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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 10
ARRÊT DU 11 MAI 2023
(n° , 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/13082 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGFAM
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 21 Juin 2022 – Juge de la mise en état de PARIS RG n° 21/07065
APPELANTES
MINISTÈRE DES FINANCES DE LA RÉPUBLIQUE DU CAMEROUN
[Adresse 6]
[Localité 8](CAMEROUN)
ET
LE GOUVERNEMENT DE LA RÉPUBLIQUE DU CAMEROUN
[Adresse 7],
[Adresse 7]
[Localité 8](CAMEROUN)
ET
LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DE L’ETAT DU CAMEROUN
Palais de L’Unité
[Adresse 3]
[Localité 8](CAMEROUN)
Représentés et assistés tous par Me Jean-Paulin WOUMENI, avocat au barreau de PARIS, toque : E1583
INTIMÉE
HORIZONS MIDDLE EAST LIMITED, société de droit saoudien, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 2],
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 1] (ARABIE SAOUDITE)
Représentée par Me Jean-Claude CHEVILLER, avocat au barreau de PARIS, toque : D0945
Assistéeà l’audience de Rdha NEFFATI de la SELEURL LINHOLD, avocat au barreau de PARIS, toque : E0207
PARTIE INTERVENANTE
ETAT DU CAMEROUN, agissant par le Ministère de la Justice, lui-même représenté par MONSIEUR LE MINISTRE DE LA JUSTICE
Représenté et assisté par Me Jean-Paulin WOUMENI, avocat au barreau de PARIS, toque : E1583
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été plaidée le 07 Mars 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Florence PAPIN, Présidente
Mme Valérie MORLET, Conseillère
M. Laurent NAJEM, Conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur Laurent NAJEM dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Ekaterina RAZMAKHNINA
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Florence PAPIN, Présidente et par Ekaterina RAZMAKHNINA, greffier, présent lors de la mise à disposition.
***
EXPOSE DU LITIGE
Par acte du 16 mai 2013, la SARL CS Aviation, « affréteur », a conclu un contrat avec la société de droit saoudien HORIZON MIDDLE EAST LIMITED, dénommée « home » pour l’affrètement d’un avion les 21 et 30 mai puis 4 juin 2013 pour un déplacement du président de la République du Cameroun entre [Localité 8] et [Localité 5] (Japon) via [Localité 4] moyennant la somme de 3 812 500 US dollars.
Le contrat stipule que le « client » – défini comme « tout passager et leur (sic) bagage à bord de l’avion » paiera à « Home » le prix de l’affrètement.
Il est constant que le président de la République du Cameroun n’a pas pris le vol prévu entre [Localité 4] et [Localité 5] puisqu’il ne s’est finalement pas rendu au Japon.
C’est dans ce contexte que la société HORIZON MIDDLE EAST LIMITED a demandé à la société CS Aviation le règlement du solde du prix soit 2 812 500 euros et, que le 14 mai 2014, elle l’a assignée devant le tribunal de commerce de Paris en paiement.
Par acte du 20 janvier 2017, la société HORIZON MIDDLE EAST LIMITED a assigné le président de la République de l’Etat du Cameroun, le gouvernement de la République de l’Etat du Cameroun et le ministère des finances de la République de l’Etat du Cameroun devant le tribunal de commerce de Paris.
Le 12 juin 2018, la société CS Aviation et la société HORIZON MIDDLE EAST LIMITED ont signé un protocole d’accord transactionnel.
Par jugement du 24 janvier 2019, le tribunal de commerce de Paris a joint les deux instances et a tranché l’exception d’incompétence soulevée par « le président de la République de l’Etat du Cameroun », « le gouvernement de la République de l’Etat du Cameroun » et « le ministère des finances de la République de l’Etat du Cameroun » au profit des juridictions camerounaises, en s’estimant compétent.
« Le président de la République de l’Etat du Cameroun », « le gouvernement de la République de l’Etat du Cameroun » et « le ministère des finances de la République de l’Etat du Cameroun » ont interjeté appel de cette décision.
Par arrêt du 10 novembre 2020, la cour d’appel de Paris a notamment :
– Infirmé le jugement du tribunal de commerce de Paris du 24 janvier 2019 y ajoutant, rejeté la demande ;
– Rejeté la demande du Président, du gouvernement et du ministère des Finances du Cameroun tendant à voir écarter les conclusions de la société CS Aviation,
– Déclaré le tribunal de commerce de Paris incompétent matériellement pour connaître de l’action diligentée par la société HORIZON MIDDLE EAST LIMITED contre « le président, le Gouvernement et le ministère des Finances du Cameroun » au profit du tribunal judiciaire de Paris,
– Renvoyé le dossier devant le tribunal judiciaire de Paris.
Par ordonnance du 21 juin 2022, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris a :
– Reçu l’Etat du Cameroun agissant par le ministère de la justice lui-même représenté par le ministre de la justice en son intervention volontaire ;
– Déclaré irrecevables « le président de la République de l’Etat du Cameroun », « le gouvernement de la République de l’Etat du Cameroun » et « le ministère des finances de la République de l’Etat du Cameroun » à soulever une exception tirée de la nullité des assignations délivrées à eux le 20 janvier 2017 ;
– Dit que la société CS Aviation n’est pas partie à la présente instance devant le tribunal judiciaire de Paris aux termes tant de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 10 novembre 2020 que du jugement du tribunal de commerce de Paris du 1er octobre 2020 ;
– En conséquence, dit que le juge de la mise en état n’est pas valablement saisi de la fin de non-recevoir soulevée par la société CS Aviation ;
– Débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
– Réservé les dépens ;
– Renvoyé l’affaire à l’audience de mise en état dématérialisée.
Le 10 juillet 2022, Monsieur le Président de la République du Cameroun, le gouvernement de la République du Cameroun et le ministère des Finances de la République du Cameroun ont interjeté appel de cette ordonnance.
Dans leurs dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 02 octobre 2022, le Président de la République de l’Etat du Cameroun, le Gouvernement de la République du Cameroun et le Ministère des finances de la République du Cameroun et l’Etat du Cameroun, agissant par le Ministère de la Justice demandent à la cour de :
Vu, le code de procédure civile, notamment les articles 54 et suivants, 117 à 120,
Vu le code civil,
– Déclarer Monsieur le Président de la République de l’Etat du Cameroun, le Gouvernement de la République de l’Etat du Cameroun et Le Ministère des finances de la République du Cameroun recevables et bien fondés en leur appel formé à l’encontre de l’ordonnance rendue en date du 21 juin 2022 par le juge de la mise en état de la 5ème chambre du tribunal judiciaire de Paris.
– Infirmer le jugement entrepris,
– Leur donner acte de ce qu’ils se réservent le droit de conclure plus amplement sur l’appel,
Mais dès à présent :
– Recevoir l’Etat du Cameroun en sa demande d’intervention volontaire ;
– Constater que l’assignation en date du 20 janvier 2017 ne comporte pas l’indication des nom, prénoms, et domicile de monsieur le président de la République de l’Etat du Cameroun,
– Constater que le Président de la République de l’Etat du Cameroun n’a pas la capacité d’ester en justice,
– Constater que le Gouvernement de la République du Cameroun n’a pas de personnalité juridique propre, voire de capacité d’ester en justice,
– Constater que le Ministère des Finances de la République du Cameroun n’a pas de personnalité juridique propre, voire de capacité d’ester en justice ;
En conséquence,
– Déclarer nulle l’assignation en date du 20 janvier 2017 délivrée à la requête de la société HORIZON MIDDLE EAST LIMITED à Monsieur le Président de la République de l’Etat du Cameroun, en application de l’article 57 du code de procédure civile ;
– Déclarer nulle l’assignation en date du 20 janvier 2017 délivrée à la requête de la société HORIZON MIDDLE EAST LIMITED à Monsieur le Président de la République du Cameroun, le Gouvernement de la République de l’Etat du Cameroun, le Ministère des Finances de la République du Cameroun, et ce, en application de l’article 117 et suivants du code de procédure civile ;
– Déclarer irrecevables les demandes de condamnation formulées par la société HORIZON MIDDLE EAST LIMITED à l’encontre de l’Etat du Cameroun, et ce, conformément aux articles combinés 14, 55 à 57 et 768 du code de procédure civile ;
En tout état de cause,
– Dire n’y avoir lieu à statuer, la procédure étant devenue sans objet, et ce, conformément aux dispositions des articles 2044 et suivants du code civil ;
– Condamner la société HORIZON MIDDLE EAST LIMITED à payer la somme de 500 000 euros à l’Etat du Cameroun, à titre de dommages et intérêts, pour mauvaise foi, procédures abusives et tentative d’escroquerie au jugement, et ce, en application des articles 1240 et suivants du code civil ;
– Condamner la société HORIZON MIDDLE EAST LIMITED à payer la somme de 50 000 euros à chacun des organes de l’Etat du Cameroun mis en cause, [à] savoir la somme de 50 000 euros à Monsieur le Président de la République de l’Etat du Cameroun, celle de 50 000 euros au Gouvernement de la République de l’Etat du Cameroun, et celle de 50 000 euros au Ministre des Finances de la République du Cameroun, soit à verser la somme totale de 150 000 euros à l’Etat du Cameroun, et ce, en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner la société HORIZON MIDDLE EAST LIMITED aux entiers dépens d’instance et d’appel au profit de l’Etat du Cameroun et dire qu’ils pourront être recouvrés par Maître Jean Paulin Woumeni, avocat au barreau de Paris, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Ils soulignent qu’aux termes de l’article 117 du code de procédure civile, les exceptions de nullité fondées sur l’inobservation des règles de fond relatives aux actes de procédures peuvent être proposées en tout état de cause et qu’aux termes de l’article 120 du même code, elles doivent être relevées d’office, lorsqu’elles ont un caractère d’ordre public.
En ce qui concerne la nullité de l’assignation du 20 janvier 2017, ils font valoir que l’acte dirigé contre le Président de la République aurait dû comporter ses nom, prénom et domicile.
Ils soutiennent que le Président, lorsqu’il n’est pas mis en cause ès qualités de représentant de l’Etat du Cameroun, n’a pas de personnalité juridique propre et ne peut donc être attrait en justice ; que le Ministre des finances et le Gouvernement n’ont pas davantage de personnalité juridique propre.
Ils considèrent que la demande tendant à voir condamner l’Etat du Cameroun dans une instance dans laquelle il n’a pas été mis en cause est irrecevable puisque le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien des prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion, ce qui n’est pas le cas de l’assignation du 20 janvier 2017.
L’Etat du Cameroun considère qu’il s’agit d’une procédure vexatoire à son égard en ce qu’il est intervenant volontaire et véritable cible de l’assignation. Il fait état d’une transaction intervenue le 12 juin 2019 entre CS AVIATION et la SARL HORIZONS MIDDLE EAST LTD qui rend l’action de l’intimée sans objet et il rappelle les procédures déjà intervenues.
Dans ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique la société HORIZON MIDDLE EAST LIMITED du 06 janvier 2023 demande à la cour :
Vu l’ensemble des pièces visées,
A titre principal,
– Rejeter l’ensemble des exceptions de nullité soulevées par le président de la République du Cameroun, son gouvernement et son ministère des Finances,
– Les débouter de l’ensemble de leurs demandes,
– Confirmer l’ordonnance rendue en date du 21 juin 2022 par le juge de la mise en état de la 5ème chambre du tribunal judiciaire de Paris
– Juger que le gouvernement de la République de l’Etat du Cameroun et le ministère des Finances de la République du Cameroun ont la capacité juridique et peuvent être ainsi parties à une instance judiciaire,
– Juger que le Président de la République est intervenu dans cette affaire en sa qualité « institutionnelle » de représentant de l’Etat du Cameroun et non en sa qualité personnelle,
A titre subsidiaire,
– Juger que l’Etat du Cameroun est visé par la présente procédure et qu’il est intervenu officiellement auprès des juridictions commercial et d’appel et avait agi à travers ses organes, son président de la République, son gouvernement et son ministère des Finances,
En tout état de cause,
– Débouter l’Etat du Cameroun de sa demande indemnitaire,
– Condamner l’Etat du Cameroun à travers son président de la République, son gouvernement et son ministère des Finances solidairement sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile à régler à la société HORIZON MIDDLE EAST LIMITED une indemnité de 25 000 euros,
– Les condamner en tous les dépens de l’instance et dire qu’ils pourront être recouvrés par Maitre Jean-Claude Cheviller, avocat au barreau de Paris, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
La société de droit saoudien HORIZON MIDDLE EAST LIMITED fait valoir que les trois entités camerounaises (le Président de la République, le Gouvernement et le Ministère des finances) se sont prévalues de leur qualité pour agir en justice et ne peuvent soulever pour la première fois l’exception de nullité relative à une assignation délivrée le 20 janvier 2017 alors qu’elles avaient la possibilité de le faire devant les juridictions de première instance et d’appel.
Elle se fonde sur la théorie de l’estoppel relevant que les appelants ne peuvent se prévaloir d’une position procédurale contraire à ce qui avait été soutenu antérieurement, à son détriment.
Elle relève que les trois émanations de l’Etat du Cameroun trouvent l’opportunité de dire qu’elles n’ont pas de personnalité juridique propre alors même qu’elles l’ont assignée à comparaitre devant la cour d’appel de Paris, après s’être constituées devant la même juridiction en formant une déclaration d’appel le 2 mars 2019, chacune des parties s’étant constituée en son nom.
Elle considère que ces entités officielles ont confirmé qu’elles représentaient l’Etat du Cameroun, dans leurs conclusions et relève que le Président de la République est intervenu, ès qualités, dans le contrat commercial d’affrètement d’avion. Elle précise l’identité exacte de ce dernier.
Elle se fonde sur les dispositions de la Constitution camerounaise s’agissant de la capacité d’ester en justice du Gouvernement et du Ministère des finances et elle cite des actions en justice faisant intervenir des ministères.
Elle rappelle que l’Etat du Cameroun est intervenu dans le cadre de la procédure devant le tribunal de commerce de Paris et qu’il a confirmé qu’il serait représenté par ces trois entités devant ce tribunal, par courriers. Elle cite tous les actes dans lesquels l’Etat du Cameroun confirmait son intervention.
S’agissant des dommages et intérêts réclamés par l’Etat du Cameroun, elle estime que ni le juge de la mise en état, ni la cour ne sont compétents pour statuer sur cette demande et considère qu’aucune preuve n’est au demeurant apportée au soutien de cette demande.
La clôture est intervenue le 1er février 2023.
En dépit des demandes adressées par le greffe par messages électroniques des 7 et 28 mars 2023, les appelants n’ont pas fait parvenir les pièces visées à leur bordereau que le 13 avril 2023, soit plus d’un mois après l’audience de plaidoirie qui s’est tenue le 7 mars 2023.
MOTIFS DE L’ARRÊT
A titre liminaire,
L’ordonnance déférée a reçu l’Etat du Cameroun, agissant par le ministère de la justice, lui-même représenté par le ministre de la justice en son intervention volontaire.
La déclaration d’appel ne mentionne pas l’Etat du Cameroun mais ce dernier intervient également volontairement à l’instance aux termes des conclusions des appelants.
Il sera reçu en son intervention volontaire.
La société CS AVIATION n’a pas été intimée, étant relevé que le premier juge a dit que cette société n’était pas partie à l’instance aux termes tant de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 10 novembre 2020 que du jugement du tribunal de commerce de Paris du 1er octobre 2020.
Sur la nullité de l’assignation du 20 janvier 2017 délivrée au Président de la République au visa de l’article 57 du code de procédure civile
L’article 54 du code de procédure civile dispose que :
« La demande initiale est formée par assignation ou par requête remise ou adressée au greffe de la juridiction. La requête peut être formée conjointement par les parties.
A peine de nullité, la demande initiale mentionne :
1° L’indication de la juridiction devant laquelle la demande est portée ;
2° L’objet de la demande ;
3° a) Pour les personnes physiques, les nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance de chacun des demandeurs
b) Pour les personnes morales, leur forme, leur dénomination, leur siège social et l’organe qui les représente légalement ;
4° Le cas échéant, les mentions relatives à la désignation des immeubles exigées pour la publication au fichier immobilier ;
5° Lorsqu’elle doit être précédée d’une tentative de conciliation, de médiation ou de procédure participative, les diligences entreprises en vue d’une résolution amiable du litige ou la justification de la dispense d’une telle tentative. »
Aux termes de l’article 57 du code de procédure civile :
« Lorsqu’elle est formée par le demandeur, la requête saisit la juridiction sans que son adversaire en ait été préalablement informé. Lorsqu’elle est remise ou adressée conjointement par les parties, elle soumet au juge leurs prétentions respectives, les points sur lesquels elles sont en désaccord ainsi que leurs moyens respectifs.
Elle contient, outre les mentions énoncées à l’article 54, également à peine de nullité :
-lorsqu’elle est formée par une seule partie, l’indication des nom, prénoms et domicile de la personne contre laquelle la demande est formée ou s’il s’agit d’une personne morale, de sa dénomination et de son siège social ;
(‘) »
Les appelants font valoir que l’acte délivré au Président de la République ne mentionne pas ses nom et prénom, alors que cette fonction est exercée par une personne physique.
Il s’agit d’une nullité de forme, laquelle suppose la démonstration d’un grief.
Ce grief en l’espèce n’est nullement explicité, compte tenu des autres moyens développés au titre de la nullité de fond.
L’exception de nullité sur ce premier fondement n’est pas fondée.
Sur l’exception de nullité de l’assignation du 20 janvier 2017 au visa de l’article 117 du code de procédure civile
Aux termes de l’article 74 du code de procédure civile :
« Les exceptions doivent, à peine d’irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Il en est ainsi alors même que les règles invoquées au soutien de l’exception seraient d’ordre public.
La demande de communication de pièces ne constitue pas une cause d’irrecevabilité des exceptions.
Les dispositions de l’alinéa premier ne font pas non plus obstacle à l’application des articles 103,111,112 et 118. »
L’article 118 du même code dispose en effet que « Les exceptions de nullité fondées sur l’inobservation des règles de fond relatives aux actes de procédure peuvent être proposées en tout état de cause, à moins qu’il en soit disposé autrement et sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt. »
Aux termes de l’article 117 du code de procédure civile :
« Constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l’acte :
Le défaut de capacité d’ester en justice ;
Le défaut de pouvoir d’une partie ou d’une personne figurant au procès comme représentant soit d’une personne morale, soit d’une personne atteinte d’une incapacité d’exercice ;
Le défaut de capacité ou de pouvoir d’une personne assurant la représentation d’une partie en justice. »
Il en résulte que contrairement à ce qu’a retenu le premier juge, l’exception tenant à un défaut de capacité à ester en justice n’avait pas à être soulevée en même temps que l’exception d’incompétence matérielle mais pouvait l’être en tout état de cause. Le caractère éventuellement tardif de cette exception est dès lors sans effet sur sa recevabilité.
Par conséquent, il importe de déterminer si « Le Président de la République du Cameroun », « Le Gouvernement de la République du Cameroun » et « Le Ministère des Finances de la République du Cameroun » ont la personnalité juridique et subséquemment la capacité d’ester en justice, en l’espèce en défense.
Par acte du 20 janvier 2017, la société de droit saoudien HORIZON MIDDLE EAST LIMITED a assigné en intervention forcée devant le tribunal de commerce de Paris « Le Président de la République de l’Etat du Cameroun », le « Gouvernement de la République de l’Etat du Cameroun » et le « Ministère des finances de la République du Cameroun » aux fins de voir condamner « l’Etat du Cameroun » à payer à titre principal à la société CS AVIATION la somme de 2 565 000 euros entre les mains du Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris.
Cependant, ni l’en-tête de cet acte, ni les procès-verbaux de remise à parquet étranger ne font état de ce que ces trois entités seraient assignées « en qualité de représentant de l’Etat du Cameroun ». Il n’est d’ailleurs pas davantage précisé dans l’acte à quel titre une telle assignation dirigée contre trois entités distinctes est pertinente au regard de l’objectif poursuivi, soit la condamnation de l’Etat du Cameroun, seul, et non de l’une quelconque de ces entités ou même des trois.
Il en résulte également qu’en réclamant la seule condamnation de l’Etat du Cameroun et non des organismes qu’elle assigne pourtant et sans préciser en quelle qualité ces dernières ont vocation à intervenir toutes trois (le cas échéant ès qualités de représentants de cet Etat), cet acte est lacunaire.
La société HORIZON MIDDLE EAST LIMITED se fonde sur la théorie de l’estoppel, soit le principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui.
L’intimée relève que chacune de ses trois parties s’est constituée en son nom, sans soulever un défaut de capacité d’ester en justice ni en France, ni au Cameroun et qu’il y aurait eu « aveu » par ces entités, dans leurs conclusions, de ce qu’elles représentaient l’Etat du Cameroun. L’intimée verse par ailleurs des actes d’instance émanant de ces trois entités (pièce 37, assignation à jour fixe et requête) ou des décisions de justice aux termes desquels l’Etat du Cameroun, pris en la personne de son Président de la République, était partie (pièces 38, 39, 40).
Cependant, la capacité d’ester en justice et donc de se contredire ne se conçoivent que dans la mesure où l’organisme auquel on oppose cette obligation de loyauté processuelle est doté d’une personnalité juridique.
Pour démontrer cette personnalité juridique, l’intimée produit la Constitution de la République du Cameroun.
Il en résulte notamment que l’autorité de l’Etat est exercée par le Président de la République et le Parlement (article 4) et qu’il représente l’Etat dans tous les actes de la vie publique (article 8), que le Gouvernement est chargé de la mise en ‘uvre de la politique de la Nation telle que définie par le Président de la République (article 11) ou que ce dernier est garant de l’indépendance du Pouvoir Judiciaire (article 37).
Il ne ressort nullement de ces dispositions une quelconque capacité d’ester en justice ni du Gouvernement, ni du Ministère des Finances.
S’agissant du Président de la République, il ne peut être mis en cause qu’en qualité de représentant de l’Etat du Cameroun. Cette précision quant à sa qualité, indispensable pour poursuivre une condamnation de l’Etat ne figurait nullement dans l’acte de procédure litigieux. Il n’est pas davantage soutenu que l’intimée souhaitait l’assigner à titre personnel, s’agissant d’un transport aérien dans le cadre de ses fonctions officielles.
Dès lors, en l’absence de capacité d’ester en justice, aucun « aveu » ou estoppel ne peut être retenu contre ses entités.
La décision déférée sera infirmée en ce qu’elle a déclaré irrecevable l’exception de nullité tirée de la nullité de l’assignation en date du 20 janvier 2017 délivrée à la requête de la société HORIZON MIDDLE EAST LIMITED.
Statuant de nouveau, il y a lieu de déclarer nulle l’assignation en date du 20 janvier 2017 délivrée à l’encontre du Président de la République du Cameroun, du Gouvernement de la République du Cameroun et du Ministère des finances du Cameroun.
Sur l’intervention de l’Etat du Cameroun
A titre subsidiaire, la société HORIZON MIDDLE EAST expose que l’Etat du Cameroun est intervenu dans la présente procédure, devant le tribunal de commerce puis le tribunal judiciaire de Paris.
Il a été relevé que la société HORIZON MIDDLE EAST n’a jamais attrait l’Etat du Cameroun devant les juridictions, mais les trois entités susvisées, et sans préciser qu’elles interviendraient, notamment s’agissant du Président de la République, ès qualités de représentant de l’Etat.
La lettre du 1er novembre 2017 (pièce 46 de l’intimée) aux termes de laquelle le chef de la division du contentieux de l’Etat du Ministère de la Justice du Cameroun sollicite un renvoi de la cause auprès du greffe du tribunal de commerce de Paris pour permettre au Président de la République, au Gouvernement et au Ministère des finances de se constituer et d’assurer leur défense ne constitue pas une intervention volontaire de l’Etat du Cameroun.
Il sera relevé que dans l’arrêt de la présente cour, en date du 10 novembre 2020 statuant sur la compétence et renvoyant l’affaire devant le tribunal judiciaire de Paris, les seules parties mentionnées au titre des appelants sont le Président de la République, le Gouvernement et le Ministère des Finances. Il n’est fait nulle mention de ce qu’ils agissent ès qualités ni dans l’en-tête des parties, ni dans le dispositif. Si cette décision, dans ses motifs (point 34), relève que l’Etat du Cameroun a été assigné en intervention forcée, ce n’est pas ce qui résulte de ladite assignation, comme noté précédemment. Le fait que ces trois entités seraient appelées en intervention forcée en qualité de représentant de l’Etat n’est pas mentionné et il a été relevé en tout état de cause qu’il n’est pas démontré qu’elles avaient une personnalité juridique.
Il en résulte que les demandes à l’encontre de cet Etat ne sont pas recevables.
Sur les dommages et intérêts
La mauvaise appréciation qu’une des parties a de ses droits n’est pas constitutive d’un abus, d’autant qu’en l’espèce, l’exception de nullité a été soulevée après plusieurs années d’instance et plusieurs décisions portant sur la procédure.
L’Etat du Cameroun sera débouté de sa demande de dommages et intérêts.
Sur les demandes accessoires
Le sens de la décision conduit à infirmer la décision de première instance s’agissant des dépens.
La société HORIZON MIDDLE EAST LIMITED sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel mais l’équité commande de laisser à la charge des parties leurs frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
Reçoit l’Etat du Cameroun, agissant par le Ministère de la Justice, en son intervention volontaire ;
Infirme la décision en ses dispositions déférées devant la cour ;
Statuant de nouveau et y ajoutant,
Prononce la nullité de l’assignation délivrée le 20 janvier 2017 au « Président de la République de l’Etat du Cameroun », au « Gouvernement de la République de l’Etat du Cameroun » et au « Ministère des finances de la République du Cameroun » ;
Déclare la société HORIZON MIDDLE EAST LIMITED irrecevable en ses demandes formées à l’encontre de l’Etat du Cameroun ;
Condamne la société HORIZON MIDDLE EAST LIMITED aux dépens de première instance et d’appel ;
Déboute les parties de l’ensemble de leurs autres demandes, y compris au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE