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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 12
ARRÊT DU 20 Octobre 2023
(n° , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 22/05391 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFYSR
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 janvier 2018 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de MELUN RG n° 16-00115
APPELANTE
Madame [W] [N]
[Adresse 1]
[Localité 3]
comparante en personne, assistée de Me Khéops LARA, avocat au barreau de MELUN, toque : M07
INTIMÉES
S.A.R.L. [7]
[Adresse 8]
[Adresse 8]
[Localité 2]
représentée par Me Olivier LAURENT, avocat au barreau de MELUN
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE SEINE ET MARNE
Service contentieux
[Localité 4]
représentée par Me Camille MACHELE, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 1er juin 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Raoul CARBONARO, Président de chambre
Monsieur Gilles REVELLES, Conseiller
Madame Natacha PINOY, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier : Madame Alisson POISSON, lors des débats
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, initialement prévu le 15 septembre 2023 et prorogé au 13 octobre 2023 puis au 20 octobre 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Monsieur Raoul CARBONARO, Président de chambre, et Madame Claire BECCAVIN, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l’appel interjeté par [W] [N] (l’assurée) d’un jugement rendu le 26 janvier 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Melun dans un litige l’opposant à la S.A.R.L. [7] (la société), en présence de la caisse primaire d’assurance maladie de la Seine-et-Marne (la caisse).
EXPOSÉ DU LITIGE
Les faits de la cause ayant été correctement rapportés par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que l’assurée, salariée de la société en qualité d’ouvrière spécialisée en prothèse dentaire, a déclaré le 3 novembre 2010 une maladie professionnelle au titre d’une épaule droite douloureuse ; que cette pathologie a été prise en charge par la caisse au titre de la législation sur les risques professionnels ; que l’état de santé de l’assurée a été déclaré consolidé au 3 juillet 2012 avec un taux d’incapacité permanente partielle (IPP) de 7 % ; qu’après vaine tentative de conciliation, l’assurée a intenté une action en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Melun, lequel par jugement du 26 janvier 2018, l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes ; que l’assurée a relevé appel de ce jugement ; que la caisse a porté le taux d’IPP à 17 % par décision du 17 mars 2014, lequel a été confirmé par le tribunal de l’incapacité par jugement du 3 novembre 2014.
La cour d’appel de Paris, par arrêt du 25 septembre 2020, a annulé le jugement et débouté l’assurée de ses demandes.
Par arrêt du 7 avril 2022, la Cour de cassation a cassé l’arrêt du 25 septembre 2020, sauf en ce qu’il a annulé le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Melun du 26 janvier 2018, a remis, sauf sur ce point, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d’appel de Paris autrement composée.
Au visa des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et de la définition de la faute inexcusable de l’employeur, la Cour de cassation a jugé que :
« 5. Après avoir relevé que la victime ne produit aucun écrit par lequel elle aurait avisé sa hiérarchie d’un dysfonctionnement du matériel et qu’une étude d’ergonomie effectuée en 2010 sur son poste de travail n’a pas été suivie d’un compte rendu, l’arrêt retient qu’il n’est pas établi que l’employeur aurait été informé, avant l’arrêt de travail de la victime, de la nécessité de modifier son poste de travail pour lui éviter des gestes tels que définis par le tableau n° 57 des maladies professionnelles. Il en déduit que la victime ne démontre pas que son employeur aurait dû avoir conscience du risque auquel elle était exposée, en lien avec la maladie professionnelle déclarée.
« 6. En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du risque encouru, à la date de la première constatation médicale, par la victime effectuant l’un des travaux mentionnés par le tableau comme susceptible d’entraîner l’affection considérée, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »
Par ses conclusions écrites soutenues oralement et déposées à l’audience par son conseil, l’assurée demande à la cour, au visa des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, et de l’arrêt de la Cour de cassation du 7 avril 2022, de :
– Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
En conséquence, statuant à nouveau,
– Dire que la société a manqué à son obligation de sécurité de résultat, ce qui a entraîné l’apparition des maladies professionnelles qu’elle a présentées ;
– Juger que ce manque a le caractère d’une faute inexcusable ;
– Fixer au maximum le montant des indemnités devant lui revenir ;
– Dire que la caisse fera l’avance des frais et indemnités et en récupérera le montant auprès de la société et condamner d’ores et déjà cette dernière à les lui rembourser sur les justificatifs qu’elle lui en fournira ;
Avant dire droit sur le montant de la réparation des préjudices causés par la faute inexcusable,
– Ordonner une expertise médicale et commettre pour y procéder l’expert qu’il plaira au tribunal (sic), avec la mission habituelle, et notamment, après avoir examiné la victime et recueilli tous renseignements utiles, de :
1/ Décrire les lésions subies ;
2/ Indiquer leur traitement, leur évolution et celle des troubles en rapport direct avec les maladies ;
3/ Déterminer, décrire, qualifier et chiffrer :
a/ Les préjudices expressément énumérés par l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, à savoir :
* Les souffrances endurées sur une échelle de 1 à 7 ;
* Le préjudice esthétique sur une échelle de 1 à 7 ;
* Le préjudice d’agrément ;
* La perte ou la diminution des possibilités de promotion professionnelle ;
b/ Le déficit fonctionnel temporaire ;
c/ La nécessité d’avoir à recourir à tierce personne avant la consolidation ;
– Dire que l’expert devra donner connaissance de ces premières conclusions aux parties et répondre à toutes observations écrites de leur part dans le délai qu’il leur aura imparti avant d’établir son rapport définitif ;
– Dire que les frais d’expertise seront avancés par la caisse d’assurance maladie qui en récupérera le montant auprès de la société ;
– Condamner la société à lui payer la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Par ses conclusions écrites soutenues oralement et déposées à l’audience par son conseil, la société demande à la cour de :
– Débouter l’assurée de sa demande d’annulation du jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale du 26 janvier 2018 ;
– Constater que l’assurée n’a jamais été exposée à un risque particulier ayant pour origine ses conditions de travail ;
– Constater que l’employeur n’a jamais eu connaissance d’un éventuel danger auquel l’assurée aurait pu être exposée dans le cadre de ses conditions de travail, la première constatation médicale concernant l’épaule droite (et non l’épaule gauche) étant du 30 septembre 2010, l’assurée ayant été arrêtée à compter du 1er juillet 2010 sans ne jamais reprendre son activité professionnelle ;
– Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale le 26 janvier 2018 ;
– Condamner l’assurée au paiement d’une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– La condamner aux entiers dépens de la procédure.
Par ses conclusions écrites déposées à l’audience par son conseil qui les a développées et complétées oralement à l’audience, la caisse, au visa des articles L. 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale, demande à la cour de :
– Statuer ce que de droit sur les mérites de l’appel interjeté par l’assuré quant au principe de la faute inexcusable et la majoration de l’indemnité en capital qui en résulterait ;
Dans l’hypothèse où la cour retiendrait la faute inexcusable de l’employeur,
– Lui donner acte de ce qu’elle n’entend pas s’opposer à la demande d’expertise sollicitée par l’assurée ;
– Limiter la mission de l’expert à l’évaluation des postes de préjudices indemnisables au titre de la faute inexcusable ;
– Rappeler que la caisse avancera les sommes éventuellement allouées à l’assurée dont elle récupérera le montant sur l’employeur, y compris les frais d’expertise ;
En tout état de cause,
– Condamner tout succombant aux entiers dépens.
Pour un exposé complet des moyens et arguments des parties, la cour renvoie expressément à leurs productions écrites reprises oralement à l’audience et déposées auprès de la cour après avoir été visées par le greffe à la date du 1er juin 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Le 7 avril 2022, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour de céans du 25 septembre 2020, sauf en ce qu’il a annulé le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Melun du 26 janvier 2018, de sorte que l’annulation du jugement déféré est définitive et que la cour n’a plus aujourd’hui à l’annuler, le confirmer ou l’infirmer, les demandes allant dans ce sens ne pouvant plus prospérer.
En revanche, la cour doit examiner la demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur et ses conséquences éventuelles dont avait été saisie la juridiction de première instance et qui reste non résolue à ce jour.
Il convient de rappeler que la faute inexcusable n’a été sollicitée qu’au titre de la maladie déclarée le 3 novembre 2010 au titre d’une épaule droite douloureuse. Si l’assurée invoque ses maladies professionnelles dans son dispositif, elle ne développe de moyens et arguments qu’au titre de cette pathologie, outre celle de l’épaule gauche pour laquelle, à supposer qu’elle existe, aucune pièce n’a été versée.
Ensuite, si la société soutient que la première constatation médicale de la maladie est en date du 30 septembre 2010, en se fondant sur le certificat médical initial et en soutenant que la date retenue par la caisse ne procédait que d’une erreur n’ayant toutefois pas grande importance dans la mesure où l’assurée n’avait jamais regagné son poste de travail depuis l’arrêt de travail initial du 1er juillet 2010, il convient de constater qu’elle ne tire aucune conséquence de cette « erreur » de date.
1° Sur la faute inexcusable
Moyens des parties
L’assurée soutient que son employeur ne pouvait qu’avoir conscience du risque auquel il l’exposait depuis la première constatation médicale de la tendinopathie de son épaule droite, puisque la caisse avait reconnu sa maladie et l’avait prise en charge le 30 septembre 2010 comme étant inscrite au tableau n° 57 A qui mentionne les tendinopathies chroniques lorsque le salarié effectue certains mouvements de l’épaule. Elle relève que la Cour de cassation a considéré « qu’il résultait de ses constatations [i.e. de la cour d’appel] que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du risque encouru, à la date de la première constatation médicale, par la victime effectuant l’un des travaux mentionnés par le tableau comme susceptible d’entraîner l’affection considérée ». Elle en déduit que la société devait ou aurait dû avoir conscience du risque encouru dès le 31 août 2010, date de la première constatation de la tendinopathie de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite par mouvement répété selon la déclaration de maladie professionnelle du 3 novembre 2010. Elle ajoute que la déclaration de maladie professionnelle constitue en elle-même, et d’évidence, une alerte pour l’employeur du risque encouru par sa salariée sur le lieu de travail.
L’assurée invoque ensuite la défectuosité et la non-conformité de la machine sur laquelle elle travaillait. Elle fait valoir que le bouton de mise sous tension du système d’aspiration de la cabine du box de grattage qu’elle utilisait seule était défectueux depuis 2002, date de son acquisition par la société, ce qui était connu de l’ensemble de ses collègues de travail et de l’employeur comme l’établissent les attestations qu’elle verse. Le défaut du box impliquait selon l’assurée qu’elle effectue une vingtaine de mouvements répétitifs supplémentaires quotidiens de préhension et d’extension de l’épaule sans soutien en abduction. Elle expose qu’entre 2002, date d’acquisition de la machine selon elle, et 2010, la société n’a jamais cru devoir réparer ce box malgré ses plaintes. Si la société prétend que le matériel était bien entretenu, l’assurée invoque au contraire que la « fiche de vie » produite par la société ne correspond pas au box [6] qu’elle utilisait mais au micro-moteur qui a cessé d’être utilisé en 2015. L’assurée relève que le certificat de conformité produit indique d’ailleurs en italien : « prédisposition pour micro-tour et turbine » (traduction de l’assurée). Elle soutient que les 14 bons de réparation produits par la société ne concernent que l’entretien du micro-moteur et non pas le box de grattage. Elle indique qu’elle remplissait de façon hebdomadaire un carnet de vie de son matériel mais qu’il n’est pas produit au débat par la société. Elle critique la lettre du salarié du fournisseur et fabricant de la machine en ce qu’il s’agit d’une lettre de pure complaisance. L’assurée en déduit que rien ne peut justifier la décision de la société de la maintenir à son poste sans aucun aménagement ou intervention technique sur la machine pendant huit ans et qu’il appartenait à la société ainsi informée des risques encourus par sa salariée lors de l’utilisation du box de grattage, de prendre immédiatement toute mesure nécessaire pour l’en préserver. L’assurée explique que ses mouvements répétitifs supplémentaires quotidiens réalisés de 2002 à 2010 ont finalement atteint gravement sa santé, de sorte qu’elle ne pouvait plus utiliser son bras droit pour réparer le dysfonctionnement quotidien de sa machine et qu’elle a dû utiliser le bras gauche d’où l’apparition d’une tendinopathie à l’épaule droite après son épaule gauche qui a continué de s’aggraver et a nécessité une intervention chirurgicale en 2013. Elle fait valoir qu’à la suite de cette pathologie elle est devenue inapte pour la plupart des emplois et qu’elle a été licenciée pour inaptitude professionnelle. La conscience de l’employeur du danger encouru par la salariée ressort également selon l’assurée des lettres de la médecine du travail mettant en cause dès 2010 la « hauteur de la commande d’aspiration de la cabine de ponçage, système dysfonctionnant et nécessitant un geste répétitif de ‘relance’ ». L’assurée poursuit en expliquant qu’alertée par la médecine du travail sur ce geste répétitif provenant du dysfonctionnement de la machine de travail de la salariée, la société n’a pas cru devoir donner suite à la demande d’étude d’ergonomie demandée par le SAMETH. Elle ajoute qu’en dehors même de l’absence de réparation du box de grattage, la société n’a pas effectué ou envisagé un aménagement de poste puisque la société n’a pris aucune mesure pour préserver sa salariée en la laissant à son poste non aménagé jusqu’au 1er juillet 2010 date à laquelle son état de santé s’étant considérablement dégradé elle a dû être placée en arrêt de travail.
La société réplique que sa salariée a bénéficié d’un arrêt de travail continu à compter du 1er juillet 2010, de sorte qu’il ne pouvait pas lui être reproché d’avoir exposé sa salariée en toute connaissance de cause à effectuer des travaux mentionnés au tableau susceptibles de provoquer la pathologie en cause puisqu’elle n’avait pas connaissance de ce que sa salariée avait un problème à l’épaule droite avant le 30 septembre 2010, date de la première constatation de la maladie. Il ne peut pas lui être davantage reproché de ne pas avoir adapté son poste de travail dès lors qu’elle avait eu convenu avec le SAMETH et le médecin du travail que cette adaptation interviendrait lors de la reprise du travail de sa salariée, reprise qui n’était jamais intervenue.
La société oppose ainsi que la salariée ne rapporte pas la preuve d’une exposition au risque et de la connaissance de celui-ci par l’employeur. En effet, rappelle-t-elle, la salariée invoque un dysfonctionnement de la machine sur laquelle elle travaillait en raison d’un bouton qu’elle devait actionner de son bras droit lorsqu’elle devait remettre la machine en fonctionnement après que cette dernière s’était mise en sécurité, de sorte que dans ces conditions « l’épaule gauche » n’était pas concernée par le dysfonctionnement de ce bouton manipulé avec la main droite. Elle ajoute que la pathologie de « l’épaule gauche » n’est apparue que 5 ans après la cessation de son travail et qu’elle s’était aggravée en mars 2017, de sorte que la cause des problèmes de santé de l’assurée devait être recherchée non dans ses conditions de travail mais dans l’évolution de son état de santé général comme l’a indiqué le docteur [S] le 19 novembre 2013, lequel considérait qu’il convenait de rechercher une pathologie inflammatoire chronique. La société explique que les boxes de grattage utilisés dans l’entreprise étaient neufs, conformes et régulièrement entretenus. En outre, elle relève qu’un salarié du fabricant de la machine qui a examiné l’appareil a attesté qu’il n’avait constaté aucun défaut de dysfonctionnement au niveau du bouton marche/arrêt du box, lequel était très bien entretenu et en parfait état de marche. Elle critique le caractère probatoire des attestations versées par l’assurée au motif qu’elles ne sont pas circonstanciées, sont des copier-coller d’un témoignage de l’un sur l’autre, se bornent à prétendre que le box était défectueux et non réparé, ce qui est par ailleurs contraire aux éléments produits au débat, et ne précisent pas les raisons pour lesquelles le box tombait en panne ni le nombre de manipulations supplémentaires auxquelles aurait été confrontée l’assurée. En réalité, explique-t-elle, il faut considérer que le box pouvait être en panne mais que cela relevait d’un manque d’entretien par son utilisatrice, à savoir l’assurée, soit par manque de nettoyage et encrassement du filtre, soit par simple usure du micro-moteur mais que dans ce dernier cas c’est tout le box de grattage qui était inutilisable. La société critique l’argumentation de l’assurée selon laquelle l’employeur aurait manqué à ses obligations en raison d’une mise en cause dès 2010 de la hauteur de la commande d’aspiration de la cabine par la médecine du travail en ce que le document du SAMETH en date du 29 septembre 2014, qui fait allusion à une étude de poste de 2010 sans précision et à une lettre de la médecine du travail du 25 novembre 2014 prétendant que la société n’aurait donné aucune suite au passage de l’ergonome, est inexact puisqu’une demande d’intervention a bien été adressée par le SAMETH et renvoyée le 11 octobre 2010, qu’un rendez-vous avait été pris au sein de l’entreprise en présence du médecin du travail, d’une représentante de la SAMETH, de l’assurée et des dirigeants de la société, mais qu’à la suite de ce rendez-vous, l’assurée étant déjà en arrêt de travail, il avait été décidé d’attendre sa consolidation des poignets et sa reprise du travail pour un aménagement du poste de travail. De même, sur la connaissance du danger, la société soutient que les attestations précitées ne le démontrent pas davantage, notamment dans le cadre du caractère répétitif de la man’uvre qu’elle devait effectuer avec son bras droit. Aucun salarié n’a précisé que l’assurée s’était plainte auprès d’eux de son poste de travail. En outre, relève-t-elle, l’assurée n’établit pas qu’elle a été exposée au risque entre 2002 et 2010 comme elle le prétend puisque pendant cette période elle ne l’a jamais alertée alors qu’elle n’a pas hésité par dix lettres recommandées, entre 2011 et 2014, à se plaindre des feuilles de paie et qu’en outre le médecin du travail pendant toute la durée de son activité de 1990 à 2010 l’a déclarée apte chaque année.
Réponse de la cour
Il résulte de l’application combinée des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail que le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident survenu au salarié ou de la maladie l’affectant. Il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire, même non exclusive ou indirecte, pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, étant précisé que la faute de la victime, dès lors qu’elle ne revêt pas le caractère d’une faute intentionnelle, n’a pas pour effet d’exonérer l’employeur de la responsabilité qu’il encourt en raison de sa faute inexcusable.
En l’espèce, il est constant que l’assurée a exercé la profession d’ouvrière spécialisée en prothèse dentaire au sein de la société du 24 novembre 1987 au 29 juin 2017. Le 3 novembre 2010, l’assurée a souscrit une déclaration d’une maladie professionnelle au titre d’une « épaule douloureuse simple à droite » constatée par certificat médical du 30 septembre 2010 faisant état du 31 août 2010 comme date de première constatation, prise en charge le 11 mars 2011 par la caisse sur la base du tableau n° 57 A, à savoir une « tendinopathie chronique de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite » avec pour date de première constatation retenue par le service médical au 1er juillet 2010. Son état de santé a été consolidé au 3 juillet 2012 et un taux d’IPP de 7 % lui a été attribué, lequel sera porté à 17 % le 17 mars 2014 à effet du 29 janvier 2014, taux confirmé par le tribunal du contentieux de l’incapacité.
Par ailleurs, il n’est pas contesté qu’elle a déclaré deux maladies au titre de la législation sur les risques professionnels le 10 novembre 2009, lesquelles ont été prises en charge par la caisse sur la base du tableau n° 57 C des maladies professionnelles, à savoir une « ténosynovite du poignet droit » et une « ténosynovite du poignet gauche ». L’assurée a été placée en arrêt de travail le 1er juillet 2010 pour une atteinte « des mains droite et gauche » selon les certificats médicaux. L’arrêt a été régulièrement prolongé jusqu’à son licenciement, le 29 juin 2017, pour inaptitude physique d’origine professionnelle.
Le caractère professionnel de la maladie prise en charge le 11 mars 2011 n’est pas contesté et la réunion des conditions requises par le tableau n° 57 A n’est pas discutée, la société relevant seulement que le service médical s’est trompé sur la date de première constatation dès lors que les certificats médicaux du 1er juillet 2010 ne font pas état d’une atteinte de l’épaule droite, ni même gauche, mais des deux mains.
Il est constant que les deux certificats médicaux du 1er juillet 2010 produits aux débats (pièces n° 4 de l’assurée) font état respectivement d’une « main dte tableau 57 Ténosynovite » et « main G tableau 57 Ténosynovite ». Aucun certificat médical à cette date ne mentionne une lésion de l’épaule droite. Le certificat médical initial du 30 septembre 2010 fait état d’une « épaule douloureuse simple à droite accompagnée de limitations douloureuses des mouvements. Travaux correspondants tableau 17 (sic) mouvements répétés » et fixe une date de première constatation médicale au 31 août 2010 (pièce n° 4 de la caisse). Le colloque médico-administratif (pièce n° 5 de la caisse) confirme le diagnostic du certificat médical initial au titre d’une « épaule Dte douloureuse » et fixe la date de première constatation médicale au 1er juillet 2010 en inscrivant en dessous la mention « (ITT) ».
L’assurée ne peut pas être suivie dans son raisonnement quand elle affirme que la société devait avoir connaissance du risque auquel elle était exposée dès le 1er juillet 2010, date à laquelle la maladie avait été selon elle prise en charge par la caisse, dès lors qu’elle confond la date de première constatation médicale, qui est d’ailleurs concomitante à son placement en arrêt de travail qui ne cessera pas jusqu’à son licenciement le 29 juin 2017, et la date à laquelle la maladie a été prise en charge de façon effective avec l’information de la société de cette prise en charge, à savoir le 11 mars 2011, date qui fait rétroagir la prise en charge au 1er juillet 2010 mais pas la connaissance de la maladie professionnelle par la société qui n’en a eu connaissance certaine qu’après le 11 mars 2011.
Dès lors, l’existence du risque et la conscience de la société qu’elle exposait sa salariée à ce risque doivent être nécessairement recherchées avant le 1er juillet 2010.
Or au cas d’espèce, il n’est pas établi qu’avant le 1er juillet 2010, la société avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel elle exposait sa salariée sans avoir pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
En effet, le seul autre moyen soulevé par l’assurée est la défectuosité et la non-conformité de la machine sur laquelle elle travaillait. Pour tenter d’établir ses dires l’assurée invoque deux choses : la première est la connaissance qu’en avaient ses collègues et son employeur au regard des attestations qu’elle produit et l’intervention du SAMETH et de la médecine du travail ; la seconde est l’absence d’entretien de la machine au regard des pièces produites par la société elle-même.
Néanmoins la cour constate que les cinq attestations produites par l’assurée ne sont pas circonstanciées et, en termes généraux et vagues, ne font pas état de plaintes précises de l’assurée qui auraient été rapportées directement ou indirectement à l’employeur, ni des dates ou périodes des plaintes alléguées, n’expliquent pas exactement en quoi la machine était défectueuse, et ne précisent pas quelle était la fréquence des mouvements supplémentaires dont la réalisation était imputée à la défectuosité de la machine. Ces attestations sont impropres à établir d’une part que la machine était effectivement défectueuse et d’autre part que la société en était effectivement informée.
Par exemple la première attestation (pièce n° 11) indique : « Lors de mes présences au laboratoire, je certifie avoir vu, à plusieurs reprises, [l’assurée] qui occupait un poste prothésiste dentaire, section conjointe, travailler avec un box de grattage personnel défectueux et que l’employeur en était informé. Je certifie qu’il lui arrivait, occasionnellement, d’occuper une autre cheville, quand celle-ci pouvait être disponible, suite au dysfonctionnement de son box de grattage ou de sa pièce à main (personnelle). »
La seconde attestation (pièce n° 12) fait état de la surcharge de travail au sein du département de prothèses dentaires qui a eu des incidences sur le travail de l’assurée pendant plusieurs années. Le témoin indique qu’il avait pu voir que le « box de grattage personnel, dont elle se servait était défectueux et n’était pas réparé. Cela entraînait une gêne importante dont elle faisait part à nos employeurs. Non seulement ce problème engendrait des manipulations répétitives gênantes car l’interrupteur de mise en marche de l’aspiration de sa cabine se situant à l’extérieur mais l’obligeait à en sortir le bras de la cabine pour actionner la mise en marche de l’arrêt de l’aspiration. »
L’attestation versée en pièce n° 13 reprend quasiment les mêmes termes.
L’attestation n° 14 révèle que le témoin a quitté l’entreprise en octobre 2004 et qu’il se souvenait que l’assurée « avait des problèmes avec son box de grattage et avec sa pièce à main qui chauffait et qu’il lui arrivait de venir gratter du côté de la mobile ».
La cinquième attestation (pièce n° 15) nous révèle que le témoin a travaillé de 2009 à 2015 dans la société et qu’il « pouvait dire que [l’assurée] était au poste de conjointe, et changeait de place pour les besoins de fabrication des prothèses dentaires, et, qu’elle travaillait dans la même pièce que [l’employeur] ».
L’assurée ne verse aucune autre pièce établissant qu’elle avait informé la société du dysfonctionnement dont elle se plaint avant 2010.
Au contraire, la société verse trois attestations (pièces n° 19, 21 et 22) de salariés ayant travaillé pendant la période en cause qui indiquent tous trois qu’ils n’ont pas entendu l’assurée se plaindre de son poste de travail pendant toute la période à laquelle ils étaient présents dans l’entreprise. L’assurée ne conteste pas formellement ces attestations.
En outre, la société établit que lors de l’achat de la machine en 2001, celle-ci était conforme (sa pièce n° 17). Cette déclaration de conformité, écrite en italien le 29 mars 2001 par la société de droit italien [6], qui contrairement aux affirmations de la salariée n’indique pas qu’il s’agit seulement d’un « micro-tour et turbine », est ainsi rédigée (traduction du conseiller rapporteur) : « Boîte [Box] de céramique d’or avec aspiration, éclairage, buse, aération, contrôle électronique de la vitesse, préparation des micro-moteurs et des turbines – Modèle : OKL 600, numéro de série OK6000003/2001 – Année de fabrication : 2001 ‘ Le soussigné déclare que le matériel cité plus haut est entièrement conforme aux Directives 89/392/CEE, 89/336/CEE, 93/68/CEE, 73/23/CEE. »
En revanche, l’attestation versée en pièce n° 20 par la société pour établir le bon entretien de la machine n’est pas probante en ce qu’elle a été rédigée le 20 avril 2016 par un salarié de la société [5], qualifié d’« Agent Saratoga Laboratoire », intervenu le 8 mars 2016 sur la machine effectivement utilisée par l’assurée jusqu’en 2010. Elle ne peut donc pas établir que la machine était avant 2010 dans l’état dans lequel elle a été examinée en 2016.
De même, les nombreuses fiches de réparations versées en pièces n° 18 ne sont pas probantes dans la mesure où elles concernent un matériel désigné sous le sigle K9 ou K900 ou K950 alors que le certificat de conformité de la machine identifiée comme un « box » indique le sigle OKL 600.
Ensuite, l’intervention du SAMETH n’est pas de nature à établir que la société avait ou aurait dû avoir conscience du danger avant le 1er juillet 2010.
En effet, les pièces versées au soutien de ce moyen par l’assurée ont été établies les 29 septembre 2014 et 25 octobre 2014 (pièces n° 8 et 9 de l’assurée). Il y est fait état d’une étude de poste réalisée en octobre 2010 à laquelle la société n’aurait pas donné de suites. Néanmoins, ces quelques informations sont inexactes.
La raison pour laquelle aucune suite n’a été donnée à cette intervention d’un ergonome sur le poste de travail de l’assurée importe peu. Néanmoins, l’explication de la société sur ce point est convaincante. De fait, il convient de relever qu’à cette date l’assurée était en arrêt de travail depuis le 1er juillet 2010 et n’a jamais repris le travail ensuite jusqu’à son licenciement en 2017. Un aménagement immédiat du poste était sans objet. De plus, il est faux de prétendre que la société n’a donné aucune suite à la demande du SAMETH puisque la demande d’étude ergonomique de cet organisme, qui avait été saisi le 1er septembre 2010 par la MDPH, elle-même sollicitée par l’assurée afin d’étudier les possibilités de la maintenir dans l’entreprise, a été formée le 7 octobre 2010, et la société y a répondu favorablement le 11 octobre 2010 (pièce n° 26 de la société). L’ensemble de cette procédure d’étude de poste est en tout état de cause postérieure à l’arrêt de travail qui n’a cessé qu’avec le licenciement de l’intéressée en 2017, et même antérieure à la date de déclaration de la maladie professionnelle au titre de l’épaule droite et ne concernait, de toute évidence, que les deux pathologies des mains droite et gauche, de sorte que cette procédure d’étude ergonomique ne peut pas établir une information de la société sur la pathologie de l’épaule droite et dont elle n’aurait pas tenue compte en maintenant sa salariée à un poste de travail l’exposant à un risque après octobre 2010.
Il ne ressort d’aucune des 18 fiches de visites établies par le médecin du travail entre le 1er mars 1993 et le 11 juin 2009 la moindre réserve ou recommandation, chaque fiche indiquant « Apte » (pièces n° 24 de la société).
Enfin, la lettre du médecin du travail à la société dont se prévaut l’assurée n’est pas susceptible de rapporter la preuve d’une conscience nécessaire du danger par l’employeur avant le 1er juillet 2010 dès lors qu’elle a été rédigée le 25 octobre 2014 (pièce n° 9 de l’assurée).
Il ressort de l’ensemble de ces éléments de fait que la société ne connaissait que les deux pathologies touchant les mains de sa salariée avant le 1er juillet 2010 et n’avait jamais été alertée sur l’existence d’un risque pour l’épaule droite de cette dernière du fait d’une machine non-conforme ou défectueuse.
Plus particulièrement, il ne résulte pas des productions l’existence d’un signalement qui aurait été fait à la société préalablement à la constatation médicale de la maladie, même au 1er juillet 2010, par la victime elle-même, le SAMETH, le médecin du travail ou tout autre salarié de l’entreprise.
Dans ces conditions, l’assurée ne prouve pas au cas d’espèce le manquement à l’obligation de sécurité par la société qu’elle articule, ni l’existence d’un risque à l’occasion de l’exercice des fonctions qu’elle assurait, participant à l’apparition de la maladie, dont la société aurait eu connaissance ou dû avoir conscience. Elle n’établit donc pas un quelconque manquement de son employeur à son obligation de sécurité participant à l’apparition de sa maladie.
L’assurée sera en conséquence déboutée de sa demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur à l’origine de sa maladie professionnelle constatée médicalement le 1er juillet 2010 et de ses demandes subséquentes.
Il n’apparaît pas inéquitable de laisser à la société la charge des frais irrépétibles qu’elle a exposés dans le cadre de ce litige.
L’assurée, qui succombe en son appel, sera condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
RAPPELLE que le jugement déféré a été annulé ;
Statuant à nouveau,
DÉBOUTE [W] [N] de l’ensemble de ses demandes ;
DÉBOUTE [W] [N] de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE la S.A.S. [7] de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE [W] [N] aux dépens d’appel.
La greffière Le président