Your cart is currently empty!
Arrêt n° 23/00359
20 Novembre 2023
—————
N° RG 21/02122 – N° Portalis DBVS-V-B7F-FSHG
——————
Tribunal Judiciaire de METZ- Pôle social
23 Juillet 2021
20/01178
——————
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE METZ
CHAMBRE SOCIALE
Section 3 – Sécurité Sociale
ARRÊT DU
vingt Novembre deux mille vingt trois
APPELANT :
Monsieur [D] [L]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Guillaume DELORD, avocat au barreau de STRASBOURG
INTIMÉES :
S.A.R.L. [8] SARL, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
ayant son siège social situé
[Adresse 5]
[Localité 4] .
Représentée par Me Gildas LE FRIEC, avocat au barreau de VERSAILLES
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE MOSELLE
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 3]
représentée par Mme [Y], munie d’un pouvoir général
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 Septembre 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme Carole PAUTREL, Conseillère, magistrat chargé d’instruire l’affaire assisté de M. ERTLE, Président de Chambre.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre
Mme Carole PAUTREL, Conseillère
Mme Anne FABERT, Conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MATHIS, Greffier
ARRÊT : Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre, et par Madame Sylvie MATHIS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Né le 15 juillet 1942, M. [D] [L] a travaillé pour le compte de la SARL [8] venant aux droits des sociétés [6] et [8], en qualité de vulcanisateur entre 1983 et 2002.
Le 30 avril 2019, M. [L] a déclaré auprès de la caisse primaire d’assurance maladie de Moselle (CPAM) être atteint d’une maladie professionnelle inscrite au tableau n°25A2 des maladies professionnelles, transmettant avec ladite demande de reconnaissance un certificat médical établi le 16 janvier 2018 diagnostiquant une silicose chronique.
Le 24 décembre 2019, la CPAM a informé M. [L] de la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie dont il est atteint au titre du tableau n°25A2 des maladies professionnelles, relatif aux affections consécutives à l’inhalation de poussières de silice.
Le 21 avril 2020, la caisse a fixé le taux d’incapacité permanente partielle de M. [L] à 30% et lui a attribué une rente à compter du 14 mars 2019.
M. [L] a introduit une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de son ancien employeur devant la caisse.
Après échec de la tentative de conciliation, M. [L] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Metz par requête du 12 octobre 2020 aux fins d’obtenir la reconnaissance de la faute inexcusable de son ancien employeur.
Par jugement du 23 juillet 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Metz a :
*Jugé recevables mais non fondées les demandes de Monsieur [D] [L] en vue de faire reconnaître la faute inexcusable de l’employeur ;
*Déclaré le jugement commun à la CPAM de la Moselle ;
*Jugé que le caractere professionnel de la pathologie présentée par Monsieur [L] n’est pas démontré ;
*Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire ;
*Rejeté la demande présentée par l’employeur sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
*Condamné Monsieur [D] [L] aux dépens.
Par courrier recommandé expédié le 17 août 2021, Monsieur [L] a interjeté appel de cette décision qui lui avait été notifiée par LRAR reçue le 2 août 2021.
Par conclusions datées du 22 avril 2023 et soutenues oralement lors de l’audience de plaidoirie par son représentant, Monsieur [L] demande à la cour de :
– Infirmer le jugement rendu entre les parties le 23 Juillet 2021.
Statuant à nouveau :
– Juger que Monsieur [L] apporte la preuve du caractère professionnel de sa pathologie.
– Juger que la maladie professionnelle de Monsieur [D] [L] est due à la faute inexcusable de la société [8].
– Débouter l’intimée de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions.
– Ordonner la majoration de rente de la maladie professionnelle T25 à son taux maximal.
– Dire que cette majoration de rente suivra l’évolution du taux d’IPP de la victime notamment en cas d’aggravation et qu’en cas de décès dû à cette maladie, le principe de la majoration restera acquis au conjoint survivant.
– Dire et juger qu’en cas de décès imputable à la maladie professionnelle, la Caisse devra verser l’indemnité forfaitaire prévue par l’article L452-3 du code de sécurité sociale, de même qu’en cas d’aggravation du taux d’IPP à 100%.
– Condamner la société [8] à payer à Monsieur [D] [L] les sommes suivantes :
* 10.000 € en réparation du préjudice moral, augmenté des intérêts au taux légal à compter du jour du jugement à intervenir,
* 5.000 € en réparation des préjudices physiques, augmenté des intérêts au taux légal à compter du jour du jugement à intervenir,
* 5.000 € en reparation du préjudice d’agrément, augmenté des intérêts au taux légal à compter du jour du jugement à intervenir,
– Dire que la caisse règlera ces sommes entre les mains de Monsieur [D] [L], à charge pour elle de se retourner contre l’employeur responsable pour en récupérer le montant.
– Condamner la société [8] à payer à Monsieur [D] [L] la somme de 3.000€ au titre de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux frais et dépens de la procédure.
Par conclusions datées du 11 juillet 2023 et soutenues oralement lors de l’audience de plaidoirie par son représentant, la SARL [8] demande à la cour de :
– RECEVOIR la société [8] en ses demandes et l’y déclarer bien fondée,
– JUGER que l’origine professionnelle de la pathologic déclarée par Monsieur [L] n’est pas démontrée,
– JUGER subsidiairement que la maladie de Monsieur [L] n’est pas imputable aux conditions de travail,
– JUGER à titre subsidiaire que la société [8] n’a commis aucune faute inexcusable,
– JUGER à titre infiniment subsidiaire que Monsieur [L] ne justifie pas des préjudices dont il demande réparation,
– JUGER en tout état de cause Monsieur [L] mal fondé en ses demandes relatives à la réversibilite de la rente et à l’indemnité forfaitaire,
En conséquence :
– CONFIRMER le jugement du 23 juillet 2021,
– DEBOUTER Monsieur [D] [L] de l’intégralité de ses demandes,
– CONDAMNER Monsieur [L] à verser la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du CPC,
– CONDAMNER Monsieur [L] aux entiers dépens.
Par conclusions datées du 17 janvier 2023 et soutenues oralement lors de l’audience de plaidoirie par son représentant, la CPAM de Moselle demande à la cour de :
– donner acte à la caisse qu’elle s’en remet à la sagesse de la cour en ce qui concerne la faute inexcusable reprochée à la société [8] ;
Le cas échéant :
– donner acte à la caisse qu’elle s’en remet à la cour en ce qui concerne la fixation du montant de la majoration de la rente;
– prendre acte que la caisse ne s’oppose pas à ce que la majoration de la rente suive l’évolution du taux d’IPP de Monsieur [L] et à ce que le principe de la majoration de rente reste acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant en cas de décès de Monsieur [L] des suites de sa maladie professionnelle;
– donner acte à la caisse qu’elle s’en remet à la cour en ce qui concerne la fixation des préjudices extra-patrimoniaux réclamés par Monsieur [L];
– le cas échéant, rejeter toute éventuelle demande d’inopposabilité à l’employeur de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle de Monsieur [L];
– En cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, condamner la société [8] à rembourser à la caisse les sommes qu’elle sera amenée à verser au titre de la majoration de rente et des préjudices extra-patrimoniaux ainsi que des intérêts légaux subséquents en application des dispositions de l’article L.452-3-1 du code de la sécurité sociale.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il est expressément renvoyé aux écritures des parties et à la décision déférée.
SUR CE,
SUR L’EXPOSITION PROFESSIONNELLE AU RISQUE
Monsieur [L] fait valoir que l’exposition professionnelle au risque est établie dès lors qu’en qualité de vulcanisateur, son employeur le faisait intervenir sur les sites des Houillères du Bassin de Lorraine (HBL), et ce au fond des mines dans lesquelles le charbon était exploité. Il fait le reproche aux premiers juges d’avoir retenu que son activité au fond s’effectuant essentiellement en fin de semaine, quand les machines au fond étaient à l’arrêt, il en résultait une absence d’exposition aux poussières de silice. Il affirme au contraire que les témoignages qu’il produit, complétés à hauteur d’appel, permettent de remettre en cause les affirmations de son employeur quant à l’absence d’exposition au risque du fait d’un arrêt de l’activité dans les mines le week-end.
La SARL [8] sollicite la confirmation du jugement entrepris, faisant valoir les incohérences et les imprécisions des témoignages fournis par l’appelant. Elle indique que Monsieur [L], en qualité de vulcanisateur, était affecté à la réparation des bandes transporteuses des machines utilisées au fond de la mine, mais que ce travail s’effectuait essentiellement en atelier, ou que, ce travail se déroulant sur site en fin de semaine, à des moments où l’activité au fond était suspendue, il en résulte une absence d’exposition de l’appelant aux poussières de silice.
La caisse s’en rapporte.
*********************
Il résulte de l’article L.461-1 du code de la sécurité sociale qu’est présumée d’origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau. Il appartient au salarié de démontrer que les conditions du tableau des maladies professionnelles dont il invoque l’application sont réunies.
En ce qui concerne l’exposition aux risques, le tableau n°25A2 vise, au titre des travaux susceptibles de provoquer la maladie professionnelle, les « travaux exposant à l’inhalation des poussières renfermant de la silice cristalline ». S’ensuit une liste indicative des principaux travaux concernés.
Par ailleurs, ce tableau prévoit un délai de prise en charge de 35 ans sous réserve d’une durée minimale d’exposition de 5 ans.
En l’espèce, Monsieur [L] ayant cessé son activité auprès de la SARL [8] en 2002, et ayant déclaré sa pathologie en 2019, le délai de prise en charge est respecté. Il en est de même de la durée minimale d’exposition puisque l’appelant a exercé pendant plus de 5 ans auprès de la société intimée.
Il s’ensuit que les réserves de la SARL [8] quant à la durée de 17 ans entre l’apparition de la maladie et la dernière exposition au risque sont sans emport en l’espèce, les conditions administratives du tableau quant au délai de prise en charge et à la durée d’exposition étant remplies.
De même, il sera rappelé que, lorsqu’une victime a été employée par plusieurs entreprises susceptibles de l’avoir exposée au risque professionnel du tableau de la maladie qu’elle déclare, elle est en droit de choisir l’employeur qu’elle entend poursuivre en faute inexcusable. Ainsi, le fait qu’elle ait pu être également exposée auprès d’un autre employeur est sans incidence sur les conditions et les effets de la reconnaissance de la faute inexcusable auprès de l’employeur poursuivi.
Ainsi, en l’espèce, il résulte de ce qui précède que la circonstance que Monsieur [L] ait pu être exposé aux poussières de silice lors de ses précédentes activités professionnelles dans le BTP est sans emport en l’espèce sur la recherche des conditions de la faute inexcusable à l’encontre de la société intimée.
Concernant le caractère professionnel de la maladie déclarée, il appert que Monsieur [L] a exercé du 21 septembre 1983 au 30 septembre 2002 en qualité de vulcanisateur au sein de la société [8] venant aux droits des sociétés [9] et [6] (ses pièces n°1). Il n’est pas contesté que son activité consistait notamment en la réparation des bandes transporteuses des convoyeurs à bandes, engins utilisés dans l’exploitation du charbon. Il n’est pas contesté non plus que, si une partie importante de son travail s’effectuait en atelier, il pouvait également être amené à exercer une partie de son activité au fond des mines, sur les sites des Houillères du bassin de Lorraine (HBL).
Les parties s’opposent ainsi sur l’exposition au risque de Monsieur [L] au fond des mines lorsqu’il était amené à y exercer son activité.
Tout d’abord, il sera retenu le caractère probant des témoignages produits par Monsieur [L], en la personne de Messieurs [X] [H] et [J] [B], complétés à hauteur de cour (pièces n°6 à 9).
En effet, si les premiers juges ont estimé ces témoignages stéréotypés, il appert cependant que ces écrits, rédigés par des témoins non nécessairement rompus à la rédaction, présentent nécessairement des similitudes dans leur contenu ainsi que des différences scripturales mais ne seront pas pour autant écartés.
En effet, si les attestations produites comportent des termes similaires et des différences d’écritures, il n’y a néanmoins pas lieu de les écarter de ce seul fait. Si ces témoins ont reçu une aide pour rédiger de manière efficiente les faits qu’ils souhaitaient rapporter, cette aide à la rédaction ne remet pas en cause l’authenticité des témoignages personnels que chaque salarié a souhaité apporter, chaque témoin ayant signé sa déclaration initiale, ainsi que le complément de témoignage, et les signatures étant parfaitement concordantes.
Par ailleurs, la circonstance, soulevée par l’employeur, que les deux témoins aient pu exercer des fonctions de chefs d’équipe est sans emport sur la réalité des conditions de travail qu’ils entendent relater concernant Monsieur [L].
Sur le fond, Monsieur [L], à qui incombe la charge de la preuve de l’exposition au risque, affirme que la production dans les mines ne cessant jamais, dans un objectif de rendement, il a nécessairement été exposé aux poussières de silice en suspension constante dans l’atmosphère, même lorsqu’il était envoyé au fond sur des fins de semaine. Il fournit ainsi les témoignages précités de Messieurs [H] et [B] qui confirment l’absence de cessation d’activité dans les mines et l’exposition au risque de l’appelant.
Pour autant, Monsieur [L] fournit également l’attestation de Monsieur [N] [U], électromécanicien aux HBL (pièce n°9A de l’appelant en format dactylographié, et dans les pièces « adverses » de la société intimée en format manuscrit), dont il ressort que l’exploitation minière pouvait connaître des périodes d’arrêt.
Cette affirmation du témoin est confirmée par les témoignages produits par la société [8] qui font état de ce que les travaux d’assemblage au fond des bandes transporteuses se déroulaient hors des temps de production, pendant des périodes d’arrêt des installations (pièce n°9 et 12 de l’intimée).
Il en résulte donc un doute sérieux sur la réalité d’une absence totale de périodes d’interruption de l’activité minière, dès lors qu’il résulte du témoignage fourni par l’appelant lui-même que de telles périodes d’arrêt pouvaient exister.
Or, il sera relevé que les témoignages fournis par Monsieur [L], soit ceux de Messieurs [B] et [H], ne font état d’une présence constante des poussières de silice que dans le contexte d’une production jamais interrompue dans les mines, alors même que ce fait est remis en cause par les propres pièces de l’appelant.
Ainsi, en l’absence de précision sur la fréquence, la régularité ou non, et la durée de ces périodes d’interruption et/ou de ralentissement de l’activité minière, en l’absence d’éléments précis sur les modalités d’organisation des différentes activités durant ces périodes, et sur la persistance des poussières de silice dans l’atmosphère, même en cas d’arrêt de l’exploitation minière, Monsieur [L] se montre défaillant dans la charge de la preuve qui lui incombe.
Il en résulte que, en l’absence d’éléments plus complets donnés à la cour sur l’exercice précis des différentes activités nécessaires au fond de la mine en fonction de l’intensité de la production et des périodes d’arrêt, et en l’absence d’éléments probants sur la présence permanente de poussières de silice en suspension dans l’air, y compris en cas d’arrêt de l’exploitation, il en résulte que l’exposition au risque n’apparaît pas caractérisée.
Le jugement entrepris sera confirmé pour les motifs pris du présent arrêt.
SUR LES DEMANDES ANNEXES
L’issue du litige et l’équité commandent de ne pas faire application de l’article 700 du Code de procédure civile au profit de l’une ou l’autre partie.
Monsieur [L], succombant en son recours, est condamné aux dépens d’appel, ceux de première instance étant confirmés.
PAR CES MOTIFS
La cour,
CONFIRME le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Metz en date du 23 juillet 2021 ;
DIT n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile;
CONDAMNE Monsieur [D] [L] aux dépens d’appel.
Le greffier Le Président