Your cart is currently empty!
1ère Chambre
ARRÊT N°150/2023
N° RG 22/05409 – N° Portalis DBVL-V-B7G-TC3T
Mme [R] [W] épouse [X]
M. [Z] [X]
C/
Mme [I] [Y]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 23 MAI 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Aline DELIÈRE, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 06 mars 2023 devant Madame Aline DELIÈRE, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 23 mai 2023 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré annoncé au 16 mai 2023 à l’issue des débats
****
APPELANTS :
Madame [R] [W] épouse [X]
née le [Date naissance 4] 1972 à [Localité 11] (61)
[Adresse 8]
[Localité 7]
Représentée par Me Garance LEPHILIBERT de la SARL MENSOLE AVOCATS, avocat au barreau de NANTES
Monsieur [Z] [X]
né le [Date naissance 2] 1971 à [Localité 14] (78)
[Adresse 8]
[Localité 7]
Représenté par Me Garance LEPHILIBERT de la SARL MENSOLE AVOCATS, avocat au barreau de NANTES
INTIMÉE :
Madame [I] [Y]
née le [Date naissance 1] 1978 à [Localité 12] (62)
[Adresse 5]
[Localité 7]
Représentée par Me Jean-David CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Alexia LUCIANO, Plaidant, avocat au barreau de NANTES
FAITS ET PROCÉDURE
Depuis le 13 avril 2001, les époux [R] [W] et [Z] [X] sont propriétaires d’une maison située [Adresse 8], à [Localité 7] (44), sur une parcelle cadastrée section AA, n° [Cadastre 3], et d’une parcelle, de l’autre côté de la rue, cadastrée section AA, n° [Cadastre 10], sur laquelle se trouve un garage et un jardin.
Depuis le 29 mars 2021, Mme [I] [Y] est propriétaire de la parcelle voisine, cadastrée section AA, n° [Cadastre 9], au [Adresse 6].
Les parcelles [Cadastre 9] et [Cadastre 10] sont en pente, depuis la [Adresse 6], vers le lit de la Loire.
Le 18 décembre 2020, Mme [Y] a déposé une demande de permis de construire, qu’elle a obtenu le 10 février 2021, aux fins d’édifier une maison sur son fonds.
Le 18 juillet 2021 les époux [X] ont formé un recours en annulation du permis de construire, qui a été déclaré irrecevable.
Le 2 juin 2022, se plaignant de la création d’une vue plongeante sur leur jardin et de la destruction d’un muret, les époux [X] ont assigné Mme [Y] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Nantes afin, notamment, de faire cesser les travaux de construction.
Par ordonnance du 28 juillet 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nantes a’:
-rejeté la fin de non recevoir tirée de la violation des dispositions de l’article 750-1 du code de procédure civile,
-dit n’y avoir lieu à référé,
-condamné les époux [X] aux dépens et à payer à Mme [Y] la somme de 2500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Les époux [X] ont interjeté appel le 5 septembre 2022 des chefs de l’ordonnance disant n’y avoir lieu à référé et les condamnant aux dépens et à payer une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Ils exposent leurs moyens et leurs demandes dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées le 8 décembre 2022, auxquelles il est renvoyé.
Ils demandent à la cour de :
-débouter Mme [Y] de son appel incident,
-infirmer l’ordonnance des chefs dont ils ont fait appel,
-statuant à nouveau,
-dire qu’ils sont recevables en leur action,
-à titre principal, constater la création d’une vue illégale depuis la parcelle cadastrée section AA n° [Cadastre 9] sur la parcelle cadastrée section AA n° [Cadastre 10],
-enjoindre à Mme [Y], sous astreinte de 100 euros par jour de retard, passé le délai d’un mois à compter du prononcé de l’ordonnance à venir, d’avoir à cesser les travaux en cours sur la parcelle cadastrée section AA n° [Cadastre 9],
-la condamner, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé le délai d’un mois à compter du prononcé de l’ordonnance à venir, à remettre en état le poteau du mur leur appartenant, situé au Sud de leur propriété (côté jardin),
-à titre subsidiaire, ordonner une expertise et désigner un expert qui aura pour mission de :
-se rendre sur les lieux après y avoir régulièrement convoqué les parties et leurs conseils,
-se faire communiquer tout document utile à l’accomplissement de sa mission, même détenu par des tiers,
-recueillir les prétentions et observations des parties et entendre tout sachant,
-constater la matérialité et décrire les atteintes portées au droit de propriété évoquées dans le cadre de la présente procédure,
-préciser leurs natures, leurs origines, leurs étendues, leur date d’apparition, leurs effets et leurs causes,
-réunir les éléments permettant de dire si les atteintes portées au droit de propriété créée une vue au sens de l’article 678 du code civil,
préciser si les atteintes portées au droit de propriété étaient présentes avant la construction édifiée par Mme [Y],
-fournir au tribunal tous éléments techniques et de fait permettant de déterminer les responsabilités encourues,
-définir et chiffrer les travaux permettant de remédier aux atteintes constatées et en chiffrer le coût,
-fournir au tribunal tous éléments d’appréciation des différents préjudices subis par les requérantes, et notamment les préjudices liés aux troubles de jouissance subis par eux depuis l’apparition des atteintes,
-en cas d’urgence, décrire et évaluer dans un compte-rendu les travaux indispensables à effectuer à bref délai, pour le compte de qui il appartiendra,
-déposer, au terme des opérations d’expertise, un pré-rapport, avant le rapport définitif.
-condamner Mme [Y] aux entiers dépens de l’instance et à leur verser la somme de 2000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Mme [Y] expose ses moyens et ses demandes dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées le 5 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé.
Elle demande à la cour de :
-infirmer l’ordonnance en ce qu’elle a rejeté la fin de non recevoir tirée de la violation de l’article 750-1 du code de procédure civile,
-débouter les époux [X] de toutes leurs demandes comme étant irrecevables,
-à défaut, à titre principal, débouter les époux [X] de toutes leurs demandes,
-confirmer l’ordonnance de référé sauf du chef du rejet de la fin de non recevoir,
-à titre subsidiaire, rejeter les demandes d’astreinte ou les ramener à de plus justes proportions,
-à titre très subsidiaire, lui décerner acte de ses réserves sur la demande d’expertise,
-en tout état de cause, condamner solidairement les époux [X] aux entiers dépens et à lui payer la somme de 3500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE L’ARRÊT
1) Sur la fin de non recevoir
L’assignation a été délivrée le 2 juin 2022. Elle vise les dispositions des articles 544 (atteinte au droit de propriété) et 678 (distances des vues) du code civil et indique expressément qu’elle est fondée sur un trouble anormal du voisinage suite à l’édification de la maison de Mme [Y].
Au 2 juin 2022, l’article 750-1 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, et après avoir été modifié par le décret 2022-245 du 25 février 2022, disposait’:
«’A peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, la demande en justice doit être précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation ou d’une tentative de procédure participative, lorsqu’elle tend au paiement d’une somme n’excédant pas 5 000 euros ou lorsqu’elle est relative à l’une des actions mentionnées aux articles R. 211-3-4 et R. 211-3-8 du code de l’organisation judiciaire ou à un trouble anormal de voisinage.
Les parties sont dispensées de l’obligation mentionnée au premier alinéa dans les cas suivants :
1° Si l’une des parties au moins sollicite l’homologation d’un accord ;
2° Lorsque l’exercice d’un recours préalable est imposé auprès de l’auteur de la décision ;
3° Si l’absence de recours à l’un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime tenant soit à l’urgence manifeste soit aux circonstances de l’espèce rendant impossible une telle tentative ou nécessitant qu’une décision soit rendue non contradictoirement soit à l’indisponibilité de conciliateurs de justice entraînant l’organisation de la première réunion de conciliation dans un délai manifestement excessif au regard de la nature et des enjeux du litige ;
4° Si le juge ou l’autorité administrative doit, en application d’une disposition particulière, procéder à une tentative préalable de conciliation ;
5° Si le créancier a vainement engagé une procédure simplifiée de recouvrement des petites créances, conformément à l’article L. 125-1 du code des procédures civiles d’exécution.’»
Or, le Conseil d’Etat, par un arrêt du 22 septembre 2022 (CE, 6e et 5e ch. réun., 22 sept. 2022, nos’436939 et 437002) a annulé l’article 750-1 du code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019.
La décision du Conseil d’Etat rappelle que l’annulation d’un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n’être jamais intervenu. Elle précise qu’eu égard aux conséquences manifestement excessives sur le fonctionnement du service public de la justice qui résulteraient de l’annulation rétroactive, d’une part, de l’article 750-1 du code de procédure civile dans sa rédaction issue de l’article 4 du décret attaqué dans la mesure précisée au point 43, d’autre part, du I de l’article 55 du décret attaqué, il y a lieu, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision, de déroger au principe de l’effet rétroactif des annulations contentieuses.
Le Conseil d’Etat a décidé : «’Sous réserve des actions engagées à la date du 22 septembre 2022, les effets produits par l’article 750-1 du code de procédure civile dans sa rédaction issue de l’article 4 du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile avant son annulation et par les procédures et décisions affectées, entre le 13 décembre 2019 et le 1er janvier 2020, par l’annulation du I de l’article 55 du même décret sont définitifs.’»
L’annulation de l’article 750-2 du code de procédure civile ne prend donc effet qu’à compter du 22 septembre 2022. Les affaires définitivement jugées avant cette date ne sont pas affectées et les affaires en cours, qui n’ont pas été définitivement jugées, restent régies par les dispositions de l’article 750-1 du code de procédure civile.
Par ailleurs, à la date de délivrance de l’assignation en référé, le 2 juin 2022, la version de l’article 750-1 du code de procédure civile applicable était la version modifiée par le décret du 25 février 2022, comportant l’ajout du contentieux du trouble anormal du voisinage aux contentieux relevant d’une tentative de conciliation obligatoire.
La décision d’annulation du Conseil d’Etat du 22 septembre 2022 n’a aucune incidence sur cette modification, incorporée à l’article 750-1 du code de procédure civile, et qui suit le même régime.
Donc, à défaut d’effet rétroactif de l’annulation en ce qui concerne les affaires en cours, il y a lieu de considérer qu’à la date du 2 juin 2022 les époux [X] étaient tenus par les dispositions de l’article 750-1 du code de procédure civile, citées ci-dessus, et devaient faire précéder leur demande en justice d’une tentative de conciliation, ou autre.
Les époux [X] justifient avoir adressé un courrier recommandé à la mairie de [Localité 13], destiné au conciliateur de justice, le 2 avril 2022. Toutefois, ils ne justifient pas du contenu du courrier.
Le premier juge a estimé recevable la demande des époux [X] en considérant qu’ils justifiaient avoir préalablement saisi un conciliateur de justice.
Mme [Y] sollicite la réformation de ce chef de l’ordonnance. Elle indique n’avoir jamais reçu la moindre convocation de la part d’un conciliateur de justice, alors même que les époux [X], qui prétendent qu’ils ne connaissaient pas son adresse postale, ont su lui notifier à cette adresse leur recours en annulation du permis de construire et l’assignation en référé, et que son adresse n’a pas changé.
Les époux [X] répliquent qu’ils ont bien effectué des diligences en vue d’une tentative de conciliation, restée vaine faute pour eux de disposer de l’adresse postale de Mme [Y] permettant au conciliateur de justice de pouvoir la convoquer.
Outre la justification de l’envoi d’un courrier recommandé au conciliateur le 2 avril 2022, les époux [X] versent à la procédure une copie des échanges qu’ils ont eu avec celui-ci entre le 21 avril et le 20 mai 2022.
Le conciliateur de justice leur rappelait qu’il n’avait pas à sa disposition l’adresse de Mme [Y], lui permettant de la convoquer à une réunion de tentative de conciliation. Néanmoins, contrairement à ce que les époux [X] ont indiqué au conciliateur dans le cadre de ces échanges, ils avaient bien connaissance de l’adresse de Mme [Y] ([Adresse 5], [Localité 7]) au moment où ils ont saisi le conciliateur, puisqu’ils avaient notifié à Mme [Y], le 28 juillet 2021, leur recours en annulation du permis de construire. L’assignation en référé a d’ailleurs également été signifiée à cette adresse, par dépôt à l’étude de l’huissier qui a vérifié qu’il s’agit bien de l’adresse de Mme [Y].
La cour souligne en outre que, outre l’adresse de Mme [Y], la demande de permis de construire comprend les coordonnées de l’entrepreneur (téléphone et adresse mail) qui a établi le dossier de demande de permis de construire et que par mail du 14 décembre 2021 M. [X] a pu le contacter pour se plaindre de dégradations causées sur la façade arrière de sa maison, pendant les travaux.
Dans son dernier mail du 19 mai 2022 adressé au conciliateur, qui rappelle ne disposer d’aucune adresse postale ou téléphonique pour joindre Mme [Y], M. [X] se contente de dire qu’il n’a pas réussi non plus à «’capter l’attention’» de celle-ci et qu’il ne voit plus que le tribunal pour y arriver, alors qu’il ne justifie ni de l’envoi d’un courrier, ni d’une recherche de prise de contact personnel avec Mme [Y], directement ou par l’intermédiaire de l’entrepreneur.
C’est donc de mauvaise foi que les époux [X] allèguent devant la cour avoir entrepris des démarches tendant à favoriser une résolution amiable du litige. Ils ont manifestement, au contraire et à dessein, omis de donner l’adresse de Mme [Y] au conciliateur de justice afin que celui-ci puisse la convoquer. Ils ne peuvent donc pas prétendre avoir entrepris une tentative préalable de conciliation avant de saisir le juge des référés.
Les époux [X] soutiennent encore que l’urgence, au sens de l’article 750-1-3° du code de procédure civile, justifiait le défaut de tentative de conciliation préalable.
Pour autant, ils soutiennent, en se contredisant, qu’ils ont procédé à une tentative de conciliation, reconnaissant ainsi le défaut d’urgence de la situation. Par ailleurs Mme [Y] a obtenu son permis de construire le 10 février 2021 et les époux [X] ont, dès le 28 juillet 2021, initié un recours en annulation. Ils ont ensuite attendu le mois d’avril 2022 pour contacter un conciliateur de justice, et ce alors que la construction de la maison de Mme [Y] était déjà largement entamée, comme en atteste le constat d’huissier dressé le 12 mars 2022, qui montre l’achèvement du gros-oeuvre et de la plate-forme litigieuse. Dans ces conditions, il n’est pas démontré l’existence d’un motif légitime tenant à l’urgence, pouvant les dispenser d’une tentative préalable de conciliation.
Enfin, les époux [X] soutiennent que la demande d’expertise sollicitée à titre subsidiaire était indépendante de toute action fondée sur un trouble anormal de voisinage et que, à ce titre, aucune obligation de tentative préalable de conciliation ne pesait sur eux.
Cependant, s’ils sollicitaient également la réalisation d’une expertise, cette demande n’était que subsidiaire et en outre liée au trouble anormal du voisinage dénoncé. Ils ne peuvent donc prétendre que leur action n’était pas soumise aux dispositions de l’article 750-1 du code de procédure civile alors qu’elle était bien relative à un trouble anormal de voisinage au sens de cet article, entendu largement.
En conséquence, l’ordonnance déférée sera infirmée pour avoir rejeté la fin de non recevoir soulevée par Mme [Y] et avoir statué sur les demandes des époux [X]. Celles-ci seront déclarées irrecevables.
2) Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens
L’ordonnance sera confirmée en ce qu’elle a condamné les époux [X] aux dépens et à payer à Mme [Y] une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Partie perdante, les époux [X] seront condamnés aux dépens et leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile sera rejetée.
Il n’est pas équitable de laisser à la charge de Mme [Y] les frais qu’elle a exposés qui ne sont pas compris dans les dépens et il lui sera alloué la somme de 2500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme l’ordonnance de référé rendue le 28 juillet 2022 sauf en ce qu’elle a condamné les époux [Z] et [R] [X] aux dépens et à payer à Mme [I] [Y] la somme de 2500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau,
Déclare irrecevables les demandes des époux [Z] et [R] [X],
Les déboute de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Les condamne in solidum aux dépens et à payer à Mme [I] [Y] la somme de 2500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE