Your cart is currently empty!
N° RG 21/00796 – N° Portalis DBV2-V-B7F-IWF7
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 19 JANVIER 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES D’EVREUX du 11 Février 2021
APPELANTE :
S.A. SOCIETE IMMOBILIERE DU LOGEMENT DE L’EURE – SILOGE
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Aurélie BLONDE de la SELARL CABINET THOMAS-COURCEL BLONDE, avocat au barreau de l’EURE substituée par Me Thomas COURCEL, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE :
Madame [H] [I]
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Me Mehdi LOCATELLI de la SELARL CABINET LOCATELLI, avocat au barreau de l’EURE substituée par Me Nathalie VALLEE, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 07 Décembre 2022 sans opposition des parties devant Madame BACHELET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Madame BERGERE, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
M. GUYOT, Greffier
DEBATS :
A l’audience publique du 07 Décembre 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 19 Janvier 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 19 Janvier 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES
Mme [H] [I] a été engagée par la société Siloge en contrat à durée indéterminée le 23 décembre 2002 en qualité d’agent d’accueil, puis en qualité d’employée de gestion locative le 1er février 2009, puis d’agent de gestion locative le 1er octobre 2014.
Par requête du 15 mai 2018, Mme [I] a saisi le conseil de prud’hommes d’Evreux en résiliation judiciaire de son contrat de travail, ainsi qu’en paiement de rappel de salaires et indemnités.
Déclarée inapte au poste d’agent administratif et à tous les postes dans l’entreprise par avis du 6 juin 2018, elle a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 4 mars 2019 après autorisation délivrée par l’inspecteur du travail le 22 février 2019.
Par jugement du 11 février 2021, le conseil de prud’hommes a, avec le bénéfice de l’exécution provisoire :
– prononcé la jonction des dossiers 20/35 et 20/36,
– fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire de Mme [I] à la somme de 1 996,90 euros bruts pour 35 heures de travail hebdomadaire,
– dit que le licenciement de Mme [I] était un licenciement pour inaptitude et condamné la société Siloge à lui payer les sommes suivantes :
dommages et intérêts résultant du harcèlement moral : 15 000 euros
dommages et intérêts résultant de l’absence de prévention : 10 000 euros
rappel d’indemnité spéciale de licenciement : 11 100 euros
rappel d’indemnité compensatrice de congés payés : 1 757,60 euros
indemnité en application de l’article 700 du code de procédure civile : 500 euros
– dit que les condamnations ayant un caractère indemnitaire porteraient intérêt légal à compter du prononcé du jugement,
– débouté Mme [I] du surplus de ses demandes et la société Siloge de sa demande reconventionnelle,
– condamné la société Siloge aux entiers dépens.
La société Siloge a interjeté appel de cette décision le 23 février 2021.
Par conclusions remises le 16 novembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, la société Siloge demande à la cour d’annuler le jugement en toutes ses dispositions, et subsidiairement de l’infirmer en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a débouté Mme [I] du surplus de ses demandes, et, statuant à nouveau, juger que la cour n’est pas saisie des chefs du jugement ayant débouté Mme [I] du surplus de ses demandes, débouter Mme [I] de l’ensemble de ses demandes et la condamner à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Par conclusions remises le 20 juillet 2021, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, Mme [I] demande à la cour de :
– confirmer le jugement sur les sommes allouées à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, dommages et intérêts pour absence de prévention des faits de harcèlement moral, rappel d’indemnité spéciale de licenciement, rappel d’indemnité compensatrice de congés payés et indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’en ce qu’il a condamné la société Siloge aux entiers dépens,
– l’infirmer pour le surplus et statuant à nouveau :
– prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail et dire qu’elle produira les effets d’un licenciement nul, et subsidiairement, prononcer la nullité du licenciement,
– à titre principal, condamner la société Siloge à lui payer les sommes suivantes :
dommages et intérêts résultant de l’état d’anxiété chronique : 10 000 euros
indemnité compensatrice de préavis : 3 993,80 euros
congés payés afférents : 399,38 euros
dommages et intérêts pour nullité du licenciement : 60 000 euros nets de CSG et de CRDS
– à titre subsidiaire, condamner la société Siloge à lui payer les sommes suivantes :
indemnité compensatrice de préavis : 3 993,80 euros
congés payés afférents : 399,38 euros
rappel d’indemnité spéciale de licenciement : 11 100 euros
dommages et intérêts sur le fondement des articles L. 1226-15 et L. 1235-3-1 du code du travail: 60 000 euros nets de CSG et de CRDS, et à titre subsidiaire, 26 958,15 euros sur le fondement de l’article L. 1235-3 du code du travail,
– en tout état de cause, dire que les sommes à caractère salarial porteront intérêt au taux légal à compter de la date de la tentative de conciliation et à compter de la décision à intervenir pour les sommes à caractère indemnitaire,
– ordonner à la société Siloge de lui remettre un bulletin de salaire rectifié selon la décision à intervenir,
– statuer ce que de droit quant aux condamnations de l’article L. 1235-4 du code du travail,
– condamner la société Siloge à lui payer la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 17 novembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1. Sur la demande tendant au prononcé de la nullité du jugement
La société Siloge sollicite l’annulation du jugement au motif que le conseil de prud’hommes l’a condamnée au paiement de dommages et intérêts pour mal-être au travail en se contentant de viser quatre pièces, sans expliquer en quoi les faits invoqués constitueraient des faits de harcèlement moral, de même que pour reconnaître la souffrance au travail, il s’est appuyé sur la décision de la CPAM sans répondre aux moyens qu’elle avait soulevés tendant à rappeler qu’il n’y est attaché aucun effet rétroactif et que le juge prud’homal n’est pas tenu par cette décision. Enfin, elle relève que le conseil de prud’hommes s’est appuyé sur une attestation qui n’avait pas été portée à sa connaissance, et à tout le moins, qu’il n’en a pas vérifié la teneur et s’est contenté de reprendre les conclusions de Mme [I].
En réponse, Mme [I] relève que l’attestation visée par le conseil de prud’hommes était versée aux débats, Mme [Z] ayant pour nom de jeune fille Mme [T] comme en témoigne sa pièce d’identité versée aux débats.
Selon l’article 455 du code de procédure civile, le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Cet exposé peut revêtir la forme d’un visa des conclusions des parties avec l’indication de leur date. Le jugement doit être motivé. Il énonce la décision sous forme de dispositif.
Le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motif.
En l’espèce, en ne répondant pas aux moyens soulevés par la société Siloge, laquelle faisait valoir que le rapport établi par la société Interstices médiation ne concernait pas la situation de Mme [I], que les attestations produites ne pouvaient valoir que comme commencement de preuve devant être corroborées par d’autres éléments et ne pouvaient en tout état de cause permettre de démontrer la réalité des faits dénoncés à défaut de toute datation, il convient de dire que le conseil de prud’hommes n’a pas motivé sa décision et en conséquence de prononcer la nullité du jugement.
Selon l’article 562 du code de procédure civile, l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent. La dévolution ne s’opère pour le tout que lorsque l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.
Compte tenu de l’annulation du jugement, il y a lieu d’évoquer l’ensemble des chefs du jugement, ce qui rend sans objet la demande de la société Siloge tendant à voir dire que la cour ne serait pas saisie du chef de jugement ayant débouté Mme [I] du surplus de ses demandes faute pour cette dernière d’avoir expressément critiqué le jugement sur ce point et visé cette disposition dans ses conclusions d’appel incident.
2. Sur la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral
Mme [I] soutient avoir été victime de harcèlement moral, lequel s’est traduit par l’obligation de réaliser des locations abusives de places de parking ou de garage, une surcharge anormale de travail, des actes de dénigrement et d’humiliation, des tâches confiées sans rapport avec ses fonctions ou sans formation préalable, ce qui a eu des répercussions sur son état de santé, sachant que sa dépression a été prise en charge au titre des risques professionnels.
Tout en relevant l’état dépressif ancien de Mme [I] sans lien avec un quelconque harcèlement moral, la société Siloge met en avant l’absence de toute valeur probante pouvant être attachée aux attestations produites, lesquelles ne répondent aucunement aux exigences prévues par le code de procédure civile et ne sont corroborées par aucune pièce objective, sachant que l’audit diligenté en 2017 n’a jamais concerné la situation de Mme [I], mais uniquement celle de la responsable adjointe qui rencontrait des difficultés dans l’exercice de ses fonctions.
Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L’article L. 1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement et il incombe à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
A l’appui de sa demande, Mme [I] produit l’audit dressé en juin 2017 par la société Interstices médiation et commandité par le CHSCT de la société Siloge suite à une situation de tension au sein de l’agence d'[Localité 4].
Il y est rappelé le contexte dans lequel est survenue cette situation, à savoir, après une période de grande stabilité, une agence ayant dû pallier un manque d’effectifs et un turn-over avec plusieurs changements dans son management durant les dernières années et une responsable adjointe en grande détresse, puis il est mis en avant, qu’au-delà d’une perception du climat social très variable selon les collaborateurs, trois facteurs de risques ont été repérés.
Ainsi, il est mentionné une charge de travail élevée et une polyvalence fortement mobilisée, avec pour quelques situations, une combinaison de demande psychologique élevée et de latitude décisionnelle faible, ce qui est prédictif d’atteintes à la santé physique et psychique et, pour ce qui concerne la responsable adjointe, malgré les moyens mis en place, un nombre important de compétences à acquérir rendant plus difficile la légitimité vis-à-vis des collègues.
Il est également fait état d’une revendication forte d’investissement dans le travail et de valeurs à honorer qui peuvent se retourner contre le salarié, cette dimension étant présente au niveau de l’équipe lorsque les compétences attendues dans l’activité ne sont pas mobilisables du fait d’un manque de transmission ou de capacités à les articuler, étant néanmoins relevé que les moyens en termes de formation et d’accompagnement sont présents et soutenants.
Enfin, il est évoqué un management et un soutien social fragilisés, sachant qu’en ce qui concerne ce facteur de risque, il est essentiellement fait référence à la situation des deux responsables de l’agence.
Il est ainsi conclu que le diagnostic a permis de révéler d’une part, des tensions insuffisamment traitées au sein de la direction de l’agence qui ont eu des répercussions sur une partie de l’équipe en ce qu’elles ont pu être perçues comme un manque de cohérence, un risque de menace aux valeurs portées par Siloge et une atteinte à la qualité du travail, et d’autre part, un épuisement professionnel et émotionnel de la responsable adjointe qui a perdu confiance en son travail et en elle-même, et enfin, une responsable fortement touchée par les mots de harcèlement utilisés alors qu’elle s’est fortement mobilisée pour soutenir sa collègue avant de perdre confiance et d’être démunie, le rapport précisant qu’il n’y a eu aucune volonté de nuire, ni d’asymétrie hiérarchique à visée d’humiliation, ni de pratiques d’isolement souhaitée ou de pratiques punitives.
Ainsi, au-delà de la relation responsable-responsable ajointe dysfonctionnelle, si ce rapport a pu mettre en exergue des facteurs de risque pouvant toucher l’ensemble des collaborateurs, ils ne sont cependant pas de nature à laisser supposer l’existence d’un management organisationnel constitutif de harcèlement moral, sachant qu’il est même mis en avant les nombreuses ressources existantes au sein de l’entreprise compte tenu d’un dialogue social de bonne qualité, la confiance et les bonnes relations entre nombre de salariés vis-à-vis de la ligne hiérarchique et une volonté forte de la direction de traiter les situations à risque.
Aussi, il convient d’examiner si Mme [I] présente des éléments la concernant plus personnellement de nature à laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral.
A cet égard, elle produit un courrier manuscrit de Mme [E] intitulé ‘attestation’ aux termes duquel elle explique que la descente aux enfers a commencé pour certains lorsque Mme [I] a remarqué l’état de santé très inquiétant de la responsable adjointe, Mme [Y], et qu’elle a saisi la direction pour dénoncer les pratiques exercées par Mme [N], responsable d’agence. Ainsi, elle précise que la vie personnelle de cette dernière avait pris le dessus depuis l’été 2016 et qu’elle se vengeait sur les collaborateurs qui ne la soutenaient pas, que chacune à tour de rôle a subi ses foudres, qu’elle exerçait une pression, voir du harcèlement et qu’elle a dit, en parlant de Mme [I], ‘elle commence à me péter les couilles’, qu’il y a eu un assaut de mails au quotidien dont la forme et quelquefois le contenu étaient plus qu’irrespectueux, ainsi par exemple ‘je veux un retour ce jour, ce n’est pas optionnel’, qu’une pression permanente a été mise sur Mme [I] et qu’elle a été anéantie par Mme [N].
Elle verse également aux débats deux documents intégralement dactylographiés de Mme [M], dont l’un est accompagné d’une pièce d’identité, aux termes desquels elle certifie que Mme [I] a fait remonter la situation de Mme [Y], que suite à cela, Mme [N] a fait en sorte qu’elle craque, ce qui est arrivé à deux reprises, que son poste a été restreint entre l’accueil et les états des lieux, qu’elle refusait de faire des points avec elle ou de lui dire bonjour et au revoir, ce qui a créé une sensation de mise à l’écart et de délaissement, qu’elle a surchargé son planning avec la fixation d’état des lieux à 17h à 30 km de l’agence alors qu’elle devait finir à 17h30 et que Mme [I] a ainsi régulièrement fait des heures en dehors des horaires imposés, qu’il lui a été demandé de nettoyer les véhicules de service, de ramasser les mégots de cigarettes présents dans la cour, qu’il leur a été donné pour consigne de louer des places de parking avec le lot principal alors que le locataire n’en avait pas l’utilité.
Enfin, elle précise avoir été témoin de vulgarité ‘elle commence à me casser les couilles’ en septembre 2017 et durant l’arrêt de travail’moi je n’ai pas mon cul dans le canapé à rien faire contrairement à certaines’ alors qu’avant cet incident Mme [I] était très bien intégrée.
Force est de constater qu’aucune de ces ‘attestations’ ne répond aux exigences du code de procédure civile dès lors qu’il n’y est pas mentionné les risques pénaux encourus en cas de fausse attestation, que le courrier de Mme [E] n’est accompagné d’aucune pièce d’identité permettant de l’authentifier et que ceux de Mme [M] sont intégralement dactylographiés, y compris pour le prénom et le nom de l’auteur, sachant que les trois signatures apparaissant sur les deux courriers et la carte d’identité sont relativement différentes.
Or, outre que ces exigences formelles ont pour objet de s’assurer, et de l’authenticité du document, et de la connaissance de l’importance de n’attester que de faits avérés et personnellement portés à la connaissance des attestants, la teneur même de ces documents est particulièrement imprécise et, s’agissant des propos qui auraient été tenus par Mme [N], précisément relatés, ni Mme [E], ni Mme [M] n’expliquent dans quelles conditions elles en ont eu connaissance, ce qui ne permet en aucune manière de s’assurer qu’elles en auraient été personnellement témoin.
Par ailleurs, si Mme [M] indique que Mme [N] a exclu Mme [I] des réunions et ne lui a plus dit bonjour ou au revoir, il ne peut qu’être relevé que ces faits ne sont nullement mentionnés dans le rapport déposé en juin 2017 suite à l’audit mené après alerte du CHSCT en lien avec la dégradation de la relation de travail entre la responsable adjointe et Mme [N], et ce, alors même qu’il portait précisément sur les risques psycho-sociaux pouvant exister au sein de l’agence d'[Localité 4] et que l’ensemble des salariés y travaillant ont été entendus.
Il n’est en outre produit aucun mail permettant d’accréditer l’emploi de termes inadaptés, ni davantage d’envois de mails excessifs, sachant qu’il est uniquement produit aux débats quatre échanges de mails, tous dans termes parfaitement courtois, dont certains datent de 2012 ou 2013, soit très antérieurement à la dégradation de la situation décrite par Mmes [M] et [E] et que si l’un d’entre eux date de mai 2017 et que Mme [I] y évoque le fait que l’agence ne partage plus les valeurs de Siloge et que cela lui pose problème que Mme [N] n’accepte pas le fait qu’elle ait rencontré ‘[C]’ afin de lui faire part des difficultés rencontrées, aucun élément ne corrobore l’existence d’un quelconque reproche à son encontre, Mme [N] lui demandant très courtoisement si cela lui convient et ne la dérange pas d’en discuter ‘en point’.
De même, s’agissant de la surcharge de travail décrite, le seul mail évoquant une telle difficulté porte sur une seule journée et date du 28 décembre 2012, soit sur une période de vacances et plus de quatre ans avant les faits dénoncés par ces deux personnes, sans que la production de deux organigrammes permettant de relever le départ d’un certain nombre de collaborateurs entre 2017 et 2020 soit suffisant à démontrer une surcharge de travail, sachant qu’il n’est même pas évoqué l’accomplissement d’heures supplémentaires.
Quant au manque de formation, il est produit un unique mail faisant état de cette difficulté, lequel n’est pas daté et ne permet donc pas de s’assurer de son authenticité, sachant qu’il ressort au contraire de l’audit diligenté en juin 2017 que les moyens en termes de formation et d’accompagnement sont présents et soutenants.
Enfin, les seules attestations produites dans les formes prescrites par le code de procédure civile émanent pour l’une de Mme [Z], chef d’entreprise, dont on ne peut savoir quel est son lien avec Mme [I], mais bien plus qui se contente de lister avec des tirets : travail en dehors des horaires de travail, ramassage de mauvaises herbes et mégots de cigarettes dans la cour de l’agence, pression morale, .. sans qu’à aucun moment le nom de Mme [I] ne soit mentionné, ce qui ne permet même pas de savoir pour qui cette attestation a été rédigée et, pour l’autre, de Mme [O], amie, qui explique qu’il lui a été indiqué que pour obtenir le logement social dont elle avait besoin, elle devait louer le parking qui lui était rattaché, ce qui était faux.
Outre que le courrier de résiliation pour cette place de parking, joint à l’attestation, n’est pas daté et qu’il n’est pas justifié d’un quelconque envoi alors qu’il est fait état d’un recommandé, en tout état de cause, le simple fait qu’un agent de l’agence d'[Localité 4] lui ait apporté cette fausse information en 2015 ne corrobore en aucune manière la mise en oeuvre de pratiques illégales au sein de cette agence qui auraient été imposées à Mme [I].
Enfin, et alors que Mme [I] met en avant l’audit dressé en juin 2017 et une dégradation des relations de travail en lien avec sa dénonciation de la situation de Mme [Y], il doit être relevé que nombre de mails produits sont très antérieurs, de même qu’il ne peut qu’être relevé que sa fragilité psychologique préexistait pour avoir connu un épisode dépressif en 2011.
Aussi, et s’il est indéniable que Mme [I] a ressenti un mal-être profond dans le cadre de son travail qui a conduit à un arrêt de travail en novembre 2017 pour une dépression sévère avec présence d’idées suicidaires sur son lieu de travail, puis à un avis d’inaptitude au poste et à tous les postes dans l’entreprise alors que ce même médecin indiquait par mail qu’elle était apte à travailler dans une autre entreprise, les éléments présentés par Mme [I], pris dans leur ensemble, en ce compris l’audit de juin 2017, ne sont pas de nature à laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral à l’égard de Mme [I] et il convient de la débouter de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.
3. Sur la demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de prévention des faits de harcèlement moral
Mme [I] explique avoir été contrainte de vivre sa relation de travail dans un environnement particulièrement toxique du fait du comportement de son employeur qui n’a pris aucune mesure pour mettre fin au harcèlement moral, que ce soit en sanctionnant les harceleurs ou en la formant.
En l’espèce, il n’est pas établi par Mme [I] qu’elle aurait alerté sa hiérarchie sur une quelconque situation de harcèlement la concernant, sachant qu’elle indique au contraire avoir prévenu de la situation de détresse de la responsable ajointe.
En outre, il est justifié que cette remontée d’informations a immédiatement été suivie d’effet puisque le CHSCT en a été avisé et qu’il a été diligenté un audit réalisé par un organisme extérieur afin de mieux l’appréhender, cet organisme ayant par ailleurs été mandaté à l’issue de son audit pour organiser une séance de sensibilisation aux principes fondamentaux des risques psychosociaux à destination des cadres, et ce, dans les locaux de la société situés à [Localité 4], sachant que s’il n’est pas justifié de ce que Mme [N] y aurait assisté, il est cependant établi que dès janvier 2018, la responsable et la responsable adjointe avaient quitté l’agence d'[Localité 4], permettant ainsi la mise en place d’une nouvelle dynamique.
A cet égard, il ne saurait être reproché à la société Siloge de ne pas avoir sanctionné Mme [N] alors même qu’il ressort du diagnostic dressé en juin 2017 qu’il n’existait pas d’éléments objectifs de nature à justifier une quelconque sanction.
Enfin, il est encore établi qu’en amont Mme [N] a suivi entre 2013 et 2015 quatre formations en lien avec son rôle de manager, portant notamment sur le relationnel et la communication et qu’il était réalisé tous les ans depuis 2016 par un consultant extérieur un ‘bilan collectif Wellscan’ ayant pour objet de repérer les risques psycho-sociaux en évaluant par divers item le bien-être des salariés au travail, sans qu’aucun point de vigilance particulier n’ait été repéré.
D’une manière plus générale, s’il ressort des notes d’une réunion de mars 2014 que Mme [I] n’était pas satisfaite des résultats obtenus malgré son investissement et ne se sentait pas suffisamment reconnue dans ses fonctions en étant maintenue à l’échelon G1, il apparaît que dès octobre 2014, cette demande de reconnaissance a été prise en compte en lui attribuant cet échelon et, comme vu précédemment, il ressort de l’audit que les salariés bénéficiaient de moyens en termes de formation et d’accompagnement.
Au vu de ces éléments, il ne peut être considéré que la société Siloge a manqué à son obligation de prévention du harcèlement moral et il convient de débouter Mme [I] de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.
4. Sur la demande de dommages et intérêts relative au préjudice d’anxiété
Rappelant que la Cour de cassation ne limite plus le préjudice d’anxiété au seul risque amiante, mais l’étend à toute substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave, Mme [I] réclame l’indemnisation de ce préjudice qui reste de la compétence du conseil de prud’hommes.
Si le conseil de prud’hommes est compétent pour statuer sur le préjudice d’anxiété, outre que le harcèlement moral ne saurait être assimilé à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave et qu’en tout état de cause l’indemnisation du préjudice résultant de l’existence d’un harcèlement moral est déjà indemnisable en soi, de même que le manquement à la prévention de ce risque, en l’occurrence, il n’a été retenu ni harcèlement moral, ni manquement à l’obligation de prévention, et il convient de débouter Mme [I] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice d’anxiété.
5. Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail
Alors que Mme [I] fonde cette demande en invoquant la contrainte d’exercer des tâches illégales, la surcharge anormale de travail, les dénigrements, humiliations et tâches sans rapport avec ses fonctions, le harcèlement moral, l’absence de prévention des faits de harcèlement moral et l’absence de sanction du harceleur l’ayant contrainte à subir un arrêt de travail, il convient de la débouter de sa demande de résiliation judiciaire dès lors qu’il résulte des précédents développements que ces faits ne sont pas avérés.
6. Sur la demande de nullité du licenciement
Pour les mêmes raisons, il convient de débouter Mme [I] de sa demande de nullité du licenciement dès lors que le harcèlement moral n’a pas été retenu et qu’il ne peut donc être établi aucun lien entre le licenciement pour inaptitude et un quelconque harcèlement moral.
7. Sur la demande tendant à voir dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse
Mme [I] soutient que l’obligation de reclassement n’a pas été respectée dès lors qu’il existait un poste de gardien non logé disponible et que, contrairement à ce qu’indique la société Siloge, même si son licenciement a été autorisé par l’inspection du travail, elle reste bien fondée à saisir le conseil de prud’hommes pour dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse à raison du manquement à l’obligation de reclassement.
Si le juge judiciaire demeure compétent, sans porter atteinte principe de la séparation des pouvoirs, pour rechercher si l’inaptitude du salarié avait ou non une origine professionnelle et accorder, dans l’affirmative, les indemnités spéciales prévues à l’article L. 1226-14 du code du travail, il ne peut, sans violer ce principe, en l’état d’une autorisation administrative de licenciement pour inaptitude d’un salarié protégé, apprécier la régularité de la procédure d’inaptitude, le respect par l’employeur de son obligation de reclassement et le caractère réel et sérieux du licenciement.
Il convient en conséquence de débouter Mme [I] de sa demande tendant à voir dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
8. Sur la demande d’indemnité spéciale de licenciement
Les règles protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’appliquent dès lors que l’inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l’employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement, l’application des dispositions de l’article L. 1226-10 du code du travail n’étant pas subordonnée à la reconnaissance par la caisse primaire d’assurance-maladie du lien de causalité entre l’accident et l’inaptitude.
S’il est exact que le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles a reconnu le 27 décembre 2019 la dépression de Mme [I] comme relevant d’une maladie professionnelle, outre que cet avis a été déclaré irrégulier par jugement du tribunal judiciaire le 18 août 2022, il n’est versé aucune pièce aux débats permettant d’établir que la société Siloge aurait eu connaissance de cette demande de reconnaissance antérieurement au licenciement prononcé en mars 2019, cette connaissance ne pouvant résulter du simple fait que Mme [I] ait soutenu devant le conseil de prud’hommes être victime de harcèlement moral.
A cet égard, le seul certificat médical produit rédigé sur un formulaire maladie professionnelle date du 19 février 2020 et il n’est pas justifié d’un quelconque envoi à l’employeur d’une feuille d’attestation de maladie professionnelle.
Aussi, à défaut pour la société Siloge d’avoir eu connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement, il n’y a pas lieu de faire application des règles protectrices applicables aux victimes d’une maladie professionnelle et il convient de débouter Mme [I] de sa demande d’indemnité spéciale de licenciement.
9. Sur la demande d’indemnité compensatrice de congés payés
Relevant que sa dépression a été reconnue comme relevant d’une maladie professionnelle, Mme [I] réclame le paiement d’une indemnité compensatrice de congés payés correspondant à ceux nés durant son arrêt maladie conformément à l’article L. 3141-5 du code du travail qui en permet l’acquisition en ce cas dans la limite d’un an.
Pour les mêmes motifs que ceux relevés précédemment pour l’indemnité spéciale de licenciement, il convient de débouter Mme [I] de sa demande d’indemnité compensatrice de congés payés.
10. Sur la demande d’indemnité compensatrice de préavis
Dès lors qu’il a été jugé que l’article L. 1226-14 n’était pas applicable, que la résiliation judiciaire du contrat de travail n’a pas été prononcée et que la validité du licenciement a été retenue, il convient de débouter Mme [I] de sa demande d’indemnité compensatrice de préavis.
11. Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner Mme [I] aux entiers dépens, y compris ceux de première instance et de la débouter de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile. L’équité commande néanmoins de débouter la société Siloge de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant publiquement et contradictoirement par arrêt mis à disposition au greffe,
Annule le jugement prononcé le 11 février 2021 par conseil de prud’hommes d’Evreux ;
Déboute Mme [H] [I] de l’intégralité de ses demandes ;
Condamne Mme [H] [I] aux entiers dépens ;
Déboute les parties de leur demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile.
La greffière La présidente