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21 FEVRIER 2023
Arrêt n°
ChR/NB/NS
Dossier N° RG 20/01689 – N° Portalis DBVU-V-B7E-FPWU
S.A.S. LOSANGE DIFFUSION
/
[J] [T]
jugement au fond, origine conseil de prud’hommes – formation paritaire de clermont-ferrand, décision attaquée en date du 04 novembre 2020, enregistrée sous le n° f 19/00093
Arrêt rendu ce VINGT ET UN FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d’Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :
M. Christophe RUIN, Président
Mme Frédérique DALLE, Conseiller
Mme Sophie NOIR, Conseiller
En présence de Mme Nadia BELAROUI greffier lors des débats et du prononcé
ENTRE :
S.A.S. LOSANGE DIFFUSION
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis
[Adresse 6]
[Localité 3]
Représentée par Me Hugues LAPALUS de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
APPELANTE
ET :
M. [J] [T]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Sonia SIGNORET de la SCP BORIE & ASSOCIES, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
INTIME
Après avoir entendu M. RUIN, Président en son rapport, les représentants des parties à l’audience publique du 05 Décembre 2022, la Cour a mis l’affaire en délibéré, Monsieur le Président ayant indiqué aux parties que l’arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
La société CARTOTHEQUE EGG, dont le siège social est situé à [Localité 4] (37), est spécialisée dans la diffusion et la distribution d’éditions touristiques, cartographiques et de randonnées, mais aussi de globes, posters et papeterie. Elle appartient au groupe DC EXPANSION.
La société CHAMINA EDITION, dont le siège social est situé à [Localité 5], est spécialisée dans le secteur d’activité de l’édition de livres. Radiée du RCS en 2017, cette société appartient au groupe DC EXPANSION.
La société HCH, ou HCH ACTIVITES, dont le siège social est situé [Adresse 6]), est une holding appartenant au groupe DC EXPANSION. Elle a été radiée du RCS fin 2015.
La SAS LOSANGE DIFFUSION, dont le siège social est situé [Adresse 6]), est spécialisée dans le secteur d’activité de l’édition de livres (éditions Artémis et Grenouille). Elle appartient au groupe DC EXPANSION. Cette maison d’éditions utilise le réseau de distribution de la société CARTOTHÈQUE pour la diffusion dans les maisons de la presse et les grandes et moyennes surfaces. La diffusion dans les librairies est assurée par la société SODIS.
Monsieur [Z] [W] est le dirigeant du groupe DC EXPANSION. En juillet 2014, ce groupe a pris le contrôle de la société LOSANGE, ajoutant les éditions Artémis et Grenouille aux éditions Chamina et Bonneton qu’il possédait déjà, ces quatre maisons d’édition étant regroupées à [Localité 3] (63).
Monsieur [J] [T], né le 16 juillet 1961, a été embauché par la société CARTHOTEQUE EGG, selon contrat de travail à durée déterminée, pour la période du 3 au 30 septembre 2008, en qualité de gestionnaire comptes clé (statut cadre).
Le contrat de travail de Monsieur [J] [T] a ensuite fait l’objet de plusieurs transferts au sein de diverses sociétés du groupe DC EXPANSION.
À compter du 1er octobre 2088, Monsieur [J] [T] était employé en qualité de responsable d’édition (statut cadre) par la société CHAMINA EDITION.
Vu la convention de transfert signée le 21 janvier 2015, à compter du 1er février 2015, Monsieur [J] [T] était employé par la société HCH en qualité de responsable d’édition (statut cadre de la convention collective nationale de l’édition du 14 janvier 2000).
Vu la convention de transfert signée le 23 septembre 2015, à compter du 1er octobre 2015, Monsieur [J] [T] était employé par la société LOSANGE DIFFUSION en qualité de responsable d’édition (statut cadre de la convention collective nationale de l’édition du 14 janvier 2000), selon contrat de travail à durée indéterminée, à temps plein (forfait mensuel en heures). Cette convention prévoit que Monsieur [J] [T] exercera ses fonctions dans les locaux de la société LOSANGE DIFFUSION situés [Adresse 6] (63).
Par courrier recommandé daté du 17 novembre 2017, la SAS LOSANGE DIFFUSION a notifié à Monsieur [J] [T] un avertissement.
Par courrier recommandé daté du 24 juillet 2018, Monsieur [J] [T] a été convoqué par l’employeur à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 2 août 2018.
Par courrier recommandé daté du 6 août 2018 Monsieur [J] [T] a été licencié pour faute grave.
Selon les derniers bulletins de paie et documents de fin de contrat de travail établis par la société LOSANGE DIFFUSION, Monsieur [J] [T] a été employé en qualité de responsable d’édition du 3 septembre 2008 au 9 août 2018. Il a perçu une indemnité compensatrice de congés payés mais ni indemnité compensatrice de préavis ni indemnité de licenciement.
Le 27 février 2019, Monsieur [J] [T] a saisi le conseil de prud’hommes de CLERMONT FERRAND aux fins de voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre obtenir diverses sommes à titre de rappel de salaires et indemnitaire.
L’audience devant le bureau de conciliation et d’orientation s’est tenue en date du 25 mars 2019 (convocation signée par l’employeur défendeur le 4 mars 2019) et, comme suite au constat de l’absence de conciliation, l’affaire été renvoyée devant le bureau de jugement.
Par jugement rendu contradictoirement le 4 novembre 2020 (audience du 16 juillet 2020), le conseil de prud’hommes de CLERMONT FERRAND a :
– annulé l’avertissement prononcé à l’encontre de Monsieur [J] [T] le 17 novembre 2017 ;
– dit et jugé que le licenciement de Monsieur [J] [T] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
– condamné la SAS LOSANGE DIFFUSION, prise en la personne de son représentant légal, à payer et porter à Monsieur [J] [T] les sommes suivantes :
* 20.587,35 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis, et 2.058,73 euros brut au titre des congés payés sur préavis,
* 61.762,05 euros à titre d’indemnité de licenciement,
* 60.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,
* 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la SAS LOSANGE DIFFUSION, prise en la personne de son représentant légal, à délivrer à Monsieur [J] [T] un bulletin de salaire correspondant aux condamnations prononcées ;
– dit que les sommes allouées à titre de salaires et accessoires de salaire porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation en justice de l’employeur valant mise en demeure, soit le 4 mars 2019 et que celles accordées à titre indemnitaires produiront intérêts au taux légal a compter du prononcé du présent jugement, et ce avec capitalisation des intérêts conformément aux règles légales ;
– dit n’y avoir lieu a exécution provisoire, sauf exécution provisoire de droit dans les limites de I’article R.1454-28 du code du travail;
– débouté Monsieur [J] [T] du surplus de ses demandes ;
– condamné d’office, en application de l’article L.1235-4 du code du travail, la SAS LOSANGE DIFFUSION, prise en la personne de son représentant légal, à rembourser à pôle emploi le montant des indemnités chômage susceptibles d’avoir été versées à Monsieur [J] [T] du jour de la rupture du contrat de travail au jour du présent jugement, et ce dans la limite de six mois d’indemnités ;
– débouté la SAS LOSANGE DIFFUSION de sa demande reconventionnelle ;
– condamné la SAS LOSANGE DIFFUSION aux dépens.
Le 23 novembre 2020, la SAS LOSANGE DIFFUSION a interjeté appel de ce jugement notifié à sa personne morale le 13 novembre 2020.
Vu les dernières écritures notifiées le 1er février 2021 par la SAS LOSANGE DIFFUSION,
Vu les dernières écritures notifiées le 18 août 2022 par Monsieur [J] [T],
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 7 novembre 2022
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières écritures, la SAS LOSANGE DIFFUSION demande à la cour d’infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de débouter Monsieur [J] [T] de l’intégralité de ses demandes, de condamner Monsieur [J] [T] à lui payer la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, de condamner Monsieur [J] [T] aux entiers dépens.
La société LOSANGE DIFFUSION dénonce le management délétère de Monsieur [J] [T], correspond à du harcèlement moral à l’égard de certains salariés du site de [Localité 3], et le fait que ce cadre n’a pas modifié son comportement malgré les alertes et mises en garde. L’appelante fait grief à Monsieur [T] d’avoir usé, de façon persistante, de méthodes de management intolérables à l’encontre de plusieurs salariés de l’entreprise dont elle indique verser aux débats les témoignages précis et circonstanciés. L’employeur expose avoir reçu en entretien le salarié le 22 septembre 2017 afin de lui sommer de changer de comportement, qu’à défaut de toute évolution elle l’a de nouveau convoqué en entretien le 9 novembre 2017 à la suite duquel il lui a été notifié un avertissement. L’appelante ajoute que le comportement fautif du salarié s’est néanmoins poursuivi, en sorte qu’elle considère bien fondé le licenciement notifié pour faute grave au salarié et conclut ainsi à son débouté s’agissant de l’ensemble des demandes qu’il formule au titre du licenciement et de l’avertissement qu’elle estime subséquemment bien fondé.
Dans ses dernières écritures, Monsieur [J] [T] demande à la cour de :
– confirmer le jugement sauf en ce que le conseil de prud’hommes a limité à la somme de 60.000 euros le montant des dommages et intérêts pour licenciement abusif ;
– statuant à nouveau, et le réformant sur ce seul point, condamner la SAS LOSANGE DIFFUSION à lui porter et payer la somme de 90.000 euros à titre de dommages et intérêts, outre intérêt de droit à compter du jugement déféré sur le montant de la somme allouée par les premiers juges et à compter du présent arrêt pour le surplus, et avec capitalisation des intérêts conformément aux règles légales ;
– débouter la SAS LOSANGE DIFFUSION de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
– condamner la SAS LOSANGE DIFFUSION à lui payer et porter la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Monsieur [J] [T] sollicite l’annulation de l’avertissement qui lui a été notifié le 17 novembre 2017. Il indique avoir, à plusieurs reprises, contesté cette sanction, particulièrement aux termes de deux correspondances respectivement datées des 12 décembre 2017 et 25 janvier 2018. Il réfute ensuite être responsable d’une dégradation de l’ambiance et/ou des conditions de travail au sein de la structure et excipe de l’absence de tout élément objectif versé par l’employeur pour étayer cette assertion. Il ajoute avoir à plusieurs reprises alerté la direction des difficultés qu’il rencontrait avec certains salariés, mais que celui-ci n’a toutefois donné aucune suite à ces alertes.
Monsieur [J] [T] conteste le bien fondé de son licenciement pour faute grave. Il fait valoir qu’aucun élément de la procédure ne permet de lui imputer directement et avec certitude les dysfonctionnements rencontrés par la société, dont il est conteste au demeurant être responsable. Il considère en revanche avoir été désavoué par sa hiérarchie bien avant l’engagement de la procédure de licenciement et se prévaut à cet égard de l’absence de toute critique s’agissant de son management avant la fin de l’année 2017. Il conclut ainsi à l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement et sollicite l’indemnisation subséquente.
Pour plus ample relation des faits, de la procédure, des prétentions, moyens et arguments des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux dernières conclusions régulièrement notifiées et visées.
MOTIFS
– Sur les sanctions disciplinaires –
Les fonctions de Monsieur [J] [T] au sein du groupe DC EXPANSION ont évolué et l’ont amené à la direction éditoriale des quatre maisons d’édition Chamina, Bonneton, Artémis et Grenouille, toutes regroupées sur le site de [Localité 3] comprenant environ quinze salariés à l’époque considérée, personnel dont Monsieur [T] (N+2) était le supérieur hiérarchique et le représentant de l’employeur (groupe et sociétés dirigés par Monsieur [W]). Chaque maison d’édition correspondait à un service distinct dont le supérieur hiérarchique était une éditrice (N+1).
Par courrier daté du 27 octobre 2017 adressé à Monsieur [W], cinq salariés ([SV] [S], [A] [D], [PM] [C], [I] [L] et [J] [T]) exposaient qu’ils avaient des contacts directs avec ‘Cartothèque’, que les conditions de travail devenaient de plus en plus compliquées et contraires à un esprit de développement et de collaboration, qu’ils souhaitaient en conséquence rencontrer Monsieur [W] pour en parler.
Par courrier recommandé daté du 17 novembre 2017, la SAS LOSANGE DIFFUSION a notifié à Monsieur [J] [T] un avertissement.
Par courrier daté du 20 novembre 2017 adressé à Monsieur [W], l’union locale CGT interpellait l’employeur sur une situation de souffrance au travail vécue par certains salariés de l’entreprise (non nommés) qui ont témoigné d’une dégradation de leurs conditions de travail du fait d’une ‘pratique managériale locale’ (dénigrement soudain du travail effectué, mise à l’écart de salariés, absence de dialogue, complots…). Le syndicat, sans citer Monsieur [J] [T] ou un autre nom, rappelait son obligation de sécurité au chef d’entreprise. Par courrier daté du 29 novembre 2017, Monsieur [W] répondait à l’union locale CGT qu’il avait été informé directement par quelques salariés de la dégradation des conditions de travail au sein de la société LOSANGE DIFFUSION et avait déjà infligé une sanction disciplinaire au manager mis en cause, et ce avant même de recevoir le courrier du syndicat.
Par courrier daté du 23 novembre 2017 adressé à Monsieur [W], l’union locale CFE-CGC interpellait l’employeur sur une situation de grande souffrance au travail vécue par certains salariés du site de [Localité 3] (non nommés) qui ont témoigné de ‘dysfonctionnements managériaux outrepassant un management normal’ (absence de dialogue, dénigrement du travail effectué, mise à l’écart de salariés, injonctions paradoxales, théorie du complot). Le syndicat, sans citer Monsieur [J] [T] ou un autre nom, rappelait son obligation de sécurité au chef d’entreprise ainsi que les textes sur le harcèlement moral, et le mettait en demeure de prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé des salariés. Par courrier daté du 29 novembre 2017, Monsieur [W] répondait à l’union locale CFE-CGC qu’il avait été informé directement par quelques salariés de la dégradation des conditions de travail au sein de la société LOSANGE DIFFUSION et avait déjà infligé une sanction disciplinaire au manager mis en cause, et ce avant même de recevoir le courrier du syndicat.
Par courrier daté du 29 novembre 2017 adressé à Monsieur [J] [T], Monsieur [W] communiquait au salarié les courriers précités des syndicats pour que l’intimé prenne conscience de la situation de souffrance au travail et des risques juridiques encourus par la société au regard de l’obligation de sécurité.
Par courrier daté du 5 décembre 2017 adressé à Monsieur [W], quatre salariées ([SV] [S], responsable d’édition Artémis, [A] [D], responsable d’édition Grenouille, [PM] [C], secrétariat général, [I] [L], responsable d’édition Bonneton) ont évoqué à nouveau les problèmes rencontrés dans les relations avec ‘Cartothèque’, mais également l’existence d’un ‘petit noyau de salariés Losange’ qui crée depuis plusieurs mois un climat détestable et paranoïaque (théories fantaisistes du complot, sabotage de l’autorité du N+1, démoralisation des équipes etc.). Ces quatre salariées relevaient une dégradation des conditions de travail et demandaient de nouveau à rencontrer Monsieur [W] pour en parler.
Le 18 décembre 2017, Monsieur [W] réunissait le personnel du site de [Localité 3], en présence des membres de la direction du groupe (directrice RH et directrice administrative et financière) mais hors la présence de Monsieur [J] [T]. Sur requête des autres salariés présents invoquant leur peur de ‘représailles’, il demandait également aux trois éditrices chefs de service et à la secrétaire des services généraux ([SV] [S], [A] [D], [PM] [C], [I] [L]) de quitter la réunion. Monsieur [W] demandait à Monsieur [J] [T] de le rejoindre en clôture de réunion.
Par courrier daté du 22 décembre 2017 adressé à Monsieur [J] [T], Monsieur [W] faisait une synthèse de la réunion du 18 décembre 2017. Il relevait le malaise ressenti par certains salariés en raison du management de Monsieur [J] [T] relayé par les éditrices chefs de service (interdiction de contact avec le service RH, division du personnel en clans, ambiance délétère de complots, dénigrement du travail des salariés subalternes, propos vexatoires, mise à l’écart de certains salariés, climat de peur, absence de dialogue…). Monsieur [W] renouvelait sa confiance à Monsieur [J] [T] mais le sommait de modifier ses méthodes de management, d’agir avec respect et humanité, de mieux communiquer avec ses équipes. Évoquant également les relations avec Cartothèque, Monsieur [W] indiquait avoir été témoin du comportement agressif de ‘LOSANGE’ à l’encontre de Madame [P] lors des réunions éditoriales et à travers les correspondances, reprochant à Monsieur [J] [T] d’attiser les tensions et le sommant d’apaiser les relations avec Cartothèque.
Par courrier daté du 21 décembre 2017 adressé à l’ensemble du ‘personnel LOSANGE’, Monsieur [W] indiquait avoir pris ‘la mesure du malaise ressenti par les salariés LOSANGE au sujet du management local’, management intolérable et en total désaccord avec les valeurs du groupe. Il exposait que Monsieur [J] [T] avait toute sa confiance au niveau de ses qualités professionnelles mais qu’il avait demandé à l’intimé de modifier ses méthodes de management, d’agir avec respect, humanité et de mieux communiquer avec ses équipes. Il appelait les salariés à l’apaisement du climat social.
Selon le compte rendu de la (première) réunion du comité social et économique de la société LOSANGE DIFFUSION (Madame [X], membre élue titulaire, Madame [R], membre élue suppléante) du 28 mars 2018, Monsieur [W] a donné à Monsieur [J] [T] un pouvoir permanent pour présider les réunion mensuelles à venir. Le climat social et le management de Monsieur [J] [T] n’ont pas été évoqués lors de cette réunion.
Selon le compte rendu de la réunion du comité social et économique de la société LOSANGE DIFFUSION (Madame [X], membre élue titulaire, Madame [R], membre élue suppléante) du 24 avril 2018, le climat social et le management de Monsieur [J] [T] n’ont pas été évoqués lors de cette réunion.
Lors de la réunion du comité social et économique en date du 25 juin 2018, Monsieur [W] était représenté par Monsieur [J] [T], et seule Madame [X] était présente comme membre élue. Madame [X] a évoqué le mal-être ou malaise de certains salariés se sentant sous pression (citant Mesdames [R] et [O] ainsi que Monsieur [BR] mais s’excluant) du fait du management de Monsieur [T] et du relais des éditrices chefs de service. Monsieur [T] en a pris acte avec étonnement, réfutant cette accusation en commentant les entretiens annuels qu’il conduit et l’absentéisme dans l’entreprise. Le procès-verbal de réunion a été signé par Monsieur [W] le 29 juin 2018. La teneur de ce procès-verbal a été contestée par le syndicat CGT par note datée du 6 juillet 2018 en droit de réponse.
Par courrier daté du 10 juillet 2018, le médecin du travail, suite à une visite médicale de la salariée alors en arrêt de travail, a alerté la société LOSANGE et Monsieur [W] sur la situation de Madame [K] [R] qui présentait un mal-être important depuis plusieurs mois lié à des conditions de travail dégradantes, avec un risque imminent de burn-out. Le médecin du travail indiquait à l’employeur qu’il était urgent de trouver une solution afin que Madame [K] [R] puisse quitter l’entreprise dès septembre.
Par courrier recommandé daté du 24 juillet 2018, Monsieur [J] [T] a été convoqué par l’employeur à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 2 août 2018.
Par courrier daté du 2 août 2018, le médecin du travail a alerté la société LOSANGE s’agissant de l’altération de la santé physique et psychique de quatre salariés (non nommés), trois en souffrance au travail dont deux en burn-out, qui lui ont parlé encore récemment de la dégradation de leurs conditions de travail alors qu’ils se sentaient surchargés de travail, ignorés, rétrogradés, non respectés et que, malgré plusieurs alertes, rien ne changeait. Le médecin du travail faisait part de sa crainte de constats d’inaptitude à venir si des mesures efficaces n’étaient pas prises rapidement pour préserver la santé des salariés (notamment médiation et diagnostic RPS).
Par courrier recommandé daté du 6 août 2018 Monsieur [J] [T] a été licencié pour faute grave.
Madame [K] [R], secrétaire d’édition et membre suppléante du comité social et économique, atteste que :
– à partir du moment où Monsieur [J] [T] a pris la direction des maisons d’édition Artemis et Grenouille, il a imposé au personnel un management inadapté (coupure avec le service RH du groupe, tutoiement intempestif, comportement grossier et cyclothymique, contrôle et autoritarisme excessifs, rigidité des relations, hypocrisie et manipulation, surcharge de travail…) ;
– Monsieur [J] [T] passait son temps à élaborer avec les trois éditrices une stratégie contre la société CARTOTHEQUE et Madame [P] qu’il soupçonnait de vouloir prendre sa place ;
– à titre personnel elle a subi une dégradation de ses conditions de travail du fait du management de Monsieur [J] [T] qui, notamment, lui refusait une certaine flexibilité dans ses horaires de travail alors qu’elle était seule aidante de sa mère âgée et atteinte de la maladie d’Alzheimer, critiquait souvent son travail, la traitait en simple exécutante de façon méprisante et humiliante ;
– plus précisément, elle a subi de la part de Monsieur [J] [T], une agression verbale humiliante le 7 mars 2017, une mise à l’écart à compter de janvier 2018 alors que deux éditrices ne lui adressaient plus la parole, une atmosphère de travail haineuse à compter de janvier 2018.
Madame [K] [R] affirme avoir subi des faits de harcèlement moral de la part de Monsieur [J] [T] qui l’ont conduit à des arrêts de travail en 2016, 2017 et 2018 pour syndrome anxio-dépressif et burn-out.
Selon une attestation d’une psychologue, Madame [K] [R] était suivie depuis février 2017 pour une situation de souffrance au travail, avec anxiété, épuisement émotionnel et physique.
Monsieur [H] [U], ancien responsable informatique, atteste que :
– à partir du moment où Monsieur [J] [T] a pris la direction du site de [Localité 3], le personnel a subi un management malsain (coupure avec le service RH du groupe, comportement pervers narcissique, critique systématique du travail des salariés les plus faibles avec cassage psychologique et mise à l’écart, manipulation et hypocrisie, contrôle et autoritarisme excessifs…) ;
– Monsieur [J] [T] a scindé le personne du site de [Localité 3], ceux qui se soumettaient à lui et pouvaient garder une situation professionnel stable, les autres étant cassés et mis à l’écart ;
– il a quitté l’entreprise du fait du comportement inadapté de Monsieur [J] [T] à son égard.
Madame [ON] [B], éditrice-infographiste, atteste que :
– dès 2011, alors qu’il était responsable des éditions Bonneton et Chamina, avant même de gérer les édition Grenouille et Artémis, Monsieur [J] [T] adoptait un management brutal, cassant psychologiquement certains salariés pour les pousser à quitter l’entreprise. Elle indique avoir été victime de l’attitude méprisante et dévalorisante de Monsieur [J] [T] mais ne pas avoir osé réagir à l’époque du fait de sa jeunesse ;
– avec certains salariés, Monsieur [J] [T] était colérique, menteur, agressif verbalement, menaçant, mais plus mesuré avec d’autres, pratiquant la devise ‘diviser pour mieux régner’. Monsieur [J] [T] a poussé certains salariés fragiles à la démission ou à la dépression/burn-out (noms précisés) ;
– elle a subi le comportement inadapté de Monsieur [J] [T] (dénigrement, colères, mépris, surcharge de travail, concurrence déloyale…). Elle a fini par alerter la médecine du travail en novembre 2014, l’inspection du travail et un avocat sur sa situation et celle de certains de ses collègues qu’elle qualifie de harcèlement moral ;
– poussée à la démission par Monsieur [J] [T], elle a fini par obtenir une rupture conventionnelle ;
– elle a vécu l’enfer au travail à cause de Monsieur [J] [T] qui a également été odieux avec sa collègue [F] [XT], atteinte alors d’une grave maladie et aujourd’hui décédée.
Madame [Y] [O], employée, atteste que :
– elle a subi pendant de nombreuses années le comportement assimilable à du harcèlement moral de Monsieur [J] [T] (colères imprévisibles et injustifiées, mensonges, remontrances très agressives, excès d’autorité, absence d’empathie, dénigrement…), et même lorsqu’elle était traitée pour un cancer ;
– d’autres salariées, dont [F] [XT] et [ON] [B], ont souffert du comportement de Monsieur [J] [T].
Monsieur [M] [BR], graphiste, atteste que :
– l’ambiance de travail est devenue très tendue sur le site de [Localité 3] à partir de la prise de fonction de Monsieur [J] [T] qui pratiquait un management extrêmement rigide, avec une mise sous pression chronique de certains salariés, ce qui a favorisé les tensions entre les salariés et généré une inquiétude grandissante ;
– à titre personnel, malgré sa longue expérience professionnelle, il a subi jusqu’au milieu de l’année 2017 cette pression de la part de Monsieur [J] [T] qui ne cessait de critiquer son rythme et la qualité de son travail, lui imposant toujours plus de tâches dans des délais toujours plus courts.
Madame [SV] [X], secrétaire de rédaction à compter de mars 2015 et membre titulaire du comité social et économique, atteste qu’elle a subi le comportement inadapté de Monsieur [J] [T] (pression constante, contrôle permanent et excessif, irritabilité, sautes d’humeur imprévisibles, critiques incessantes sans apporter de solution, chronométrage et notification de carton jaune, dissuasion d’absence pour maladie ou contraintes familiales ou de participation à des élections professionnelles, menace de licenciement, diminution des responsabilités, mise à l’écart des réunions, recadrages réguliers…).
Monsieur [MX] [V], agent littéraire de l’entreprise de juin 2008 à décembre 2015, atteste que :
– il a été très difficile de travailler avec Monsieur [J] [T] qui faisait preuve de mépris à son égard et le tenait à distance ;
– il appris par la suite que, derrière son dos, Monsieur [J] [T] le dénigrait sur le plan professionnel et faisait des plaisanteries douteuses homophobes le concernant.
Monsieur [N] atteste avoir travaillé avec Monsieur [J] [T] à compter du 3 juillet 2017, avoir entretenu de bonnes relations avec l’intimé, n’avoir rien à reprocher au management de son supérieur hiérarchique dont il loue les qualités de patience et d’écoute.
Madame [D], secrétaire de rédaction des éditions Grenouille, avoir travaillé avec Monsieur [J] [T] à compter de mars 2016, avoir entretenu de bonnes relations avec l’intimé qui s’est montré ouvert, respectueux, attentif.
Madame [C], en poste au secrétariat général jusqu’en avril 2019, atteste du climat social délétère au sein de l’entreprise, entraînant une dégradation de ses conditions de travail à l’origine de son épuisement et de son inaptitude. Elle soutient que Monsieur [J] [T] n’était pas responsable de cette situation de souffrance au travail qui était provoquée par un petit groupe de salariés qui se sont acharnés contre l’intimé en faisant preuve de mensonges et chantages jusqu’à obtenir le licenciement du responsable d’éditions. Elle loue les qualités professionnelles et humaines de Monsieur [J] [T] qui n’a pas été soutenu par la direction du groupe. Elle ajoute qu’après le départ de Monsieur [J] [T], le climat social ne s’est pas amélioré et que d’autres salariés ont quitté en conséquence l’entreprise.
Madame [S], secrétaire de rédaction des éditions Artémis et compagne de l’intimé à l’époque considérée, atteste d’un climat social toxique au sein de l’entreprise dont elle rend responsable un groupe de salariés, constitué principalement de Monsieur [U], Madame [R] et Madame [X], qui ont calomnié, provoqué et destabilisé pendant des mois Monsieur [J] [T] ainsi que les chefs de service. Elle dénonce l’inaction, l’aveuglement et l’absence de soutien de Monsieur [W] qui a fini par prendre le parti des salariés manipulateurs. Elle loue les qualités professionnelles et le management de Monsieur [J] [T], son écoute et sa patience notamment à l’égard de Madame [R] qui se comportait mal. Elle expose avoir alerté l’employeur, la médecine du travail et l’inspection du travail sur cette situation délétère. Elle indique avoir démissionné en décembre 2018 car épuisée psychologiquement du fait de la dégradation de ses conditions de travail.
Monsieur [JP], ancien directeur commercial, atteste avoir travaillé avec Monsieur [J] [T] durant le second semestre 2014, sans constater de harcèlement imputable à l’intimé nonobstant le fait qu’il avait décelé chez ce dernier une ‘forme de rigidité dans ses propos’.
Madame [GI] [G] a été embauchée par la société CARTOTHEQUE à compter du 4 juin 2018, selon contrat de travail à durée indéterminée à temps plein signé le 6 mars 2018, en qualité de directrice développement. Elle n’a pas remplacé ou occupé le même poste que Monsieur [J] [T].
Madame [E] [YS] a été embauchée par la société LOSANGE DIFFUSION à compter de novembre 2018, selon contrat de travail à durée indéterminée à temps plein signé le 17 septembre 2018, en qualité de directrice d’édition. Elle a remplacé et occupé le même poste que Monsieur [J] [T].
– Sur l’avertissement –
L’employeur dispose d’un pouvoir disciplinaire, c’est-à-dire du droit de sanctionner les fautes commises par ses salariés à l’occasion de l’exécution de leur contrat de travail. L’employeur qui se place sur le terrain disciplinaire est tenu par l’analyse ainsi faite, et il ne saurait prétendre par la suite justifier la mesure prise par des motifs non disciplinaires. Le comportement fautif du salarié doit, en principe, se manifester par un acte positif ou une abstention de nature volontaire, l’insuffisance professionnelle ne constituant pas un motif de sanction disciplinaire. La faute ne peut résulter que d’un fait avéré, imputable au salarié et constituant une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail.
Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires (date de convocation à l’entretien préalable ou de prononcé d’une mise à pied conservatoire / date de présentation de la lettre recommandée ou de remise de la lettre simple pour une sanction ne nécessitant pas un entretien préalable) au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés au salarié.
Si un fait fautif ne peut plus donner lieu à lui seul à une sanction disciplinaire au-delà du délai de deux mois, l’employeur peut invoquer une faute prescrite lorsqu’un nouveau fait fautif est constaté, à condition toutefois que les deux fautes procèdent d’un comportement identique. Par ailleurs, l’employeur peut prendre en compte un fait fautif antérieur à deux mois si le comportement du salarié a persisté dans ce délai. Toutefois, aucune sanction antérieure de plus de trois ans à l’engagement des poursuites disciplinaires ne peut être invoquée à l’appui d’une nouvelle sanction.
L’employeur est, en principe, libre de choisir la sanction qui lui paraît adaptée au comportement fautif du salarié. Ainsi, sauf détournement de pouvoir ou discrimination, il peut, en vertu de son pouvoir d’individualisation des mesures disciplinaires, sanctionner différemment les salariés ayant participé à une même faute ou ne pas sanctionner l’un d’entre eux. La sanction disciplinaire prononcée par l’employeur doit être proportionnée à la faute commise par le salarié.
Un salarié peut contester devant la juridiction prud’homale, dans le délai de prescription de deux ans visé par l’article L. 1471-1 du code du travail, toute mesure disciplinaire prise à son encontre. Le juge prud’homal apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier la sanction disciplinaire contestée. L’employeur doit fournir au juge les éléments retenus pour prendre la sanction disciplinaire. Le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de ses allégations. Si le doute subsiste, il profite au salarié. Le juge n’est pas lié par les dispositions du règlement intérieur ni par les dispositions conventionnelles ou contractuelles. Le juge doit vérifier si les faits ne sont pas prescrits et rechercher s’ils présentent un caractère fautif. Le juge exerce un contrôle de proportionnalité en matière de sanction disciplinaire et vérifie en conséquence que la sanction prononcée par l’employeur à l’encontre du salarié n’est pas trop sévère compte tenu des faits reprochés. En revanche, il ne peut pas annuler une sanction disciplinaire qu’ils estime trop clémente. Le juge ne peut pas modifier une sanction disciplinaire et en prendre une autre. Le juge doit annuler la sanction disciplinaire s’il en constate le caractère disproportionné ou injustifié.
La lettre de notification de la sanction disciplinaire d’avertissement, datée du 17 novembre 2017 et signée par Monsieur [Z] [W], contient les griefs suivants à l’encontre de Monsieur [J] [T] :
1- s’agissant de son management et des relations avec ses collaborateurs directs : être responsable de la dégradation de l’ambiance de travail et du malaise des salariés, dont certains (pas d’identification) subissent des pressions (non précisées), sur le site de [Localité 3] dont il assure la gestion ;
2- s’agissant des relations entre les équipes CARTOTHEQUE et LOSANGE : avoir eu une altercation le 26 octobre 2017 avec Madame [P], responsable développement de la société CARTOTHEQUE, avoir attisé les tensions entre les équipes au lieu de les apaiser et de trouver des solutions.
L’employeur relève que Monsieur [J] [T] n’a pas modifié son comportement, ‘extrêmement préjudiciable au bon fonctionnement de l’entreprise’, malgré les entretiens et mesures préalables et il somme le salarié de changer d’attitude.
Par courriers daté des 12 décembre 2017 et 25 janvier 2018, Monsieur [J] [T] a contesté cette sanction disciplinaire, laquelle a été confirmée par l’employeur suivant courriers datés des 22 décembre 2017 et 16 février 2018.
S’agissant du second grief visé dans la lettre d’avertissement, il n’est pas établi que Monsieur [J] [T] serait, de par une faute, à l’origine ou responsable de la dégradation des relations entre les équipes CARTOTHEQUE et LOSANGE du groupe, ni qu’il serait l’auteur d’une agression verbale commise le 26 octobre 2017 à l’encontre de Madame [P]. Ces griefs sont évoqués par Monsieur [W] et, dans une moindre mesure, par Madame [R]. Toutefois, il n’est pas justifié objectivement de l’existence d’une agression verbale en date du 26 octobre 2017, pas plus que ne sont caractérisés des paroles ou correspondances agressives, ou même inadaptées, de la part de Monsieur [J] [T] à l’égard de Madame [P] ou de l’équipe CARTOTHEQUE. Le seul échange versé aux débats (un courriel adressé le 18 octobre 2017 par l’intimé à Madame [P]) apparaît très professionnel, sans excès ni animosité. S’il existait bien des tensions entre les équipes CARTOTHEQUE et LOSANGE, aucun élément d’appréciation objectif ne permet d’imputer cette situation à un comportement fautif de Monsieur [J] [T]. Ce grief ne sera donc pas retenu.
S’agissant du premier grief visé dans la lettre d’avertissement, à savoir un management inadapté de Monsieur [J] [T] à l’origine d’une situation de souffrance au travail, comme souvent, deux thèses s’opposent en l’espèce.
Selon l’appelante, Monsieur [J] [T] a adopté un management toxique qui a conduit à une scission du personnel et à la dégradation des conditions de travail de plusieurs salariés qui se sont alors trouvés en grande souffrance sur le plan psychologique.
Selon l’intimé, quelques salariés ont mené une cabale et porté des accusations mensongères pour obtenir son licenciement.
La cour constate d’abord que le personnel encadré par Monsieur [J] [T] sur le site de [Localité 3], soit une quinzaine de salariés, s’est trouvé fortement divisé du fait du management de l’intimé. Parmi les défenseurs de Monsieur [J] [T], on trouve trois chefs de service et la secrétaire des services généraux. Parmi les accusateurs, on trouve les salariés en position hiérarchique plus inférieure. Logiquement, si un troisième clan des ‘neutres’ existait au sein de l’établissement de [Localité 3], ses membres ne se sont pas manifestés dans le cadre de la présente procédure.
Les attestations des salariés [R], [U], [B], [O], [BR], [X] et [V] concordent pour relever, dans le cadre des relations de travail, un comportement excessivement autoritaire, dénué ou manquant d’empathie, rigide et rugueux de la part de Monsieur [J] [T] qui dévalorisait et exerçait une pression importante sur certains salariés dont il n’était pas satisfait, voire les ‘cassait’ psychologiquement.
À l’inverse, Monsieur [J] [T] se montrait professionnel, attentif et mesuré à l’égard des chefs de service et de la secrétaire des services généraux. L’attitude consistant à diviser le personnel, éventuellement pour mieux régner, consciente ou non, apparaît caractérisée s’agissant du management de Monsieur [J] [T].
Les explications de l’intimé consistant essentiellement à pointer l’absentéisme et le manque d’ardeur au travail, voire l’insubordination, de Madame [R] ainsi que la cabale menée par une partie des salariés pour se débarrasser de lui, version approuvée par Mesdames [S] et [C], ne sont pas de nature à contredire les témoignages concordants susvisés, ainsi que les constatations médicales, quant à l’existence d’un management inadapté de Monsieur [J] [T] à l’origine d’une souffrance au travail pour près de la de la moitié des salariés de l’établissement de [Localité 3], ce qui est constitutif d’une faute dans l’exécution du contrat de travail.
Selon les propres écrits de Monsieur [W], l’employeur a été informé de cette situation courant 2017 par les témoignages spontanés de certains salariés et, après avoir entendu l’intimé, il a notifié à Monsieur [J] [T] la sanction disciplinaire d’avertissement en le sommant de changer de comportement managérial.
Au regard des principes susvisés et des éléments d’appréciation dont la cour dispose, la sanction disciplinaire notifiée le 17 novembre 2017 était régulière, justifiée et proportionnée.
Le jugement déféré sera infirmé en ce que le conseil de prud’hommes a annulé l’avertissement prononcé à l’encontre de Monsieur [J] [T] le 17 novembre 2017.
– Sur le licenciement –
Le courrier de notification du licenciement est ainsi libellé :
‘Monsieur,
Je fais suite à l’entretien préalable auquel je vous ai convoqué pour le 2 août 2018.
J’ai le regret de vous signifier par la présente votre licenciement pour faute grave pour les motifs suivants :
Vous avez fait l’objet d’un avertissement le 17 novembre dernier compte tenu de vos difficultés relationnelles tant avec vos collaborateurs directs de [Localité 3] qu’avec les équipes de CARTOTHEQUE.
Cet avertissement faisait suite aux témoignages adressés par les salariés de [Localité 3] qui dénonçaient à I’époque votre comportement et leurs conditions de travail qui se dégradaient.
Nous avons été alertés peu de temps après, le 23 novembre 2017, par des courriers de la CGT et de la CFE-CGC, ces syndicats dénonçant tous deux une semblable situation.
J’ai donc été contraint d’organiser une réunion pour rencontrer le personnel de [Localité 3] le 18 décembre 2017.
Au terme de cette réunion, je vous ai renouvelé ma confiance sur le plan professionnel pour la gestion de l’activité de l’entreprise.
Je vous ai en revanche invité à modifier votre management dans la mesure où ce dernier était ressenti comme plus que déstabilisant par le personnel.
ll s’avère malheureusement que, depuis la notification de cet avertissement, la situation ne s’est pas améliorée.
En effet, les salariés continuent de décrire des situations de mises au placard et de brimades injustifiées.
Les problèmes de mal-être et de malaise ressentis par certains salariés ont de nouveau été évoqués en réunion du CSE du 25 juin 2018 et la qualité du dialogue avec la titulaire membre du CSE laisse visiblement à désirer, cette dernière ayant contesté tant le déroulement que le compte-rendu de cette réunion.
Le paroxysme semble être atteint concernant Madame [R]: la situation de cette dernière vient de faire l’objet d’une alerte par le médecin du travail, selon un courrier du 10 juillet 2018, qui nous fait part du mal-être important de celle-ci et de ses conditions de travail dégradantes.
Ce dernier événement vient confirmer le fait que vous n’avez pas évolué dans vos méthodes managériales contrairement à ce que je vous avais demandé.
Cette situation de souffrance au travail ne peut perdurer car elle est susceptible d’engager ma responsabilité en tant qu’employeur qui a une obligation de sécurité vis-à-vis de son personnel.
En effet, des méthodes managériales peuvent caractériser une situation de harcèlement.
Votre comportement met donc en cause le bon fonctionnement de l’entreprise.
Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l’entreprise s’avère impossible y compris pendant la durée de votre préavis.
Votre licenciement prend donc effet immédiatement, sans indemnité de préavis ni de licenciement.
Votre solde de tout compte, votre certificat de travail et votre attestation POLE EMPLOl vous seront adressés dans les prochains jours.
Par ailleurs, je profite de la présente pour vous confirmer que la société LOSANGE vous libère de la clause de non concurrence contractuelle conformément à l’article 48 de votre contrat de transfert établi le 23 septembre 2015.
De plus du fait des fusions intervenues entre les sociétés CHAMINA et LOSANGE et les sociétés BONNETON et LOSANGE, les clauses de non concurrences y afférentes se trouvent également libérées.
Veuillez agréer, Monsieur, mes salutations distinguées.
[Z] [W]’.
Le licenciement correspond à une rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur.
La lettre de licenciement fixe les limites du litige sur la cause du licenciement, ce qui interdit à l’employeur d’invoquer de nouveaux ou d’autres motifs ou griefs par rapport à ceux mentionnés dans la lettre de licenciement.
Pour que la rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur soit justifiée ou fondée, en tout cas non abusive, la cause du licenciement doit être réelle (faits objectifs, c’est-à-dire précis et matériellement vérifiables, dont l’existence ou matérialité est établie et qui constituent la véritable raison du licenciement), mais également sérieuse, c’est-à-dire que les faits invoqués par l’employeur, ou griefs articulés par celui-ci, doivent être suffisamment pertinents pour justifier le licenciement.
Le licenciement pour motif personnel est celui qui est inhérent à la personne du salarié. Un licenciement pour motif personnel peut être décidé pour un motif disciplinaire, c’est-à-dire en raison d’une faute du salarié, ou en dehors de tout comportement fautif du salarié (motif personnel non disciplinaire). Il ne doit pas être discriminatoire.
Si l’employeur peut sanctionner par un licenciement un acte ou une attitude du salarié qu’il considère comme fautif, il doit s’agir d’un comportement volontaire (action ou omission). À défaut, l’employeur ne peut pas se placer sur le terrain disciplinaire. La faute du salarié correspond en général à un manquement aux obligations découlant du contrat de travail. Elle ne doit pas être prescrite, ni avoir déjà été sanctionnée. Les faits reprochés au salarié doivent lui être personnellement imputables. Un salarié ne peut pas être licencié pour des faits imputables à d’autres personnes, même proches.
En cas de licenciement disciplinaire, le juge doit vérifier que le motif allégué constitue une faute. Selon sa gravité, la faute commise par le salarié emporte des conséquences plus ou moins importantes. Si les faits invoqués, bien qu’établis, ne sont pas fautifs ou constituent une faute légère mais non sérieuse, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, donc abusif. En cas de licenciement fondé sur une faute constituant une cause réelle et sérieuse, le salarié a droit au règlement de l’indemnité compensatrice de congés payés, de l’indemnité de licenciement, du préavis ou de l’indemnité compensatrice de préavis (outre les congés payés afférents).Le licenciement pour faute grave entraîne la perte du droit aux indemnités de préavis et de licenciement. Le licenciement pour faute lourde, celle commise par le salarié avec l’intention de nuire à l’employeur ou à l’entreprise, entraîne également pour le salarié la perte du droit aux indemnités de préavis et de licenciement, avec possibilité pour l’employeur de réclamer le cas échéant au salarié réparation du préjudice qu’il a subi (dommages-intérêts). Dans tous les cas, l’indemnité compensatrice de congés payés reste due.
La sanction disciplinaire prononcée par l’employeur, y compris une mesure de licenciement, ne pas doit être disproportionnée mais doit être proportionnelle à la gravité de la faute commise par le salarié. Le juge exerce un contrôle de proportionnalité en matière de sanction disciplinaire et vérifie en conséquence que la sanction prononcée par l’employeur à l’encontre du salarié n’est pas trop sévère compte tenu des faits reprochés.
Le code du travail ne donne aucune définition de la faute grave. Selon la jurisprudence, la faute grave se définit comme étant celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié, constituant une violation des obligations qui résultent du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et la poursuite du contrat de travail pendant la durée du préavis.
La faute grave suppose une action délibérée ou une impéritie grave, la simple erreur d’appréciation ou l’insuffisance professionnelle ne pouvant ouvrir droit à une sanction disciplinaire. La gravité d’une faute n’est pas nécessairement fonction du préjudice qui en est résulté. La commission d’un fait isolé peut justifier un licenciement disciplinaire, y compris pour faute grave, sans qu’il soit nécessaire qu’il ait donné lieu à avertissement préalable.
La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifie la cessation immédiate du contrat de travail sans préavis, en tout cas une rupture immédiate du contrat de travail avec dispense d’exécution du préavis. Elle peut justifier une mise à pied conservatoire, mais le prononcé d’une telle mesure n’est pas obligatoire. La faute grave ne saurait être admise lorsque l’employeur a laissé le salarié exécuter son préavis au salarié. En revanche, il importe peu que l’employeur ait versé au salarié des sommes auxquelles il n’aurait pu prétendre en raison de cette faute, notamment l’indemnité compensatrice de préavis ou les salaires correspondant à une mise à pied conservatoire.
En cas de faute grave, la mise en oeuvre de la procédure de licenciement doit intervenir dans un délai restreint après que l’employeur a eu connaissance des faits fautifs, mais le maintien du salarié dans l’entreprise est possible pendant le temps nécessaire pour apprécier le degré de gravité des fautes commises.
Si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement ne pèse pas plus particulièrement sur l’employeur (la Cour de cassation juge que la preuve du caractère réel et sérieux du motif de licenciement n’incombe spécialement à aucune des parties), il incombe à l’employeur, en revanche, d’établir la faute grave ou lourde. Le juge forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Dans tous les cas, en matière de bien-fondé du licenciement disciplinaire, le doute doit profiter au salarié.
Aux termes de l’article L. 1332-4 du code du travail : ‘Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.’.
Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires (date de convocation à l’entretien préalable ou de prononcé d’une mise à pied conservatoire / date de présentation de la lettre recommandée ou de remise de la lettre simple pour une sanction ne nécessitant pas un entretien préalable) au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés au salarié.
Si un fait fautif ne peut plus donner lieu à lui seul à une sanction disciplinaire au-delà du délai de deux mois, ces dispositions ne font pas obstacle à la prise en considération de faits antérieurs à deux mois dès lors que le comportement du salarié s’est poursuivi ou s’est réitéré dans ce délai, l’employeur pouvant ainsi invoquer une faute prescrite lorsqu’un nouveau fait fautif est constaté, à condition toutefois que les deux fautes procèdent d’un comportement identique. Toutefois, aucune sanction antérieure de plus de trois ans à l’engagement des poursuites disciplinaires ne peut être invoquée à l’appui d’une nouvelle sanction.
En l’espèce, vu les termes de la lettre de licenciement, l’employeur reproche à Monsieur [J] [T], depuis la notification de l’avertissement du 17 novembre 2017, de ne pas avoir modifié son comportement ni évolué dans ses méthodes managériales qui génèrent une situation de souffrance au travail ne pouvant perdurer car elle est susceptible d’engager la responsabilité de l’employeur qui a une obligation de sécurité vis-à-vis de son personnel, alors que :
– les salariés continuent de décrire des situations de mises au placard et de brimades injustifiées ;
– les problèmes de mal-être et de malaise ressentis par certains salariés ont de nouveau été évoqués en réunion du CSE du 25 juin 2018 et la qualité du dialogue avec la titulaire membre du CSE laisse visiblement à désirer ;
– le paroxysme semble être atteint concernant Madame [R] alors que la situation de cette dernière vient de faire l’objet d’une alerte par le médecin du travail.
Par rapport aux faits déjà sanctionnés le 17 novembre 2017, l’employeur reproche à Monsieur [J] [T] d’avoir persisté à adopter un management inadapté causant une situation de souffrance au travail pour certains salariés. Il lui reproche également une mauvaise qualité de dialogue social avec la membre titulaire du comité social et économique, Madame [X], ainsi que la situation de grande souffrance de Madame [R].
Il est établi qu’après le 17 novembre 2017, le management de Monsieur [J] [T] a continué à causer une situation de souffrance au travail pour certains salariés. Madame [X] et Madame [R] ont dénoncé cette situation, ainsi que les syndicats en novembre 2017, et le médecin du travail en juillet-août 2018.
Monsieur [J] [T] n’a pas accepté la sanction disciplinaire du 17 novembre 2017 et, conforté par les dires des chefs de service, il considérait que son management n’était pas inadapté , mais qu’il était victime d’accusations mensongères, d’une injuste stigmatisation et d’un ‘lâchage’ de la part de l’employeur, à savoir Monsieur [W].
Dans le cadre de ses obligations, l’employeur devait non seulement protéger la santé de ses salariés, particulièrement celle des salariés ayant dénoncé une situation de souffrance au travail, mais également permettre à Monsieur [J] [T] de modifier son management de façon à faire cesser une situation déjà sanctionnée le 17 novembre 2017.
Or l’attitude de l’employeur, à savoir Monsieur [W], a été ambigue, voire flottante. Après le 17 novembre 2017, Monsieur [W] a, en même temps, gardé toute sa confiance à Monsieur [J] [T] pour encadrer le personnel de l’établissement de [Localité 3], tout en le sommant de modifier sans délai un comportement managérial toxique. Cette position équivoque a été notifiée à plusieurs reprises à l’intimé ainsi qu’à l’ensemble du personnel.
Tenu d’effectuer une enquête interne sérieuse, notamment après l’alerte donnée par les syndicats en novembre 2017 sur la persistance d’une situation de souffrance au travail, l’employeur a, certes, organisé une réunion des salariés le 18 décembre 2017. Toutefois, il en a exclu Monsieur [J] [T], ce qui peut s’entendre pour libérer la parole des autres salariés, mais également les salariés partageant l’avis de Monsieur [J] [T] sur les causes de la dégradation du climat social. Il n’est pas justifié que Monsieur [W] aurait pris la peine, même de façon séparée, d’entendre les chefs de service ainsi que la secrétaire des services généraux sur la situation de souffrance au travail. Monsieur [W] n’a pas organisé d’audit social ni fait appel à des intervenants extérieurs pour obtenir la photographie la plus précise et sincère possible des causes de la dégradation des conditions de travail au sein de la société LOSANGE DIFFUSION.
L’employeur n’a pas aidé, assisté ou contrôlé Monsieur [J] [T] dans l’exercice des fonctions managériales après le 17 novembre 2017. Il s’est contenté de le sommer de changer d’attitude tout en le rassurant sur le fait qu’il lui conservait toute sa confiance et en critiquant l’action des syndicats par courriel. Aucune mesure d’évaluation, d’assistance ou de formation n’a été sérieusement organisée en faveur de Monsieur [J] [T] après le 17 novembre 2017, pas plus qu’avant cette date.
Monsieur [W] a été plus loin dans l’ambivalence et la confusion puisque, tout en organisant des réunions mensuelles du comité social et économique pour faciliter l’expression des salariés et tenter d’apaiser les tensions, il a rapidement donné mandat à Monsieur [J] [T] de le représenter lors des réunions du comité social et économique, mettant ainsi face à face l’accusé (l’intimé) et s es principales accusatrices (Mesdames [X] et [R]), les plaçant, sans intermédiaire ni médiateur, en position de chiens de faïence. Il en est résulté le dialogue de sourds du 25 juin 2018 et une aggravation des tensions avec une nouvelle intervention syndicale virulente.
L’employeur n’est donc pas légitime à reprocher à Monsieur [J] [T] la mauvaise qualité du dialogue avec la titulaire membre du comité social et économique, notamment lors de la réunion du comité social et économique en date du 25 juin 2018.
L’employeur n’a pas organisé de médiation ni de rencontres médiatisées entre Monsieur [J] [T] et les salariés se disant victime du management de l’intimé, pas plus qu’avec les chefs de service.
Une telle attitude de la part de l’employeur ne pouvait aider Monsieur [J] [T] à admettre ses carences en matière managériale, encore moins lui permettre de s’améliorer sur ce point.
Monsieur [W] n’est sorti de l’ambiguïté que lorsque le médecin du travail est intervenu de façon formelle pour signaler une situation de souffrance au travail, prédire des inaptitudes et sommer l’employeur de respecter son obligation de sécurité. La procédure de licenciement pour motif disciplinaire a alors été engagée.
Dans ce contexte, vu les principes et observations précitées, la persistance d’un management inadapté de Monsieur [J] [T] après le 17 novembre 2017 ne constitue ni une faute grave ni une cause réelle et sérieuse de licenciement pour motif disciplinaire.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce que conseil de prud’hommes a jugé le licenciement de Monsieur [J] [T] sans cause réelle et sérieuse.
– Sur les conséquences du licenciement –
‘ Lorsque le licenciement n’est pas motivé par une faute grave, sauf application de dispositions conventionnelles ou contractuelles plus favorables, le salarié a droit : 1° S’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus inférieure à six mois, à un préavis dont la durée est déterminée par la loi, la convention ou l’accord collectif de travail ou, à défaut, par les usages pratiqués dans la localité et la profession ; 2° S’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus comprise entre six mois et moins de deux ans, à un préavis d’un mois ; 3° S’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus d’au moins deux ans, à un préavis de deux mois. Lorsque le salarié n’exécute pas le préavis, il a droit, sauf s’il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice de préavis. L’indemnité compensatrice de préavis se cumule avec l’indemnité de licenciement et avec l’indemnité prévue à l’article L. 1235-2 du code du travail (indemnité pour insuffisance de motivation de la lettre de licenciement).
L’article 13 de l’annexe II de la convention collective nationale de l’édition du 14 janvier 2000 prévoit que, sous réserve des dispositions du code du travail propres aux accidents du travail et aux maladies professionnelles, le délai-congé en cas de licenciement est fixé à : – 2 mois pour les agents de maîtrise, les techniciens et les cadres des catégories C 1 a et b ; – 3 mois pour les autres cadres.
Monsieur [J] [T], classé cadre C3c, présente une ancienneté de 10 ans au sein de l’entreprise avec une rémunération mensuelle brute de référence de 6.862,45 euros.
Le jugement sera confirmé en ce que le conseil de prud’hommes a condamné la société LOSANGE DIFFUSION à payer à Monsieur [J] [T] les sommes de 20.587,35 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis, et de 2.058,73 euros brut au titre des congés payés sur préavis.
‘ Pour les licenciements notifiés depuis le 24 septembre 2017, l’indemnité légale de licenciement est attribuée au salarié titulaire d’un contrat à durée indéterminée justifiant de huit mois d’ancienneté ininterrompue au service du même employeur. L’indemnité de licenciement ne peut être inférieure aux montants suivants : 1° un quart de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années jusqu’à dix ans ; 2° un tiers de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années à partir de dix ans.
L’indemnité de licenciement n’a pas le caractère d’un salaire. Elle est donc exonérée, dans certaines limites, des cotisations de sécurité sociale. Elle n’est pas soumise à la prescription applicable aux salaires mais à celle applicable en matière de rupture du contrat de travail. Il n’y a pas de condamnation à congés payés y afférents.
L’article 13 de l’annexe II de la convention collective nationale de l’édition du 14 janvier 2000 prévoit que les agents de maîtrise, techniciens et cadres licenciés se voient verser une indemnité de licenciement lorsque celui-ci intervient après 6 mois de présence du salarié dans l’entreprise. Cette indemnité est calculée de la manière suivante : – 1 mois de salaire par année de présence dans l’entreprise pendant les 5 premières années ; – 0,8 mois de salaire par année de présence entre la sixième et la dixième année ; – 0,6 mois de salaire par année de présence à partir de la onzième année. L’indemnité de licenciement des agents de maîtrise, techniciens et cadres est plafonnée à 18 mois de salaire. Elle fait l’objet d’un prorata en fonction du nombre de trimestres entiers de présence du salarié dans l’entreprise.
Le jugement sera confirmé en ce que le conseil de prud’hommes a condamné la société LOSANGE DIFFUSION à payer à Monsieur [J] [T] la somme de 61.762,05 euros à titre d’indemnité de licenciement.
‘ Il résulte d’une jurisprudence constante que la perte injustifiée de son emploi par le salarié lui cause un préjudice dont il appartient au juge d’apprécier l’étendue. Cette évaluation dépend des éléments d’appréciation fournis par les parties.
Pour les licenciements notifiés à compter du 24 septembre 2017, l’article L. 1235-3 du code du travail institue une ‘barémisation’ (désigné communément ‘barème Macron’) des dommages-intérêts que le juge prud’homal peut fixer en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse et en l’absence de réintégration, le législateur ayant souhaité encadrer le pouvoir d’appréciation du juge en fixant un montant minimum et un montant maximum d’indemnisation en fonction de l’ancienneté du salarié et de l’effectif de l’entreprise.
Le barème prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail apparaît conforme aux textes européens et internationaux, et ce nonobstant le fait que le Comité Européen des Droits Sociaux (CEDS) a estimé, dans une décision en date du 23 mars 2022, que le plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciement injustifié constitue une violation de la charte sociale européenne en ce que le droit à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée, au sens de l’article 24.b de la Charte, n’est pas garanti.
À l’intérieur des fourchettes d’indemnisation prévues par l’article L. 1235-3 du code du travail, c’est au juge prud’homal qu’il appartient de fixer le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse allouée au salarié. Les dommages-intérêts sont évalués, conformément aux règles du droit commun, en fonction du préjudice subi. Ce préjudice subi par le salarié est apprécié au jour de la décision judiciaire, ce qui autorise le juge à tenir compte des difficultés rencontrées par le salarié pour retrouver un emploi. Dès lorsque l’indemnité fixée est au moins égale au plancher fixé par le barème Macron, l’appréciation du montant des dommages-intérêts par le juge est souveraine.
En cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, un salarié reste recevable à démontrer l’existence d’un préjudice distinct de la seule perte injustifiée d’emploi pour obtenir une indemnisation échappant aux dispositions de L. 1235-3 du code du travail. C’est le cas de l’indemnité réparant le préjudice subi par le salarié du fait des procédés vexatoires dans la mise en oeuvre ou les circonstances du licenciement, ou de l’indemnité réparant la détérioration de l’état de santé du salarié imputable à comportement fautif de l’employeur. Lorsque le licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse, le cumul de dommages-intérêts est donc possible en cas de faute de l’employeur dans les circonstances entourant le licenciement dont il résulte pour le salarié un préjudice distinct de la seule perte d’emploi injustifiée déjà réparée par l’indemnité prévue par l’article L. 1235-3 du code du travail. La perte d’emploi et la perte de chance d’en retrouver un à court terme ne constituent pas des préjudices distinct de celui réparé par l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Monsieur [J] [T], âgé de 57 ans au moment du licenciement, présente une ancienneté de 10 ans dans une entreprise employant habituellement plus de dix salariés. En application de l’article L. 1235-3 du code du travail et au regard de son ancienneté, Monsieur [J] [T] peut prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (dommages-intérêts) d’un montant compris entre 3 et 10 mois de salaire mensuel brut, soit entre 20.587,35 euros et 68.624,50 euros.
Monsieur [J] [T] justifie s’être inscrit à Pôle Emploi après le licenciement et avoir perçu l’allocation d’aide au retour à l’emploi jusque fin 2020. Il a retrouvé un emploi de directeur éditorial, selon contrat de travail à durée indéterminée à temps plein, en janvier 2021 et percevait un salaire mensuel brut de 7.036 euros en juin 2022.
Le principe de proportionnalité impose au juge, qu’il soit français ou européen, de contrôler que l’atteinte qui a été portée à un droit fondamental n’est pas disproportionnée. Le juge doit vérifier d’abord si la disposition portant atteinte à un droit fondamental poursuit un but légitime, puis si elle permet d’atteindre ce but, et enfin, si une autre mesure, moins liberticide mais aussi efficace, n’aurait pas pu être prise en ses lieu et place. Le contrôle de proportionnalité permet aussi de régler les conflits entre des droits ou principes fondamentaux opposés, comme par exemple le principe de sécurité juridique, ou l’égalité de traitement, et le droit à une réparation intégrale, en tout cas adéquate, du préjudice subi, en effectuant, au cas par cas, une balance des intérêts en présence pour chercher soit à les concilier, soit à faire prévaloir l’un sur l’autre en fonction des circonstances de l’espèce. C’est l’exigence d’une adéquation entre les moyens employés et le but visé.
Il n’est pas justifié par Monsieur [J] [T] que l’application du barème prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail porterait une atteinte disproportionnée à ses droits, notamment à son droit d’obtenir une réparation adéquate, appropriée ou intégrale du préjudice par lui subi du fait de la perte injustifiée de son emploi.
Au regard des principes susvisés et des éléments d’appréciation dont la cour dispose, le premier juge a fait une exacte appréciation des circonstances de la cause ainsi que des droits et obligations des parties en condamnant la société LOSANGE DIFFUSION à payer à Monsieur [J] [T] la somme de 60.000 euros, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice subi pour perte injustifiée d’emploi (indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse).
Monsieur [J] [T] ne justifie pas d’un préjudice distinct de celui déjà indemnisé au titre de la perte injustifiée d’emploi.
– Sur les intérêts –
En application des dispositions des articles 1153 ancien du code civil (article 1231-6 nouveau) et R. 1452-5 du code du travail, les sommes allouées dont le principe et le montant résultent de la loi, d’un accord collectif ou du contrat de travail (indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, indemnité de licenciement) portent intérêts au taux légal à compter de la date de convocation de l’employeur à l’audience de tentative de conciliation valant mise en demeure, soit en l’espèce le 4 mars 2019.
Les sommes fixées judiciairement (dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse) produisent intérêts au taux légal à compter de la date de prononcé du jugement déféré en cas de confirmation, ou de la date de prononcé du présent arrêt en cas de réformation, soit en l’espèce le 4 novembre 2020.
– Sur les dépens et frais irrépétibles –
Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions sur les dépens et frais irrépétibles de première instance.
La société LOSANGE DIFFUSION sera condamnée aux dépens d’appel ainsi qu’à verser à Monsieur [J] [T] une somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
– Infirme le jugement en ce que le conseil de prud’hommes a annulé l’avertissement prononcé à l’encontre de Monsieur [J] [T] le 17 novembre 2017, et statuant à nouveau de ce chef, déboute Monsieur [J] [T] de sa demande à ce titre ;
– Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions non contraires ;
– Y ajoutant, condamne la société LOSANGE DIFFUSION à payer à Monsieur [J] [T] une somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
– Condamne la société LOSANGE DIFFUSION aux dépens d’appel ;
– Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.
Le greffier, Le Président,
N. BELAROUI C. RUIN