pas.
En outre, il ressort des productions (cf pièces n°10, 23 et 30 à 32 de l’intimée) que lorsque le premier des sous-traitants non déclarés s’est manifesté pour demander s’il avait bien été déclaré au maître de l’ouvrage, à une époque, soit novembre 2012, où le contractant général MCF était encore maître de ses biens -puisqu’elle a été placé en redressement judiciaire le 5 décembre 2012- et où la situation aurait pu être régularisée, la société MCF lui a répondu qu’elle n’avait pas à le faire car il ne devait avoir de rapports qu’avec elle-même et qu’elle n’avait aucun compte à rendre à sa cliente, position que la société AAA, qui n’avait pu manquer d’en être avisée d’autant qu’elle avait le même siège social au [Adresse 3] et le même numéro de téléphone [XXXXXXXX01] que la société MCF Construction (cf pièce n°2 de l’appelante), a validée en écrivant elle-même peu après à ce sous-traitant dans les mêmes termes que sa position ne pouvait être suivie d’effets car il n’avait à faire qu’avec MCF qui était contractant général et non pas une entreprise de travaux généraux, ce qui démontre la fausseté de l’analyse de la situation par le maître d’oeuvre et manifeste son ignorance, ou son mépris, des règles légales gouvernant la sous-traitance.
Ainsi, à ce stade aussi, le maître d’oeuvre a manqué à son devoir de conseiller son client.
Ces manquements de la SARL AAA engagent sa responsabilité envers la société CMB Eyrialis, à laquelle le premier juge a retenu à bon droit qu’elle devait sa garantie, couverte par la MAF, pour le préjudice qui en est résulté.
La faute commise par la Sci CMB Eyrialis envers les sous-traitants dont elle a fini par connaître la présence sur le chantier et qu’elle n’a pas agréés a concouru avec celle de l’architecte à la production du dommage subi par ces entreprises.
Dans ces conditions, la responsabilité est partagée entre le maître de l’ouvrage et le maître d’oeuvre, dans une proportion qu’il échet de fixer au vu de leurs situations respectives à 80% pour AAA et 20% pour CMB Eyrialis.
Le préjudice subi par la société CMB Eyrialis consiste en premier lieu à avoir dû payer aux trois sous-traitants qui ont saisi la justice une somme totale de (37.597,72 + 33.593,80 euros + 17.771,12) = 88.073 euros en vertu des trois arrêts prononcés en 2016 par la cour d’appel de Bordeaux, alors qu’elle prouve (sa pièce n°14) qu’elle avait déjà réglé à ce titre sa cocontractante MCF de sorte qu’elle a payé deux fois les prestations en question, peu important que les situations payées n’aient prétendûment pas été visées par l’architecte.
La MAF n’est pas fondée à objecter que la demanderesse ne démontrerait pas avoir effectivement exécuté les arrêts de la cour d’appel de Bordeaux, alors que la copie des chèques libellés à l’ordre de la CARPA est versée aux débats avec leur courrier de transmission par l’avocat (pièce n°26 de l’intimée).
Contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges, le préjudice subi par la société CMB Eyrialis en relation avec le manquement du maître d’oeuvre à son devoir de conseil recouvre aussi, en second lieu, les indemnités irrépétibles d’un total de 9.500 euros qu’elle a été condamnée à verser aux sous-traitants, et les frais d’avocat et d’huissier de justice d’un montant total de 16.596 euros qu’elle justifie (ses pièces n°27 et 28) avoir supportés dans le cadre de ces trois procès, dès lors que la position de l’architecte d’ignorer le droit à être agréés et l’action directe des sous-traitants a convaincu le maître de l’ouvrage profane de les contester, vainement, l’exposant à ces frais.
S’agissant en troisième lieu du préjudice moral dont elle sollicite aussi réparation, la Sci CMB Eyrialis n’en rapporte pas la preuve, les justificatifs qu’elle produit à l’appui de ce chef de demande consistant en documents médicaux et financiers qui concernent ses associés, non parties à l’instance, et ce chef de prétention sera rejeté.
La MAF sera ainsi condamnée à payer à la Sci CMB Eyrialis la somme de (88.073+ 9.500 +16.596) x 80% = 91.335,20 euros, avec, comme demandé, des intérêts au taux légal à compter de l’assignation sur le seul premier poste de préjudice soit sur (88.073 x 80%) = 70.458,40 euros.
Le tribunal a omis de statuer sur la prétention de la MAF à voir juger qu’elle est fondée à opposer à la Sci CMB Eyrialis le principe et le montant de la franchise contractuelle stipulée au contrat d’assurance la liant à son assurée AAA.
Cette prétention, reprise devant la présente cour, et à laquelle l’intimée n’oppose nulle objection, est fondée.
La franchise ne peut être inférieure à 60,71 euros ni supérieure à 7.588,90 euros (pièce n°3 de l’appelante).
La société MAF, qui conteste le principe même des demandes de CMB Eyrialis et sollicite leur rejet pur et simple, doit être regardée comme succombant devant la cour et elle supportera les dépens d’appel.
Elle versera à l’intimée une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
la cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
sur renvoi de cassation et dans les limites de la cassation partielle prononcée :
DÉCLARE irrecevable la demande de la MAF tendant à voir la présente cour, cour de renvoi, infirmer le jugement déféré en ce qu’il a déclaré recevable l’action de CMB à son égard
INFIRME le jugement déféré, prononcé le 23 janvier 2018 par le tribunal de grande instance de Bordeaux, en ce qu’il retient une garantie intégrale de la société CMB Eyrialis, en ce qu’il condamne la compagnie MAF à payer à la Sci CMB Eyrialis la somme de 88.962,64 euros et en ce qu’il déboute la société CMB Eyrialis de sa demande en réparation de son préjudice financier
CONSTATE que le jugement a omis de statuer sur la prétention de la MAF à voir juger qu’elle est fondée à opposer à la Sci CMB Eyrialis le principe et le montant de la franchise contractuelle stipulée au contrat d’assurance la liant à son assurée AAA
statuant à nouveau de ces chefs, et y ajoutant :
DIT la Mutuelle des architectes français (MAF) tenue de garantir la faute commise par son assurée la SARL AAA envers la Sci CMB Eyrialis
DIT que la faute commise par la Sci Eyrialis limite à proportion de 20% son droit à réparation dans ses rapports avec la société AAA
DIT la MAF fondée opposer à la Sci CMB Eyrialis la franchise contractuelle stipulée au contrat d’assurance la liant à la SARL AAA
CONDAMNE la MAF à payer à la Sci CMB Eyrialis sous réserve d’en déduire cette franchise contractuelle la somme de 91.335,20 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 27 octobre 2016 sur la somme de 70.458,40 euros
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres ou contraires
CONDAMNE la MAF aux dépens d’appel
LA CONDAMNE à payer en application de l’article 700 du code de procédure civile la somme de 5.000 euros à la Sci CMB Eyrialis.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,